jeudi 26 janvier 2012

Thomas Traherne


Dans la campagne galloise, au milieu du XVIIe siècle anglais déchiré par les troubles politiques et religieux, s'élève une voix unique, souveraine, celle de Thomas Traherne. Sa prose rythmée rappelle Silesius par la fulgurance de l'aphorisme, Ruysbroeck par l'assurance de l'affirmation et Eckhart par la profondeur de l'expérience. Traherne meurt à l'âge de trente-sept ans au terme d'une vie contemplative et solitaire. « C'était, écrit une des rares personnes qui l'ait bien connu, un homme d'un tempérament agréable et enjoué, dépourvu de ces formes d'aigreur ou de raideur, par lesquelles certains hommes prétendument pieux discréditent et dénaturent la vraie Religion davantage qu'ils ne la rendent recommandable. » Il n'a cessé d'écrire, sans rien signer ni rien publier qu'un unique livre, un an avant sa mort.
Quatrième de couverture de : Les Centuries

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Autre biographie : Arfuyen

Un jour, je me souviens - je crois que j'avais environ quatre ans - je raisonnais ainsi avec moi-même, dans une petite chambre sombre dans la pauvre maison de mon père : s'il y a un Dieu, certainement il doit être d'une bonté infinie... Comment peut-il se faire que je sois si pauvre ?... Je ne savais pas alors que j'avais une âme, ni que j'avais un corps, et je ne pensais pas aux cieux et à la terre, aux rivières et aux étoiles, aux soleils et aux océans. Toutes ces choses étaient perdues et loin de moi, mais quand je trouvais qu'elles étaient faites de rien, et qu'elles étaient faites pour moi, alors certes j'eus un Dieu, et je pouvais le louer et me réjouir avec lui.
Centuries, III,16 cité par Jean Wahl dans la préface de : Poèmes de la félicité


Bibliographie :
- Poèmes de la félicité, trad. Jean Wahl, Ed. du Seuil, 1951. (Ouvrage épuisé).
- Les Centuries, trad. Magali Julien, Ed. Arfuyen, 2011


LA SALUTATION

Ces membres ténus,
Ces yeux, ces mains qu'ici je trouve,
Ce coeur palpitant, principe de ma vie,
Où étiez-vous ? Derrière
Quel rideau fûtes-vous cachés de moi si longtemps ?
Où était, dans quel abîme, ma langue nouvellement formée ?

Moi, dans le silence,
Pendant tant de milliers et de milliers d'années
Qui gisais dans un chaos sous la poussière,
Comment pouvais-je percevoir
Sourires, larmes, lèvres, mains, yeux, oreilles ?
Bénis soyez-vous, trésors que maintenant je reçois.

Moi qui durant si longtemps
Étais néant depuis l'éternité,
Pensais bien peu que je célébrerais ou verrais
De telles joies qu'oreille ou langue,
Entendrais de tels sons, toucherais de telle mains, de tels pieds,
Rencontrerais de tels yeux, de tels objets sur cette terre.





UN ŒIL-ENFANT

Une lumière pure, à l'abri de toute corruption,
Un rayon qui est tout spirituel, un œil
Qui est vraiment vierge, voit les choses
Comme les voit la divinité,
C'est-à-dire que son éclat brille dans un sens céleste,
Et tout à l'entour il dispense (sans se mouvoir) sa lumière.

Les regards sont de vrais rayons de lumière,
Subtils, rares, perçants, vifs et purs.
Et comme ils surpassent en légèreté les vents,
Ils sont dignes d'avoir une durée bien plus grande.
Ils pénètrent bien loin au-delà de tout ce qu'atteint un air épais
Qui avec telle excellence ne peut se comparer.

Mais une fois avilis, bientôt ils deviennent
Moins actifs qu'auparavant; et alors
Ils courent après les objets qui les tirent de tous côtés
Et font de nous des hommes malheureux.
Un simple œil d'enfant est un tel trésor
Que quand il est perdu, nous n'éprouvons plus de réel plaisir.
(...)
Source et suite du texte : Eveil et philosophie


MON ESPRIT

J'étais ma vie toute simple, toute nue,
Cet acte, si fortement brillait,
Sur la terre, la mer, le ciel,
Qu'il était la substance de l'esprit,
J'étais le sens lui-même,
Je ne sentais ni impureté ni matière dans mon âme,
Ni bords, ni limites, comme nous en voyons
Dans un vase; mon essence était : capacité.
Cela sentait toute choses.
La pensée qui jaillit

De là est son moi lui-même; cela n'a pas d'autres ailes, 
Pour s'épandre dehors, ni d'yeux pour voir
Ni de paires de mains pour toucher, 
Ni de genoux pour s'agenouiller, 
Mais étant simple comme la divinité, 
Dans son propre centre, est une sphère, 
Non limitée, mais présente partout.
(...)


INSTRUCTION

Vomis ton ordure, abjure ta chair
Que les circonstances ne te souillent pas,
Car seules les choses passagères sont impures
Et seules les choses vides séduisent ton âme.

Que ces choses soient non senties et non vues
Qui à ton esprit étaient inconnues,
Quand à ton enfance bénie
Le monde, ton moi, ton Dieu fut montré.

Tout ce qui est grand et stable se tenait
Dans l'horizon de ta vue innocente d'abord,
Tout ce qui dans les choses visibles est bon,
ou pur, ou beau, ou innocent.

Tout le reste que tu vois maintenant,
En coutume, action ou désir
N'est qu'une part du malheur
Où tous les hommes d'un coup sont rassemblés.
Extraits de : Poème de la félicité, trad. Jean Wahl
Ouvrage épuisé.


Peu d'hommes veulent croire que l'âme est infinie. Pourtant l'infini est la première chose que l'on connaît naturellement. Les bornes et les limites ne sont discernées qu'en second lieu. Imaginons un homme né sourd et aveugle. Grâce à l'intuition même de son âme, Il appréhende l'infini autour de lui, l'espace infini, l'obscurité infinie. Il ne songe pas au Mur ni aux Limites avant de les sentir, avant qu'ils ne l'arrêtent. Que les choses sont finies, nous l'apprenons donc par nos sens. Mais l'infinité, nous la connaissons et la sentons par nos âmes, et nous la sentons de façon tellement naturelle qu'on croirait que c'est l'essence et l'être mêmes de l'âme. En vérité, c'est de manière individuelle qu'elle est dans l'âme. Car Dieu y est présent et plus proche de nous que nous le sommes de nous-mêmes. De sorte que nous ne pouvons pas sentir nos âmes que nous ne Le sentions dans cette première des qualités, l'espace infini. Car nous pouvons bien faire abstraction du ciel et de la terre et annihiler le monde en imagination mais en arrière-plan demeurera le lieu où ils se tiennent et nous ne pouvons ni en faire abstraction ni l'annihiler, quoi que nous fassions. Cela qui est, au dehors, la chambre de nos infinis trésors et qui en est, en nous, le dépositaire et le destinataire.
Extrait de : Les Centuries
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Source du texte : Eveil et philosophie



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