mardi 4 décembre 2012

Maitre Eckhart, Néoplatonisme, Advaita




Suite de : Etudes sur Maître Eckhart
MAJ des pages : Fernand Brunner / Shankara


Les trois doctrines que nous venons d'évoquer [Maître Eckhart, Néoplatonisme, Advaita] se ressemblent donc par le but qu'elles assignent à l'homme : retrouver l'unité universelle ultime et première, au -delà de toutes les contingences  mondaine, dans notre véritable nous-mêmes. Elles n'en baignent pas moins dans des environnements culturels différents et gardent la spécificité que le génie de leurs auteurs leur ont donnée. Un des points sur lesquels elles semble différer le plus est celui du statut qu'elles reconnaissent au monde. N'est-il pas notoire que pour l'advaita, la Transcendance seule est réelle - ce fond commun à l'homme et à Dieu -, de sorte que le monde n'est qu'illusion, comme le serpent qu'on aperçoit dans une corde gisant sur le sol mal éclairé ? On ne saurait en dire autant du monde néoplatonicien, émané de l'Un, ni du monde eckhartien, auquel Dieu a conféré l'être par création. Les trois doctrines que nous avons considérées s'accordent donc sur le but de la vie mystique - le retour à l'unité avec Dieu au-delà de notre être empirique -, mais elles diffèrent par leur manière de concevoir cet être empirique : Maître Eckhart et le néoplatonisme le tiennent pour réel, et l'advaita pour illusoire.
On pourrait souligner cette différence et s'en tenir là, mais la question est subtile et complexe, et il vaut la peine de le montrer.
Quoique Cankara proclame le caractère illusoire du monde, il n'en demeure pas moins qu'à ses yeux le monde vu d'une certaine manière ne fait qu'un avec le Brahman. De soi, le monde est illusoire, mais il est réel dans l'Être. Fausse d'elle-même, la multiplicité du nom et de la forme est vraie en tant qu'elle se ramène à l'Etre (1). L'Advatin accepte en effet la thèse des Brahmasutra, selon laquelle il n'y a pas de différence entre la cause et l'effet, donc entre Dieu et le monde (2). Cette thèse peut conduire à nier le monde au profit de Dieu seul, mais elle peut aussi faire apparaître Dieu dans le monde comme par transparence. La tradition advaïtine présente des textes dans lesquels les différents aspects de l'expérience humaine - l'existence, la connaissance, la joie - s'offrent comme des révélations de la nature divine qui est Etre, Connaissance et Béatitude, et non comme des dissimulations de celle-ci. On dit alors qu'il n'y a d'être que par l'Etre du Brahman, qu'il n'y a de connaissance que par la Connaissance qui est le Brahman, et qu'il n'y a de joie que par la Béatitude divine (3). Ainsi le monde, loin d'être affecté par la catégorie infamante de l'illusion, brille de la lumière divine, comme il peut le faire en néoplatonisme et chez Maître Eckhart : esse est Deus.
De son côté le Thuringien soutient certes que la création est collation de l'être, mais il affirme aussi bien que la créature est pur néant, de sorte que Dieu demeure dans sa solitude, comme chez Cankara. (...)
(1) Cf. Satprakâshânanda, Methods of Knowledge... According to Advaita Vedânta, Londres, 1965, p.64 sqq.
(2) Cf. Brahmasûrabhâshya II, 1, 14 sqq.
(3) Cf. Dharmarâja, Vedântaparibhâshâ, éd. et trad. S.S.Suryanarayana Sastri, Madras, 1942 (et 1971), ch. VIII, 16, p.118
Extrait de : Etudes sur Maître Eckhart ("Le Mysticisme chez Maître Eckhart : Etude comparative", 1980).
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