mercredi 2 janvier 2013

Infini et indéfini

MAJ de la page René Guénon


Yasmina Alaoui, Blue mask


(...) : l'Infini est proprement ce qui n'a pas de limites, car fini est évidemment synonyme de limité; on ne peut donc sans abus appliquer ce mot à autre chose qu'à ce qui n'a absolument aucune limite, c'est-à-dire au Tout universel qui inclut en soi toutes les possibilités et qui, par suite, ne saurait être en aucune façon limité par quoi que ce soit; l'Infini, ainsi entendu, est métaphysiquement et logiquement nécessaire, car non seulement il ne peut impliquer aucune contradiction, ne renfermant en soi rien de négatif, mais c'est au contraire sa négation qui serait contradictoire. De plus, il ne peut évidemment y avoir qu'un Infini, car deux infinis supposés distincts se limiteraient l'un l'autre, donc s’excluraient forcément; par conséquent  toutes les fois que le mot "infini" est employé dans un sens autre que celui que nous venons de dire, nous pouvons être assuré à priori que cet emploi est nécessairement abusif, car il revient en somme, ou à ignorer purement et simplement l'Infini métaphysique, ou à supposer à côté de lui un autre infini. (...)

En effet, ce n'est pas parce qu'une chose n'est pas limitée en un certain sens ou sous un certain rapport qu'on peut légitimement en conclure qu'elle n'est aucunement limitée, ce qui serait nécessaire pour qu'elle fût vraiment infinie; non seulement elle peut être en même temps limitée sous d'autres rapports, mais même nous pouvons dire qu'elle l'est nécessairement, dès lors qu'elle est une certaine chose déterminée, et qui, par sa détermination même, n'inclut pas toute possibilité, car cela même revient à dire qu'elle est limitée par ce qu'elle laisse en dehors d'elle; si au contraire le Tout universel est infini, c'est précisément parce qu'il ne laisse rien en dehors de lui. Toute détermination, si générale qu'on la suppose d'ailleurs, et quelque extension qu'elle puisse recevoir, est donc nécessairement exclusive de la véritable notion d'infini, une détermination quelle qu'elle soit, est toujours une limitation, puisqu'elle a pour caractère essentiel de définir un certain domaine de possibilités par rapport à tout le reste, et en excluant ce reste par là même. Ainsi, il y a un véritable non-sens à appliquer l'idée d'infini à une détermination quelconque, par exemple, dans le cas que nous avons à envisager ici plus spécialement, à la quantité ou à l'un ou l'autre de ses modes; l'idée d'un "infini déterminé" est trop manifestement contradictoire pour qu'il y ait lieu d'y insister davantage, bien que cette contradiction ait le plus souvent échappé à la pensée profane des modernes, et que même ceux qu'on pourrait appeler des "semi-profanes" comme Leibniz n'aient pas su l'apercevoir nettement. Pour faire encore mieux ressortir cette contradiction, nous pourrions dire, en d'autres termes qui sont équivalents au fond, qu'il est évidemment absurde de vouloir définir l'Infini : une définition n'est pas autre chose en effet que l'expression d'une détermination, et les mots mêmes disent assez clairement que ce qui est susceptible d'être défini ne peut qu'être que fini ou limité, (...)
Extrait de : Les Principes du Calcul infinitésimal, Ed. Gallimard, 1946 (chap. 1, Infini et indéfini, p.13-15).
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