dimanche 24 février 2013

Fernando Pessoa ou Alberto Caeiro ou Ricardo Reis ou Alvaro de Campos ou Bernardo Soares et alii

Fernando António Nogueira Pessoanote est un écrivain, critique, polémiste et poète portugais trilingue (anglais, dans une faible mesure français, et principalement portugais). Né le 13 juin 1888 à Lisbonne, ville où il meurt des suites de son alcoolisme le 30 novembre 1935, il a vécu un cinquième de sa vie en Afrique du Sud.
Théoricien de la littérature engagé dans une époque troublée par la guerre et les dictatures, inventeur inspiré par Cesário Verde du sensationnisme , ses vers mystiques et sa prose poétique ont été les principaux agents du surgissement du modernisme au Portugal.
« ... est-ce que je sais que je vis, ou bien seulement que je le sais ? »
Source (et suite) du texte : wikipedia


Bibliographie :
Oeuvres complètes, Ed. Gallimard La Pléiade, 2001
Détails voir : wikipedia
Site dédié : Ass. Franç. des Amis de F.P. 
Oeuvres en VO : Arquivo Pessoa

Voir aussi la page : Insomnie


NOMBREUX SONT CEUX QUI VIVENT EN NOUS
Nombreux sont ceux qui vivent en nous;
Si je pense, si je ressens, j’ignore
Qui est celui qui pense, qui ressent.
Je suis seulement le lieu
Où l’on pense, où l’on ressent.

J’ai davantage d’âmes qu’une seule.
Il est plus de moi que moi-même.
J’existe cependant
À tous indifférent.
Je les fais taire : je parle.

Les influx entrecroisés
De ce que je ressens ou pas
Polémiquent en qui je suis.
Je les ignore. Ils ne dictent rien
À celui que je me connais : j’écris.
Extrait de : Ricardo Reis, Odes



MON REGARD EST NET COMME UN TOURNESOL
Mon regard est net comme un tournesol,
J’ai l’habitude d’aller par les chemins,
Jetant les yeux à droite et à gauche,
Mais en arrière aussi de temps en temps…
Et ce que je vois à chaque instant
Est ce que jamais auparavant je n’avais vu,
De quoi j’ai conscience parfaitement.
Je sais éprouver l’ébahissement
De l’entant qui, dès sa naissance,
S’aviserait qu’il est né vraiment…
Je me sens né à chaque instant
À l’éternelle nouveauté du Monde…

Je crois au monde comme à une pâquerette,
Parce que je le vois. Mais je ne pense pas à lui
Parce que penser c’est ne pas comprendre…
Le Monde ne s’est pas fait pour que nous pensions à lui
(penser c’est avoir mal aux yeux)
Mais pour que nous le regardions avec un sentiment d’accord…

Moi je n’ai pas de philosophie : j’ai des sens…
Si je parle de la Nature, ce n’est pas que je sache ce qu’elle est,
Mais parce que je l’aime, et je l’aime pour cette raison
Que celui qui aime ne sait jamais ce qu’il aime,
Ni ne sait pourquoi il aime, ni ce que c’est qu’aimer…

Aimer, c’est l’innocence éternelle,
Et l’unique innocence est de ne pas penser.
Extrait de : Alberto Cairos, Le gardien de troupeaux (II)


JE SUIS UN GARDEUR DE TROUPEAUX
Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau, ce sont mes pensées
Et mes pensées sont toutes mes sensations.
Je pense avec les yeux et avec les oreilles
Et avec les mains et les pieds
Et avec le nez et la bouche.
Penser une fleur c'est la voir et la respirer
Et manger un fruit c’est en avoir le sens.
C’est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
Je me sens triste d’en jouir à ce point,
Et que je m’étends de tout mon long dans l’herbe,
Et que je ferme mes yeux brûlants,
Je sens mon corps entier étendu dans la réalité,
Je connais la vérité et suis heureux.

Extrait de : Alberto Cairos, Le gardien de troupeaux (IX)


JE NE PENSE A RIEN
Je ne pense à rien,
et cette chose centrale, qui n’est rien,
m’est agréable comme l’air de la nuit,
frais en contraste avec le jour caniculaire.

Je ne pense à rien, et que c’est bon !

Ne penser à rien,
c’est avoir une âme à soi et intégrale.
Ne penser à rien,
c’est vivre intimement
le flux et le reflux de la vie…
Je ne pense à rien.
C’est comme si je m’étais appuyé
dans une fausse posture.
Un mal aux reins, ou d’un côté des reins,
mon âme a la bouche amère :
c’est que, tout bien compté,
je ne pense à rien,
mais vraiment à rien,
à rien…
Extrait de : Poésie d'Alvaro de Campos



DE L'ART DE BIEN RÊVER
Ajourne toute chose. On ne doit jamais faire aujourd’hui ce qu’on peut aussi bien négliger de faire demain.
Il n’est même pas besoin de faire quoi que ce soit, ni aujourd’hui ni demain.

Ne pense jamais à ce que tu vas faire. Ne le fais pas.

Vis ta vie. Ne sois pas vécu par elle.
Dans la vérité et dans l’erreur, dans le plaisir et dans l’ennui, sois ton être véritable. Tu n’y parviendras qu’en rêvant, parce que ta vie réelle, ta vie humaine, c’est celle qui, loin de t’appartenir, appartient aux autres. Tu remplaceras donc la vie par le rêve, et ne te soucieras que de rêver à la perfection. Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis l’acte de naître jusqu’à celui de mourir, tu n’agis vraiment : tu es agi ; tu ne vis pas, tu es seulement vécu.
Deviens aux yeux des autres un sphinx absurde. Enferme-toi, mais sans claquer la porte, dans ta tour d’ivoire. Et cette tour d’ivoire, c’est toi-même.
Et si l’on vient te dire que tout cela est faux, est absurde, n’en crois rien. Mais ne crois pas non plus ce que je te dis, car on ne doit croire à rien.
Méprise toute chose, mais de façon telle que ce mépris ne puisse te gêner. Ne crois pas que ton mépris te rende supérieur. Tout l’art du noble mépris est là.
Bernardo Soares, Le Livre de l’intranquillité
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