(suite de ... et sans cette danse, la vie n'est pas)
Août 1961, Gstaad, Suisse
Le 29
(...)
La plupart des gens refusent certaines choses faciles, superficielles, certains vont loin dans leur refus, et il y a ceux qui refusent totalement. Le refus de certaines choses est relativement simple, l'église et ses dieux, l'autorité et le pouvoir de ceux qui la détiennent, l'homme politique et ses habitudes etc... On peut aller assez loin dans le refus des choses qui semblent avoir de l'importance telles que les relations mondaines, les absurdités de la société, la conception de la beauté telle qu'elle est établie par les critiques et ceux qui prétendent au savoir. On peut toutes les écarter et demeurer seul, non dans le sens d'isolement, de frustration, mais seul du fait d'une compréhension et, par suite d'un éloignement naturel, sans aucun sentiment de supériorité. Ce sont choses mortes, l'on n'a plus à y revenir. Mais aller jusqu'au bout du refus est une toute autre affaire, l'essence du refus est la liberté dans la solitude. Peu s'aventurent aussi loin, écartant tout refuge, toute formule, toute idée, tout symbole, pour être nus, sans brûlure, et lucides.
Mais combien ce refus est nécessaire, refuser sans rien rechercher, sans l'amertume de l'expérience, ni l'espoir du savoir. Refuser et rester seul, sans lendemain, sans avenir. Le bouleversement du refus est nudité. Il est essentielle de se tenir seul, sans engagement aucun dans le mouvement de l'action, de l'expérience, car cela seul libère la conscience des entraves du temps. Toute forme d'influence est comprise et refusée, ne laissant point la pensée passer dans le temps. Le refus du temps est l'essence de l'intemporalité.
Refuser le savoir, l'expérience, le connu, c'est inviter l'inconnu. Le refus est explosif, il n'est point affaire intellectuelle, idéation, dont le cerveau puisse jouer. Dans l'acte même du refus réside l'énergie, l'énergie de la compréhension, et celle-ci n'est pas docile, on ne peut l'apprivoiser par la peur et la commodité. Le refus est destructeur, inconscient des conséquences, n'étant pas réaction, il n'est donc pas l'opposer de l'affirmation. Affirmer une chose ou son contraire c'est poursuivre une réaction, et la réaction n'est pas le refus. Le refus ne comporte pas de choix et n'est donc pas le résultat du conflit. Le choix est conflit et le conflit est immaturité. Le refus c'est de voir la vérité comme telle, le faux comme tel et la vérité dans le faux. C'est un acte et non une idée. Le refus total de la pensée, de l'idée et du mot, mène à la liberté à l'égard du connu, avec le refus total de la sensation, de l'émotion et du sentiment, survient l'amour. L'amour dépasse et surpasse la pensée, le sentiment.
Le refus total du connu est l'essence de la liberté. plusieurs heures avant l'aurore, la méditation dépassait les réactions de la pensée, elle était une flèche lancée dans l'inconnaissable et la pensée ne pouvait pas la suivre. L'aurore vint illuminer le ciel, et quand le soleil toucha les plus hauts sommets, vint cette immensité dont la pureté est au-delà du soleil et des montagnes.
Etoiles du Cygne (photo Gilles Money)
Le 30
(...)
Le 31.
La méditation sans méthode précise, sans cause et sans raison, sans but ni finalité du présent est un incroyable phénomène. Non seulement immense explosion purificatrice, elle est aussi mort sans lendemain. Sa pureté dévaste, ne laissant aucun sombre recoin caché où la pensée pourrait se tapir dans ses propres ombres. Sa pureté est vulnérable, elle n'est point vertu engendrée dans la résistance. Elle est pure parce que dépourvue de résistance, comme l'amour. Il n'est point de lendemain dans la méditation, point de débat avec la mort. La mort d'hier, celle de demain, n'est jamais absente de la mesquinerie du présent et le temps est toujours mesquin, sauf quand intervient la destruction, le neuf. C'est cela la méditation et non les sottes supputations du cerveau à la recherche de sécurité. La méditation est destruction de la sécurité, elle est empreinte d'une grande beauté qui n'est pas celle des choses élaborées par l'homme ou la nature, elle est beauté du silence. Ce silence est le vide d'où coule et d'où provient l'existence de toute chose. Il est inconnaissable, l'intellect ni le sentiment ne peuvent se frayer un chemin jusqu'à lui. Il n'y a pas de voie d'accès et toute méthode pour y conduire est invention d'un cerveau avide. Il faut entièrement détruire toutes les voies et les moyens du soi calculateur, toute avance, tout recul sur la voie du temps doivent cesser, sans lendemain. La méditation est destruction, elle est un danger pour ceux qui veulent mener une vie superficielle faite de mythe et de chimère. (...)
Extrait de : Carnets de J. Krisnamurti, Ed. du Rocher, 2010
Commande sur Amazon : Carnets
RépondreSupprimerSi amour, pensée et sentiment sont des mots et qu'il s'agit de les refuser, tout comme le verbe refuser... alors il dit n'importe quoi puisqu'il en parle avec des mots. Refuser est un sentiment, une action, une intention remplie de désir. L'amour dont il parle est certainement tout autre chose que ce qu'il nous amène à penser. Cela pourrait être par exemple amour=coin d'une table, amour=corne de vache, amour= inconnu.
Le refus total du connu est l'essence de la liberté. ????
RépondreSupprimerDites moi donc comment déterminer ce qui est dit "être connu" ?
Quelle arrogance intellectuelle et quelle prétention... personne ne connaît rien de rien et le connu est bien sûr aussi infini que l'inconnu !
Le fait d'utiliser des mots dans un sens inhabituel nous force à ne pas s'accrocher à un mot comme un bâton. Souvent l'incompréhension d'un texte, ou entre les personnes, vient de notre attachement à un ensemble de définitions (comme à des idoles).
RépondreSupprimerAvec des mots identiques on peut dire des choses différentes, voir contraire, et vice versa (avec des mots différents, voir contraires, dire des choses identiques). Penser demande de la souplesse, de voir et d'emprunter (provisoirement) un autre vocabulaire que le sien.
Le refus dont il est question ici (qui relate une expérience) n'est pas une réaction de rejet mais une simple et totale affirmation de sa propre indépendance face à tous les conditionnement de l'existence.
"Le refus total du connu est l'essence de la liberté".
Le connu de Krishnamurti n'est pas ce qui est connu absolument (en étant ce que l'on connait), mais ce qui semble connu, l'ensemble des opinions que l'on accumule dans la mémoire et que l'on ressort comme du prêt-à-penser.