Marc Trévidic dénonce les dérives de la loi sur le renseignement (RTL, Le choix de Yves Calvi, 7 avril 2015)
"Je pense qu'une loi sur le Renseignement doit être pensée, réfléchie, cela peut être une arme redoutable entre de mauvaises mains, et c'est tout le problème de cette loi sur le Renseignement. Une loi sur le Renseignement doit protéger les citoyens contre les autres citoyens, donc contre le terrorisme, le crime organisé, mais doit aussi protéger contre l'Etat, et là sur ce versant protection des citoyens contre l'Etat on y est pas du tout. (...)
- Quelles sont les risques ?
- L'Etat peut être tenté de surveiller à un moment donné ses opposants, des mouvements sociaux, des mouvements de contestation, faire du renseignement politique. (...)
- Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que, en l'état, notre démocratie française est en danger par cette loi ?
- En l'état, une loi de ce type, si elle tombe entre de mauvaises mains, est mal utilisée, est un danger.(...) Les lois trop mal faites, trop larges, donnent une latitude extraordinaire, et l'absence de contrôle aussi, parce que c'est le premier ministre qui décide tout ce qu'il veut. En outre on a absolument pas touché au secret défense, c'est-à-dire que, même si le président de cette nouvelle commission se rend compte qu'il y a une effraction au code pénal il ne pourra pas aviser le procureur, il devra passer par la Commission secret défense puisque tout est classifié. Donc on n'a même pas les moyens de savoir si quelque chose d'illégal va se faire (sic) !"
Marc Trévidic, né le 20 juillet 1965 (49 ans) à Bordeaux, est un magistrat français. Il est entre 2006 et 2015 juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme.
Source (et suite) du texte : wikipedia
France : Le projet de loi sur le renseignement risque d'ouvrir la voie vers une société de la surveillance
Ce texte bafoue des obligations relatives aux droits humains et servirait de modèle préjudiciable pour d’autres pays
Le 7 avril 2015 - Human Rights Watch
« Bien que l'objectif du projet de loi soit de raccrocher les pratiques de surveillance de la France au cadre du droit, c'est en réalité une extension massive des pouvoirs en matière de surveillance qui se drape dans le voile de la loi. La France se doit de faire mieux que ça, surtout si elle veut se distancier des pratiques de surveillance de masse abusives et secrètes des Etats-Unis et du Royaume-Uni, qui suscitent tant de contestations juridiques. »
Dinah PoKempner, directrice juridique chez Human Rights Watch.
(Paris) – Un projet de loi conférant de vastes pouvoirs de surveillance électronique contrevient aux engagements internationaux de la France relatifs aux droits humains, a affirmé aujourd'hui Human Rights Watch. Le texte, qui a déjà obtenu l'approbation de la commission des lois de l'Assemblée nationale, risquerait de servir de mauvais modèle pour d'autres pays, et devrait être reconsidéré et révisé, au lieu de faire l’objet d’un examen accéléré par le parlement.
Le projet de loi relatif au renseignement, qui était prévu avant même les attentats contre Charlie Hebdo et un supermarché Hyper Cacher, doit être examiné en séance plénière à l'Assemblée nationale à partir du 13 avril, dans le cadre d'une procédure législative accélérée qui exclut une seconde lecture. Parmi les défauts de ce texte figurent les pouvoirs considérables accordés au Premier ministre pour autoriser la surveillance, sur la base de motifs qui dépassent largement ceux reconnus par le droit international des droits humains ; le manque de contrôle judiciaire effectif ; l'obligation pour les fournisseurs de services privés de contrôler et d'analyser les données des utilisateurs, et de dénoncer les comportements suspects ; les longues périodes de conservation de certaines des données collectées ; et le manque de transparence vis-à-vis du public.
« Bien que l'objectif du projet de loi soit de raccrocher les pratiques de surveillance de la France au cadre du droit, c'est en réalité une extension massive des pouvoirs en matière de surveillance qui se drape dans le voile de la loi, » selon Dinah PoKempner, directrice juridique chez Human Rights Watch. « La France se doit de faire mieux que ça, surtout si elle veut se distancier des pratiques de surveillance de masse abusives et secrètes des Etats-Unis et du Royaume-Uni, qui suscitent tant de contestations juridiques. »
Le projet de loi consacre en préambule le respect de la vie privée ainsi que le principe selon lequel toute forme d'entrave à ce droit n'est légitime que si elle est nécessaire et proportionnée. Pourtant, ce point de départ positif est rapidement mis à mal par une liste extensive de sept « intérêts publics » qui peuvent justifier la surveillance, parmi lesquelles « les intérêts économiques et scientifiques essentiels » de la France, la « politique étrangère » et l'« exécution des engagements […] internationaux ».
Contrairement à la protection de la sûreté nationale et de la sécurité publique, de tels intérêts ne sont pas reconnus aux termes du droit international des droits humains comme motifs valables pour porter atteinte aux droits fondamentaux, et peuvent de plus être interprétés de façon très large pour justifier toutes sortes de contrôle de données.
« L'exemple du droit américain montre comment des normes vagues peuvent facilement finir par justifier une surveillance de masse », selon Dinah PoKempner. « La très large portée de ce projet de loi contredit radicalement les obligations de la France aux termes du droit international des droits humains, et pourrait servir à légitimer légalement un État de surveillance. »
Le texte inclut l'obligation pour les opérateurs d’installer des dispositifs secrets, non spécifiés et fournis par l’État, pour analyser les comportements suspects – par exemple des visites sur des sites web faisant l'apologie du terrorisme, ou des contacts avec des personnes faisant l'objet d'une enquête. Cette obligation pourrait potentiellement s'appliquer à un nombre pratiquement illimité de critères, selon Human Rights Watch.
Cette disposition, dont la Commission de réflexion et de propositions sur le numérique de l’Assemblée nationale avait suggéré la suppression, mais qui a été conservée par la Commission des lois, suscite déjà des inquiétudes. La France pourrait forcer des entreprises privées à opérer comme analystes de sécurité de substitution pour l’État, avec des conséquences qui pourraient être désastreuses sur les fonctionnalités en ligne et la sécurité des informations, ainsi que sur la confiance des consommateurs et les droits fondamentaux tels que l'accès à l'information et la liberté d'expression et d'association. Les entreprises devront garder confidentielles leurs activités au nom du gouvernement, ce qui réduirait encore davantage la transparence.
Human Rights Watch a rappelé que de nombreux chercheurs, journalistes, universitaires, avocats et acteurs humanitaires visitent des sites web qui font l'apologie du terrorisme, et échangent avec des personnes liées à des crimes, pour mieux comprendre ces exactions et lutter contre elles.
« L'ensemble des activités d'organisations indépendantes devrait-il ainsi faire l'objet d'un contrôle et d'une suspicion généralisée? » a demandé Dinah PoKempner. « Les gouvernements les plus répressifs pourront remercier la France, qui créée un précédent juridique en forçant les plus grandes entreprises de l'Internet à contrôler non seulement les indices de “terrorisme”, mais aussi les indices d'une dissidence tout juste naissante, ou même d'une pensée indépendante. »
Le projet de loi confère entière discrétion au Premier ministre, pour appliquer ces pouvoirs de surveillance. Il est censé consulter au préalable un nouvel organe consultatif, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, mais n'est pas obligé de suivre son avis. Et même cette étape de consultation peut disparaître au profit d'une surveillance en temps réel, quand il existe « un risque très élevé » de ne pouvoir exercer cette surveillance a posteriori.
Le projet de loi n'impose aucune obligation de contrôle judiciaire sur les mesures de surveillance avant leur mise en application, à moins qu'une majorité de neuf membres nommés à la commission ne soient en désaccord avec la décision du Premier ministre. Dans ces cas, très rares, la question devra être renvoyée pour examen devant le Conseil d’État, la plus haute cour de justice administrative française.
Au contraire, un seul membre de la commission suffit pour approuver une mesure, et si la commission ne s'exprime pas au cours d'une brève période dédiée à son examen critique, qui dure 24 à 72 heures, la mesure peut prendre effet. Si la commission devra faire des rapports publics, ceux-ci ne présenteront guère que le nombre de fois où elle aura été sollicitée, aura rendu un avis défavorable au recours aux techniques de surveillance, et le nombre de fois où le Premier ministre sera néanmoins passé outre.
« Au final, la commission n'a pour ainsi dire aucun moyen de remplir sa fonction protectrice », a affirmé Dinah PoKempner.
Le public continuera à ignorer le nombre de gens faisant l'objet d'un contrôle, le type de cibles autorisé et la nature de celles-ci, les motifs justifiant ce contrôle, le moment où la surveillance a lieu et la façon dont elle s'exerce, les types de matériaux collectés et conservés, ou encore le nombre de fois où le gouvernement passe outre la procédure pour raison d'urgence, a déclaré Human Rights Watch.
« Il est difficile de voir comment les personnes visées – que ce soit directement ou en raison d'associations dont elles ne sont pas conscientes, de l'endroit où elles sont, ou d'autres raisons – pourront savoir qu'elles ont fait l'objet d'un contrôle, et contester ces actes devant le Conseil d’État », a souligné Dinah PoKempner.
Deux autres aspects du projet de loi sont inquiétants. Une fois approuvées, les mesures de surveillance – y compris grâce au piratage ou des logiciels malveillants – pourront être prolongées indéfiniment, sans contrôle judiciaire ni signalement à la personne qui en fait l'objet. Les données obtenues grâce à cette surveillance pourront, dans certains cas, être conservées cinq ans, voir même indéfiniment.
De nombreux amendements ont été proposés, dont certains apporteraient des améliorations, tandis que d'autres pourraient encore exacerber les inadéquations entre le texte et le droit des droits humains, selon Human Rights Watch.
« Peu après les attentats du 11 septembre 2001, l'administration Bush a fait passer en force le Patriot Act, consacrant des pouvoirs que peu avaient compris, sans vrai débat ni examen juridique, » a conclu Dinah PoKempner. « Le Premier ministre Manuel Valls prétend que le projet de loi français n'a rien à voir avec le Patriot Act, mais autoriser une surveillance d'une telle portée nécessite une réflexion approfondie, plutôt qu'un passage précipité au Parlement. »
Source : HRW
Loi sur le renseignement : quand le gouvernement veut se passer des juges
Par Boris Manenti, le 6 avril 2015 - Le Nouvel Obs
La mise en place d'écoutes ne passera plus par la case judiciaire, laissant craindre des dérives. Explications.
"Le monde judiciaire et le monde du renseignement apparaissent inconciliables." Le constat est dressé par les députés Jean-Jacques Urvoas (PS) et Patrice Verchère (UMP), dans un rapport de 2013 sur les services de renseignement. Un constat qui prend une tonalité particulière, alors que le projet de loi sur le renseignement arrive dans moins de 10 jours à l'Assemblée nationale.
Avec cette loi, le gouvernement souhaite renforcer les pouvoirs des services de renseignements, particulièrement engagés dans la lutte contre le terrorisme depuis les attentats meurtriers contre "Charlie Hebdo" et l'Hyper Cacher. Objectif : "offrir un cadre légal" aux multiples interceptions (appels, SMS, e-mails, conversations sur des réseaux sociaux...). Dans le texte, dès la deuxième partie, il est précisé que :
La mise en œuvre des techniques est soumise à autorisation préalable du Premier ministre. Les autorisations sont délivrées, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, par le Premier ministre ou l'une des six personnes déléguées par lui."
Entre les lignes, le message est clair : renforcer les pouvoirs des services de renseignement, et tant pis si le juge est absent de l'équation.
"Une tendance à se passer du juge"
"Dans les mesures prévues par le projet de loi sur le renseignement, il n'y a plus de contrôle réellement efficace par des juges", confirme à "l'Obs" Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.
Cette volonté s'est illustrée précédemment avec la loi de programmation militaire et la loi contre le terrorisme, en fin d'année dernière. La mesure décriée du blocage des sites djihadistes (qui devrait bientôt être étendue) ne passe désormais plus par la case justice, lui préférant une liste noire. Même chose pour les interdictions de sortie du territoire désormais décidées par les services du Premier ministre.
"Dans toutes ces lois, la logique est toujours d'écarter le juge pour conférer à l'administration le pouvoir décisionnaire", souligne Laurence Blisson. Virginie Duval, présidente de l'Union Syndicale de la magistrature (USM), confirme à "l'Obs" ce constat :
Il y a effectivement une tendance à se passer du juge judiciaire. Ce nouveau projet de loi pose la question de l'absence de la présence judiciaire et de l'absence totale de contrôle."
Elle explique : "Le juge judiciaire est le garant des libertés individuelles. En matière de renseignement, il doit veiller à ce qu'un équilibre soit respecté entre les atteintes aux libertés et l'intérêt national de la sécurité. Mais le juge est souvent vécu comme un empêcheur de tourner en rond..."
Le juge serait un enquiquineur dans les enquêtes, en particulier portant sur le terrorisme ? La solution la plus simple étant souvent la meilleure, le gouvernement a opté pour limiter son droit de regard.
"Le juge est là pour poser des règles"
Pour Laurence Blisson du Syndicat de la magistrature, "l'administration a toujours considéré que l'activité de renseignement est une prérogative au service de l'Etat, pas au service des citoyens. Elle refuse donc tout contrôle indépendant et tout débat judiciaire." Idée que confirme le rapport de Jean-Jacques Urvoas qui a servi à la rédaction du projet de loi sur le renseignement :
Le juge administratif est parfaitement compétent en matière d'atteinte à la liberté, d'aller et venir, à l'inviolabilité du domicile privé, au secret des correspondances et au respect de la vie privée, soit le cœur de l'activité des services de renseignement."
Seulement, ôter le contrôle des juges présente un risque de dérives, voire une menace pour les libertés. "Dans ce genre d'affaires, les enquêteurs veulent mettre en œuvre tous les moyens, tout de suite", pointe Virginie Duval de l'USM. "Le juge est là pour poser des règles, tempérer les velléités."
Est toutefois opposé le risque d'un allongement du temps de procédure en cas de passage par un juge. Un argument démonté par les deux représentantes des magistrats. "Cet argument vise à porter le discrédit", critique Laurence Blisson. "Le temps de l'audience peut être largement réduit si la loi le prévoit, comme pour la rétention de personne étrangère quand le juge doit statuer dans un délai de 24h. Les choses peuvent se décider de manière très rapide."
Surtout que l'autorité judiciaire dispose de permanences 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 !", rappelle Virginie Duval.
Critique également rejetée par Jean-Marie Delarue, membre du Conseil d'Etat et actuel président de la Commission qui, jusqu'à l'adoption du projet de loi, valide et contrôle les écoutes des services de renseignement. "Quand un enquêteur fait une demande d'écoutes, elle monte par sa hiérarchie jusqu'au ministre, qui nous l'envoie" explique-t-il à "20 minutes". "Combien de temps pour aller jusqu'au ministre ? Une quinzaine de jours, parfois trois semaines, contre moins de 24h de mon côté pour statuer. Pour les demandes d'urgence, je statue en trois quarts d'heure maximum."
"On risque de glisser vers un Etat policier"
Avec le projet de loi sur le renseignement, le gouvernement a décidé d'amoindrir le contrôle par les juges, relégués à un contrôle a posteriori sans grande efficacité. En effet, une Commission est prévue (composée de magistrats mais aussi de parlementaires) qui délivrera des avis sur les mesures mises en place. Seulement, elle ne sera pas en mesure d'interrompre instantanément une procédure, mais devra, au terme d'une procédure complexe, saisir le Conseil d'Etat. Même chose pour une personne ciblée qui n'aura que peu de possibilités de faire entendre son recours.
Le juge antiterroriste Marc Trévidic craint déjà "des dérives". "Ces pouvoirs exorbitants se feront sans contrôle judiciaire", critique-t-il dans "l'Express". "Ne mentons pas aux Français en présentant ce projet comme une loi antiterroriste : il ouvre la voie à la généralisation de méthodes intrusives, hors du contrôle des juges, pourtant garants des libertés individuelles dans notre pays." Jean-Marie Delarue renchérit sur le site AEF :
Il y a un affaiblissement très net du contrôle. Ce projet de loi ne respecte pas les conditions d'un contrôle effectif. Dans ces conditions, les nouvelles techniques de renseignement promues par le texte sont sujettes à caution."
Même si le passage par le juge ne représente pas une garantie absolue, il s'apparente à une garantie nécessaire. "Ce projet de loi vise à donner à la puissance publique le pouvoir de tout faire", estime Laurence Blisson. "L'ensemble de ces pouvoirs intrusifs se retrouvent concentrés entre les mains du Premier ministre. Il s'agit d'un texte profondément liberticide."
Le juge est indépendant", rappelle Virginie Duval. "Ce qui n'est pas le cas de la police, régie par un pouvoir hiérarchique. Quand il y a une autorité judiciaire, la police ne peut pas faire ce qu'elle veut..."
"Avec ce texte, on risque de glisser vers un Etat policier avec une surveillance généralisée des citoyens", critique la secrétaire général du Syndicat de la magistrature. "Quand on parle de renseignement, il ne faut pas s'en remettre à la bonne pratique de l'Etat, sans contrôle extérieur sérieux." Surtout que si les équipes du gouvernement plaident la bonne volonté, que se passera-t-il quand le Premier ministre changera ? Rendez-vous en 2017.
Boris Manenti
Source : Nouvel Obs
* * *
Loi sur le renseignement : « Aucun garde-fou n'est prévu pour protéger les journalistes »
selon RSF
Propos recueillis par Martin Untersinger, le 25.03.2015 - Le Monde
Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, craint que les dernières lois sécuritaires ne limitent gravement la liberté de la presse.
Après la loi de programmation militaire (LPM, fin 2013) et la loi sur le terrorisme (2014) la loi sur le renseignement, qui a été présentée par le gouvernement le 19 mars 2015, inquiète les défenseurs des libertés.
Chacune de ces lois contient des dispositions dangereuses pour la liberté de la presse, alerte Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Que reprochez-vous au projet de loi sur le renseignement ?
Depuis 2013, nous observons une accumulation inquiétante de textes qui tendent à soustraire les questions de censure du regard des juges, qui altèrent les procédures protectrices du droit de la presse et qui développent un système de surveillance sans assurer une protection suffisante du travail des journalistes. Cela a commencé avec la LPM, cela s’est poursuivi avec la loi sur le terrorisme et cela continue avec le projet de loi sur le renseignement. Ce n’est peut-être pas fini : le gouvernement entend faire passer dans le régime pénal commun de nouvelles infractions, des délits d’insulte et de diffamation aggravées.
En quoi est-ce dangereux ?
Le premier danger, c'est l'atteinte au secret des sources des journalistes. L’article 20 de la LPM [qui permet aux services de renseignement d'intercepter davantage de types de données] ne prévoyait pas de mécanisme de contrôle indépendant. Dans le projet de loi sur le renseignement, les prétextes pour mener une surveillance sont extrêmement variés, du terrorisme à l’exécution des engagements européens de la France. Au nom de ces impératifs sécuritaires, les services seront en mesure de collecter des métadonnées, d'intercepter des télécommunications, de surveiller des lieux privés, de localiser des véhicules ou d'accéder aux données des sociétés de transport.
Aucun garde-fou n'est prévu pour protéger les journalistes, ce que même la Cnil a regretté. RSF demande que soit prévue une « exception journalistique » à ce régime de surveillance. Je ne crois pas que les services de renseignement passent l’essentiel de leur temps à surveiller les journalistes, mais dans une société démocratique ce risque doit être conjuré.
Quel est le second danger ?
Il s'agit de l'adoption de mesures qui sont moins protectrices de la liberté de la presse au prétexte de la lutte contre le terrorisme. La loi sur le terrorisme a fait sortir les délits de provocation et d'apologie du terrorisme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, en prévoyant des peines très lourdes. RSF ne défend nullement ceux qui font l'apologie du terrorisme, mais traiter les délits d’opinion en dehors de la loi de 1881 est extrêmement dangereux. Certains magistrats non spécialisés ont d’ailleurs pris des décisions aberrantes, qui font dire à l’étranger que la France applique un double standard en matière de liberté d’expression.
A long terme, c’est nuisible pour la liberté de l’information. Sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881 dès lors qu’elles auraient un caractère raciste, antisémite ou homophobe, ce serait prendre le risque que des journalistes puissent être renvoyés en comparution immédiate, y compris pour des articles ou sujets d’investigation. Les accusations peuvent être tellement rapides, même pour des révélations strictement factuelles… Dans ce cas, un journaliste ne pourrait même pas faire d’offre de preuves ! Il ne faudrait pas qu'on finisse par avoir une justice de la pensée faisant régner une police de la pensée.
Quid des procédures de blocage de certains sites, prévues par la loi sur le terrorisme ?
RSF n’a pas vocation à défendre des sites qui relèveraient de la propagande. Mais il est ennuyeux que des sites soient bloqués sans motivation publique. Il semble que l'un des sites supprimés récemment ne faisait pas l'apologie ouverte du terrorisme, si j’en crois la lecture du Monde, et aurait été supprimé au motif de la publication d’un discours du chef de l'Etat islamique. Il serait aberrant qu'en France on ne puisse plus rapporter les propos du chef de l'EI. Où s'arrête le droit de citation conforme aux principes de l'information et où commence la propagande ? C'est une question extrêmement complexe et c'est la raison pour laquelle des juges devraient statuer.
Concernant le projet de loi sur le renseignement, comment se place la France par rapport à d'autres pays qu'étudie RSF ?
Les situations sont difficiles à comparer. Dans une démocratie comme les Etats-Unis, un pays où la liberté de la presse est une grande tradition, la traque des lanceurs d'alerte est absolument excessive. L'une des conséquences du Patriot Act voté après le 11-septembre a été de créer peu à peu une forme d'exception à la liberté d'information sur les questions de sécurité nationale. Des journalistes sont poursuivis et même condamnés pour avoir révélé des informations relevant de l'intérêt public. Il serait absurde d’alléguer que la France est en train de rejoindre la Chine, l'Iran, Bahreïn ou le Vietnam : la comparaison n’a aucun sens, mais très clairement, ces lois font peu à peu sortir de la logique de protection une partie des questions liées à la liberté d'expression.
Allez-vous, sur la loi sur le renseignement, attaquer les décrets d'application ?
Nous avons introduit des recours contre la LPM. Sur la loi contre le terrorisme, nous avons rédigé toute une argumentation pour le dépôt de questions prioritaires de constitutionnalité. Pour la loi sur le renseignement, il est prématuré d’envisager une action puisqu'elle n’a pas été adoptée. Faisons en sorte que le gouvernement corrige le tir.
Source : Le Monde
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire