L’Euro, raison délirante
Par Jacques Sapir, le 15 juillet 2015
Les différentes révélations sur les conditions dans lesquelles a été arraché l’accord, et il vaut mieux parler de diktat entre la Grèce et ses créanciers illustrent bien ce que l’on pouvait en penser à chaud. Cet accord est un véritable désastre pour l’ensemble de ses signataires, et pour la Grèce en premier lieu. La longue interview donnée le mercredi 14 juillet dans la nuit par Alexis Tsipras à la télévision d’Etat ERT le confirme[1]. Il avoue d’ailleurs que cet accord est un « mauvais accord ». L’analyse qui en est faite sur son blog par l’ex-Ministre des finances, M. Yannis Varoufakis va dans le même sens[2]. De plus, le Fonds Monétaire International a rendu publique une note d’analyse, qui avait été communiquée à TOUTES les parties en présence dès le 6 juillet et qui montre de manière irréfutable que cet accord n’est pas viable[3]. Dès lors se dévoile une autre face du drame qui s’est déroulé dans la nuit du 12 au 13 : tout ceci ne sert à rien. Un autre accord devra être trouvé rapidement, et la perspective d’une expulsion de la Grèce hors de la zone Euro reprend force[4]. Le Ministre des finances allemand, M. Schäuble l’a lui-même reconnu, ainsi que l’ancien gouverneur de la Banque Centrale de Belgique[5]. Cela rend les proclamations de succès de notre Président a faites à Bruxelles le matin du 13 particulièrement dérisoires. Le vote qui s’est déroulé au Parlement français l’est tout autant. On demande aux députés de se prononcer sur un accord que l’on sait inapplicable. Les députés du PCF, d’abord enclin à voter oui, n’est-ce pas Pierre Laurent ? pour des raisons alimentaires, se sont ainsi ressaisis et devraient voter « non ». Le drame ici se marie à l’absurde.
L’Euro avant la Grèce, l’Euro avant la France
Il faut cependant lire en détail la déclaration de François Hollande qu’il a faite le 13 juillet au matin ; mais pour cela, il faut avoir le cœur bien accroché. Remarquons, d’abord, qu’il ne parle pas de la Grèce, mais uniquement de la zone Euro. Cela montre bien quelles étaient ses priorités : « L’objectif était de faire en sorte que la zone euro puisse être préservée dans son intégrité, dans son unité, dans sa solidarité»[6]. On constate ainsi que les premiers mots réservés à la substance de ce texte ne font nullement mention des souffrances, des efforts et des espoirs du peuple grec. Non, la chose qui importe au premier chef, c’est l’intégrité de la zone Euro. Tout est dit dans ces lignes, et en particulier la préférence pour une construction bureaucratique, et que de nombreux économistes jugent non viable, sur la volonté et la vie des peuples. Ceci est corroboré par le troisième paragraphe de ce texte : « Ce que j’ai voulu, c’était plus que l’intérêt de la Grèce, c’était l’intérêt de l’Europe. Et c’était aussi l’intérêt de la France. Parce que l’intérêt de la France ne se dissocie pas de l’intérêt de l’Europe »[7]. L’ordre des priorités est ainsi établi : c’est l’Europe, puis la France et enfin la Grèce. Mais, ceci repose sur un mensonge, ou plus précisément un double mensonge : celui qui assimile la zone Euro à l’Union européenne, et celui qui assimile, ensuite, l’Union européenne à l’Europe. Les deux sont parfaitement scandaleux. La Zone Euro n’est nullement l’Union européenne. Des pays appartenant à l’Union européenne ne font nullement partie de la zone Euro. C’est le cas de la Grande-Bretagne, de la Suède, de la Pologne ou de la Hongrie. De plus, l’Union européenne n’englobe nullement l’Europe. Que ce soit la Suisse, la Norvège, ou encore la Serbie dans les Balkans, le Belarus, la Russie ou l’Ukraine, tous ces pays font partie de l’Europe, comme réalité géographique mais aussi culturelle, et ce sans faire partie de l’UE. Veut-on faire croire que Munch, l’auteur du « Cri », ou que des artistes comme Dostoïevski, Pouchkine ou Tolstoï ne sont pas européens ? Oublie-t-on que l’Union européenne est une alliance politique et économique de certains pays d’Europe ? Vouloir la faire passer pour l’Europe toute entière est un mensonge. Le fait que celui-ci soit proféré par la plus haute autorité de l’Etat ne retire rien à l’affaire. Au contraire, il l’aggrave. Il établit en dogme, mais sans pour autant en faire une vérité, ce qui se révèle un mensonge.
Ce mensonge, il le répète bien plus bas dans ce texte, en particulier quand il affirme : « La Grèce est un pays ami qui a voulu entrer dans l’Union européenne après des années de dictature ». En fait, et la date d’adhésion le montre bien, c’est aux Communautés Economiques Européennes, autrement dit au « Marché Commun » que la Grèce a adhéré après l’épisode de la dictature des colonels. Elle ne pouvait adhérer en 1981 à l’UE alors que cette dernière ne date que de 1992 et l’Acte unique européen de 1986. François Hollande bouleverse donc l’histoire et ne tient guère compte de la chronologie. Mais, là encore, il y a une logique dans le mensonge : celle de prétendre que l’UE, projet titanesque, projet inouï, a existé avant même que de naître. Si ce n’est pas de l’aveuglement idéologique on ne sait pas ce que c’est.
Euro über älles
On peut, alors, voir les conséquences de ce mensonge. Une autre citation de cette déclaration du Président Hollande est à cet égard des plus instructives. « L’objectif, c’était que l’Europe puisse être à la hauteur du défi qui lui était lancé, être capable de régler une crise qui depuis plusieurs années minait la zone euro. L’objectif était aussi de donner un espoir à la Grèce après tant d’années de souffrance, d’austérité – même si la Grèce n’en a pas terminé et qu’elle devra encore faire des efforts…[8] » Le mensonge ici en devient pathétique. Non seulement cet accord n’a pas été « à la hauteur du défi », tout simplement parce que rien n’a été réglé. On le voit bien dans les positions prises par le FMI les 14 et 15 juillet. Mais en plus cet accord ne redonne aucun espoir au peuple grec. Au contraire, ce dernier vit comme une terrible humiliation les clauses politiques de cet accord, qui imposent désormais l’aval des institutions européennes sur les lois qui seront appelées à être votées par le parlement grec. Le quatrième paragraphe est lui aussi ravageurs quant aux prétentions de notre Président : « La France a un rôle particulier à jouer : faire en sorte que ce processus, cette construction qui se sont noués au lendemain de la guerre puisse se poursuivre avec, bien sûr, des épreuves, des défis, mais en même temps toujours avec la volonté d’incarner une force, celle de la zone euro, une zone monétaire qui doit permettre la stabilité et la croissance. Il n’y a pas de stabilité sans croissance, il n’y a pas de croissance sans stabilité [9]». Retenons le mélange des genres, qui n’est certes pas accidentel. On présente la zone Euro comme venant dans la continuité du Plan Marshall et de la Communauté Economique Européenne (le « Marché Commun »). Ceci constitue une erreur flagrante, une distorsion étonnante de la vérité historique. Mais, l’affirmation sur laquelle se conclut cette citation, en associant croissance et stabilité, constitue à nouveau un impudent mensonge. Car, la zone Euro a entraîné une chute de la croissance pour les pays membres de l’Euro, et s’est accompagnée de fluctuations extrêmement importantes. Ceci est établi dans de nombreux ouvrages[10], et dans le livre que j’avais écrit en 2012 en particulier[11]. De fait, la zone Euro n’a jamais été un facteur de stabilité ni un facteur de croissance pour les pays membres.
La raison délirante d’une nouvelle religion
Mais cette idée de l’Euro a tout emporté dans l’esprit de notre Président et sous la plume de ses conseillers. Quand il revient sur ce thème dans sa déclaration, c’est pour faire cette citation : « Si la Grèce était sortie de la zone euro, qu’aurait-on dit ? Que la zone euro n’était pas capable d’assurer son intégrité, sa solidarité. Qu’aurait-on dit des Grecs ? Qu’ils n’étaient pas capables de prendre leurs responsabilités. Qu’aurait-on dit de la France, de l’Allemagne, qui ont vocation à donner cette impulsion ? Que nous n’aurions pas été au rendez-vous. La zone euro aurait reculé alors que l’Europe doit avancer et porter un projet qui puisse protéger les peuples – car l’euro protège les pays qui sont partie prenante de cette zone monétaire. Qu’aurait-on dit sur cette dislocation de cette grande idée ?[12] ». En fait, tout est dit. Tant la croyance mystique en un Euro « protecteur » des peuples que celle qui assimile l’Euro à l’Europe. La raison, l’intelligence, le sens de la mesure, ont été balayé par une idée fixe qui tourne au délire, mais toujours mue par la même logique.
Cette raison délirante explique pourquoi et comment on peut travestir en accord librement négocié ce qui n’a été que le viol de la souveraineté de la Grèce. Un viol en réunion, perpétré par l’Allemagne, mais aussi par l’Eurogroupe et son Président M. Dijsselbloem, par la Commission européenne avec Jean-Claude Juncker. Et si la France n’y a pas participé, elle a verrouillé la porte du local où s’est tenu ce crime et elle a poussé le bâillon dans la gorge de la victime. La phrase prononcée et écrite par François Hollande prend alors un tour sinistre : « Mais aujourd’hui, même si cela a été long, je pense que ça a été pour l’Europe, une bonne nuit et un bon jour ». Car, nous savons aujourd’hui que cette torture aura été infligée pour rien. L’accord signé le 13 juillet au matin se défait désormais d’heure en heure. La perspective d’une sortie de la Grèce hors de la zone Euro est à nouveau à l’ordre du jour.
On peut commettre un crime en politique, mais s’en vanter alors que le résultat est des plus incertain n’est pas le signe d’une grande intelligence. C’est, tout au plus, le produit d’un aveuglement profond, d’un fanatisme idéologique, d’une raison délirante qui sont appelés à être sanctionnés aux prochaines élections.
[1] http://www.newgreektv.com/index.php/greece/item/16414-prime-minister-alexis-tsipras-interview-in-english-translation
[2] Varoufakis Y., « On the Euro Summit’s Statement on Greece: First thoughts » , note postée le 14 juillet 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/14/on-the-euro-summits-statement-on-greece-first-thoughts/
[3] IMF, AN UPDATE OF IMF STAFF’S PRELIMINARY PUBLIC DEBT SUSTAINABILITY ANALYSIS, IMF Country Report No. 15/186,14 juillet 2015, Washington DC.
[4] http://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11739985/IMF-stuns-Europe-with-call-for-massive-Greek-debt-relief.html
[5] http://trends.levif.be/economie/politique-economique/luc-coene-je -me-demande-si-un-grexit-n-aurait-pas-ete-mieux/article-normal-405469.html
[6] Conférence de Presse du Président François Hollande du 13 juillet 2015, texte provenant du site http://www.elysee.fr/declarations/article/conference-de-presse-a-l-issue-du-sommet-de-la-zone-euro-2/
[7] Conférence de Presse du Président François Hollande du 13 juillet 2015, op.cit..
[8] Conférence de Presse du Président François Hollande du 13 juillet 2015, op.cit..
[9] Conférence de Presse du Président François Hollande du 13 juillet 2015, op.cit..
[10] Voir Bibow, J., et A. Terzi (eds.), Euroland and the World Economy—Global Player or Global Drag? Londres, Palgrave, 2007.
[11] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012
[12] Conférence de Presse du Président François Hollande du 13 juillet 2015, op.cit..
Source : RussEurope
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Leçons de la crise grecque sur l’EuroPar Jacques Sapir, le 16 juillet 2015
Le drame que vit la Grèce nous aura au moins appris deux choses : le lien qui existe aujourd’hui entre l’Euro et l’austérité et l’attachement d’une partie de la gauche à l’Euro, un attachement qui la conduit, maintenant de plus en plus rapidement, à sa perte. La première de ces choses permet de comprendre pourquoi les autorités de la zone Euro se sont montrées à ce point inflexibles. Le second nous explique pourquoi Alexis Tsipras s’est laissé poser la tête sur le billot et n’a pas choisi de rompre quand il le pouvait, c’est à dire dans la nuit du 5 au 6 juillet, après la victoire du « Non » au référendum.
L’Euro, c’est l’austérité
L’Euro est lié à l’austérité de par la logique même de la monnaie unique. Celle-ci met en concurrence des pays aux dotations en facteurs de production (que ces derniers soient matériels ou humains avec le niveau d’éducation) très différents. Pour rétablir leur compétitivité face à des pays mieux pourvus, les pays qui sont les moins bien pourvus doivent donc dégager une épargne supérieure (en pourcentage) à celle des pays les mieux pourvus. Ceci entraîne un déplacement de la consommation vers l’épargne. Comme, dans une monnaie unique, toute différence de taux d’inflation se traduit immédiatement par une perte de compétitivité, les pays les moins bien pourvus ne peuvent compter sur l’inflation comme instrument de financement de cette épargne. On perçoit alors la nature profondément austéritaire de l’Euro.
Cette nature est renforcée par le fait que le taux d’inflation d’un pays ne dépend pas que de sa politique monétaire mais est déterminé, aussi, par la structure de son économie. Un pays ayant ainsi une population dynamique aura naturellement un taux d’inflation supérieur à un pays avec une population stagnante ou décroissante. De même, le taux d’inflation a un impact important sur la création des entreprises : ces créations, et les innovations qu’elles peuvent entraîner, engendrent des mouvements de prix relatifs (le prix d’un bien ou d’un service exprimé en d’autres biens ou d’autres services) qui impliquent un certain taux d’inflation. Dès lors, l’imposition d’un taux d’inflation unifié sur des économies aux structures très différentes implique que pour certain pays la croissance sera largement inférieure à ce qu’elle pourrait être. C’est ce que l’on appelle dans la littérature économique le problème de l’output gap ou écart de production.
Enfin, politiquement, l’Euro introduit un très fort biais en faveur des politiques dites d’austérité car il conduit à la substitution d’un gouvernement où la décision est reine par un gouvernement déterminé par des règles comptables. Ces règles peuvent être internalisées par le personnel politique, ce qui est de plus en plus le cas en France, ou elles peuvent être imposées par la force comme c’est aujourd’hui le cas en Grèce.
Ainsi, il peut y avoir de l’austérité sans l’Euro mais l’Euro implique nécessairement l’austérité. C’est désormais clair pour une large majorité d’européens, qui vont être de plus en plus dégoûté par la monnaie unique. Un article publié dans le Financial Times le 13 juillet soulignait cet aspect[1].
Les raisons d’un attachement irrationnel de la « gauche »
Mais, face à ce constat, on est alors confronté aux positions d’une partie de la « gauche » qui continue de défendre, envers et contre tous, l’Euro. On l’a vu en France où le P« S », y compris les soi-disant « frondeurs », a soutenu le diktat du 13 juillet, et où même le PCF, par la bouche de Pierre Laurent, à failli le soutenir avant que de changer d’avis et de finir de voter « non » au Parlement. Il y a, il faut le reconnaître, un attachement qui semble irrationnel à l’Euro, et qui a transformé une partie de la « gauche » en bras séculier pour l’application de l’austérité[2]. Ambrose Evans-Pritchard, qui se qualifie lui-même de « libéral dans la tradition de Burke » va ainsi jusqu’à écrire : « Par un retournement du sort, la Gauche est devenue ce qui met en œuvre une structure économique qui a conduit à des niveaux de chômage qui semblaient impensables pour un gouvernement démocratique d’après-guerre avec sa propre monnaie et ses instruments de souveraineté »[3]. La lettre de démission du SPD de Yascha Mounk, une universitaire allemande, publiée dans The Nation, illustre bien ce mouvement particulièrement puissant en Allemagne et le trouble qu’il engendre[4].
Cet attachement concerne aussi une partie de ce que l’on appelle la « gauche radicale ». C’est cet attachement qui a conduit Alexis Tsipras à poser sa tête sur le billot. Le politologue Stathis Kouvelakis a cherché à analyser ce phénomène[5]. Sans vouloir engager un débat il est possible de voir plusieurs raisons dans cet attachement irrationnel et malsain à l’Euro.
La raison la plus bénigne est une sous-estimation du rôle de la monnaie dans le fonctionnement d’une économie capitaliste moderne. Si la monnaie ne peut exister sans d’autres institutions, et en cela il est clair qu’elle n’est pas la seule institution de l’économie, la manière dont elle est gérée a une influence considérable sur les autres institutions. Cela s’appelle tout simplement la dialectique.
Une vision dévoyée de « l’internationalisme » qui prétend qu’au nom d’intérêts communs (qui existent assurément) les peuples seraient Cette vision nie en réalité la notion d’internationalisme qui précise bien que le commun est entre les Nations mais ne se substitue pas à elles. Cette vision dévoyée prétend ainsi que le Libre-Echange est la forme actuelle de « l’internationalisme ». On comprend alors comment elle arrive à constituer l’Euro en fétiche, sans s’interroger sur le fait que les « unions monétaires » sont en réalité assez rares aujourd’hui dans le monde. Toute interrogation sur cette réalité forcerait ceux qui défendent l’Euro-fétiche de revenir sur terre et d’en envisager l’ensemble des coûts et pertes qu’il fait supporter aux économies de la zone.
Une idéologie de remplacement pour cette « gauche » qui se dit réaliste, et que l’on appelle la « deuxième gauche ». L’Euro est venu se substituer à la perspective du changement de société qui avait été défendu en 1981. Ayant abandonnée toute idée de changement social, ayant même substitué le « sociétal » au social, cette « gauche » dite réaliste s’est trouvée une idéologie de remplacement dans la construction européenne qu’elle a alors identifiée rapidement à l’Euro. C’est pourquoi toute remise en cause de l’Euro lui apparaît comme une remise en cause de cette dite construction européenne et doit être combattue avec la plus féroce énergie (et la plus grande mauvaise foi) et ce contre toutes les évidences. On a eu un exemple de ce type de comportement avec les déclarations faites par le Président de la république et par le Premier ministre depuis le 13 juillet.
Ces raisons n’épuisent pas le sujet. On dira, à juste titre, que nombre des économistes qui conseillent la « gauche » dite de gouvernement viennent des banques (ou des compagnies d’assurances) et sont donc directement intéressés au maintien de l’Euro. Mais, les raisons d’ordre symbolique et politique l’emportent largement. La conséquence de cela est que la question de l’Euro sera le grand débat des mois à venir. C’est autour de ce clivage que l’on verra se réunir la véritable gauche, celle qui entend rompre avec les logiques des politiques d’austérité et donc de l’Euro et ceux qui s’enfoncerons toujours plus dans une logique de soumission conduisant à l’acceptation totale de ces logiques austéritaires.
[1] W. Munchau, « Greece’s brutal creditors have demolished the eurozone project », Financial Times, 13/07/2015.
[2] Ambrose Evans-Pritchard, « EMU brutality in Greece has destroyed the trust of Europe’s Left », The Telegraph, 15 juillet 2015, http://www.telegraph.co.uk/finance/comment/ambroseevans_pritchard/EMU-brutality-in-Greece-has-destroyed-the-trust-of-Europes-Left.html
[3] Ambrose Evans-Pritchard, « EMU brutality in Greece has destroyed the trust of Europe’s Left », op.cit., « By a twist of fate, the Left has let itself become the enforcer of an economic structure that has led to levels of unemployment once unthinkable for a post-war social democratic government with its own currency and sovereign instruments ».
[4] http://www.thenation.com/article/germanys-social-democrats-are-colluding-in-greeces-destruction-and-im-leaving-the-party/
[5] Sebastian Budgen et Stathis Kouvelakis, « Greece: The Struggle Continues », 15 juillet 2015, https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/
Source : RussEurope
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Le Grexit, ce mal contagieux !
Par Jacques Sapir, le 16 juillet 2015
Transcription de l’interview donnée à Alexandre ARTAMONOV de Radio-SPUTNIK (Russie), le mercredi 15 juillet 2015.
Le Grexit s’avère être un mal aussi contagieux que dangereux. Il se répand au grand galop, vitesse grand V, touchant par ses peurs et la panique soufflant sur les places boursières, les pays du Sud européen. Le Portugal, l’Espagne, l’Italie, et même la nordique Islande peuvent tomber comme des fruits mûrs dans le panier de la crise. En même temps, peut-être que pour soigner le mal, il faut le vivre jusqu’au bout sans s’y soustraire. Jacques Sapir nous explique un peu le mécanisme de la solution qui pourrait être la bonne : savourons-le ensemble avec vous !
Jacques Sapir. La question de la crise grecque est en vérité une question qui dure depuis 2010. Oui, bien entendu, la Grèce s’est mise dans une situation désastreuse, en partie de sa faute, mais ce qui a été fait a servi en effet à transférer une partie de la dette de la Grèce qui était dans les banques européennes et pour tout dire, dans les banques allemandes, françaises et italiennes, aux Etats ! Et donc c’est maintenant aux Etats de la zone euro, à travers deux instruments – le Fond Européen de la Stabilisation financière et le mécanisme européen de stabilité que se trouvent en très grande partie la dette grecque.
Mais la crise est venue du fait que le nouveau gouvernement grec avait pour mission de dire : ce dont nous avons besoin est une réduction du poids de l’endettement grec mais nous n’avons pas besoin d’argent supplémentaire ! Si on nous fait justement cette réduction du poids de notre dette, nous pourrions en réalité payer ce que nous devons. Nous pourrions vivre sans demander de nouveau de l’argent aux pays européens.
Mais là-dessus il y avait une opposition absolue de l’Allemagne, car, d’une certaine manière, l’Allemagne est coincée avec les Allemands ! Angela Merkel a dit aux Allemands deux choses : elle a dit d’une part : « Vous ne paierez pas de sommes supplémentaires pour la Grèce ! » Et elle leur a dit d’autre part : « Et bien entendu, les Grecs nous rembourseront en totalité ! » Or ces deux choses sont fausses ! On sait très bien que la Grèce ne pourra rembourser la totalité de ce qu’elle doit. Et donc il va falloir que l’Allemagne comme la France, comme l’Italie accepte une certaine perte sur l’argent que nous avons prêté à la Grèce. Et puis, deuxièmement, il va falloir redonner de l’argent à la Grèce. Alors l’Allemagne a décidé, d’une certaine manière, de se battre pour expulser la Grèce de la zone euro !
Pourquoi ? Eh bien, parce que si la Grèce est expulsée de la zone euro, l’Allemagne n’a plus à lui donner de l’argent puisque la Grèce ne fera plus partie de cette zone. Par contre, les dirigeants allemands, le ministre des finances ou la chancelière, savent très bien que si sortie il y a, la Grèce fera défaut sur sa dette. Ainsi donc l’Allemagne perdra une partie de l’argent qu’elle a prêté. Mais dans ces conditions-là Mme Merkel pourra toujours dire : « C’est la faute aux Grecs ! C’est eux qui ont fait défaut et ne veulent pas payer ! » Et elle pourra éviter de dire : « Nous ne reverrons pas une partie de notre argent contrairement à ce que je vous ai dit parce que j’y suis allé un peu trop vite en besogne ! » Telle est la raison fondamentale de la position allemande. Après on voit très bien que la France a été absolument catastrophée par cette position. Parce que la France tient à l’existence de la zone euro mais pour des raisons qui sont essentiellement idéologiques ! Il y a de ce point de vue une sorte de confusion faite en France entre la zone euro, l’Union Européenne et l’Europe qui sont trois choses différentes quand même !
Donc la France a fait pression. Elle n’a pas été la seule. Il y a aussi l’Italie et, en sous-main, les Etats-Unis. Et l’Allemagne a dû accepter que la Grèce reste dans l’euro. Mais alors elle a exigé des conditions qui étaient réellement insupportables. Et on voit depuis ces dernières heures, que tout le monde est en train de prendre conscience que l’accord signé le 13 juillet ne sera pas appliqué. D’une certaine manière, il est d’ores et déjà caduc. Ce qui va reposer, à relativement court terme, la question de l’expulsion de la Grèce hors de la zone euro, appelée communément le Grexit !
RS. Est-ce que cette expulsion serait suivie par l’effritement de l’UE ou bien la Grèce représente vraiment la brebis galeuse et la lie de l’économie européenne ?
Jacques Sapir. C’est exactement le calcul fait par les dirigeants allemands ou, plus exactement, qu’ils prétendent faire. Mais en réalité, on sait bien que le poids de la Grèce n’est pas simplement son poids économique. Actuellement le PIB de la Grèce ne représente que 2% du PIB global de la zone euro. Mais tout le monde comprend que si la Grèce est expulsée, immédiatement on va commencer à se poser la question qui sera le pays d’après ? Le Portugal, l’Espagne, voire est-ce que cela ne sera pas l’Italie ? Et donc on peut penser qu’une expulsion de la Grèce entraînera un effet de réaction en chaine qui va faire imploser la zone euro ; En un sens, on peut penser aujourd’hui que les dirigeants allemands ont pris leur parti de la disparition de la zone euro. L’Allemagne peut très bien survivre en revenant au deutsch mark. D’une certaine manière, ils ne voient pas l’intérêt d’une zone euro dans laquelle l’Allemagne serait constamment appelée à donner de l’argent aux pays qui ont des difficultés plus ou moins grandes. Donc, en réalité, du côté allemand, il y a cette espèce de constat : si la zone euro doit éclater on y survivra ! Mais François Hollande est l’enfant spirituel de Jacques Delors ! Il s’y oppose ! Alors même que pour la France, ou pour un pays comme l’Italie, il y aurait des avantages non négligeables à l’éclatement de cette zone euro !
Source : RussEurope
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Grèce : la vraie nature du troisième mémorandumPar Romaric Godin, le 15 juillet 2015 - La Tribune
Le nouveau « plan d’aide » endettera encore davantage la Grèce sans lui permettre de réellement sortir de l’ornière. Il n’a pour fonction que de « couvrir » les non-dits sur la dette des dirigeants européens.
Le rapport du FMI sur la viabilité de la dette grecque a été perçu comme un « soutien » aux demandes de restructuration d’Alexis Tsipras. Mais son mérite n’est pas là. Il met au jour avec une clarté bienvenue le nœud des six derniers mois de négociations, et pourquoi, au final, ces dernières se sont achevées par une reddition de la Grèce. Ce que le FMI répète (il en est convaincu depuis longtemps), c’est que sans travail sérieux sur le poids de l’endettement public grec, aucun accord n’est réellement raisonnable. Or, quoi qu’on en dise ici ou là, rien ne laisse présager que Berlin accepte d’ouvrir sérieusement le dossier dans les prochains mois, bien au contraire. L’accord du 13 juillet sur la dette ressemble aux engagements pris en novembre 2012 : vagues et sans doute faits pour être oubliés rapidement.
Qui a bloqué ?
Dès lors, lorsque l’on revient sur le déroulé des négociations, on se rend compte que les blocages ne sont jamais réellement venus de la Grèce ou du FMI, qui demandaient précisément un accord global intégrant ce travail. Le blocage est venu des seuls partenaires qui refusaient toute discussion sur le stock de dettes grecques : les pays de la zone euro. Ce sont eux qui ont contraint le FMI à durcir sa position en exigeant davantage de garanties pour rembourser une dette délirante et, ainsi, à rejeter la proposition grecque du 22 juin, conduisant Alexis Tsipras à convoquer un référendum. Ce sont eux qui ont amené les Grecs à refuser des « réformes » stériles tant que le poids de la dette était aussi lourd. Autrement dit, à refuser une spirale du surendettement qu’ils ont finalement réussi à imposer.
La morale pour couvrir un montage de Ponzi
Les gouvernements de la zone euro, en se cachant derrière des arguments moraux qui ne soutiennent pas l’examen historique et économique (« il faut payer ses dettes »), ont ainsi imposé un nouveau tour de cavalerie financière : la Grèce s’endettera donc auprès du MES (Mécanisme européen de stabilité) pour rembourser les dettes dues à « sa » banque centrale et au FMI. Avec le rapport du FMI, c’est donc l’absurdité du nouveau « plan d’aide » à la Grèce qui éclate au grand jour. Nul besoin de s’interroger longtemps pour le comprendre : ce troisième plan ressemble furieusement aux deux précédents : faire financer ce montage à la Ponzi par des mesures d’austérité qui garantissent avec certitude l’augmentation du poids de la dette grecque et l’incapacité future de rembourser cette dette. Immanquablement, il faudra proposer un quatrième plan qui augurera d’un cinquième…
Pourquoi le poids de la dette a augmenté
On l’a souvent oublié sous la montagne de propos moralisateurs qui se sont déversés sur ce débat, mais le problème de la dette grecque, ce n’est pas son stock nominal qui a reculé depuis 2011, notamment après la restructuration de la dette privée en 2011 (le « PSI »), c’est son rapport à la richesse nationale grecque qui s’est effondré plus rapidement. Les créanciers estiment que cette baisse s’explique par un « manque de réformes. » C’est une position intenable au regard de la trajectoire des finances publiques grecques qui se sont redressées très rapidement, le pays dégageant même un excédent primaire structurel record. La réalité, c’est que ce sont ces « réformes » (en réalité des coupes aveugles) qui ont réduit le PIB et rendu insoutenable la dette. Une preuve suffira : toutes les projections d’impact de la consolidation budgétaire sur la croissance depuis 2010 ont été des erreurs grossières. Bref, c’est la logique à l’œuvre en zone euro qui a échoué. Raison de plus, pour les dirigeants européens, de la poursuivre en l’intensifiant.
Un plan voué à l’échec
Le nouveau plan échouera donc comme les autres puisqu’on se refuse à tirer les leçons du passé. C’est, pour le moment, la seule certitude dont on dispose. La volonté des créanciers de tenir en laisse le gouvernement grec en laissant les banques fermées jusqu’à la signature d’un accord et, sans doute, en laissant le financement de ses banques sous perfusion jusqu’à la réalisation des réformes, va continuer à peser sur le PIB et à maintenir les investissements et les dépenses non essentielles à l’état de projets. Dans un pays ravagé comme la Grèce, ces retards ne sont pas anodins, ils mettent en péril la croissance future. Viendra ensuite la mise en place des mesures d’austérité dans un pays où la demande intérieure est déjà comprimée, ce qui pèsera lourd sur la croissance. La Grèce, l’expérience l’a montré, affiche des multiplicateurs budgétaires importants. Certes, il y aura les 35 milliards d’euros promis par la Commission. Mais n’oublions pas que ces sommes sont en réalité dues à la Grèce. Ce n’est pas une aide, c’est une régularisation. Le poids de la dette va donc encore augmenter. Le FMI prévoit un « pic » pour cet endettement à 200 % du PIB, sachant que toutes ses prévisions passées étaient beaucoup trop… optimistes.
Un « fonds » de privatisation absurde
Sans parler évidemment de ce fameux « fonds » financé par le produit des privatisations que l’on estime à 50 milliards d’euros. Ce chiffre n’est basé sur aucune réalité. Longtemps, le gouvernement grec a demandé à ce que les privatisations soient mieux réalisées, en prenant en compte la valeur réelle des actifs vendus. On a crié au scandale, au manque de volonté. On a demandé d’aller vite. Mais dans un pays à l’économie en lambeaux comme la Grèce, obtenir rapidement des recettes élevées de la privatisation d’actifs ravagés par l’austérité budgétaire et disposant de faibles perspectives (en raison du poids de la dette) relève de l’impossible. Cela relève au mieux d’oeillères idéologiques, au pire d’une inconscience coupable. Entre 2010 et 2015, les privatisations grecques ont rapporté 5,4 milliards d’euros. Ce fonds ne sera donc pas alimenté, c’est un leurre. Mais, à coup sûr, on verra dans la non réalisation des objectifs une nouvelle preuve du manque de volonté hellénique et l’on demandera donc des coupes budgétaires supplémentaires pour compenser le manque à gagner… Et cela permettra de ne pas évoquer la dette, puisque les Grecs « ne respectent pas les règles ». Ce qu’on promet à la Grèce, ce sont, comme le titrait ce mercredi 15 juillet au matin le quotidien conservateur Ta Nea, des « années de plomb. » Le maintien du pays dans la zone euro se fera donc au prix fort.
L’objectif réel des créanciers : cacher leurs mensonges
Ce n’est donc pas la « Grèce » qui a été sauvée lundi 13 juillet, ce sont les non-dits des dirigeants européens qui, pour ne pas perdre la face, pour ne pas reconnaître devant leurs électeurs leurs erreurs, sont prêts à placer un pays de la zone euro dans une position sociale, économique et politique désastreuse. L’erreur d’Alexis Tsipras aura été de croire qu’il pouvait obtenir un « accord mutuellement favorable » comme il l’a martelé pendant cinq mois. L’objectif des créanciers n’étaient pas de trouver un tel accord, c’était de dissimuler leur choix d’avoir monté un monstre financier à partir de 2010 derrière un discours moral pour empêcher d’en assumer les conséquences logiques : le renoncement à une partie de la dette grecque. Irréalisme et populisme : ces deux critiques que l’on a tant appliquées à Alexis Tsipras auraient en réalité dû s’adresser aux créanciers.
Faire payer les générations futures
Les dirigeants de la zone euro sont comme ces « grands menteurs » qui se créent des vies parallèles et doivent en permanence ajouter de nouveaux mensonges aux anciens pour maintenir la cohérence d’une vie qui, au fil du temps, devient de plus en plus intenable. Ces affaires se terminent toujours mal, car le château de cartes finit par s’effondrer. Dans le cas grec, il faudra immanquablement, d’une façon ou d’une autre, en venir à l’annulation des dettes. Si les créanciers s’y refusent, les Grecs feront défaut unilatéralement. L’irresponsabilité des dirigeants de la zone euro éclatera alors au grand jour, car leurs « plans » continuels n’auront fait qu’augmenter la facture. En attendant, tout se passe comme si ces dirigeants ne poursuivaient qu’un seul but : faire porter la responsabilité de cet inévitable moment à leurs successeurs et le fardeau de ses conséquences aux générations futures. Voici où mèneront les leçons de morale de ces dirigeants inconscients.
Occasion perdue
Décidément, la zone euro a raté, durant ce premier semestre 2015, une occasion unique. Dès les premiers moments, Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances d’alors, a proclamé qu’il « ne voulait pas de l’argent des créanciers. » Son but était alors d’ouvrir un vrai débat sur la dette afin que la Grèce puisse rembourser ce qu’elle pouvait rembourser. On comprend alors mieux la haine qui l’a immédiatement entouré : il était celui qui voulait mettre à jour l’immense refoulé qu’il y a sur la dette, celui qu’il s’agit de cacher à tout prix. L’occasion d’en finir avec cette logique a été perdue. Les Grecs et tous les Européens le paieront, au final, très cher.
Source : La Tribune
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