Par Ivo Rens, juriste, historien, professeur à l'université de Genève, le 27 octobre 2015 - Le Courrier
Les causes de l’arrivée massive en Europe de personnes en quête d’un refuge ont à voir avec la succession des opérations militaires menées depuis 2001 par les Etats-Unis et l’OTAN au Moyen-Orient.
Rares sont les articles, dans les médias traditionnels, qui s’interrogent sur les causes de l’afflux en Europe (1) de cohortes de réfugiés en provenance du Proche et du Moyen-Orient ainsi que d’Afrique auquel nous assistons depuis quelques années et particulièrement en 2015.
Il faut consulter les médias alternatifs sur le web pour obtenir des informations et des réflexions sérieuses sur ce phénomène démographique. Ce dernier trouve sa source dans la suite ininterrompue de guerres et d’autres opérations militaires dévastatrices menées par les Etats-Unis et les pays de l’OTAN depuis 2001 en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye et dans quelques autres contrées. Les responsables en sont donc les autorités politiques à Washington ainsi qu’à Londres, Paris, Berlin, etc. dont l’interventionnisme militaire a dopé le terrorisme se réclamant de l’islam.
Depuis la disparition en 1991 de l’URSS et du Pacte de Varsovie, de purement défensive qu’elle était depuis sa création en 1949, l’OTAN est devenue le principal vecteur de l’hégémonisme américain grâce à la vassalisation, donc à la servitude volontaire, des autres Etats membres de l’alliance, à commencer par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Parmi les origines lointaines de cette dérive, figure l’échec, en 1954, de la Communauté européenne de défense (CED) qui a conduit l’Europe occidentale à s’en remettre à Washington du soin d’assurer sa sécurité extérieure et, progressivement, l’orientation de toute sa politique étrangère.
Peut-être les citoyens des différents pays européens, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont-ils trouvé jusqu’ici leur compte dans cette situation de dépendance.
Mais en accepteront-ils longtemps les conséquences humanitaires et politiques? Tant que les Etats membres de l’Union Européenne ne se seront pas émancipés de la tutelle de Washington et de son interventionnisme militaire, c’est-à-dire tant que subsisteront les causes de l’exode auquel nous assistons impuissants, les cohortes de réfugiés des Etats dévastés continueront à affluer en Europe.
Source : Le Courrier
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Al Qaida, ce cher ami !Par Guy Mettan, journaliste suisse, le 27 octobre 2015 - Le Courrier
Or donc les Russes bombardent les terroristes islamistes syriens depuis le début du mois. Tollé immédiat dans les médias atlantistes aux ordres. De quoi se mêlent donc ces Russes qui viennent bousculer nos ennemis sans nous demander la permission!
Durant les premiers jours, on a donc vu fleurir les reportages sur les prétendues victimes civiles, les supposées pannes de guidage (des missiles seraient tombés sur l’Iran) et autres bavures russes. Manque de chance: au même moment les avions américains de l’OTAN tiraient sur un hôpital de Médecins sans frontières en Afghanistan et y tuaient une vingtaine de patients.
Puis on a essayé les éditoriaux alarmistes sur les risques d’une nouvelle guerre mondiale à cause de deux brèves incursions d’avions russes sur le territoire turc et d’un frôlement avec des F-15 de la coalition américaine, immédiatement relayés par le gouvernement ukrainien et les Pays baltes, alarmés à l’idée qu’on ne parle plus de la menace russe contre eux pendant quelques jours.
Et enfin, constatant que la partie était perdue et que chaque pseudo-révélation revenait à faire la promotion de l’efficacité de l’intervention russe sur le terrain, les médias dépités ont décidé de regarder ailleurs: il était devenu urgent de parler de la «troisième intifada» et d’oublier la Syrie. Un silence assourdissant accompagne donc l’intervention russe depuis dix jours. Les gouvernements et les médias occidentaux en sont réduits à prier pour qu’un accident spectaculaire, de type MH17, ou un revers de fortune cuisant, fassent remonter leur cote auprès d’une opinion publique de plus en plus désorientée et de plus en plus suspicieuse sur la légitimité de leur politique au Moyen-Orient.
Je veux bien que les Russes ne soient pas des enfants de chœur et que leur opération militaire ne relève pas de la charité désintéressée. Mais comment justifier l’indécent retournement auquel nous ont invité les médias anglo-saxons, aussitôt suivis par les médias européens inféodés à l’OTAN? N’ont-ils pas essayé de nous convaincre que l’intervention russe était malfaisante parce qu’elle s’en prenait aux «bons» terroristes de l’inexistante Armée syrienne libre et du front Al-Nosra, filiale revendiquée d’Al-Qaida en Syrie, alors qu’elle aurait dû bombarder exclusivement les «méchants» terroristes de l’Etat islamique, qui se financent en trafiquant du pétrole avec l’allié turc et qui n’ont cessé de s’étendre depuis qu’ils sont bombardés par la coalition américaine?
Comment faire accepter par l’opinion publique que les représentants d’Al-Qaida et les héritiers de Ben Laden, pourtant vomis par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, sont désormais des alliés à ménager parce qu’ils combattraient le tyran Bachar el-Assad? Et qu’il faudrait se contenter de bombarder l’Etat islamique, mais pas trop parce que ça nuirait au commerce local de pétrole et aux intérêts des Anglo-Saxons qui perdraient ainsi leurs moyens de pression sur les gouvernements irakien et syrien et les bases de leur influence dans la région?
Et comment ne pas rire de ce gouvernement français qui fait afficher les photos d’un transfuge syrien pour dénoncer les atrocités du régime et porte plainte contre lui pour crime contre l’humanité alors qu’une semaine plus tard il se précipite chez les coupeurs de tête saoudiens dans l’espoir de leur vendre quelques Rafale?
Il y a des moments où la politique occidentale, avec tous ses beaux discours moralisants sur la démocratie, les droits de l’Homme et la liberté, atteint de tels sommets de manipulation, d’indécence et de cynisme qu’on ne peut que s’indigner. Et que du coup, elle nous fait quasiment passer la politique de Poutine et de Xi Ji Ping pour des modèles de cohérence, de franchise et d’honnêteté!
Source : Le Courrier
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(1) 2015, l’odyssée vers l’Europe
Par Benito Perez, le 9 octobre 2015 - Le Courrier
L’arrivée de centaines de milliers de réfugiés syriens en Europe a surpris. Pourquoi maintenant?
Plus de deux millions de Syriens en Turquie, deux autres millions répartis entre le Liban, la Jordanie et l’Irak: la crise des réfugiés que l’Europe fait mine de découvrir bat son plein depuis quatre ans autour du pays martyr. Entre 2012 et 2014, le minuscule Liban a vu sa population croître d’un quart! Un peu comme si la Suisse avait accueilli deux millions de personnes dans des camps de fortune. Depuis quelques mois, l’Europe est à son tour massivement visée par cette population en quête de refuge, 630 000 migrants seraient parvenus sur le Vieux Continent depuis janvier, dont une majorité de demandeurs d’asile syriens.
Pourquoi cet afflux soudain? Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) ne se voile pas la face. L’engorgement de ses structures d’accueil dans les pays environnants et la baisse des aides sociales sont parmi les principales causes de l’exode actuel vers l’Europe. «Nous ne sommes plus capables de couvrir même les besoins minimaux pour préserver la dignité humaine», admettait lundi à Genève le haut commissaire Antonio Guterres.
Recueillis dans les camps, les témoignages* disent tous cette précarité grandissante alors même que la prolongation de l’exil a fatigué les cœurs et les corps. «Ici, c’est comme une mort lente. Comme si on nous enfermait dans une bouteille en laissant entrer un peu d’air de temps en temps pour la refermer aussitôt», décrit Um Majd, Syrienne réfugiée en Jordanie. Enfermement, désœuvrement, perte de l’espoir en un rapide retour au pays rendent chaque fois moins supportable le statu quo. Autant que le froid, la chaleur ou la sous-alimentation. «Nos équipes reçoivent de plus en plus de cas de diarrhée et d’infection respiratoire, qui marquent les conditions de vie précaires de réfugiés», relève Claudia Truppa, Médecins sans frontières (MSF) à Zaatari, en Jordanie.
Dans le royaume hachémite, l’encadrement sanitaire délivré dans les camps est des plus limités. Et inutile d’espérer en sortir: en Jordanie, 80% des exilés vivent en dessous du seuil de pauvreté local, rappelle Amnesty.
Au Liban, l’ONU ne couvre plus que 75% du coût des soins médicaux des Syriens. Or, rassembler le quart des 50 à 200 dollars demandés, par exemple, pour un accouchement est mission impossible lorsque l’allocation mensuelle est de 13 dollars. «Quand une réfugiée ne peut assumer ces frais, elle se voit refuser l’accès à l’hôpital ou est contrainte de donner sa carte de réfugiée comme caution jusqu’à ce qu’elle puisse payer la facture de l’hôpital – se privant ainsi des bons de nourriture», témoigne Marjie Middleton, sage-femme chez MSF.
L’impossibilité de travailler, pour nombre de réfugiés, est aussi très durement ressentie. Quand elle n’est pas interdite comme en Turquie, la recherche d’emploi est limitée par les réalités locales. «Cet été, raconte Mohamed, j’ai travaillé pour un fermier, un brave homme que je connais bien. J’ai travaillé très dur: le fermier était le premier à dire que j’étais un excellent conducteur de tracteur. Je devais être payé une fois la récolte vendue. Mais le fermier n’est pas arrivé à la vendre, alors il m’a dit qu’il ne pouvait pas me payer. Je sais qu’il dit vrai.»
Exilée depuis deux ans à Domiz, dans le Kurdistan irakien, parmi 40 000 autres réfugiés, sa famille s’est endettée pour bâtir une maison de briques sur l’emplacement de sa tente. Depuis, l’aide alimentaire a été divisée par trois, et Mohamed ne parvient plus à rembourser ses créanciers. Il ne lui reste plus qu’à partir, vendre la maison et tenter sa chance auprès des passeurs, avant que la survie quotidienne ne finisse par engloutir son pécule. «Si je le pouvais, je préfèrerais rester ici, près de mes parents, mais nous n’avons vraiment pas le choix.»
En cédant sa place au camp de Domiz, Mohamed sait ce qu’il lâche: il n’aura aucune peine à monnayer son abri, la grande majorité des réfugiés syriens n’ont pas eu sa chance de trouver un logement «où il n’y a ni loyer ni factures à payer». Même en Turquie, citée parfois en modèle, les camps, saturés, rejettent le surplus vers les bidonvilles et la débrouille. La plupart des Syriens y sont livrés à eux-mêmes.
Une situation intenable que d’aucuns espéraient voir s’inverser avec l’afflux de migrants vers l’Europe. Pour l’heure, cependant, les appels à contribution du HCR ne font toujours pas recette. Le taux de financement ne devrait pas dépasser les 47% à la fin de l’année, selon l’organisation.
*Témoignages recueillis par MSF et Oxfam.
Source : Le Courrier
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