dimanche 1 novembre 2015

Transfert de souveraineté des Etats vers les transnationales


Les vrais objectifs du Partenariat transpacifique 
Par Jacques Nikonoff, le 30 oct. 2015
Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 Jacques Nikonoff explique quels sont, pour lui, les véritables enjeux du TPP.

Le Trans-Pacific Partnership Agreement (TPP, Partenariat transpacifique en français) a été signé le 5 octobre par 12 pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, États-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam. Ce n’est pas un simple accord commercial mais, comme l’affirme le Wall Street Journal du 21 octobre, «une pièce centrale du leadership économique mondial des États-Unis». Plus précisément, cette opération a trois objectifs :

1) repositionner les États-Unis en Asie pour contrer l’influence grandissante de la Chine.
2) le Partenariat transpacifique [TPP] et le Partenariat transatlantique [TIPP ou TAFTA] sont les deux mâchoires qui vont se refermer pour imposer les valeurs américaines au commerce mondial.
3) organiser un gigantesque transfert de souveraineté des États vers les firmes multinationales occidentales

Premier objectif : repositionner les États-Unis en Asie pour contrer l’influence grandissante de la Chine.

Les exportations des États-Unis vers les pays signataires représentent 698 milliards de dollars (621 milliards d’euros), soit 44% de toutes les exportations américaines, la région pesant 40% du PIB mondial. Or les États-Unis ont été contestés en Asie par l’influence grandissante de la Chine. Face à une Chine qui affiche sa volonté d’être une puissance régionale et même au-delà, le TPP sert aux États-Unis à rester une puissance du Pacifique, zone où le taux de la croissance économique est le plus fort au monde. C’est aussi la plus vaste zone de dérégulation de la planète.

Le TPP sert aux États-Unis à rester une puissance du Pacifique 
C’est pourquoi Barack Obama répète : «Si nous n’écrivons pas ces règles économiques dans la région, la Chine le fera ». […] Des normes supérieures à celles de la Chine qui sera obligée de s’aligner sur ces standards. Sinon c’est elle qui soumettra le commerce mondial à ses normes, beaucoup moins exigeantes.» Le président américain ajoute : «Alors que plus de 95% de nos clients potentiels vivent en dehors de nos frontières, nous ne pouvons pas laisser les pays comme la Chine écrire les règles de l’économie globale. Nous devons écrire ces règles, en ouvrant nos produits américains à de nouveaux marchés et en établissant de hauts standards de protection des employés et de la sécurité environnementale.»
Voilà la raison pour laquelle la Chine n’a pas été invitée au TPP, la stratégie de repositionnement américain en Asie n’était pas compatible.

Deuxième objectif : le Partenariat transpacifique [TPP] et le Partenariat transatlantique [TIPP ou TAFTA] sont les deux mâchoires qui vont se refermer pour imposer les valeurs américaines au commerce mondial.

S’il faut faire confiance au Wall Street Journal, c’est bien dans sa mission de défense des intérêts des grandes firmes et banques américaines. Lorsque ce journal affirme que «le TPP, en son cœur, est un effort pour configurer la globalisation selon les standards économiques américains», il faut le croire. Barack Obama le confirme ; pour lui le traité reflète «les valeurs américaines». Le TPP est ainsi le premier d’une nouvelle génération de traités fixant les normes pour le commerce mondial au bénéfice des États-Unis, reposant sur des bases de développement néolibéral. Il servira de modèle aux autres accords en cours de négociation, et particulièrement au Partenariat transatlantique. Les deux mâchoires se refermeront alors pour la reconquête du leadership mondial américain.

"Les États-Unis sont en effet l’un des rares pays qui ne signe pas les conventions de l’Organisation internationale du travail"

On fera néanmoins remarquer que la mise à niveau du droit du travail que les dirigeants américains veulent imposer aux pays signataires, selon leurs propres standards, est une prétention bien étrange. Les États-Unis sont en effet l’un des rares pays qui ne signe pas les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Sur huit «Conventions fondamentales», les États-Unis n’en ont signé que deux : la Convention n°105 de 1957 sur l'abolition du travail forcé et la Convention n°182 de 1999 sur les pires formes de travail des enfants. Les six autres ne sont pas encore signées : la Convention n°29 de 1930 sur le travail forcé, la Convention n°87 de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, la Convention n°98 de 1949 sur le droit d'organisation et de négociation collective, la Convention n°100 de 1951 sur l'égalité de rémunération, la Convention n°111 de 1958 sur la discrimination (emploi et profession), la Convention n°138 de 1973 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi. Quant aux quatre «Conventions prioritaires», les États-Unis n’en ont signé qu’une seule : la Convention n°144 de 1976 sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail. Les trois autres ne sont toujours pas signées : la Convention n°81 de 1947 sur l’inspection du travail, la Convention n°122 de 1964 sur la politique de l’emploi, la Convention n°129 de 1969 sur l'inspection du travail dans l’agriculture.

Par ailleurs, il est parfaitement contradictoire, et même indécent, de revendiquer la construction d’un ordre juridique mondial et d’utiliser le secret comme le font les dirigeants américains.

Troisième objectif : organiser un gigantesque transfert de souveraineté des États vers les firmes multinationales occidentales

Selon beaucoup d’experts, les gains en termes de croissance économique et d’emplois devraient être minimes. C’est surtout sur les normes dans les domaines de l’environnement, de la finance, du droit du travail, de la propriété intellectuelle, d’Internet, des règles sanitaires… que les États-Unis mettent l’accent pour accroître le pouvoir des firmes multinationales. Le Wall Street Journal n’hésite pas à dire que «malgré les limites à la souveraineté qu’il organise, le soutien politique au traité est fort, à l’exception des États-Unis». Il ajoute «c’est pourquoi la signification du TPP n’est pas à rechercher dans son impact économique – modeste pour la plupart des signataires – mais dans la manière dont il réduit la souveraineté de ses membres». Tel est bien le vrai problème, car ce qui est remis en cause c’est la capacité des États à légiférer et à réglementer. Le TPP vise à transférer du pouvoir aux multinationales en affaiblissant la souveraineté des États. La tendance est même une substitution de souveraineté : ce sont les grandes firmes multinationales qui imposeront leurs règles à la place des États, ce sont elles qui feront la loi dans un grand nombre de secteurs.

"La surveillance de masse sera généralisée à un point inouï"

C’est le cas pour Internet dont les principes de base sont remis en cause. Sa privatisation et celle des technologies de l’information et de la communication sera accélérée ; les règles en matière de droits numériques seront alignées sur les normes américaines ; la surveillance de masse sera généralisée à un point inouï. Il y aura criminalisation dès lors qu’un «système d’ordinateurs» révélera les méfaits des entreprises multinationales, pouvant entraîner des poursuites contre les «lanceurs d’alertes». Les journalistes seront empêchés de mener des enquêtes sur ces entreprises. Il suffira qu’un gouvernement allègue qu’une infraction a eu lieu, pour qu’il puisse saisir les ordinateurs et les équipements incriminés sans passer par la justice. Les fournisseurs d’accès ou de services pourraient se voir demander de surveiller les activités des utilisateurs, de supprimer certains contenus sur la Toile dès qu’ils reçoivent une plainte d’un utilisateur, avant même que la justice ne soit saisie.

Autre cas : il sera Interdit d’exclure les produits financiers risqués, de limiter les contrôles de capitaux, de taxer les opérations spéculatives…

Ensuite, le transfert de souveraineté des États vers les firmes multinationales s’effectuera par les tribunaux privés d’arbitrage : Investor-State Dispute Settlement (ISDS). Rappelons que cette «justice» privée permet aux firmes multinationales, devenant juge et partie, d’attaquer les États qui ne capituleraient pas devant elles. Par exemple imposer par la loi de mettre sur les paquets de cigarette une mention du type «Fumer tue».

Les firmes multinationales occidentales sont aux abois. Concurrencées par des firmes issues des pays émergents dans de nombreux secteurs, elles sont aussi menacées par la Chine qui, de son côté, démondialise. En effet son rôle d’usine du monde semble avoir atteint un plafond. Le commerce d’assemblage, qui consiste à importer des pièces pour les monter et les exporter ralentit depuis 2008, expliquant la diminution générale de la croissance économique chinoise. C’est la fabrication et l’utilisation de pièces fabriquées localement pour la réalisation de produits destinés au marché intérieur qui est désormais prioritaire. Du coup, la réorganisation planétaire des chaînes de valeur des firmes multinationales, qui avaient marqué la mondialisation jusqu’à présent, se trouve entravée.

Il n’est pas certain que ce traité soit ratifié par les États-Unis tant la contestation y est forte.

Le revirement d’Hillary Clinton, candidate démocrate à la Maison-Blanche, est significatif. Elle est désormais contre ce traité alors qu’elle le soutenait avec fougue jusqu’à présent. Une fraction importante du parti démocrate y est également opposée car elle craint une nouvelle vague de délocalisations. Les syndicats américains font en effet remarquer que les pays signataires du NAFTA (North Atlantic Free Trade Agreement), tous signataires du TPP, ont vu se multiplier les délocalisations. L’AFL-CIO affirme que plus de 700 000 emplois ont ainsi été détruits aux États-Unis. Quant à Bernie Sanders, candidat socialiste à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine, il déclare : «Wall Street et les grandes entreprises l’ont une nouvelle fois emporté. Il est temps pour nous d’empêcher les grosses multinationales de truquer le système pour accroître leurs bénéfices à nos dépens.» Il a trouvé un soutien inattendu dans le constructeur automobile Ford qui «recommande au congrès de ne pas approuver le TPP dans sa forme actuelle, afin d’assurer la compétitivité future de l’industrie américaine»…
Source : RT

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Le TTP et le TTIP : rien pour le commerce, tout pour le pouvoir
Par Karel Van Wolferen, le 19 octobre 2015 – Source UNZ

Une cause importante des problèmes politiques actuels du monde vient des appellations trompeuses qui aident à cacher ce que les puissants et les riches aspirent à contrôler. Un bon exemple en est le mot commerce utilisé par les médias pour parler du TTP et du TTIP, ces traités transatlantique et transpacifique qui cherchent à placer l’activité économique sous un ensemble énorme de règles nouvelles.

Ils sont dénommés traités commerciaux et donc bons pour la croissance et les emplois, le bien être social. Mais ni le TTP, liant les États-Unis, un peu d’Amérique latine et quelques pays du Sud-Est asiatique, ni son équivalent le TTIP, destiné à gérer les relations commerciales entre les États-Unis et l’Europe, ne portent vraiment sur le commerce, en tous cas pour stimuler un commerce authentique. Non, ces traités portent avant tout sur le pouvoir, à deux niveaux.

Ils sont d’abord destinés à affaiblir la puissance industrielle chinoise et gêner ce que les deux anciennes puissances communistes (la Chine et la Russie) sont en train de mettre en place. Ils ont ensuite pour but de permettre à un groupe de multinationales bien connectées politiquement de conduire des opérations en échappant aux règles nationales, ce qui, pour une pensée non infectée par le dogme néolibéral, peut être considéré comme de la prédation.

Une tentative précédente d’atteindre ce second but a débuté en 1997 sous l’égide de l’OCDE et portait le nom plus honnête d’Accord multilatéral sur les investissements (AMI). Les règles de l’AMI stipulaient que les gouvernements y adhérant garantiraient aux entreprises étrangères tous les avantages octroyés aux entreprises locales. Si cet accord est mis en place, les investisseurs étrangers pourront, grâce aux moyens supérieurs dont ils disposent, aisément éradiquer les joueurs locaux et rendre impossible l’ancienne méthode de développement, connue sous le nom de programme de substitution aux importations. Les concurrents potentiels seront devenus des sous-traitants à vie. Dit autrement l’AMI fut une tentative évidente de néocolonialisme par traité interposé.

Il n’est donc pas étonnant que l’AMI ait transformé la globalisation en un projet controversé. Il a provoqué un fort activisme encore jamais vu alors qu’internet pouvait, pour la première fois, relier les manifestants du monde entier. Les manifestations anti AMI ont encouragé d’autres mouvements anti globalisation à travers le monde, dont l’apogée fut celle de Seattle en 1999, et semblaient augurer l’époque d’une nouvelle sorte de puissance populaire ayant son mot à dire dans les affaires internationales.

Tout cela jusqu’au 11 septembre 2001. Les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone ont radicalement changé l’attention du monde entier et l’ont détourné, de manière calamiteuse, vers une autre appellation trompeuse (car la guerre contre le terrorisme est une impossibilité politique).

Une tentative pour réintroduire un accord de type AMI au cours des négociations de Doha sous les auspices de l’OMT (Organisation mondiale du travail) est restée lettre morte, mais avec le TTP nous sommes au bord d’un monde qui placera la finance américaine et les multinationales au dessus du système juridique de tout pays participant.

En 2006, Singapour, Brunei, la Nouvelle Zélande et le Chili ont voulu favoriser la coopération commerciale et en sont venus à une ébauche de TTP. Ce traditionnel effort pour éliminer les barrières commerciales paraissait louable et sans danger. Mais Washington, avec ses plans d’hégémonie économique régionale, y a vu une opportunité et a récupéré l’initiative. Elle a aussi poussé l’Australie, le Pérou, le Vietnam et la Malaisie à rejoindre le groupe. Après que le Congrès eut validé des accords de libre échange de même type avec la Corée, la Colombie et Panama, le TTP est devenu la pièce la plus importante dans un montage pour faire de la région Asie–Pacifique un terrain économique dans lequel, si le Japon veut bien aussi y entrer, les grosses entreprises américaines seront les caïds.

L’aspect le plus frappant de ces huit années de négociations sur le TTP est leur totale confidentialité. Seulement 600 négociateurs triés sur le volet, la plupart liés aux entreprises qui espèrent en tirer profit, ont eu accès à des chapitres du préaccord, et on a poussé les voix critiques parmi eux à jurer de rester silencieux sur ce qu’ils considèrent inacceptable. D’anciens négociateurs commerciaux ou politique introduits, aux États Unis et ailleurs, ont publiquement fait remarquer que ce traité n’aurait pas la moindre chance de passer à travers les mailles du pouvoir législatif des gouvernements y participant si les détails en étaient révélés. Seul le fast track authority que le Congrès a donné au président Obama cette année – permettant au Sénat et au Congrès de voter seulement oui ou non, sans voter d’amendements – lui donne une chance équilibrée de devenir loi aux États Unis.

De ce que l’on peut en savoir, les négociateurs américains se concentrent sur les lois du travail, la législation environnementale et les droits de propriété intellectuelle qui ne sont habituellement pas considérées comme des priorités pour améliorer le commerce. Mais, encore une fois, le TTP est avant tout un programme politique portant spécifiquement sur le pouvoir des grandes institutions, surtout américaines, qui en sont déjà bien pourvues car elles l’ont acquis en rendant les politiciens dépendant d’eux. Il est politique parce que son objectif est de transformer les relations entre les entreprises transnationales et les gouvernements étrangers. Il est politique car il va créer des formes de dépendances coloniales grâce à ses accords sur l’agriculture. Il est politique parce qu’il essaie de placer les gouvernements des pays signataires sous une forme de cadre légal qui n’a rien a voir avec les droits du citoyen et tout à voir avec la possibilité pour une grosse entreprise de devenir encore plus grosse.

Les détails concernant le TTP ne sont pas encore divulgués, mais ce que l’on peut retirer de l’expérience de l’AMI, c’est qu’il met en place des règles que les gouvernements signataires ne pourront violer sans faire face à de gros inconvénients. Une fois appliquées, ces lois permettront à une nouvelle sorte de groupes multinationaux d’opérer sur le plan international sans avoir à rendre de comptes. L’AMI ne portait pas sur le développement économique mais sur un vaste changement des pôles de puissance dans le monde, comme le TTP.

Et ce changement suivra les plans coloniaux des grandes entreprises américaines, leurs ventes et production à l’étranger pouvant atteindre des sommets. Les marchés étrangers sont tout ce qu’il reste de prometteur pour les nouvelles méthodes de profit dans la phase actuelle de la fin du capitalisme américain, alors que le marché domestique US reste dans les choux.

La classe politique des pays asiatiques participants, ainsi que les Européens qui observent du coin de l’œil avec le TTIP en arrière pensée, est séduite grâce à des arguments de David Ricardo, qui datent de deux cent ans, et qui prétendent que le commerce libre est toujours bon pour tout le monde. Mais Ricardo et ses adeptes parlaient du commerce libre de marchandises, qui, assez étonnamment, sert encore de modèle de persuasion lorsque des doutes sont émis sur la libéralisation, surtout celle qui concerne les transactions financières internationales. Si ce n’était que l’authentique commerce de marchandises qui déterminait les profits, le commerce américain n’aurait qu’une faible place internationale, vu qu’il ne fabrique plus rien chez lui de nos jours. Les espoirs des entreprises se fixent donc sur deux secteurs ouverts par les pays signataires du TTP : les droits de propriétés et les produits financiers. Les chercheurs de rente et les compagnies financières sont les grands prédateurs et le TTP va largement étendre leur terrain de chasse et leur offrir des crocs puissants pour le marchandage.

Il était une fois où les droits d’auteurs servaient à fournir une protection aux auteurs pour un certain nombre d’années. Puis à penser au delà des brevets pour permettre l’innovation. Mais c’est maintenant devenu une source de profits, une occasion de faire de l’argent sans production et les entreprises ont commencé à acheter des droits pour toutes sortes de marchandises artistiques à des auteurs nécessiteux ou posent des droits sur des choses auparavant libre de droits, comme les produits naturels curatifs utilisés par les médecines indigènes. Pour maximiser la rente, une nouvelle catégorie a été créée et nommée propriété intellectuelle. Elle a peu à voir avec son côté intellectuel mais plutôt avec son côté propriété qui, sous des influences extrémistes, est devenu une notion totalement sacrée. Tout peut donc devenir propriété, pas seulement la musique ou les films ayant déjà fait plusieurs retours sur investissement, mais aussi les formules de médecine ayurvédique ou les images de peinture de temples en Asie du Sud-Est. A vous de choisir, nous n’en sommes qu’au début du phénomène.

La crédulité du public dans les régimes néolibéraux peut se voir dans la facilité avec laquelle la notion de piratage est devenue largement acceptée, grâce à une construction morale qui prétend qu’utiliser des choses librement accessibles sur le net constitue un vol. Sous les contrôles les plus stricts appliqués dans le monde entier, des films ayant plusieurs fois remboursé leur investissement en diffusion publique, à la télé ou sur DVD, sont maintenant faits pour rapporter de l’argent indéfiniment.

Le régime de propriété intellectuelle du TTP contient des pièges dont les pays séduits pour participer à ce traité partial ne sont pas conscients. La plupart des discussions entre les critiques ont porté sur les tribunaux confidentiels, évidemment douteux, qui doivent arbitrer les litiges entres investisseurs et États. Mais d’autres pièges légaux attendant ceux qui vont signer ont été négligés. Les règles demandées par les Américains vont créer les conditions pour une hégémonie encore plus grande de la culture populaire américaine. Les producteurs locaux risquent de se voir coincés sur les bords dans leurs propres pays et mis en faillite par des procès couteux dont les Américains sont champions. Une armée d’avocats risque de former une excroissance parasitaire sur la culture des pays signataires avec une nouvelle catégorie de parasites, inspirés par la nouvelle industrie des avocats américains qui, de leur propre initiative, dénichent des cas potentiels de non-respect de droits d’auteurs et menacent ces cas de procès, à moins d’un règlement à l’amiable.

Les règlements du TTP concernant les droits de propriété liés à la médecine ont particulièrement attiré l’attention car ils vont encore agrandir le pouvoir monopolistique des compagnies pharmaceutiques. La santé publique risque d’en souffrir parce que, pour ce que l’on en sait déjà, les nouvelles règles vont étendre la période avant laquelle la fabrication d’une version générique sera permise, alors que seuls ces médicaments sont à la portée financière des patients des pays pauvres. L’ONG Médecins Sans Frontières en est venue à cette conclusion : «L’accord TTP est sur le point de devenir l’accord commercial le plus dommageable jamais signé pour l’accès aux médicaments dans les pays pauvres.»

Il n’est pas difficile de comprendre que les signataires du TTP n’ont pas évalué les conséquences de ce qu’ils vont signer et la misère sociale qu’ils vont provoquer. Il n’est pas non plus ardu de voir comment le TTP convient au pivot asiatique de Washington, qui fait partie de sa campagne pour la dominance totale et mondiale. (Un petit aparté : le premier cabinet du parti politique japonais DPJ , qui a mis fin à cinquante ans de démocratie du parti unique, a été renversé parce que son chef, Yukio Hatoyama, a cherché à améliorer les relations avec la Chine et la Russie et ne s’est pas soumis au chantage inhérent au TTP. Les premiers ministres japonais qui lui ont succédé craignaient de subir les mêmes manipulations politiques de la part de Washington et ont cessé toutes les ouvertures vers la Chine et facilité le retour de Shinzo Abe du LDP, qui vient récemment de passer une loi réinterprétant la Constitution pacifique du Japon, pour faire plaisir aux États-Unis. La participation du Japon au TTP, à laquelle Abe est pressé d’aboutir, serait un superbe atout pour la stratégie américaine de confinement de la Chine. Cela pousserait encore plus le Japon à abandonner aux États-Unis les sujets sur lesquels ils ont peu de contrôle. Après une longue période économique orientée vers l’export, le système chinois se tourne graduellement vers la consommation intérieure et son énorme classe moyenne à beaucoup d’argent à dépenser. De tous les pays du monde, le Japon est le mieux placé pour bénéficier de ce virage, une des raisons pour laquelle il ferait mieux d’améliorer les relations avec sa voisine. Le TTP va empêcher ce processus et c’est précisément l’intention de Washington.)

Tout cela est facilement compréhensible. Mais cela nous laisse encore devant une énigme, à savoir pourquoi les Asiatiques – et les Européens aussi, dont les négociateurs utilisent le même argument absurde de la création d’emploi que permettrait le TTIP comme le TTP – semblent incapables de saisir l’aspect de puissance dominatrice portée par ces traités. Peut être parce qu’ils vivent dans un monde à eux, politiquement stérilisé par des préjugés économiques. D’une manière plus générale le concept de puissance – pas celui d’influence qu’il ne faut pas confondre – est considéré comme un concept de belle mère, dans les écrits populaire, et même dans les écrits sérieux où l’on voit que le monde académique a la même vision. L’économie classique est volontairement considérée a-historique et donc n’intègre pas la notion de pouvoir, ce qui a contribué à maintenir la malheureuse division entre les affaires politiques et les affaires économiques qui profite depuis longtemps aux élites en place.

Alors que la dimension politique des accords économiques reste absente dans la majorité des discours, parce que les réalités économique et politique sont habituellement traités comme des mondes séparés, peu de gens remarquent que ce qui est présenté aux États Unis comme l’œuvre du marché est le plus souvent le résultat de puissantes interférences politiques. Les grandes entreprises américaines, très bien soutenues politiquement et qui payent les dépenses électorales des membres du Congrès, n’ont aucune raison de craindre les forces du marché. Si les banques responsables de la crise du crédit de 2008 et la récession mondiale qui a suivi n’avaient pas été sauvées du marché par l’État, elles n’existeraient plus. On a laissé ces puissantes entreprises avaler l’État. Elles ont, comme le dit l’économiste sensible au concept de puissance, James Galbraith, créé un état prédateur qu’elles utilisent bien sûr à leurs propres fins. C’est ce concept qui permet le mieux de définir le TTP.

Source : UNZ / Le Saker Francophone (trad.)

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Jacques Nikonoff : «Le TAFTA, c’est un OTAN économique qui se met en place»
28 juil. 2015

Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, Jacques Nikonoff évoque les dangers que le TAFTA représente pour l’économie européenne.

C’est lors de la réunion du G8 qui s’est tenue à Lough Erne, en Irlande du Nord, les 17 et 18 juin 2013, que les négociations ont été lancées officiellement pour aboutir à un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), Transatlantic Trade & Investment Partnership (TTIP) en anglais, ou encore Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA). Quelques jours avant, à Luxembourg, dans une opacité totale, les ministres du Commerce des Vingt-Sept avaient adopté le mandat à confier à la Commission européenne pour conduire les négociations au nom de l’Union européenne. Il n’y aurait rien à redire si ces négociations entre les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne avaient pour objectif de rapprocher les peuples des deux côtés de l’océan. Un tel partenariat, s’il avait pour ambition de construire la paix, d’améliorer la prospérité générale, de s’attaquer radicalement aux désastres environnementaux, d’établir des normes de haut niveau en matière de protection sociale, d’éradiquer définitivement le chômage et la précarité, et donc la pauvreté, susciterait un enthousiasme universel. Il serait un exemple pour le reste du monde.

Hélas, non seulement il ne s’agit pas du tout de cela, mais de l’inverse. La décision prise en Irlande les 17 et 18 juin 2013 est monstrueuse à tous égards. Il s’agit ni plus ni moins de mettre en place un empire euro-atlantique pour restaurer le leadership mondial des États-Unis, de privatiser le droit et la justice en les remettant dans les mains des firmes multinationales, anéantissant ainsi la démocratie, de parachever le libre-dumping qui met en concurrence les travailleurs des différents pays et n’est profitable qu’aux très grandes entreprises. Les grands médias occidentaux évoquent un accord de «libre-échange». Bien sûr, la composante libre-échangiste est présente (parlons plutôt de «libre-dumping» pour ne pas salir les jolis mots de «libre» et d’ «échange»), mais elle est loin d’être l’essentiel. Derrière la perspective impérialiste des États-Unis il y a, pour la consolider, la volonté de s’attaquer principalement aux «barrières non-tarifaires» que sont les normes sociales, environnementales, alimentaires, techniques, etc. Car en matière de droits de douane, il n’y a plus grand-chose à gratter.

C’est un tournant de la géopolitique mondiale qui est train de s’amorcer sous nos yeux, c’est un «OTAN économique» qui se met en place. Ce projet ne date pas d’hier et résulte d’une série d’étapes aisément traçables depuis la création de l’OTAN en 1949 et du Marché commun en 1957. Le PTCI (TAFTA) est le résultat direct d’un intense travail mené par les lobbies américains et européens, financés par les grands groupes industriels, de services ou financiers. Les plus actifs ont été les chambres américaines de commerce, le Transatlantic Business Council (TBC) et le Transatlantic Policy Network (TPN). Ce dernier est composé pour moitié de représentants des firmes multinationales surtout américaines comme AT&T, BASF, Bayer, Dow Chemical, Hewlett Packard, Nestlé, Time Warner, Walt Disney Company, etc. L’autre moitié est composée de 60 députés européens et d’élus du congrès des États-Unis. Une partie du monde politique, manifestement, n’a pas été insensible aux «arguments» de ces lobbies. Ainsi 8% des parlementaires européens sont membres du Transatlantic Policy Network…

Il est vrai que les intérêts en jeu sont considérables. Les États-Unis et l’Union européenne comptent pour presque la moitié du PIB mondial et 30% du commerce international. Selon le «mémo» 13/95 du 13 février 2013 de la Commission européenne, «les relations commerciales transatlantiques constituent l’épine dorsale de l’économie mondiale».

Le PTCI aborde trois sujets : d’abord «les règles, les principes et les nouveaux modes de coopération permettant de répondre aux défis partagés et aux opportunités communes du commerce mondial» ; ensuite «les questions de réglementation et les obstacles non tarifaires» ; et enfin «l’accès au marché».

Au total le PTCI vise à redonner le leadership mondial aux États-Unis en faisant de l’Union européenne son arrière-cour. Si par malheur cet accord était conclu, une nouvelle vague de libéralisation destructrice s’abattrait sur la planète. La lutte contre cet accord ne doit pas se limiter à la revendication de l’ «exception culturelle». Elle doit se fixer pour perspective d’empêcher la conclusion de cet accord, dans son intégralité, et de construire un ordre mondial fondé sur la coopération entre les peuples dans le respect de leur souveraineté nationale.

Malheureusement, à l’issue du 10e cycle de négociations qui vient de se terminer, le Parlement européen, sans surprise, a donné son feu vert. Ce qui fait dire à Madame Malmström, commissaire européen au Commerce, que l’accord pourrait être signé à l’été 2016. Cela laisse encore un an pour le faire capoter…

Source : RT

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Grande-Bretagne : des leaders de grands partis s’unissent dans un appel contre le TTIP
27 oct. 2015, 09:01

Des membres britanniques du Parlement européen affichant leur opposition au TTIP
Craignant qu'il ne s’attaque au service public national de santé, Jeremy Corbyn, Nigel Farage, Nicola Sturgeon et Natalie Bennett ont signé un appel pour mettre le gouvernement en garde contre la signature du Partenariat transatlantique.

«Le TTIP ne doit pas restreindre le cadre de décision d’aucun niveau de gouvernement, d’autorité publique ou d’organisation du système national de santé», ni «donner aux investisseurs US de nouveaux droits qu’ils pourraient utiliser» contre les politiques publiques de santé, affirme le texte, appelant le Premier ministre David Cameron à utiliser son véto si cet enjeu est menacé.

A l'initiative du premier syndicat britannique, Unite, l’appel a respectivement été signé par le leader du parti travailliste, celui de l’UK Independence Party, le Premier ministre écossais et la dirigeante du Green Party écologiste. Il réunit également toutes les grandes formations politiques d’Irlande du Nord, ainsi que des partis gallois. Le syndicat attendrait encore une réponse des libéraux démocrates, et aurait essuyé le refus des Conservateurs de soutenir l’initiative.

Le traité de libre-échange permettrait aux compagnies US et européennes d’opérer sous les mêmes règles. L’une des clauses prévoit la création d’une cour supranationale à travers laquelle des investisseurs étrangers pourraient poursuivre les gouvernements, s’ils estiment qu’une législation entrave leur business. Les signataires de l’appel craignent donc qu’une firme américaine pharmaceutique puisse réclamer des compensations au système public de santé britannique.

Le TTIP est actuellement en phase de négociation, dont le onzième round a eu lieu la semaine passée à Miami. Les Etats-Unis espèrent pouvoir conclure l’accord avant la fin du mandat de Barack Obama, en 2017. Le traité fait l’objet de contestations en Europe, où ses opposants déclarent qu’il ferait baisser les normes sociales, économiques et écologiques.
Source : RT

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Le président du Bundestag qualifie le TTIP [TAFTA] de «non démocratique»
Le 28 oct. 2015 - RT

L’accord de libre-échange transatlantique manque de transparence et de légitimité démocratique, estime le président du parlement allemand Norbert Lammert qui menace de voter contre cet accord lorsqu’il sera soumis au Bundestag.

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«Il est hors de question que le Bundestag ratifie un accord commercial entre les Etats-Unis et l’UE, sur lequel il n’a pas été impliqué et n’a pu proposer des alternatives», a déclaré le président du parlement allemand, Norbert Lammert, qui est membre du même parti que celui d’Angela Merkel, la CDU, l’Union chrétienne-démocrate.

Pour le moment, les élus allemands peuvent consulter les documents de négociations sur le TTIP en se rendant personnellement à l’ambassade américaine à Berlin. Norbert Lammert a fortement critiqué ce système en le qualifiant de «complètement indigne pour le gouvernement et le parlement». Il est accord avec le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui estime que toute la documentation, notamment les résultats du processus de négociation, «doivent être disponibles pour les gouvernements et les parlements de tous les membres de l’UE».

Le TTIP est un projet d’accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis, dont Bruxelles et Washington discutent depuis plus de deux ans. Les négociations ont été critiquées à plusieurs reprises, parce que les parties ont discuté de cet accord à huis clos. D’importantes manifestations contre le TTIP se sont ainsi déroulées à Berlin et à Bruxelles. Nombreux sont ceux qui redoutent que ce traité puisse permettre aux compagnies américaines de contourner les lois européennes et de vendre des produits OGM en Europe.
Source : RT

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Manif à Berlin contre les projets de libre-échange UE-USA-Canada 
Le 10 octobre 2015

Entre 150'000 et 250'000 personnes ont manifesté samedi à Berlin contre le projet d'accord de libre-échange TTIP en discussion entre l'UE et les Etats-Unis, ainsi que celui entre l'UE et le Canada (Ceta). Les organisateurs attendaient jusqu'à 100'000 personnes.
Répondant à l'appel de plusieurs partis politiques, organisations syndicales, environnementales, altermondialistes et de défense des consommateurs, 250'000 personnes ont pris part à ce rassemblement, selon les organisateurs. La police, qui avait mobilisé un millier de fonctionnaires, a elle recensé 150'000 manifestants lors de cette marche, qui s'est déroulée sous un ciel bleu et ensoleillé.
Cet afflux de participants a contraint les autorités berlinoises à suspendre temporairement le trafic ferroviaire autour de la gare centrale, lieu d'où est parti le cortège vers 11h00 pour suivre un parcours dans le centre-ville jusque vers 15h00. Aucun incident n'était signalé en milieu d'après-midi.
Déréglementation généralisée

"Jamais auparavant en Europe autant de gens ne sont descendus dans la rue sur ce sujet", s'est félicité la confédération syndicale allemande DGB, l'une des organisations à l'origine de cette journée d'action dont le mot d'ordre était "stop au TTIP et au Ceta".
Principale cible des manifestants: le Traité de commerce transatlantique (TTIP, ou TAFTA en français), dont le prochain round de négociations doit avoir lieu à la fin du mois à Miami. Cet accord vise à supprimer les barrières douanières et règlementaires entre les Etats-Unis et l'Europe. Un accord similaire, le Ceta, est en discussion entre l'UE et le Canada.
Leurs opposants redoutent que ces traités, s'ils sont ratifiés, ne débouchent sur une dérèglementation généralisée et un recul du champ d'action des gouvernements. "Nous sommes là car nous ne voulons pas laisser l'avenir aux marchés, mais au contraire nous voulons sauver la démocratie", a déclaré à la foule Michael Müller, président de l'organisation écologiste NaturFreunde Deutschlands.
Trois millions de signatures
En négociation depuis depuis 2013, l'accord commercial Etats-Unis-Europe serait, s'il voit le jour, le plus vaste au monde. Les deux parties voudraient aboutir avant la fin du mandat du président Barack Obama l'an prochain, mais les obstacles sont nombreux, notamment l'opinion publique de certains pays européens.
Les opposants ont rassemblé plus de trois millions de signatures pour demander l'arrêt pur et simple des négociations à la Commission européenne. Mais Bruxelles leur a adressé mercredi une fin de non-recevoir.
Source : Swissinfo

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