mercredi 6 juillet 2016

Post-référendum, oligarchie triste

Post-référendum, oligarchie triste
par Frédéric Lordon, 6 juillet 2016 - Le Monde diplomatique 


Les Britanniques, dit-on, ont accoutumé, contemplant la mer depuis la côte de Douvres les jours de brouillard, de dire avec cet humour qui n’appartient qu’à eux que « le continent est isolé ». Mais c’est de l’humour. C’est avec le plus grand sérieux au contraire que le commentariat européiste s’est exclamé qu’après le Brexit, « le Royaume-Uni est isolé ». Il faut tenir l’indigence de ce genre d’argument pour un indicateur robuste des extrémités politiques et rhétoriques où se trouve rendue la « défense de l’Europe », qui n’a plus que ça en stock — ça et « la guerre » — pour tenter de s’opposer à la vague sur le point de tout emporter. Faute d’avoir pu convaincre positivement les populations de l’évidence de ses bienfaits, le néolibéralisme, succursale européenne en tête, n’a donc plus que la ressource d’osciller entre l’imaginaire du camp (remparts, miradors, barbelés) et celui du rutabaga pour retenir les populations de lui régler son compte.

La perte de l’Albanie avait déjà été douloureusement vécue par le discours raisonné du néolibéralisme, heureusement il restait la Corée du Nord. L’espoir renaît pour de bon : il y a maintenant aussi le Royaume-Uni. Certes qui ne mesure pas encore tout à fait sa responsabilité historique : incarner le pire pour nous convaincre de continuer à désirer le meilleur. Mais ne devrait pas tarder à prendre conscience de son devenir-juche (1). On lui annonce une vague d’hyperinflation, puisque la livre est déjà « aux tréfonds » — peu importe qu’elle soit encore, contre l’euro, très au-dessus de son niveau ne serait-ce que de 2011 ; peu importe également que l’Islande qui n’a aucune base industrielle et a vu en 2008 sa monnaie dévaluée de 70 % n’ait connu qu’une inflation de 12 % les deux premières années, ramenée à 5 % dès la troisième (1,6 % l’an dernier). On lui annonce surtout la quasi-cessation de ses exportations puisque, brouillard ou pas, le Royaume-Uni « est isolé », et que (c’est connu également) tout pays n’appartenant pas à l’Union européenne (UE) devient aussitôt royaume-ermite.

Décompensations « démocratiques »

Mais il ne faut pas bouder son plaisir. Les moments de décompensation de l’oligarchie offrent toujours de délicieux spectacles, et rien ne les déclenche comme un référendum européen — tous régulièrement perdus, c’est peut-être ça l’explication… On s’épargnera pour cette fois les charmes un peu fastidieux de la recension — Dieu sait que la cuvée est excellente, mais depuis Maastricht l’argument européiste n’est pour l’essentiel qu’un bêtisier continué. Notons rapidement cependant les particularités du cru 2016, avec en particulier cette fabuleuse pétition de re-vote, dont on connaît un peu mieux maintenant les arrière-plans douteux, mais sur laquelle l’éditocratie s’est aussitôt jetée comme sur la plus légitime des propositions. Mais ce flot d’énormités n’atteint vraiment au sublime qu’au moment où il se fait philosophie critique du référendum (et il faut voir la tête des « philosophes »…) — du référendum en son principe bien sûr, rien à voir avec les déculottées à répétition, on réfléchirait avec la même passion si le Remain l’avait emporté à 60 %. Dans un document pour l’Histoire, Pierre Moscovici explique que « le référendum sur l’Europe divise, blesse, brûle » (2). Et c’est vrai : mon lapin socialiste, ne mets pas tes doigts dans l’urne, tu risques de te faire pincer très fort.

Il n’y a dans tout ça rien que de très connu, mais le spectacle des choses étant toujours cent fois plus éloquent que leur simple idée, la contemplation de la scène post-Brexit continue de faire forte impression. Car il est avéré une nouvelle fois que les dominants, au sens le plus élargi du terme, non pas seulement ceux qui détiennent les leviers effectifs des pouvoirs, mais ceux que leurs origines ou leurs positions sociales ont dotés pour tout mettre à leur portée — l’accès à la culture, l’apprentissage des langues, la possibilité de voyager, les bénéfices moraux du cosmopolitisme —, les dominants, donc, ne comprennent pas qu’on puisse trouver à redire à ce monde qui leur est si aimable, et trouvent d’un parfait naturel qu’on tienne aussitôt pour nulles et non avenues les expressions électorales qui ne ratifient pas les leurs. Disons les choses de manière un peu plus synthétique : tous ces bons amis de la démocratie se torchent le cul avec la démocratie.

Rien changer pour que rien ne change

Il y a pire cependant que le racisme social déboutonné : la surdité politique définitive qui s’en suit, c’est-à-dire la fermeture complète de tous les degrés de liberté du système, tendanciellement incapable d’accommoder les tensions internes qu’il ne cesse pourtant de recréer lui-même. Le néolibéralisme met le feu sous la cocotte, mais après en avoir soigneusement vissé le couvercle. Et les physiciens amateurs s’étonnent de prendre de temps en temps une soupape dans l’œil (ils n’ont encore rien vu, c’est le fait-tout lui-même qui va bientôt leur sauter au visage).

En réalité c’est la politique qui vérifie cette propriété attribuée à tort à l’économie : le primat de l’offre. Ça n’est évidemment pas là une donnée d’essence mais le résultat d’un certain état des structures : les structures de la représentation coupée des représentés, les structures de la dépossession. Dans un tel état de coupure, le primat de l’offre en effet s’établit presque tautologiquement puisque, par construction, la sphère de gouvernement séparée devient totalement auto-centrée et, rendue capable par les institutions de gouverner sans se préoccuper de rien d’autre qu’elle-même, devient par le fait ignorante de toute demande « extérieure ».

Malheureusement les énergies colériques se cherchent des débouchés, à toute force même, et lorsque l’oligopole des partis de gouvernement ne lui en propose aucun, elle prend le premier venu, fut-ce le pire. Il faut bien reconnaître en l’occurrence que le Brexit n’est pas joli à voir. On ne peut alors manquer d’être frappé par l’identité de réaction que suscitent les désastres électoraux variés produits à répétition par cette configuration politique : tout comme les poussées du FN, les référendums européens produisent immanquablement les mêmes « unes » géologiques — « séisme », « tremblement de terre » —, les mêmes solennels appels à « tout changer », et les mêmes avertissements que « rien ne peut plus continuer comme avant ». Moyennant quoi tout continue à l’identique. Pour une raison très simple, et très profonde, qui voue d’ailleurs toute cette époque à mal finir : mettre un terme aux avancées de l’extrême droite et aux référendums enragés supposerait de rompre avec les politiques de démolition sociale qui nourrissent les extrêmes-droites et les référendums enragés. Mais ces politiques sont celles mêmes du néolibéralisme !

Et voilà l’impossible équation en laquelle ce système est maintenant enfermé : enrayer ce qui va le détruire ne passe plus que par se nier lui-même, et se maintenir lui-même le condamne à alimenter ce qui va le détruire. De fait, ceux qui ont accaparé les moyens de changer quoi que ce soit, et proclament leur détermination à tout changer, persistent en réalité dans le désir de ne rien changer. C’est que les horizons temporels se sont considérablement raccourcis et que le temps encore passé au manche, tant que les contradictions peuvent être repoussées devant soi, est toujours bon à prendre. Dans l’intervalle, il ne manque pas d’éditorialistes décérébrés pour assurer la pantomime du « tout changer » mais dans la version Lampedusa du pauvre : ne rien changer pour que rien ne change…

La fin de l’histoire est ajournée

Dans une conjonction paradoxale de plus grande dureté idéologique et de plus grande lucidité (ou de moins grand aveuglement), The Economist, dont tout le numéro post-Brexit transpire littéralement la peur, voit venir la menace d’ajournement de la « fin de l’histoire » (3) — ce grand arrêt définitif qui devait consacrer pour l’éternité le règne du capitalisme libéral et de la démocratie. Et il n’est pas question là des soubresauts de la convergence des retardataires, mais du cœur de l’empire, là où la chose était normalement acquise. Il apparaît qu’elle ne l’est pas tant que ça, et quitter le confort de la « fin de l’histoire », surtout quand on lui avait cru le bon goût de s’achever au mieux des intérêts légitimes des possédants, est un traumatisme dont The Economist mesure avec angoisse toute la portée.

Moins épais que ses homologues français, lui est au moins capable de dresser un tableau clinique assez exact des colères de l’époque, et même d’aller jusqu’à leur accorder leur bien-fondé. Mais (et mutatis mutandis, on croirait relire ses articles de 2008-2009, quand c’est la crise financière qui menaçait de tout emporter), s’il est capable d’aller bien plus loin dans l’analyse, c’est, comme toujours, la conséquence qui lui fait défaut in extremis. Pour le coup elle lui restera inaccessible. C’est que lui aussi devrait convenir que le problème réside dans cela-même qu’il a choisi de défendre : « l’ordre international libéral ». Faute d’accéder à cette conclusion — et pour cause : elle lui serait une auto-négation… —, il ne reste à The Economist que les habituels dérivatifs de raccroc : « pour que la croissance se convertisse en hausse des salaires, les libéraux doivent mener un combat sans relâche contre les intérêts établis, exposer à la concurrence les entreprises installées, et briser les pratiques restrictives ». Disons immédiatement à tous ces gens qu’il n’est pas certain que les lois Macron — puisque c’est en gros de cela qu’il s’agit — suffisent à ré-arrêter l’histoire. Il se pourrait même, plus probablement, qu’elles lui fassent prendre un peu plus de vitesse encore.

C’est une chose cependant que l’histoire reprenne de la vitesse, et c’en est une autre de savoir dans quelle direction elle va s’engager. La réussite historique de l’extrême droite sur ces deux dernières décennies, c’est d’être parvenue à s’insérer dans l’offre politique, d’y figurer comme une option bien répertoriée. Et, mieux encore, de s’y être établie comme monopoleur de la différence. Peu importe que cette différence, racisme ouvert mis à part, soit en réalité frauduleuse : la collusion de l’extrême droite et du capital est un fait confirmé par l’histoire ; l’inconsistance des vues économiques du FN le voue à finir en l’attracteur par défaut du néolibéralisme, éventuellement sous une version néo-corporatiste à usage des patrons de PME ; la sortie de l’euro n’était qu’un engouement opportuniste qui achèvera de s’évaporer dès que quelques grands protecteurs financiers le convaincront de revenir au sérieux.

Les ressassements de « l’UE démocratique »

Et la gauche ? Si en l’état actuel de ses institutions la politique est sous le primat de l’offre, il s’agirait maintenant qu’elle aussi soit capable d’y installer une option eurocritique qui puisse se proposer comme solution d’expression raisonnée et progressiste — en fait la seule — de la colère. Mais que veut dire exactement « eurocritique », et qui y est prêt vraiment ? À l’analyse, eurocritique ne peut pas dire autre chose que décidé à envisager la sortie — quitte à en faire d’abord le levier d’un rapport de force, mais à l’envisager pour de bon. C’est peu dire qu’il reste du chemin à faire car, baffe après baffe, Brexit après Oχi (4), il est toute une fraction de la gauche qui ne désarme pas de l’illusion alter-européiste. Avec une obstination qui va devenir admirable à force de désespoir, Clémentine Autain et Roger Martelli répètent que « l’Europe, on la change ou elle meurt » (5). En la considérant de manière purement littérale, on pourrait presque accorder la formule — à la différence, comme toujours, de la conséquence et de l’inconséquence : car en réalité il n’y a pas le moindre doute quant à la manière dont cette fausse alternative va se trouver tranchée.

Au milieu d’arguments toujours les mêmes et dont aucun ne quitte jamais le registre du vœu pieux, ni jamais ne répond aux objections substantielles, on trouve celui-ci qui, par un effet de pertinence involontaire, met dans le cœur du problème : « Le combat pour la transformation sociale n’est pas plus facile en France qu’en Europe ». Eh bien précisément si, il l’est ! Et pour des raisons qui relèvent presque de la logique  : il est plus facile de passer une seule épreuve de validation que deux enchaînées. A plus forte raison quand la seconde est plus défavorable encore que la première. Ce qui est étonnant d’ailleurs, c’est qu’on puisse continuer de dire des choses pareilles un an exactement après l’écrasement de Syriza — qui aura si éloquemment prouvé combien il était plus facile de transformer l’Europe que la Grèce, ou l’Europe avec la Grèce…


Supposons donc, pour l’expérience de pensée, que nous soit échue la bénédiction d’un gouvernement authentiquement de gauche. Que peut-il mettre en œuvre qui ne se heurte aussitôt à la contrainte des traités ? Rien. Quelles solutions lui reste-t-il alors ? Trois.

• Plier, comme Tsipras — et fin de l’histoire.

• Entreprendre hardiment la bataille de la transformation de l’intérieur. Mais avec quels soutiens ? La désynchronisation des conjonctures politiques nationales nous offrira ce qu’elle peut en cette matière, c’est-à-dire pas grand-chose — comme l’a vécu la Grèce. L’alter-européisme nous prie dans ce cas d’attendre le grand alignement des planètes progressistes pour qu’advienne la nouvelle Europe — pourvu que le premier gouvernement de gauche soit encore en place au moment où la cavalerie des autres le rejoindra…

• Désobéir. Mais il faut n’avoir rien appris des expériences de Chypre et de la Grèce pour imaginer le noyau libéral des institutions et des Etats-membres laisser faire sans réagir. Comme on le sait désormais, c’est la Banque centrale européenne (BCE) qui a les moyens de mettre un pays à genoux en quelques jours, en mettant sous embargo son système bancaire. Sans doute y regarderait-elle à deux fois, considérant la possibilité de dommages collatéraux cataclysmiques. Elle n’en a pas moins tous les instruments permettant de régler finement l’asphyxie pour trouver son optimum punitif : tuer la croissance par étranglement du crédit sans pour autant mettre les banques à terre. Ceci pour ne rien dire de toutes les procédures de représailles inscrites dans les traités mêmes.

« Libxit » et « Gerxit »

En tout cas il faut avoir la croyance chevillée au corps pour imaginer que l’épreuve de force qui s’ouvrirait alors pourrait trouver une résolution autre que la reddition complète de l’une des parties quand les enjeux du différend sont aussi fondamentaux. De la partie dissidente progressiste très vraisemblablement, et pour les raisons qui viennent d’être indiquées : sur qui un gouvernement de gauche, radicalement ostracisé au milieu du Conseil, pourrait-il donc compter comme renfort ? Et dans le cas miraculeux qui le verrait entouré de quelques alliés, suffisamment nombreux pour que l’hypothèse d’un changement réel et profond commence à sérieusement prendre corps, qu’adviendrait-il à coup sûr, sinon l’auto-éjection du noyau libéral (« Libxit »), Allemagne en tête (« Gerxit) ?

Lire aussi Niels Kadritzke, « Grande braderie en Grèce », Le Monde diplomatique, juillet 2016. N’apprenant décidément rien des leçons de l’histoire, même quand elles sont récentes, l’alter-européisme rechute lourdement dans l’hypothèse implicite qui a déjà fait la déconfiture de Tspiras : « l’Europe est finalement un club de démocraties, et on peut toujours s’entendre entre bonnes volontés démocrates ». C’est n’avoir toujours pas compris que la démocratie et le néolibéralisme, spécialement dans la variante ordolibérale allemande (6), n’ont rien à voir. C’est refuser, après pourtant trois décennies de grand spectacle, d’acter que le néolibéralisme est fondamentalement une entreprise de « dé-démocratisation » (Wendy Brown), de neutralisation de l’encombrant démos, et qu’il peut même, comme l’atteste avec éclat le gouvernement Hollande-Valls, se montrer parfaitement compatible avec les formes d’un autoritarisme bien trempé. Dans l’hypothèse (déjà fantaisiste) où il se trouverait mis en minorité, le noyau dur libéral n’en tirerait vraisemblablement pas la conclusion que la démocratie, qui est la loi de la majorité, a parlé. Il prendrait ses cliques et ses claques pour laisser les « communistes » à leurs affaires et s’en irait reconsolider la « fin de l’histoire » de son côté.

Mais c’est une réalité qu’aucun des avocats de l’« autre Europe » ne veut envisager, surtout pas les promoteurs du « parlement de l’euro » qui persistent dans le formalisme des constructions institutionnelles séparées de leurs conditions de possibilité politique. On peut bien continuer de rêver un parlement de l’euro constitué comme prorata des parlements nationaux (7), et habilité à discuter des questions budgétaires et financières, mais encore faut-il se demander pourquoi l’Allemagne a mis tant d’efforts à ce que les principales orientations des politiques économiques nationales soient sanctuarisées dans les textes à valeur quasi-constitutionnelle des traités, c’est-à-dire, précisément, soustraites à toute instance de délibération parlementaire ordinaire ! Répéter indéfiniment une illusion ne suffit pas à en faire un candidat à la réalité, spécialement celle que l’Allemagne accepterait de remettre ses choses les plus chères — les principes organisateurs de la monnaie, des budgets et des dettes — à une incontrôlable loi de la majorité qui lui ferait courir le risque de se retrouver un jour du mauvais côté.

Il y a malheureusement tout lieu de penser que ceux-là qui se présentent comme les hérauts de la reconstruction démocratique de l’Europe ont fini par intégrer sans même s’en rendre compte les normes ambiantes de la dé-démocratisation, au point d’avoir abandonné en chemin les prérogatives élémentaires d’une démocratie parlementaire minimale : le droit de discuter de tout. Ou alors il va falloir qu’ils nous expliquent comment ils comptent convaincre l’Allemagne de revenir sur son ultimatum originel et de réintégrer le cénacle du parlementarisme ordinaire — celui qui a le droit de délibérer à sa guise des déficits, des dettes, de l’inflation, ou du régime de la circulation des capitaux.

En tout cas on n’en voit pas un remettre par exemple en cause le statut d’indépendance de la BCE, ni seulement proposer une redéfinition de ses missions — et pour cause : il faudrait être vraiment passé dans un univers parallèle pour imaginer faire avaler pareille idée à l’Allemagne. Mais, tragique révision inconsciente à la baisse des ambitions « transformatrices », c’est déjà comme un aveu implicite que le b-a-ba de la démocratie monétaire est hors de portée, et la mesure en creux des renoncements qui annoncent une redémocratisation tout en faux-semblants. On peut donc si l’on veut se complaire à imaginer une Europe transformée (réellement) mais alors il faudra l’imaginer sans l’Allemagne (au moins). Au fait, resterait-il alors quoi que ce soit qui se puisse appeler « Union européenne » après que le bloc allemand l’ait abandonnée ?

L’internationalisme réel du « Lexit »

Reprenons : si l’alternative est que « l’Europe, on la change ou elle meurt », alors elle meurt. Car ça n’est pas une parodie de démocratie au rabais qui la maintiendra en vie bien longtemps. La question alors se déplace : elle n’est plus celle de la chimère « Union européenne démocratique » supposément obtenue par mutation de l’Union actuelle, mais celle du meilleur moyen de mettre un terme à l’irrémédiable despotisme néolibéral européen.

Au point d’incapacité à se transformer où elle en est, l’Union européenne n’a plus que le choix des modalités de sa disparition : dans l’acharnement et la déflagration terminale ou par un processus ordonné de déconstruction. Ordonné, c’est-à-dire mutuellement agréé, une sorte d’accord de dissolution coopérative, à froid — au demeurant s’il y a bien un point de convergence qui risque d’émerger de plus en plus, c’est celui de l’intérêt bien compris de tous à arrêter les frais.

Un tel processus ordonné pourrait d’ailleurs revêtir différentes formes. Celle du simple retour aux échelons nationaux, n’excluant nullement de maintenir (puis d’approfondir) les coopérations à géométrie variable déjà en place (industrielles, scientifiques, etc.) mais hors de toute intégration formelle. Ou celle d’une proposition ouverte de reconstruction « européenne » — « européenne » avec guillemets puisque, bien sûr, son périmètre ne saurait être celui ni de la défunte UE ni de son eurozone, dès lors qu’elle inviterait les États qui le voudraient — et certains ne le veulent pas — à se retrouver autour d’un principe d’organisation démocratique réelle des domaines d’intégration (dont il est au demeurant probable qu’ils ne puissent aller jusqu’à la constitution d’une communauté politique complète). C’est dans ce genre de directions en tout cas que le « Lexit » (Left Exit) trouve son sens, pour qui voudra bien au moins se donner la peine d’observer que le mot « Lexit » même n’est formé à partir de la contraction d’aucun nom de pays, et atteste par là sa conformité à un internationalisme bien compris.

Par un paradoxe cruel, il apparaît de plus en plus que, sous couleur de vertu, l’alter-européisme œuvre en fait involontairement pour le pire. Non pas par le projet en soi d’une « autre Union européenne », mais par le refus de principe d’envisager la moindre forme de rupture, qui le voue à l’inexistence dans le spectre déjà difficilement accessible de l’offre politique, notamment quand le ressentiment populaire à l’endroit de l’UE a légitimement franchi ses points critiques, peut-être ses points de non-retour. Les projets de « transformation démocratique » de l’Europe, à la façon du DiEM25 de Varoufakis, qui se propose de perdre dix nouvelles années à poursuivre une chimère, ouvrent des boulevards aux extrêmes droites européennes qui ne doivent pas en revenir d’avancer ainsi sans rencontrer la moindre résistance (lire « DiEM perdidi »). Le stéréotype de « la nature politique qui a horreur du vide » a beau être usé jusqu’à la corde, il continue de dire quelque chose de vrai. Les extrêmes droites, qui n’en demandent pas tant, demeurent seules à capter le discours de l’eurocritique et surtout à en imposer la forme.

Un comble de l’aberration politique, et presque logique, aura conduit certains à gauche à poser que, puisque le Brexit menaçait de prendre la forme d’une sortie par la droite, il était urgent de faire taire le « Lexit » (8) qui ne pouvait, « dans ces conditions », qu’alimenter son contraire — soit le syllogisme même de la défaite : puisque la sortie est sortie par la droite, tout discours de sortie nourrit immanquablement la sortie par la droite… Ou l’art de se donner raison pour le pire : à force d’interdire toute pensée de la sortie par la gauche, et de laisser prospérer sans la moindre opposition le discours de la sortie par la droite, il se pourrait bien, en effet — en tout cas on aura tout fait pour — que, si sortie il y a… elle se fasse par la droite.

Frédéric Lordon

(1) Le juche est cette étonnante doctrine nord-coréenne de la souveraineté autarcique.

(2) Pierre Moscovici, « Europe, vive le débat, exit le référendum », Libération, 30 juin 2016.

(3) « The politics of anger », The Economist, 2 juillet 2016.

(4) Lire « Le crépuscule d’une époque », 7 juillet 2015.

(5) Clémentine Autain et Roger Martelli, « L’Europe, on la change ou elle meurt », Regards, 28 juin 2016.

(6) Lire François Denord, Rachel Knaebel & Pierre Rimbert, « L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le Vieux Continent », Le Monde diplomatique, août 2015.

(7) Thomas Piketty, « Reconstruire l’Europe après le Brexit », blog Le Monde, 28 juin 2016. Lire aussi Susan Watkins, « Le Parlement européen est-il vraiment la solution ? », Le Monde diplomatique, février 2016.

(8) Philippe Marlière, « Un “Brexit” xénophobe, un “Lexit” introuvable », Regards, 17 juin 2016.

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Emmanuel Todd : "L’étape numéro 4, après le réveil de l'Allemagne, de la Russie, et du Royaume-Uni, doit être le réveil de la France. Suivre les Anglais est conforme à notre tradition révolutionnaire"
Entretien avec Emmanuel Todd, le 4 juillet 2016 - Atlantico


Le Brexit, et après? L'historien et démographe Emmanuel Todd s'exprime en exclusivité pour Atlantico pour analyser en profondeur la signification du vote britannique en faveur d'une sortie de l'Union européenne. Grand entretien.

Atlantico : Le 23 juin, le Royaume-Uni a fait le choix de sortir de l'Union européenne. Emmanuel Todd, on vous imagine très satisfait de ce résultat… 

Emmanuel Todd : C'est une évidence mais ce n'est pas vraiment le problème. Je m'intéresse à ce qui se passe en tant qu'historien de l'Ecole française de la longue durée, celle de Fernand Braudel et de mon maître Emmanuel Le Roy-Ladurie; j'essaye de m'extraire du court-termisme de l'agitation des hommes politiques. Le Brexit fait partie d'un phénomène global sur lequel je travaille et qui concerne l'ensemble des sociétés les plus avancées, incluant l'Amérique, le Canada, l'Australie, le Japon : la divergence. Les démographes savent que les niveaux de fécondité sont très différents, que certaines populations se reproduisent, que d'autres n'y arrivent pas, que certaines doivent donc faire appel à l'immigration et d'autres non ; les travaux d’Atkinson et de Piketty montrent que la vitesse et l’ampleur de la montée des inégalités sont différentes.

L’anthropologie des structures familiales permet de comprendre l’origine de ces différences et de cette divergence généralisée. Ce qui se passe actuellement, dans le contexte de la globalisation, ce n'est pas seulement que les cultures nationales résistent, mais que le stress et les souffrances de la globalisation conduisent les sociétés, non pas à s'ouvrir plus et à converger, mais au contraire, à trouver en elles-mêmes, dans leurs traditions et dans leurs fondements anthropologiques, la force de s’adapter et de se reconstruire. C'est ce que j'observe, et ce, bien au-delà du contexte européen.

Le Japon est dans une période de recentrage sur lui-même, des gens rêvent de la période d'Edo durant laquelle le pays se développait de manière autonome, et à l'insu de l’Europe. Ce sont des forces du même ordre qui ont permis l'émergence de candidats comme Bernie Sanders ou Donald Trump aux Etats-Unis, et qui exigent une sortie du "consensus de Washington" et du discours mondialisé, avec un rêve de refondation de la nation américaine.

En Europe, c'est encore plus intéressant parce que nous sommes un système de vieilles nations. L'Europe s’est engagée la première dans ce processus parce que l'Allemagne est partie la première. La problématique du retour à la nation  a été imposée à l’Allemagne en 1990 par sa réunification. C’était son devoir, elle devait reconstruire sa partie orientale. Elle a eu une sorte de temps d'avance qui l’a menée, presque par accident, à sa situation de prééminence sur le continent européen depuis 2010 environ. Le deuxième pays en Europe qui se soit recentré sur un idéal national, après bien des troubles, c'est la Russie. L'Empire soviétique s'est décomposé, la Russie a traversé une période de souffrances terribles entre 1990 et 2000, mais l'accession de Poutine a finalement incarné ce retour de la Russie à un idéal national, recentré sur une notion néo-gaulliste d'indépendance. Il a fallu une quinzaine d'années aux Russes pour se retrouver en situation économique, technologique et militaire de ne plus avoir peur des États-Unis. Ce que l'on a pu constater, par étapes, en Géorgie, en Crimée, puis en Syrie. On en arrive à une situation où les armées occidentales qui veulent survoler la Syrie doivent demander l'autorisation aux Russes.

Ce référendum sur le Brexit, dans cette logique, c'est l'étape numéro 3 : la réémergence du Royaume-Uni en tant que nation.

Et quelle serait la spécificité du Royaume-Uni dans cette dynamique de retour à la nation ?

Ils ne sont pas les premiers mais c'est probablement l'étape la plus importante parce que c'est l’un des deux pays leader de la mondialisation. Avec Margaret Thatcher, ils avaient un an d'avance sur les Etats-Unis dans la révolution néo-libérale. Ils font partie de ces pays qui ont les premiers impulsé cette logique. Un re-basculement anglo-américain vers l’idéal national est plus important que l'émergence allemande ou la stabilisation russe. Depuis le XVIIe siècle, l'histoire économique et politique du monde est impulsée par le monde anglo-américain. La nation anglaise a deux caractéristiques combinées et contradictoires. Il s'agit d’abord de la culture la plus individualiste d'Europe, la plus ouverte ; c'est le pays qui a inventé la liberté politique. Ensuite, et paradoxalement, c'est aussi une identité nationale à base ethnique pratiquement aussi solide que celle des Japonais. Comme les Japonais, les Anglais savent qui ils sont.

Si l'on suit votre raisonnement de retour à la nation, après l'Allemagne, la Russie, et maintenant le Royaume-Uni, quel pays est le suivant ? 

Pour accepter ce que je vais dire, il faut sortir des poncifs sur l'Angleterre, ces Anglais bizarres qui ont des bus à deux étages, qui roulent à gauche, qui ont de l’humour, une reine respectée,  etc…Tout cela est vrai. Mais il faut surtout voir les Anglais en leader de notre modernité, dans la longue durée braudélienne. La révolution industrielle est venue d'Angleterre et d’Ecosse, et elle a économiquement transformé l'Europe. Les révolutions industrielles française, allemande, russe et les autres n’en sont que les conséquences. Mais avant même la transformation économique, les Anglais ont inventé notre modernité libérale et démocratique. Le véritable point de départ, c'est 1688, ce que les Anglais appellent la "Glorious Revolution" par laquelle la monarchie parlementaire a été établie. Si vous lisez les "lettres anglaises" de Voltaire de 1734, vous verrez son admiration pour la modernité anglaise, avec des choses très drôles sur les quakers ou l'absence de vie sexuelle de Newton. En 1789, le rêve et l’objectif des révolutionnaires français, c'est de rattraper l'Angleterre, le modèle de la modernisation politique. C’est le modèle, que j’accepte, de Daron Acemoglu et James Robinson, dans leur bestseller Why Nations Fail, d’autant qu’ils sont très sympas pour la France; ils soulignent que l'apport de la Révolution française à l’ensemble du continent a été capital, que notre Révolution a généralisé l’idéal d'inclusion du peuple. Reste que c’est l'Angleterre qui a inventé le gouvernement représentatif.

Dans ce contexte, il n'est pas illogique de constater que le premier référendum qui aura vraiment des conséquences pour l'Union européenne, le référendum historique, a eu lieu au Royaume-Uni. Un référendum  est une procédure inhabituelle en Angleterre. Mais l'objet de ce référendum, et cela est très clair, c’est que la première motivation des électeurs du Brexit, selon les sondages "sortie des urnes", c'est, avant l’immigration, le rétablissement de la souveraineté du Parlement. Car jusqu'au Brexit, le Parlement anglais n'était plus souverain alors que le principe de philosophie politique absolu pour les Anglais, c'est la souveraineté du Parlement.

Je conclus : logiquement, l'étape numéro 4, après le réveil de l'Allemagne, de la Russie, et du Royaume Uni, doit être le réveil de la France. Suivre les Anglais est conforme à notre tradition révolutionnaire.

A vous entendre, finalement, et en suivant votre logique, l'axe qui convient pour "changer l'Europe", n'est plus le couple franco-allemand, mais le couple Paris-Londres ?

Oui. Il y aura une Europe des nations. Mais dans cette Europe des nations, pacifique, j’espère, il y aura toujours des problèmes d'équilibre des puissances et, bien entendu, l'Allemagne va rester quelques temps encore la puissance économique prédominante. A moyen terme, la crise démographique et l’aventurisme migratoire des Allemands laissent présager une grave crise politique dans le pays, et sur le continent - mettons dans les 20 ans qui viennent.

L’une des fautes majeures des dirigeants français est de ne pas avoir compris, de ne pas avoir été capables d’anticiper que le bon rééquilibrage avec l'Allemagne, ce n’était pas l’euro, qui nous détruit, mais l’axe Paris-Londres, inéluctable à moyen terme, qui ne définira pas un couple de circonstance parce qu’il est dans la logique des forces et des cultures.

Il y a un grand mensonge des élites françaises lorsqu’elles prétendent se méfier de l'Angleterre. C'est en réalité le seul pays européen auquel nous faisons absolument confiance et c’est pour cela que c’est le seul pays avec lequel on peut efficacement collaborer sur la sécurité militaire. Ce n'est pas technique, cela révèle un rapport de confiance extrêmement fort. Continuons à dévoiler la réalité. Il n’y a que quelques dizaines de milliers de Français à Berlin alors qu’il y en a des centaines de milliers à Londres. Comme il y a des Anglais en France. Il y a deux mégalopoles jumelles en Europe, qui sont Londres et Paris. Les dynamiques démographiques des deux pays sont les mêmes, proches de deux enfants par femme. Le discours sur l’opposition entre l'Angleterre néolibérale et inégalitaire et sur la France de l’Etat social  contient un élément de vérité, mais lorsque l'on observe ces deux pays, on voit qu’ils évoluent en parallèle, sur l’oppression des jeunes, les privilèges des vieux. Toutes les nations sont différentes. Mais l’objectivité comparative doit nous faire admettre que le véritable monde étranger, avec ses jeunes si rares, ses loyers bas dus à la dépression démographique, son union structurelle de la gauche et de la droite, son autoritarisme social, c’est l’Allemagne, pas l’Angleterre.

Et comment s’opérera cette période de transition vers une Europe des Etats-nations ?

D’abord sur le continent, malheureusement par une accélération et une accentuation de la dérive antidémocratique. Désormais, avec une Angleterre libérale qui nous a quittés pour se refonder, les ordres vont arriver encore plus brutalement de Berlin. Sans masques. Les classes dirigeantes – pardon dirigées – françaises doivent s’attendre à être publiquement humiliées. N’oublions pas qu’avec le départ des Britanniques, les Etats-Unis aussi perdent définitivement le contrôle de l’Allemagne. Avec le Brexit, la germanosphère prend son indépendance officielle. Le niveau de contrôle des Américains, avait été bien affaibli par le "Nein" stratégique allemand à la guerre d’Irak. Nous avons pu constater l’impuissance américaine dans le refus catégorique des Allemands d’obéir aux injonctions économiques des Etats-Unis, les adjurant de contribuer à la relance économique mondiale en augmentant leurs dépenses. Le Brexit, c’est la fin de la notion de système occidental. Tous les réalignements sont désormais possibles. C’est la vraie fin de la Guerre froide. Et Poutine, par ses commentaires extrêmement prudents, montre qu’il l’a compris.

La situation devient dangereuse, effectivement, mais pas pour les raisons avancées par les euroconformistes.

C’est vrai, on garde cette sécurité qui vient du fait que personne ne veut la guerre, que nos populations sont vieilles, et riches encore, pour quelques temps. Mais il y a des éléments violents d’affirmation nationale. Il y a la violence de la prise de contrôle économique du continent par l’Allemagne. Il y la violence de la politique allemande d’immigration qui suit logiquement sa politique austéritaire de destruction des économies de la zone euro, avec ce rêve hyper violent de l’Allemagne de récupérer pour sa propre économie les jeunes qualifiés espagnols, italiens, portugais, grecs et bientôt français, réduits au chômage. Il y a la violence avec laquelle l’Allemagne a rejeté les Etats-Unis.

L’anti-américanisme français est une blague comparé à celui de l’Allemagne. Je pense que les Allemands considèrent la victoire américaine de la Seconde Guerre mondiale comme illégitime parce qu’ils savent que la vraie victoire, celle du terrain, fut celle des Russes, qui ont fourni 90% de l’effort humain. La politique américaine de maltraitance de la Russie après l’effondrement du bloc soviétique fut une énorme faute stratégique. Les Américains, ivres de leur réussite dans la Guerre froide, ne se sont pas rendus compte qu’ils déstabilisaient l’Allemagne. Les Américains ont humilié les vrais vainqueurs de l’Allemagne, les Russes, ce qui revenait à dire, dans un certain sens, que la Seconde Guerre mondiale n’avait même pas eu lieu. Plus de vainqueur, plus de vaincu. Dès lors, l’Allemagne a été libérée de son passé. La stratégie américaine anti-russe a détruit la prise américaine sur l’Allemagne. De leur côté, les Français, au lieu d’agir comme un contrepoids à l’Allemagne  en copinant avec les Anglais, ont passé leur temps à dire que l’Allemagne était merveilleuse. Leur servitude volontaire a contribué à renationaliser l’Allemagne.

Pour Jean Claude Juncker, "le Brexit n’est pas un divorce à l’amiable", et pour François Hollande "Si le Royaume-Uni veut rester dans le marché unique, il faudra qu'il en paie le prix dans tous les sens du terme, y compris avec la liberté de circulation", tout en indiquant que la situation "peut valoir expérience et leçon". Comment interprétez-vous une telle position, pouvant être qualifiée de "ligne dure" à l’égard du Royaume-Uni ?

Nous n’avons plus de classe dirigeante, nous avons, je l’ai dit, des classes dirigées. Ce que disent Hollande et Juncker ne m'intéresse plus. Ce que vous évoquez ici est une comédie des apparences en faisant comme si "l’Europe" existait encore. Ce qui existe, c’est l’ "Europa", c’est-à-dire une Europe allemande. La seule chose importante qui se soit passée, selon moi, depuis le résultat du référendum, est que nous avons vu, en cascade, les ministres des Affaires étrangères, Hollande et Renzi courir à Berlin pour prendre leurs consignes. C'est une révélation. La dureté hollandiste n’aura aucun effet pratique. C’est l’Allemagne qui va décider. Notons quand même, de la part de notre président, non, de notre représentant à Berlin,  une trahison de plus de notre intérêt national : la France a 10% de chômage, elle a un déficit commercial contre tous les pays européens sauf le Royaume-Uni, où ses investissements financiers et industriels sont considérables et il veut nous lancer dans un conflit. En cas de conflit économique avec le Royaume-Uni, à cause de l’intensité de nos liens avec notre sœur d’Outre-manche, la France est le pays qui a la plus à perdre. Il n'y a aucune conscience des intérêts nationaux dans cette histoire.

Essayer de se mesurer à l’Angleterre serait aussi déraisonnable que ce le fut d’essayer de faire plier la Russie. La Grande-Bretagne est une île mais elle n’est pas isolée. L’anglosphère, ce sont les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni, dont la population globale est déjà supérieure à celle de l’Europe entre Brest et Varsovie. Le Royaume appartient aussi à cet ensemble.

C’est donc l ‘Allemagne qui m’intéresse. Que va-t-elle faire ?

L'Allemagne est un pays qui peut fonctionner sur deux modes psycho-politiques. Un mode raisonnable, que j’appelle le mode bismarckien, où l'on essaye d'être copain avec le plus de gens possibles pour assurer sa prise sur son espace de domination. Bismarck copinait avec la Grande-Bretagne, la Russie, l’Autriche-Hongrie, et l’Italie pour isoler la France, vaincue en 1870 et qui digérait mal la perte de l’Alsace-Lorraine. Son objectif était la stabilisation de l’Empire allemand réunifié. Et puis il y a le mode wilhelmien, où l'on s’emballe et l’on essaye de se faire le plus d'ennemis possibles pour perdre tous ses acquis : Guillaume II s’est brouillé avec la Russie et avec la Grande-Bretagne, créant pour la France un système d’alliances. Donc : un mode allemand maniaque et un mode allemand calme. Merkel est plutôt sur le mode calme, bismarckien, sauf quand elle a fait appel à l'immigration et commencé de déstabiliser le continent. Avec l’appel aux réfugiés syriens, irakien et afghans, elle est passée en mode maniaque, wilhelmien.

Le mode bismarckien, calme et raisonnable, serait, pour l'Allemagne, d’accepter le Brexit sans faire d’histoire, et d’en profiter pour parachever son contrôle du continent. Elle est le pays le plus libre-échangiste du monde dans une  Europe qui a abaissé toutes ses barrières douanières. Pourquoi s’embêter avec une guerre commerciale ?

La situation est exactement le contraire de ce que nous racontent les Européistes anglophobes, allons, prononçons le mot, néo-pétainistes. Ils se gargarisent de l’idée que la sortie du Royaume-Uni renforcera le rôle de la France face à l’Allemagne. C'est évidemment faux. L'horrible vérité est qu'il y avait en Europe un équilibre des puissances, avec les Allemands, puissance dominante, et puis les Anglais et les Français. Tout le jeu des Allemands était de jouer de l'opposition des Français et des Anglais pour maintenir l’équilibre qui assurait leur pouvoir de contrôle global. Maintenant, ils sont débarrassés de la puissance anglaise, libérale en termes politiques, et qui ne pouvait qu’être un frein à toutes les tentations autoritaires, déjà puissantes en Allemagne et sur le continent. Maintenant, les Français ne sont plus protégés par les Anglais, ils se retrouvent dans un tête à tête complètement inégal avec l'Allemagne et nous allons passer de la servitude volontaire dans laquelle nos élites nous ont mises, à une servitude de moins en moins volontaire. Les consignes de Berlin risquent d'être de moins en moins polies, d'autant que l'Allemagne, faute de stratégie, a une tactique : elle semble avoir immédiatement remplacé les Anglais par les Italiens pour affaiblir la France. Elle fait rentrer Renzi dans le jeu pour de nouveau créer une concurrence interne qui ré-affaiblira la France.

Je suis optimiste à long terme. Sur le modèle de réémergence des nations, je n'ai aucun doute et je pense que l'issue finale de ces problèmes, sera un retour pacifique à l'Europe des nations. Parce qu'avec les structures d'âge de nos populations, parce que la principale puissance du continent, l'Allemagne, a à peine une armée et ne possède pas l'arme nucléaire, parce que les Européens restent des gens paisibles et civilisés. La guerre est inimaginable. Mais, dans la phase transitoire, la position de la France va être très dure. Nous allons perdre notre statut de chouchou de l’Allemagne, d’enfant fantasque auquel on permet tous les déficits. En route pour 15% de chômage ? Les Britanniques partent parce qu'ils n'aiment pas la bureaucratie bruxelloise, bien sûr, mais surtout parce qu’ils ont la liberté chevillée au corps. Ils perçoivent la zone euro non seulement comme une catastrophe économique, comme une zone d'austérité et de stagnation – comme tout le monde d’ailleurs –  mais aussi comme le lieu d'une dérive autoritaire antidémocratique. Et bien entendu, le retrait de l'Angleterre de l'espace européen central nous annonce dans un premier temps une accentuation de la dérive autoritaire de cette "Europa".

Pour un géopoliticien, une configuration avec deux grandes nations libres aux extrémités du continent, la Russie et le Royaume Uni, avec une France suivant l’Allemagne, avec une Italie au bord de la défection, et des Américains peu pressés d’intervenir, cela semble comme une parodie pacifique, économique et un peu sénile de l’Europe en 1941.

Vous citez le problème migratoire, qui a été central dans le vote relatif au Brexit. N’est-ce pas le signe que ce vote a été permis par d’autres facteurs que le retour à la liberté politique ?

Selon les sondages de sortie des urnes, la première motivation des Anglais est de ramener à Londres le pouvoir de décision : c’est une exigence démocratique. La seconde motivation, c’est effectivement la question de l’immigration. Mais ce n’est pas "la même immigration" que nous, il s’agit des Polonais. Les règles de la Communauté donnent le droit aux Européens de circuler librement sur le continent. C’est une question sur laquelle nous allons devoir parler clairement. Dans ce contexte, je suis particulièrement heureux de m’être fait carboniser l’année dernière par la classe politico-médiatique française pour avoir défendu l’idée que nos compatriotes musulmans avaient un droit à la paix, dans mon livre Qui est Charlie ?

Ca me donne du champ idéologique pour parler de l’immigration de façon équilibrée,  sans me faire traiter de lepéniste. Je suis un immigrationniste raisonnable : l’immigration est une bonne chose,  l’assimilation des immigrés est une bonne chose, et il faut donner du temps aux gens et admettre que diaboliser l’islam n’est pas bonne solution. Pour la défense de cette conception simplement humaine, j’ai perdu la moitié de mes amis et me suis fait traiter de mauvais Français par notre Premier ministre, Manuel Valls. Mais je peux, je dois dire maintenant que l’immigrationnisme sans frein, qui est en train de se constituer en idéologie européenne, qui met les droits des étrangers mobiles – polonais ou moyen-orientaux – au-dessus de ceux des nationaux, qui met donc les populations en état d’insécurité est, sous l’apparence des bons sentiments, un anti-humanisme. Dans les droits de l’homme, dans les fondements mêmes de la démocratie qui ne peut, pour fonctionner, être que nationale, il y a, implicitement,  un droit de sécurité territoriale, un droit de régulation de l’immigration. En niant ce droit, on organise de fait la plongée du monde occidental dans la barbarie. Il est irresponsable de dire que vouloir réguler l’immigration, c’est être xénophobe. Ici encore, les Anglais ont raison.

Mais ici, nous nous trouvons en choc frontal avec une Allemagne structurellement wilhelmienne, aventuriste, déstabilisatrice du continent. La préoccupation fondamentale de l’Allemagne – il faut lire sa presse, nous le pouvons tous grâce à Google Translate – est d’attirer des immigrés, dans des proportions extraordinaires, alors même que le pays n’est déjà pas parvenu à assimiler correctement ses populations turques. Le trou qui s’ouvre au bas de sa pyramide des âges est son obsession. Pour les Allemands, la liberté de circulation des personnes en Europe, et au-delà, est essentielle, parce qu’indispensable à leur politique immigrationniste. Elle veut absorber, je l’ai déjà dit, les jeunes qualifiés réduits au chômage dans la zone euro. Elle veut, au-delà de ce qui est anthropologiquement raisonnable, absorber des populations du Moyen-Orient dont le taux de mariage entre cousins est de 35%. Le désordre migratoire est le projet de l’Allemagne.

Je voudrais éviter tout malentendu. Je ne suis pas partisan de conflits radicaux, c’est exactement l’inverse. Pour moi, la mise en évidence de ces contradictions est une aide à la prise de conscience, pour éviter la maturation de conflits graves, en se mettant d’accord entre Français, Britanniques, Allemands, Italiens, Espagnols et Suédois, sans oublier les autres, sur des perspectives d’immigration raisonnables, sur la coexistence pacifique des nations, sur la défense de la démocratie. Il ne suffit surtout pas de répondre que "l’Europe c’est la démocratie", par essence. Soyons sérieux : sans les Anglais, l’Europe ce n’est déjà plus le lieu de la démocratie. Regardez les années 1930 : Salazar, Franco, Mussolini, Hitler, et en Europe de l’Est, à part la Tchécoslovaquie, des dictatures, encore des dictatures. La dénégation mène au choc brutal de la réalité. Si les problèmes ne sont pas traités, bien sûr qu’il y aura un retour des conflits.

Dans son édition du 29 juin, le quotidien Le Monde titrait "Les leaders du Brexit piégés par leur victoire". Depuis le vote en faveur du Brexit, le refrain d’un Royaume-Uni pris par le regret semble s’installer au sein de l’opinion. Comment interprétez-vous cette impression ?

Je crois qu'il y a des éléments réels. Je suis ce qui se passe là-bas d'assez prêt. Les gens me soupçonnent souvent d'être partial parce qu’anglophile, formé à la recherche à l'Université de Cambridge. J’avoue avec fierté que c'est bien pire que cela.  Mon fils aîné aussi a été à Cambridge, il y a été meilleur que moi et ils l'ont gardé. Il vit à Londres et a pris la nationalité britannique, et j’ai la joie d’avoir maintenant deux petits-fils britanniques. Mais j’aimerais quand même être considéré d’abord comme un Français qui connaît mieux l’Angleterre que François Hollande et qui sait reconnaître un accent écossais.  J’en profite pour signaler que j’utilise parfois Anglais ou Angleterre de manière archaïque, pour désigner toute la Grande-Bretagne ou le Royaume-Uni, à la manière de l’historien A.J.P. Taylor.

Il est évident que le Brexit a ouvert une crise culturelle, politique, sociale, idéologique en Grande-Bretagne. Il est vrai que les classes supérieures et l'establishment ont voté massivement  "Remain". Les catégories "A" et "B" de la nomenclature socioprofessionnelle anglaise, équivalentes de nos cadres et professions intellectuelles supérieures, plus les patrons, ont voté "Remain". Le vote "Leave" devient majoritaire dans "les classes moyennes inférieures", catégorie C1, nos catégories intermédiaire, 30% du corps électoral.

La circonscription de Cambridge a dû voter à 72% pour "Remain". Le résultat du vote a été un choc pour la majorité des classes supérieures britanniques. Les différences de classes, qui s'expriment au travers des accents, sont beaucoup plus fortes en Angleterre qu'en France. Il y a en ces temps de gueule de bois, dans certains milieux, une rage antipopulaire tout à fait extraordinaire. Le parti travailliste est entré en crise. Mais il est vrai, aussi, et cela est une grosse différence avec la France, qu’une partie de l'élite anglaise, au parti conservateur, à droite donc, a su devenir leader de l'opposition populaire. C'est extrêmement intéressant mais là, je dois rester chercheur et admettre que je ne comprends pas tous les éléments de ce qui se passe. Reste qu'ils ont trouvé Boris Johnson, homme tout à fait étonnant, membre indiscutable des plus hautes classes britanniques, par sa parenté comme par ses études. Les Britanniques ont ce qu'il faut, une fraction de la plus haute élite pour gérer la réémergence nationale. Avec ce mystère supplémentaire que maintenant, le débat démocratique a lieu au sein du parti conservateur, avec une gauche hors-jeu. Mais ici, nous retrouvons notre PS anti-populaire et antinational…Faute de comprendre pleinement, on doit admettre "empiriquement" - voilà un mot qui n’est guère français -  que ce sursaut démocratique et national a lieu à droite de l'échiquier politique officiel. Pour notre malheur, en France, nous n'avons pas l'équivalent de Boris Johnson ou de Michael Gove, mais peut-être y a-t-il une place à prendre à droite. Il n'est pas impossible cependant que personne n'ose. A gauche, c'est mort, je ne crois pas du tout que Mélenchon soit capable de quoi que ce soit. La gauche est paralysée par une sorte de vision naïve, abstraite, archaïque de l'internationalisme et de l'universel, et je dis ça en étant moi-même de centre gauche.

Si le Brexit l’emporte avec près de 52% des voix, l'UKIP s’affichait à 12.6% aux dernières élections générales de 2015.  Un constat qui peut également être fait en France, indiquant un large écart entre la défiance européenne des électeurs et les scores des partis qui portent cette offre politique. Quelle est la signification de ce paradoxe, entre une majorité "radicale" et la faiblesse de ses représentants ?
Le problème est que les Anglais ont toujours eu leur Winston Churchill ou leur Boris Johnson. Ce n'est pas l'UKIP qui a gagné, il n'est toujours pas question, en Angleterre, que Farage prenne les rênes du gouvernement. Le gouvernement anglais doit rester dans une partie de l'establishment absolument traditionnelle. Voilà une classe dirigeante qui arrive à se renouveler….je les envie.

Le vrai drame de la France est que l'on ne voit pas apparaître, au cœur de l'establishment, ce sursaut de dignité qui pousserait une portion minoritaire des élites à prendre en charge les intérêts de la population. J'ai toujours été antipopuliste, j'ai toujours milité pour un retour des élites françaises à la raison. Mais pourquoi donc nos élites sont-elles si uniformément résignées ? Nous avons pourtant nos Grande écoles, qui assurent un approvisionnement régulier en élites arrogantes, méprisantes même. Je crains que ces bons élèves disciplinés ne restent des petits-bourgeois qui veulent se distinguer du peuple : la notion de liberté noble, chère à Montesquieu, leur reste inaccessible. Mais il y a l’histoire aussi, et ses traumatismes.

La différence fondamentale entre la France et l’Angleterre n'est pas leur rapport à l'Europe, concept abstrait et dépassé, mais dans leur rapport à l'Allemagne. Obéir à l'Allemagne, ce n'est pas le truc des Anglais ; en France, c'est plus compliqué.

Il y a un mensonge que ces gens de l’establishment médiatico-politique français se font à eux-mêmes et qu'il faut dévoiler. Ils parlent du couple franco-allemand, de l'amitié franco-allemande etc. Mais je ne connais personnellement qu’un seul Français vraiment amical et respectueux vis-à-vis de l'Allemagne, moi. Dans le livre que j’écris, je mets en évidence l’importance de la Réforme et de Luther pour l’alphabétisation de masse de l’Europe. Je suis sensible à la grandeur tragique de l’histoire allemande. J’oserais parler pour moi-même d’empathie vis-à-vis de  l’Allemagne. Mais le véritable sentiment des élites françaises vis-à-vis de l'Allemagne, c'est la peur. C'est ce que j'appelle le syndrome de FOG, pour Franz-Olivier Giesbert. Je l’aime bien FOG, il est rigolo et talentueux. Il se la joue cynique. Il prend son pied en révélant le off des hommes politiques, il est passé de L'Observateur au Figaro, il m’a publié une interview néo-marxiste dans Le Point, le journal des vieux messieurs de droite. Il est hilarant sur les choses personnelles, dures parfois: une posture d'esthète, tout l’amuse. Une seule fois, à la closerie des Lilas, je l'ai vu perdre le contrôle de lui-même. Et il s’agissait de l’Allemagne. Il n ‘arrivait plus à exprimer que la peur d’un conflit avec l’Allemagne. Et là j'ai compris:  les élites françaises ont juste peur de l’Allemagne. Une blague circulait autrefois à Bruxelles : "Qu'est-ce que l'Europe ? L'Europe, c'est l'association de tous les peuples qui ont peur de l'Allemagne….Et cette définition inclut les Allemands". Le vrai problème de l'Europe, maintenant, c'est que les Allemands, eux, n'ont plus peur de l'Allemagne, à cause des erreurs américaines et de la lâcheté française.

Ecosse, Irlande du Nord, Pays de Galles, Londres :  le vote provoque des ruptures apparentes au sein du Royaume-Uni. N'êtes-vous pas effrayé à l'idée de sa dislocation ? 

Revenons à cette notion de tendance historique lourde. La vérité historique est que c'est l'appartenance du Royaume-Uni à l'Europe qui a enclenché son processus de désintégration. Partout, l'appartenance à l'Europe induit une émergence des régions et des phénomènes de distorsions territoriales. L'appartenance à l'Europe a séparé Londres de son arrière-pays anglais, elle a éloigné de Londres les Ecossais. De même en France, en Espagne, et en Italie. Donc, bien entendu, ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le point ultime de cette dérive centrifuge du Royaume-Uni. Mais avec l'Ecosse, il suffira à Londres de bien négocier quelques compensations et de jouer la montre. Une nouvelle réalité va apparaître aux Ecossais. L'Ecosse a 5.4 millions d'habitants, mais 800 000 personnes vivant en Angleterre sont nées en Ecosse. Les forces de dislocation de l'Union européenne vont s'éteindre, et, surtout,  les Ecossais vont être confrontés à la réalité de la nouvelle Europe qui s'annonce. Il ne s’agit pas de quitter le Royaume-Uni pour entrer en Europe. Le choix va être : faut-il cesser d'obéir à Londres pour aller obéir à Berlin ? J'ai énormément de mal à imaginer les Ecossais choisir Berlin. L’Ecosse aussi est une très grande nation. Je vous recommande le bouquin de Arthur Herman, How the Scots invented the Modern World. Alors pour l’Ecosse, je dirais, en scots,  "dinna fash yersel" ("don’t worry", du français "fâcher").

Je ne dis pas que ce sera facile pour les Britanniques, il y aura du travail pour résoudre des tonnes de problèmes, 10 ans minimum pour remettre tout cela en ordre, peut-être même une génération. Il nous a fallu plus pour produire le désastre européen actuel. Les vrais problèmes les plus angoissants seront pour l'Irlande du Sud, pas pour l'Irlande du Nord. Comme le Danemark, la République d’Irlande n’est entrée dans le marché commun que pour suivre le Royaume-Uni. Elle va être mise dans une situation économique intenable si les continentaux se mettent en posture conflictuelle.

Il y aurait  également une réflexion intéressante à mener sur l’intérêt pour la Scandinavie à rester dans l’Union européenne après le départ des Britanniques. Les classes moyennes scandinaves parlent exceptionnellement bien l’anglais, elles sont quasiment bilingues. La Scandinavie a été désorganisée par la construction européenne : les Norvégiens l’ont refusée, les Finlandais sont dans la zone euro, les Suédois non et sont fatigués de tous ces bavardages bruxellois. Les Danois sont tellement proches des Anglais par leurs tempérament libéral. Une sortie de l'Europe, pour l'ensemble, permettrait de reconstituer la Scandinavie. On peut imaginer une reconstruction du Royaume de Grande Bretagne et d'Irlande, une reconstruction de la Scandinavie. Alors les 27 englués dans des bavardages dont le seul objet est de masquer la centralisation allemande du pouvoir….

Dans la géographie électorale du Brexit, ce qui m'a frappé, ce n'est pas tellement le vote "Remain" de l'Ecosse ou de Londres, attendus, mais l’abolition du clivage Nord-Sud qui semblait détruire l'Angleterre. L'Angleterre a voté "Leave" de façon homogène dans les régions conservatrices du Sud et dans les régions travaillistes du Nord. Un peu comme si le référendum avait déjà commencé de réunifier la société britannique.

De leur côté, plusieurs défenseurs du Brexit, comme Nigel Farage, ont reconnu leurs exagérations sur les possibilités offertes par une sortie de l’Union européenne. N’y a-t-il pas un danger à voir la population britannique se rendre compte que le Brexit n’apportera pas de réponses aux problématiques développées pendant la campagne ?

L'idée que le Brexit sera facile est absurde. La construction européenne, qui a été très positive pendant un moment, est entrée dans une phase de déstructuration des sociétés, de difficultés croissantes depuis plusieurs décennies, maintenant, avec un élément de folie bureaucratique. Cela va donc être beaucoup de travail. C'est typiquement le genre de domaine dans lequel il faut distinguer le court, le moyen et le long termes. Le Royaume-Uni va avoir des tas de problèmes à résoudre mais compte tenu de ce que je disais, de la dynamique générale de séparation des nations, à mon avis, nous n'aurons bientôt plus le temps de nous y intéresser, vu les problèmes qui attendent l'Europe: reconstruction Outre-manche, déconstruction sur le continent. Voilà le programme des années qui viennent. Les journalistes ne vont pas s’embêter. Dans les grands défis historiques, il faut toujours un moment pour que les Britanniques se mettent en train, mais ensuite ils assurent. En revanche, nous pouvons compter sur les Européistes tardifs pour se ridiculiser.

Si l'on reste dans l'hypothèse que le Brexit va jusqu'au bout, ce qui est le plus probable, il est tout à fait normal qu'il y ait une transition. Mais ce qui m'a plutôt frappé ces derniers jours, ce n'est pas le désordre, mais les qualités de loyauté nationale et de résistance au choc qui sont dans l'être britannique. La première prestation post-Brexit de David Cameron, instinctive, a été admirable. Il assurera la période de transition, avant de passer la main à son successeur qui devra opérer le Brexit. Il met en place un calendrier idéal. Si ce genre d’attitude se confirme dans le parti conservateur, et dans toute la nation, on peut avoir confiance dans la capacité du Royaume-Uni à surmonter cette épreuve. L’urgence pour les Tories, c’est la pacification du parti avant de s’embarquer dans l’aventure du Brexit. Il ne faut pas se contenter de voir la guerre de succession et les trahisons dans le parti conservateur. Le refus de Johnson de briguer la direction du parti est la contrepartie de l’élégance de Cameron. Mais tout d’un coup, ma francité me submerge, je repense à notre président Hollande et j’ai envie de pleurer...La France aussi est une grande Nation. Nous méritons tellement mieux !

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Brexit : vingt intellectuels eurocritiques lancent un appel pour un nouveau traité 
Le 30 juin 2016 - Le Figaro

Les auteurs* demandent une renégociation des traités qui s'articulerait autour de trois priorités : la souveraineté, la prospérité et l'indépendance stratégique.

Le peuple britannique a exprimé souverainement sa volonté de rester maître des décisions qui le concernent. Ce vote courageux et massif est évidemment une claque pour la dérive technocratique dans laquelle l'Union européenne actuelle s'est laissé enfermer depuis au moins trois décennies, sur la base de traités marqués au coin du néolibéralisme alors triomphant (Acte unique, traité de Maastricht, traité de Lisbonne), ou de l'ordo-libéralisme allemand (traité de cohérence budgétaire dit «TSCG» de 2012).

Tout montre que dans la plupart des pays européens, les citoyens n'acceptent plus d'être gouvernés par des instances non élues, fonctionnant en toute opacité.

Tout montre que dans la plupart des pays européens, les citoyens n'acceptent plus d'être gouvernés par des instances non élues, fonctionnant en toute opacité. Le vote britannique peut être une chance: il doit être l'occasion de réorienter la construction européenne, en articulant la démocratie qui vit dans les nations avec une démocratie européenne qui reste à construire.

Nous demandons la réunion d'une conférence européenne sur le modèle de la conférence de Messine de 1955 qui, après l'échec de la Communauté européenne de défense (CED), a permis de remettre la construction européenne sur les rails et a préparé efficacement le traité de Rome. Cette conférence se réunirait à vingt-sept, avec un statut spécial d'observateur pour la Grande-Bretagne.

Cette conférence aurait pour objet la renégociation des traités sur les trois questions cruciales dont la méconnaissance a conduit à l'affaissement de l'actuelle construction européenne: la souveraineté, c'est-à-dire la démocratie, la prospérité et l'indépendance stratégique.

D'abord rendre à la souveraineté populaire et à la démocratie leurs droits dans une Europe confédérale qui serait faite de l'entente et de la coopération entre les nations: cela suppose une réorganisation profonde des compétences et, le cas échéant, du mode de désignation des institutions européennes (Conseil, Commission, Parlement, Cour de justice, BCE). Il faudrait notamment outiller le Conseil européen où vit la légitimité démocratique en le dotant des services capables de préparer et exécuter ses décisions. De même le Parlement européen devrait procéder des Parlements nationaux pour que les compétences déléguées puissent être démocratiquement contrôlées.

Le paradigme néolibéral - la croyance en l'efficience des marchés - ne peut se substituer à la définition de politiques industrielles et d'un cadrage social.

Ensuite, rendre à l'économie européenne les clés de la prospérité en revoyant profondément les règles actuelles en matière de politique économique et monétaire. Le paradigme néolibéral - la croyance en l'efficience des marchés - ne peut se substituer à la définition de politiques industrielles et d'un cadrage social. Le modèle mercantiliste allemand (excédent extérieur approchant les 10 % du PIB) est intransposable aux autres pays et notamment à ceux de l'Europe du Sud. Il faut redéfinir un modèle européen de développement acceptable pour tous les Européens.

Enfin, il faut donner à l'Europe la capacité stratégique qui lui a toujours fait défaut depuis l'origine. Nous nous rapprocherions ainsi de l'«Europe européenne» du général de Gaulle: il faudra pour cela renouer un dialogue avec la Russie, pays européen indispensable pour l'établissement d'une sécurité dont toutes nos nations ont besoin et définir des politiques ambitieuses et cohérentes de co-développement vis-à-vis de l'Afrique et au Moyen-Orient.

Ce sont là les trois clés de l'avenir de l'Europe. Nous avons la conviction qu'il appartient à la France de lancer cette grande initiative qui proposera de remettre l'Union européenne sur ses pieds. Les peuples européens et pas seulement le nôtre, l'attendent. Nous faillirions à notre devoir de citoyens français mais aussi d'Européens si nous n'agissions pas pour que la France se porte aux avant-postes de cette grande tâche.

Nous appelons tous ceux qui refusent le rétrécissement du champ de l'avenir à œuvrer pour réorienter la construction européenne sur ces bases nouvelles.

* Liste des signataires: Marie-Françoise Bechtel, Guillaume Bigot, Jean-Pierre Chevènement, Gabriel Colletis, Éric Conan, Franck Dedieu, Alain Dejammet, Éric Delbecque, Jean-Pierre Gérard, Christophe Guilluy, Loïc Hennekinne, Paul Jorion, Jean-Michel Naulot, Michel Onfray, Natacha Polony, Jean-Michel Quatrepoint, Emmanuel Lévy, Benjamin Masse-Stamberger, Claude Revel, Henri Sterdyniak, Jacques Sapir, Paul Thibaud.

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Observations sur l’appel de vingt intellectuels eurocritiques pour un nouveau traité européen  
Annie Lacroix-Riz, chercheuse en histoire contemporaine, professeur émérite, université Paris 7, le 2 juillet 2016 - initiative-communiste


La vision économique de long terme de l’union européenne rend dérisoire l’espoir de renégocier les traités européens affiché par « vingt intellectuels eurocritiques ».
Car ce processus a démontré ses objectifs non pas « depuis au moins trois décennies, sur la base de traités marqués au coin du néolibéralisme alors triomphant (Acte unique, traité de Maastricht, traité de Lisbonne), ou de l’ordo-libéralisme allemand (traité de cohérence budgétaire dit «TSCG» de 2012) », mais depuis les origines. Il s’est agi, en effet d’assurer la tutelle maximale sur cette partie du monde de l’impérialisme le plus puissant, états-unien, escorté du second, l’impérialisme allemand, que les rivalités inter-impérialistes opposent cependant, à l’occasion des crises systémiques, jusqu’à la guerre générale. Le phénomène a débouché, entre autres, sur ce que Georges Gastaud qualifie « de protectionnisme » rigoureux au bénéfice exclusif de l’Allemagne et des États-Unis. Il est sans rapport aucun avec l’idéologie, la Guerre froide, le rêve de « démocratie », etc., et ne laisse aucune chance la « réforme » à laquelle semblent croire les « vingt intellectuels eurosceptiques » qui ont signé ce manifeste.

La critique est portée ici du strict point de vue historique qui relève de ma compétence.

1° Je suis stupéfaite que certains de ces signataires, que je croyais très bien informés de l’histoire vraie de l’union européenne, érigent en modèle la renégociation de « la conférence de Messine » de 1955 qui, après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), a[urait] permis de remettre la construction européenne sur les rails ».

Ladite conférence se tint sous la stricte injonction de Washington, avec l’active contribution, selon la tradition, de ses purs et simples instruments, parmi lesquels Jean Monnet et Paul-Henri Spaak. Elle ouvrit sur une nouvelle étape majeure de la constitution de l’Europe germano-américaine, le marché commun, qui faisait suite à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) dont le « père de l’Europe » Robert Schuman s’était fait l’initiateur officiel. La réalité est différente, comme je le démontre notamment dans Aux origines du carcan européen, 1900-1960, dont l’édition augmentée vient de paraître.

Ce marché commun chemina, sans la « dérive » ici alléguée, vers l’union-carcan dont les hauts fonctionnaires français avaient révélé, avec une précision redoutable dès 1950-1953 (cette dernière date étant celle de la mise en œuvre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier), tous les aspects, parmi lesquels l’impitoyable « dumping social ». Ladite « Europe » avait déjà, à l’époque du retour de De Gaulle aux affaires (1958), un aspect sinistre, marqué par la surproduction et les crises récurrentes (dont témoignait la fermeture des mines de charbon entamée par celles de France et de Belgique), décrit dans le même ouvrage.

Dans le 13e et dernier chapitre d’Une comédie des erreurs, 1943-1956, Souvenirs et réflexions sur une étape de la construction européenne, Paris, Plon, 1983, « L’étouffement », p. 499-523, l’ambassadeur de France à Londres René Massigli dressa un tableau effarant de cette session. Elle fut animée, en apparence, par les pions « européens » de Washington, déjà cités, sans oublier les autres, dont Pinay, Hallstein, Adenauer et Beyen; en réalité par le tandem Département d’État-CIA, sous la houlette respective des deux frères Dulles, John Foster et Allen, partenaires essentiels de Sullivan & Cromwell, plus gros cabinet américain d’affaires internationales, lié à la finance allemande depuis le tournant du 19e siècle.

Notons, au cas où on serait tenté de taxer l’intéressé de subversion ou de « nationalisme », que Massigli n’avait pas incarné la résistance au tuteur étranger, et qu’il se voulait « européen ». Cet ancien champion de l’Apaisement de l’entre-deux-guerres, artisan majeur des accords de Munich comme directeur des Affaires politiques du Quai d’Orsay (voir l’index du Choix de la défaite, Paris, Armand Colin, 2010), avait fini en 1943 par se rallier à de Gaulle. Ralliement tardif et fort contraint : les archives américaines le montrent littéralement agenouillé devant Washington et quotidiennement disposé, à Alger, en 1943-1944, à lâcher de Gaulle auquel il reproche une résistance très excessive aux exigences américaines. Allen Dulles, patron Europe de l’OSS (qui précéda la CIA) établi depuis novembre 1942 à Berne, avait alors déjà gagné, auprès de Robert Murphy, délégué de Roosevelt depuis décembre 1940 au débarquement en Afrique du Nord « française », ses galons de maître et de bailleur de fonds des « Européens » : c’est-à-dire des « élites » de la société acquises à la mainmise des États-Unis sur le continent européen après l’avoir été, le plus souvent, depuis les années 1930, à la mainmise allemande (sur ces noms, voir l’index de l’ouvrage Les élites françaises, 1940-1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Paris, Armand Colin, 2016).

De l’origine américaine de cette mythique « conférence de Messine », il n’est pas question dans le manifeste des « vingt intellectuels eurocritiques ». Omission surprenante qui se maintient dans les deux autres points abordés.

2° La séduisante revendication de la renonciation au « modèle mercantiliste allemand (excédent extérieur approchant les 10 % du PIB) […] intransposable aux autres pays et notamment à ceux de l’Europe du Sud » équivaut, compte tenu de l’histoire réelle de l’union européenne, à la demande polie et vaine, adressée aux États-Unis et à l’Allemagne d’abandonner purement et simplement ladite union, leur créature. Autant vaudrait demander à une association bancaire de s’auto-transformer en entreprise de bonnes œuvres, pour réaliser la fameuse « Europe sociale » qu’on nous vante chaque jour. Cette revendication est aussi sidérante que celle d’un renouvellement de « la conférence de Messine » puisque l’objectif de l’union européenne a été précisément réalisé : nous bénéficions de son succès depuis bientôt plus de soixante ans, il faut le reconnaître, avec une intensité démultipliée par la destruction de la zone d’influence soviétique muée en zone américaine depuis 25 ans.

« Dérive », vraiment?, par rapport au propos d’un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay de février 1950 (avant le fameux discours de Robert Schuman du 9 mai, donc), annonçant les effets imminents de « la pression du chômage sur le niveau des salaires [européens]. Or, il ne peut y avoir harmonisation des salaires et des charges sociales […] que par le jeu de l’offre et de la demande et elle se fera au niveau le plus bas. C’est bien là une des raisons pour lesquelles le Conseil national du patronat français se prononce en faveur de la libération des échanges et des Unions régionales : il y voit un moyen de réduire les prétentions des salariés lors des prochaines négociations des conventions collectives. » (Note du Service de Coopération économique (SCE), 10 février 1950, CE, 56, archives du ministère des Affaires étrangères, plus longuement citée dans Aux origines du carcan européen, p. 116-117). (Le Conseil national du patronat français succéda, en 1946, à la Confédération générale de la Production française devenue en juillet 1936 Confédération générale du patronat français, et précéda le MEDEF).

Les exigences historiques et actuelles des États-Unis à l’égard de cet énorme marché unifié et non protégé de leurs marchandises et de leurs capitaux n’ont pas non plus, dans ce deuxième point du manifeste, été prises en compte.

3° Le « dialogue avec la Russie, pays européen indispensable pour l’établissement d’une sécurité dont toutes nos nations ont besoin », etc., est-il compatible avec le maintien de l’union européenne dans l’OTAN, institution dont l’origine se confond strictement avec l’histoire de l’encerclement de l’URSS. Les États-Unis combattaient d’ailleurs la Russie depuis les débuts de l’ère impérialiste, plus de 20 ans avant 1917. L’a démontré l’un des deux pères fondateurs du courant historiographique américain dit « révisionniste » (courant scientifique sans rapport avec les « révisionnistes » français, simples « négationnistes » des chambres à gaz), William Appleman Williams. Sa thèse universitaire (Ph.D.) American Russian Relations, 1781-1947, New York, Rinehart & C°, 1952, a montré que le jeune impérialisme américain, soucieux de contrôler, entre autres, le sort de la Chine, avait jugé insupportable l’expansion de son (assez faible) rival russe, qui revendiquait participation au contrôle des transports ferroviaires de la Chine: « L’entente [russo-américaine] lâche et informelle […] s’était rompue sur les droits de passage des chemins de fer [russes] de Mandchourie méridionale et de l’Est chinois entre 1895 et 1912 ».

On trouvera maintes références sur la vieille obsession antirusse des impérialismes américain et allemand et sur leur agressivité, dimension militaire incluse, envers l’empire russe puis l’URSS dans les références suivantes : « Le débarquement du 6 juin 1944 du mythe d’aujourd’hui à la réalité historique » (http://www.lafauteadiderot.net/Le-debarquement-du-6-juin-1944-du, juin 2014), et dans « L’apport des “guerres de Staline” de Geoffrey Roberts à l’histoire de l’URSS : acquis et débats », préface à l’ouvrage de Geoffrey Roberts, Les guerres de Staline, Paris, Delga, 2014, p. I-XXXIV.

Ceux qui seraient tentés de balayer d’un revers de main les références fournies par l’universitaire sérieuse que je suis pourront constater que je les emprunte soit aux archives originales soit aux travaux historiques américains accumulés depuis des décennies. Ce travail, notons-le, qualifie les pratiques de la « soviétologue » de Rennes 2, Cécile Vaissié, qui met en cause l’« universitaire retraitée et militante au PRCF » Annie Lacroix-Riz dans Les réseaux du Kremlin en France. Le lecteur pourra juger du manque de sérieux de la documentation de ce récent ouvrage assuré d’un énorme écho médiatique, phénomène qui démontre le caractère plus que jamais actuel de mon livre de 2012 L’histoire contemporaine toujours sous influence, Paris, Delga-Le temps des cerises.

Une « union européenne » à direction germano-américaine bien disposée envers la Russie, vraiment? Qu’est-il arrivé à certains, au moins, des « vingt intellectuels eurocritiques » qu’on avait pris pour des observateurs sérieux du « carcan » réservé de longue date aux « Européens » non détenteurs de profits monopolistes? Leurs « vœux pieux » européens traduisent-ils une nostalgie pour le « baiser Lamourette » de juillet 1792 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Baiser_Lamourette )?

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