dimanche 4 septembre 2016

La nuisance fataliste : Elon Musk

La nuisance fataliste #2 : Elon Musk 
Par Daniel Oberhaus, le 19 août 2016 - The Baffler / Le Partage (trad.)

Elon Musk est aujourd'hui une des (et peut-être LA) figures de proue du progressisme, un des emblèmes de la civilisation techno-industrielle, et un des ultra-riches promoteurs du capitalisme ; que les capitalistes, les progressistes, les transhumanistes, les machinistes et les technocrates l'adorent, on comprend bien, mais, étonnamment, et ce parce qu'une de ses corporations propose des panneaux solaires, qu'une autre propose des batteries pour panneaux solaires et des voitures électriques, entre autres, il est également apprécié (paradoxalement) dans le milieu de l'écologie (plus précisément, dans la partie du milieu de l'écologie où les problèmes de notre temps ne sont pas bien compris, malheureusement, la partie qui pense que continuer grosso modo avec la civilisation, le mode de vie et de confort que nous connaissons dans les pays développés, mais en optant pour des voitures électriques, des panneaux solaires, des éoliennes, des sacs en bioplastiques, des filtres OCB biodégradables, des biocarburants et tout le bio™-éco™-durable™-vert™-renouvelable™, nous sauvera, nous, ainsi que la planète et ses autres habitants, ou, parfois même, juste nous). En gros par les écocapitalistes, ceux qui confondent protection du vivant et capitalisme vert, ou les imaginent compatibles. C'est pourquoi il nous semblait intéressant d'examiner son délire.



Is life a video game? | Elon Musk | Code Conference 2016

Il y a de fortes chances pour que vous ayez eu vent de la déclaration délirante d’Elon Musk, le PDG de SpaceX et de Tesla, lors de la conférence de code Recode de cet été. Selon le chouchou de la Silicon Valley, « les chances pour que nous vivions dans la réalité sont d’une sur des milliards », ce qui signifie qu’il est quasiment certain que nous vivions dans une simulation informatique créée par une lointaine civilisation du futur. La pensée derrière la supposition de Musk se formule ainsi : il y a à peine quatre décennies, nos jeux vidéo ressemblaient à Pong, tandis qu’aujourd’hui, des millions de gens simultanément connectés jouent à des jeux photoréalistes. Même si la progression technologique était bien plus faible que cela, si vous projetez cette trajectoire 10 000 ans dans le futur, il n’est pas difficile d’imaginer une simulation complètement indifférenciable de la réalité. D’ailleurs, si Musk a raison, il s’agit de la réalité dont vous faites actuellement l’expérience.

La réponse spontanée d’Elon Musk à un membre de l’audience de la conférence a été universellement rapportée par la presse populaire, et dans les jours qui suivirent, elle devint une assertion à l’origine de 10 000 articles. Sans surprise, peut-être, chacun de ces articles (même ceux qui adoptaient une posture critique et tentaient de prouver que nous ne vivions pas dans une simulation) passèrent totalement à côté du message fondamental de l’affirmation d’Elon Musk. Un profond fatalisme sous-tend la vision de Musk d’une réalité simulée — une posture philosophique pratique (et dangereuse) pour celui dont le travail consiste à nous vendre le futur sous la forme d’automobiles Tesla, d’hyperloops et de voyages sur Mars. Et les critiques furent toutes aux abonnés absents.





La construction de la giga-usine d’Elon Musk dans le Nevada, le 4 novembre 2014. Y seront produites, à la chaine, des batteries au lithium. C’est beau l’écologie et la protection de la planète n’est-ce pas ?

La réalité fait mal?

La théorie de la simulation informatique semble nouvelle, mais sa prémisse de base découle en fait d’une riche tradition philosophique d’étude de la nature de la réalité. Bien que les simulations électroniques puissent sembler éloignées des démons du 17ème siècle de Descartes, un essai de 2003, écrit par Nick Bostrom, un philosophe assez reconnu, replace cette théorie au cœur, précisément, de cet héritage philosophique. L’essai « Vivez-vous dans une simulation informatique? » de Bostrom affirme qu’une des trois propositions suivantes est vraie :

1. Les humains disparaitront avant d’avoir la capacité technique de créer une simulation hyper-réaliste. [Et/ou la civilisation technologique s’effondrera avant cela, NdT]
2. Une civilisation avancée ayant la capacité technique de créer une simulation hyper-réaliste n’aurait aucun intérêt à le faire.
3. Nous vivons presque certainement dans une simulation informatique.

Bien que Bostrom ait récemment déclaré que « nous n’avons pas assez de preuves pour écarter n’importe laquelle de ces trois possibilités », le choix de Musk de placer des milliards de chances contre une sur la troisième proposition est révélateur. Étant donné qu’il n’y a pas assez de preuves pour dire qu’une des trois propositions de Bostrom est vraie, cela signifie que Musk choisit la troisième option et est donc motivé par autre chose que des preuves empiriques. Lors de la conférence Code, cette décision fut expliquée par la logique « regardez à quel point nous avons progressé depuis ‘Pong' », qui n’est logique qu’en ce qu’elle dessert la perspective fataliste d’Elon Musk.

Le fatalisme est communément conçu comme une attitude de résignation face à un futur inéluctable, mais une formulation plus rigoureuse du fatalisme, philosophiquement parlant, est la perspective selon laquelle nous sommes impuissants et incapables de faire autre chose que ce que nous faisons actuellement. Le fatalisme est finalement une posture concernant la nature de la réalité, parce que ce qui est « réel » porte une valeur de vérité — vrai/faux. En ce sens, le passé et le présent sont réels pour les non-fatalistes parce que toute affirmation les concernant est soit vraie soit fausse, mais le futur n’est pas réalisé — en ce qui le concerne, il est donc impossible de faire une affirmation qui soit vraie ou fausse, puisqu’il peut être changé. Pour les fatalistes, en revanche, le passé, le présent et le futur sont également réels — vous pouvez faire une déclaration de type vrai/faux à propos de tous ceux-là, indépendamment de ce que vous savez réellement quant à si cette déclaration est vraie ou fausse (la différence est importante). C’est pourquoi le fataliste ne peut faire autre chose que ce qu’il fait déjà — s’il le pouvait, il ne pourrait pas faire de déclaration de type vrai/faux.


Vue aérienne des bassins de décantation de la mine de Lithium exploitée par Soquimich, dans le Salar d'Atacama (Nord du Chili). Basta Mag mentionne cette compagnie en raison des pollutions liées aux mines qu'elle exploite dans un article en date de janvier 2016 : http://www.bastamag.net/Quand-l-industrie-miniere-asseche-les-fleuves-et-desertifie-les-villes

L’âme de l’homme selon SpaceX

Accrochez-vous, parce que les choses vont commencer à être bizarres.

Si nous adoptons la déclaration de foi de Musk, nous vivons alors dans une simulation informatique dans laquelle le présent simulé est l’an 2016. Le présent de la réalité de base est l’an 12016 — l’année durant laquelle les serveurs informatiques, qui alimentent notre simulation, fonctionnent. Si la simulation informatique est gérée par une société de l’an 12016, mais que nous faisons l’expérience de l’an 2016 dans la simulation, alors notre simulation de la réalité semblerait être un produit du futur, bien que la simulation soit en cours durant le présent « réel » (12016). Donc, pour ceux qui vivent dans une simulation créée par une civilisation future (vous, moi, et Musk), le « futur » d’après notre point de référence est vrai en vertu du fait que la simulation existe. Si le futur, tel que perçu par les sims, est vrai (ce qui signifie que des déclarations de type vrai/faux peuvent être faites à propos de 12016), alors il est impossible que les sims le changent. Une autre façon de l’exprimer est que si le futur est réel, alors les sims (nous) sont impuissants et incapables de faire autre chose que ce qu’ils font déjà.

Où nous mène toute cette logique de jeux-vidéo ? Si nous adoptons la posture d’Elon Musk, alors le passé, le présent et le futur, pour ceux qui vivent dans la simulation, sont tous également réels — et cela s’appelle du fatalisme. Le passé est vrai en vertu du fait que la civilisation de 12016 aurait besoin d’une vraie histoire sur laquelle baser sa simulation historique. Le futur est vrai en vertu du fait que nous vivons dans une simulation créée par une société avancée du futur. Notre présent, qui est à la fois 2016 et 12016 selon votre point de vue, est également réel, même dans la simulation — vous pouvez faire des déclarations de type vrai/faux à propos de notre réalité (simulée).

Étonnamment, embrasser l’idée selon laquelle nous vivons dans une simulation requiert que ceux qui vivent dans la simulation adoptent un point de vue fataliste. Ce à quoi Musk a fait référence lors de la conférence Code en disant « qu’il serait rationnel pour nous de penser que nous sommes parmi les esprits simulés, plutôt que parmi les esprits véritablement biologiques ». La question est donc : à qui le fatalisme « rationnel » de Musk profite-t-il ?

Par chance, ce problème a déjà été abordé il y a un siècle par Max Weber, même si dans un contexte différent. Dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Weber examine le lien entre les doctrines protestantes et la montée du capitalisme industriel occidental. A cet égard, la notion calviniste de prédestination est particulièrement intéressante.

La prédestination calviniste n’est qu’une des branches du fatalisme théologique, mais selon Weber, elle fut propagée afin que les ouvriers acceptent la réalité sociale dramatiquement changeante engendrée par l’avènement du capitalisme industriel, au profit de l’élite protestante. Aujourd’hui, nous faisons à nouveau l’expérience d’un changement dramatique au sein de notre réalité sociale, cette fois-ci engendré par la nouvelle course spatiale et par les retombées du changement climatique. Sans surprise, le champion du fatalisme moderne est aussi celui qui tire le plus profit de ces changements, via Tesla automobiles et SpaceX. Et une fois de plus, ce sont les ouvriers qui doivent réorienter leurs réalités afin de les faire correspondre aux visions du clergé de l’âge spatial.

Pour les protestants du 19ème siècle, cette réorientation de la réalité était appuyée par la promesse d’un salut éternel. Aujourd’hui, le recalibrage de notre réalité est appuyé par la promesse de colonies Martiennes — un salut séculaire, mais aussi distant que le paradis. Pour les protestants, leur salut était prédit dans les richesses terrestres, et pareil aujourd’hui : ceux qui sont sauvés sont ceux qui peuvent se payer une Tesla à 80 000 € ou un ticket pour Mars à 500 000 €.

A travers la vision de Musk d’une réalité qui serait simulée, il est possible d’apercevoir l’éthique de la Silicon Valley et l’esprit du capitalisme de l’âge spatial.

C’est pourquoi, sa promotion tacite du fatalisme, maquillée en conclusion logique d’une expérience de pensée totalement délirante, est finalement dangereuse, et doit être rejetée. La technologie qui nous a conduits au capitalisme industriel existait déjà du temps des calvinistes — leur lutte fut une lutte psychologique pour faire accepter aux gens les changements sociaux massifs générés par ces technologies. De la même façon, Musk envoie déjà des fusées vers des stations spatiales, et a déjà mis en place l’infrastructure de Tesla, mais lui aussi doit mener une lutte mentale [une campagne d’acceptation psychologique, NdT] pour faire accepter au reste d’entre nous le futur qu’il crée à son image.

En adoptant une posture selon laquelle nous sommes impuissants et incapables de faire autre chose que ce que nous faisons déjà, Elon Musk, ainsi que l’ensemble des consommateurs, se trouvent absous de toute responsabilité. De plus, en rejetant les deux autres options de Bostrom, Musk sous-entend que l’espèce humaine ne va pas s’autodétruire à travers ses propres avancées technologiques (après tout, nous avons atteint 12016 !) et que les humains de 10 000 ans dans le futur désireront toujours à peu près les mêmes choses que les humains d’aujourd’hui — à savoir, principalement des jeux-vidéo hyper-réalistes. Ce qui rend par-là même caduque la volonté critique nécessaire pour faire face au développement technologique incontrôlé (volonté critique qui serait gênante pour un type qui bosse dans le domaine du développement technologique incontrôlé) et pour réfléchir à ce que nous voulons réellement.

Ne vous y trompez pas : l’homme qui s’est exclamé “Nique la Terre” sait ce que vous voulez. Et il le vend.

* * *

Vous vivez dans une simulation et les mathématiques le prouvent.
le 9 mai 2011 - Gurumed 

Votre vie, est-elle vraiment votre vie, ou est-elle actuellement, le rêve d’un papillon ? Ou est-ce une simulation informatique complexe, indiscernable de la réalité "réelle" ? Pour reprendre Matrix, ne vous inquiétez pas, c’est juste une défaillance électronique dans la matrice. Cela arrive, lors d’une mise à jour.

Le philosophe chinois Tchouang-tseu (ou Zhuāngzǐ) a remarqué, aux environs de l’an 300 avant notre ère, que ses rêves d’être autre chose qu’un humain (un papillon, pour le plus célèbre) étaient impossibles à distinguer de son expérience d’être Zhuāngzǐ. Il ne pouvait pas dire avec certitude qu’il était Zhuangzi rêvant d’être un papillon, plutôt qu’un papillon rêvant d’être Zhuangzi. La question de la nature profonde de la réalité est posée et fait écho à certains développements des écoles mystiques indiennes.

L’ensemble de l’idée «la réalité est une illusion" a été rejeté par tout le monde, de Siddhârta aux existentialistes.C’est le philosophe suédois Nick Bostrom de l’université d’Oxford, qui est le plus souvent associé à l’idée que nous vivons dans une simulation informatique.

Son principe est basé sur une série d’hypothèses :

1). Une société technologique pourrait éventuellement atteindre la capacité de créer une simulation par ordinateur qui rend indiscernable la réalité de la simulation pour les habitants.
2). Une telle société ne le ferait pas une fois ou deux. Elles créeraient de nombreux types de simulations.
3). Les laissant suffisamment de temps, les sociétés dans les simulations seraient finalement en mesure de créer leurs propres simulations, aussi impossibles à distinguer de la réalité pour les habitants des “sous-simulations”.

Par conséquent, vous avez des milliards de simulations, avec un nombre presque infini de cascade de sous-simulations, toutes parfaitement réelles pour ceux qui y logent. Pourtant, il n’y a qu’une seule et ultime société génitrice. Le calcul est en fait assez simple : les chances sont presque infinies à ce que nous vivions tous dans une simulation informatique.

C’est à ce moment-là de mon article, qu’il faut éviter de prendre sa voiture pour foncer contre une foule de passant et autre fantaisie à la GTA4 (image d’entête)…

L’un des arguments les plus forts, contre cette troublante théorie, est qu’un ordinateur avec la puissance de calcul pour accomplir cela, est inconcevable. Mettant de côté le fait que la puissance de calcul d’aujourd’hui, semblait surement inimaginable il y a 100 ans, il y a une solution plus intéressante : l’ordinateur simulerait activement, seulement, ce qui doit l’être. C’est déjà ce qui se passe réellement, dans les jeux informatiques modernes et vous l’avez sans doute remarqué si vous vous êtes déjà déplacé plus rapidement que ce que votre carte graphique peut générer comme paysage, comme les arbres et les bâtiments qui se dessinent au fur et à mesure que vous avancez. Cela explique actuellement quelques un des plus délicats domaines de la physique quantique, comme : pourquoi les particules ont une position indéterminée, jusqu’à ce qu’ils soient observés. Pour en avoir une représentation mon article Le Large Hadron Collider pourrait être la première machine à remonter le temps.

Plus inquiétant encore, elle pourrait être, une beaucoup plus petite simulation, que vous ne le pensez. Il pourrait y avoir que quelques habitants de la simulation active, avec le reste du monde parsemé de «non-acteurs» ou de personnages contrôlés par l’ordinateur. Leurs actions ne sont simulées qu’au moment où vous les percevez, exécutées avec soin, de manière à présenter l’illusion qu’ils ont tous une vie séparée de la vôtre.

Et pour conclure : pour suivre Zhuāngzǐ, il y a près de sept milliards de personnes dans le monde. Ils dorment tous. Ils rêvent tous. Il y a des chances que nous vivions tous dans le rêve (ou le cauchemar) agité, de quelqu’un d’autre.

À méditer…Clignement d'œil

L’argumentaire du philosophe Nick Bostrom : Are you living in a computer simulation ?

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