mardi 13 mars 2012

Bistami ou Bistami Abu Yazid Tayfur Ibn'Isa Surushan Al


Bistami Abu Yazid Tayfur Ibn'Isa Surushan Al (mort en 857 ou 874). Mystique musulman qui vit à Bisṭām (Khurāsān) et y meurt. Son enseignement est oral; on recueille ses maximes, transmises par son neveu et disciple ; on les commente et on en tire même une véritable légende dorée.

Al-Bisṭāmī (connu aussi sous le nom de Abū Yazīd) a le sens aigu de la grandeur de Dieu. Il voit la réalité humaine comme un obstacle qu'il faut détruire par le fanā' (« annihilation ») afin de parvenir jusqu'à Dieu. La Loi, les promesses du paradis qu'elle apporte ne donnent pas Dieu lui-même ; il faut aller au-delà et déjouer les « ruses » que sont les descriptions des joies célestes mais qui laissent l'homme, comme c'est le cas du Prophète, à deux portées d'arc, ou un peu moins, du Seigneur en majesté (Coran, LIII, 9). C'est, en effet, par ces promesses que Dieu protège son propre mystère.

Mais, quand il s'est dépouillé de son moi « par un entraînement ascétique implacable et forcené » (L. Massignon), al-Bisṭāmī fait l'expérience transfigurante de l'unique présence de Dieu en lui-même. De là viennent les locutions théopathiques (shaṭaḥāt) qu'on lui a sévèrement reprochées (al-Ḥallādj, qui admet ces locutions et qui dit : « Je suis la Vérité créatrice », pense qu'il s'est trop pressé et qu'il parle ainsi avant d'avoir totalement anéanti son moi). Al-Bisṭāmī s'écrie, par exemple : « Las à moi ! Que ma gloire est grande ! »

Il est vraiment un passionné de Dieu, de l'unité, de l'exclusivité de Dieu, de son unicité, de son éternité, de son ipséité. Cette passion s'exprime bien dans le dialogue qu'il échangea avec Yahyā b. Mu‘adh à propos de la coupe mystique : d'une goutte de vin Yahyā est désaltéré. Mais al-Bisṭāmī, enivré, réclame encore à boire : « J'ai bu l'amour coupe après coupe. Le vin n'a pas manqué et je ne suis pas désaltéré. »
Source du texte : universalis


Bibliographie (en français) :
- Les dits de Bistami, Ed. Fayard, 1989
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392.
J'avais regardé Dieu avec l'oeil de la science certaine après qu'Il m'eut détourné de tout ce qui n'est pas Lui et éclairé par Sa lumière. Il me montra les merveilles de Son mystère. Il me montra Son Soi et je regardai ma lumière par Sa lumière, ma gloire  par Sa gloire, ma puissance par Sa puissance. Et je vis mon ego par Son Soi, et ma grandeur par Sa grandeur, et ma dignité par Sa dignité. Je Le vis avec l'oeil du Vrai et Lui dit :
- Qui est celui-là ?
Il dit :
- Celui-là n'est ni Moi ni autre que Moi, point de Dieu hormis Moi.
Et Il changea mon ego par Son Soi. Il fit disparaître mon moi en Son Soi et me montra Son Soi seul que je vis par Son Soi. Regardant le Vrai par le Vrai, je vis le Vrai par le Vrai, et je demeurais dans le Vrai par le Vrai un temps où je m'étais trouvé sans souffle, ni langue, ni oreille, j'étais sans savoir et Dieu créa en moi un savoir issu de Sa science, et une langue provenant de Sa faveur, et un oeil émanant de Sa lumière. Et je Le regardai par Sa lumière, et je savais pas Sa science, et je me confiais à Lui dans la langue de Sa faveur. Et je dis :
- Qu'en est-il de Toi ?
Il dit :
- Je suis à toi par toi, point de Dieu hormis toi.
Je dis :
- Ne me trompe pas par mon propre moi. Je ne serais pas satisfait de Toi si je passais par moi et non par Toi, mais je serais satisfait de Toi si je passais par Toi et non par moi.
Il m'accorda le bienfait de Sa présence sans passer par moi. Et je me confiais à Lui sans passer par moi.
Je dis :
-  Ce que j'ai m'a été accordé par Ta main généreuse, o mon espérance.
Il dit :
- A toi de te soumettre à mon commandement et à Mon interdit.
Je dis :
- Qu'ai-je à faire avec Ton commandement et de Ton interdit ? 
Il dit : 
- L'éloge que Je t'adresse est dans Mon commandement et Mon interdit. Je te félicite d'avoir accepté Mon commandement. Et Je t'aime pour avoir respecté Mon interdit. 
Je dis : 
- En me félicitant, c'est Toi-même que tu félicites, et lorsque Tu blâmes, ce ne peut être que Toi l'objet cu blâme, o mon espérance, espoir dans mes calamités, remède à mes malheurs. Tu es le commandeur et le commandé, point de Dieu autre que Toi. 
Il se tut. Je sus que Son silence était Son consentement. Puis Il dit : 
- Qui t'a appris ?
Je dis :
- Celui qui interroge est plus savant que celui qui est interrogé. Tu es Celui qui répond et Celui à qui Tu réponds. Celui qui interroge et Celui qui est interrogé. Point de Dieu autre que Toi.
Il me dispensa de Sa preuve. Et je fus satisfait de Lui par Lui et Il fut satisfait de moi par Lui : me voilà donc étant par Lui tandis que Lui demeurait Lui, point de Dieu hormis Lui. Puis Il m'éclaira par la lumière de l'essence, et je me mis à Le regarder avec l'oeil de la grâce. Il dit :
- Demande ce que tu veux de Ma grâce, Je te donnerai.
Je dis :
- Je Te préfère à Ta grâce, à Ta générosité. Je suis satisfait de Toi par Toi. C'est à Toi que j'aboutis. Ne me propose rien d'autre. Viens à moi sans rien d'autre que Toi. Ne me séduis pas par Ta faveur, Ta générosité, Ta grâce. La grâce provient de Toi à jamais et à Toi elle retourne. Tu es Celui qui promet et la chose promise, Celui qui désire et la chose désirée, laquelle s'est détachée de Toi. De même la question s'est détachée de Toi par Toi.
Il garda longtemps le silence. Puis Il me répondit :
- Ce que tu as dit est vrai, vrai ce que tu as entendu, vrai ce que tu as vu, vrai ce que tu as authentifié.
Je dis :
- Assurément. Tu es le Vrai, et par le Vrai est perçu le Vrai. Tu es le Vrai et par le Vrai est authentifié le Vrai. Et c'est à l'adresse du Vrai et par le Vrai que s'entend le Vrai. Tu es Celui qui entent et Cela qui s'entent. Tu es le Vrai et Cela qui est authentifié. Point de Dieu autre que Toi.
Il dit :
- Tu n'es rien sinon le Vrai. Par le Vrai, tu as parlé.
Je dis :
- C'est Toi le Vrai. Ta parole est vraie. Et le Vrai par Toi est vrai. Tu es Toi, point de Dieu autre que Toi.
Il me dit :
- Et toi, qu'es-tu ?
Je Lui dis :
- Et Toi qu'es-tu ?
Il me dit :
- Je suis le Vrai.
Je dis :
- Je suis par Toi.
Il dit :
- Si tu es par Moi, Je suis toi et tu es Moi.
Je dis :
- Ne me trompe pas par Toi sur Toi. Assurément, Tu es Toi, point de Dieu autre que Toi.
Et quand j'allai vers le Vrai et que je séjournai avec le Vrai par le Vrai, Il créa pour moi les ailes de la gloire et de la magnificence. Je volai de mes ailes. Mais je ne pus atteindre la limite de Sa gloire et de Sa magnificence. Je L'appelai pour que le secours vint de Lui, par Lui afin de pallier mon incapacité d'être avec Lui sinon par Lui. Il me regarda avec l'oeil de la prodigalité. Il me rendit fort par Sa force, il me para, Il me couronna du diadème de Sa noblesse, Il m'isola dans Son esseulement et Son unicité, Il me fit porter Ses attributs que jamais Il ne partage. Puis Il me dit :
- Sois unique dans Mon unicité, esseulé dans Mon esseulement, lève ta tête couronnée du diadème de Ma noblesse, sois altier dans Ma gloire, majestueux dans Ma Toute-Puissance, va vers Mes créatures avec Mes attributs : que Je voie Mon Soi dans ton moi. Ainsi qui te verrait Me verrait, qui viendrait à toi viendrait à Moi. O Ma lumière dans Ma terre, Ma parure dans Mon ciel.
Je dis :
- Tu es mon oeil dans mon oeil, ma science dans mon ignorance. Sois Ta propre lumière, montre-Toi par Toi-même. Point de Dieu hormis Toi.
Il me répondit dans la langue du consentement et dit :
- Comme tu es savant, serviteur !
Je dis :
- Tu es le Savant et Ce qui est su, Tu es l'Esseulé et le Seul, Tu T'isoles dans Ton esseulement, Tu es Unique dans Ton unicité. Ne me divertis pas de Toi par Toi.
Et Il me dispensa de Sa preuve dans Son esseulement et par Son unicité dans Son unicité. Et je séjournais auprès de Lui, sans m'être isolé dans Son esseulement. Je séjournais avec Lui par Lui. Il annihila mes attributs dans Ses attributs, et destitua mon nom par Son nom, et effaça mon antériorité par Son antériorité. Et je Le regardais en Son essence, laquelle ne peut être perçue par ceux qui décrivent, ni atteinte par ceux qui savent, ni saisie par ceux qui oeuvrent. Et Il me regarda avec l'oeil de l'essence après que fut destitué mon nom, que furent effacés mes attributs, mon antériorité, ma postérité, ma qualité. Il m'appela par Son nom, et me surnomma par Son Soi et se confia à moi dans Son unicité.
Il dit :
- O Moi !
Je dis :
- O Toi !
Il me dit :
- O toi !
Et Il me dispensa de Sa preuve. A peine m'appelait-Il par un de Ses noms que je L'appelais par le même nom, à peine m'attribuait-Il un de Ses attributs que le le Lui rendais. Et je fus coupé de toute chose par Lui. J'étais resté longtemps sans esprit, ni corps, comme mort. Puis Il me fit revivre après m'avoir fait mourir. Et Il dit :
- A qui appartient le règne aujourd'hui ?
Comme Il m'avait ressuscité, je dis :
- A Dieu l'Un, l’Irrésistible.
Il dit :
- A qui le nom ?
Je dis :
- A Dieu l'Un, l’Irrésistible.
Il dit :
- A qui le jugement ?
Je dis :
- A Dieu l'Un, l'Irrésistible.
Il dit :
- A qui le choix ?
Je dis :
- Au Seigneur Très Puissant.
Il dit :
- Je t'ai redonné vie par Ma vie et Je te concède Mon règne, et Je t'appelle par Mon nom, et Je te laisse juger par Mon jugement, et Je te convaincs de Mon choix et Je te mets en accord avec les noms de la souveraineté et les attributs de l'éternité.
Je dis :
- Je ne sais pas ce que Tu veux. J'étais à moi, Tu n'avais pas consenti.. J'étais à Toi par Toi, Tu n'avais pas consenti.
Il dit :
- Ne sois pas à toi ni à Moi. Je suis à toi où tu n'es pas. Sois donc à Moi où tu n'es pas. Et sois à toi où tu es déjà avant d'être à Moi là aussi.
Je dis :
- Mais je ne puis agir ainsi que par Toi.
Il me regarda avec l'oeil de la puissance. Il m'anéantit par Son être et se manifesta en moi par Son essence. Je fus par Lui. Et Il interrompit le dialogue intime. La parole devint une. Tout, en tout, devint un.
Il me dit :
- O Toi.
Je dis par Lui :
- O Moi.
Il me dit :
- Tu es l'Esseulé.
Je dis :
- Je suis l'Esseulé.
Il me dit :
- Tu es Toi.
Je dis :
- Je suis Moi. Si j'étais Moi en tant que moi, je ne dirais pas "Je suis Moi". Mais comme je ne suis pas moi, sois donc Toi, Toi.
Il me dit :
- Moi, Je suis Moi, que Je parle par Son ego ou par Son Soi, Ma parole atteste l'unicité. Mes attributs sont les attributs de la souveraineté et Ma langue est la langue de l'unicité. Et Mes attributs témoignent qu'Il est Lui, point de Dieu hormis Lui. Tout ce qui fut le fut par Son être tel qu'il aura été. Et tout ce qui sera par Son être, le sera comme il sera. Mes attributs sont ceux de la souveraineté, Mes allusions sont celles de l'éternité, et Ma langue est celle de l'unicité.
Extrait de : Les dits de Bistami
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414.
Il me rendit fou par mon propre moi, j'ai trépassé. Il me rendit fou par Lui, j'ai survécu. Il me rendit fou par Lui et moi ensemble, je suis entré dans l'absence. Puis il me déposa sur la marche de la lucidité et m'interrogea sur mes états. Je dis :
- Venant de moi la folie est anéantissement, de Toi elle est pérennité, de Toi et moi, elle est clarté. Et en tout état, Tu es l'édifice préféré.

419.
Abu Yazid était à La Mecque avec un de ses élèves. Quand il entra à Médine, La Mecque vint et tourna autour de lui. Or, son élève perdit connaissance et tomba à terre. Quand il retrouva ses esprits, Abu Yazid lui caressa la tête et dit :
- Tu fus surpris.
- Oui.
- Par Dieu, si c'était Bistam qui était venu à moi cela n'aurait pas été assez.

421.
J'ai convié mon moi à Dieu, il se rétracta, je l'ai abandonné, je suis allé à Lui seul.

429.
- Tu es Abu Yazid !
- Mais qui est Abu Yazid ? Qui le connait ? Abu Yazid appelle Abu Yazid et ne le trouve pas.

432.
Les êtres ont des états, l'initié n'en a pas. Les vestiges de son moi se sont effacés. Il ne contemple que Dieu Très Haut, dans le sommeil, dans la veille.

434.
Je suis étonné quand on dit
J'invoque mon Seigneur
L'ai-je oublié pour L'invoquer ?
J'ai bu l'amour coupe après coupe
Il y a toujours à boire
Et j'ai soif encore.

436.
Un des amis d'Abu Yazid raconte :
"Je connaissais un jeune homme consacré à la retraite. Je lui demandai :
- As-tu vu Abu Yazid ?
- Non.
Quelques jours plus tard, à la même question, il répondit aussi :
- Non.
Sur mon instance, il m'expliqua :
- J'ai vu Dieu, je me passe d'Abu Yazid.
Je le harcela. En vain. Il m'irrita. Je dis :
- Voir Abu Yazid une fois te serait plus utile que voir Dieu soixante-dix fois.
Il dit :
- Allons à lui.
Nous partimes à la recherche d'Abu Yazid. Le voilà sortant du fleuve la pelisse renversée sur l'épaule. A sa vue, le jeune homme cria et expira. Je dis à Abu Yazid :
- Que signifie cela ? Il affirme avoir vu Dieu et il n'en est pas mort, il te voit et il meurt ?
- Oui. Il voyait Dieu à la mesure de son état. En me regardant, il vit Dieu à la mesure de mon état, ne pouvant s'y maintenir, il est mort.
Puis, nous l'avons transporté, lavé, enveloppé dans un linceul, Abu Yazid pria sur lui, l'inhuma et pleura."

451.
- Qu'est-ce que le paradis ?
- Un jeu d'enfants.

460.
- Quel âge as-tu ?
- Quatre ans.
- Comment est-ce possible ?
- Pendant soixante-dis ans, j'étais voilé, je ne Le vois que depuis quatre ans, le temps du voile ne compte pas.

462.
La contraction du coeur dans la dilatation du moi, et la dilatation du coeur dans la contraction du moi.

463.
- Qui est le prince ?
- Qui n'a plus de choix, le choix du Vrai devient le sien.

464.
L'impiété de ceux qui aspirent ardemment est plus saine que la foi des indolents.
Extrait de : Les dits de Bistami
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