jeudi 19 mars 2015

«Je me sens Charlie Coulibaly» - Suite

MAJ de la page : Première dérive sécuritaire ? Ou liberté d'expression sélective ? 


Dieudonné avait expliqué s'être senti exclu de la marche parisienne.


«Je me sens Charlie Coulibaly»: Dieudonné est condamné
Le 18 mars 2015 - TDG
L'humoriste français écope de deux mois de prison pour avoir posté sur Facebook qu'il se sentait «Charlie Coulibaly» après les attentats de début janvier à Paris.

L'humoriste français Dieudonné a été condamné mercredi à deux mois de prison avec sursis pour apologie d'actes de terrorisme. Il était jugé pour avoir posté sur Facebook qu'il se sentait «Charlie Coulibaly» au lendemain des attentats de début janvier à Paris. Il devra également verser un euro symbolique à deux associations qui se sont constituées partie civile.
Ni Dieudonné ni ses avocats n'ont assisté à la lecture du délibéré. Interrogé par Reuters, son conseil n'a pas souhaité s'exprimer dans l'immédiat. Au total, le parquet avait demandé 200 jours-amende à 150 euros à l'encontre du polémiste, soit 30'000 euros d'amende. Il encourait jusqu'à 7 ans de prison et 100 000 euros d'amende, les faits présumés ayant été commis en ligne.

Le 11 janvier dernier, au soir d'une grande marche citoyenne en hommage aux victimes des attentats, l'humoriste avait souligné qu'il se sentait «Charlie Coulibaly», détournant le slogan «Je suis Charlie». Dieudonné faisait alors référence à l'un des trois auteurs des attaques, Amedy Coulibaly, qui a tué une policière et quatre juifs dans un supermarché casher à la Porte de Vincennes à Paris.
Ses déclarations avaient ensuite été retirées de sa page Facebook. Devant le tribunal correctionnel de Paris, le 4 février dernier, Dieudonné avait indiqué condamner «sans aucune retenue» les attaques des 7, 8 et 9 janvier. Il avait expliqué s'être senti exclu de la marche parisienne et traité «comme un terroriste» par les autorités.
«C'était une expression qui était en gestation dans ma recherche de paix», avait-il alors poursuivi, affirmant ne pas avoir voulu choquer les familles des victimes et regrettant que ses déclarations aient été «détournées».
Source : TDG
 

Dieudonné condamné à 2 mois avec sursis : la justice n'a pas vocation à réprimer l'ironie
Par Gaëlle Audrain-Demey, Doctorante en droit, le 19 mars 2015 - Le Nouvel Obs.

Dieudonné a été condamné, mercredi 18 mars, à deux mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme. Le 11 janvier dernier, le polémiste avait déclaré sur sa page Facebook qu'il se sentait "Charlie Coulibaly". Que penser de cette condamnation ? Pour François Lamarre, étudiant en droit et Gaëlle Audrain-Demey, doctorante en droit, elle est hautement contestable.  

Le 11 janvier dernier, alors que la France et une partie du monde descendait dans la rue pour défendre la liberté d'expression, Dieudonné se faisait remarquer une fois de plus par un statut posté sur Facebook, qui détournait le slogan-symbole "Je suis Charlie", en y juxtaposant le nom du preneur d'otages de la Porte de Vincennes.

Des propos provocants mais pas dangereux 

Il convient – et comme cela est trop rarement fait – de remettre ses mots dans leur contexte. Une procédure ayant été immédiatement engagée à son encontre pour apologie d'actes de terrorisme, Dieudonné avait déclaré devant le tribunal correctionnel condamner "sans aucune retenue et sans aucune ambiguïté" les attentats du 7 janvier.
Il avait ensuite affirmé avoir manifesté auprès du ministère de l'Intérieur sa volonté de participer à la marche du 11 janvier. Sa demande étant, selon ses dires, restée lettre morte, il se serait senti personna non grata, "exclu" et traité "comme un terroriste".
Il avait donc réagi sur son profil Facebook, qualifiant la marche républicaine d'"instant magique égal au big-bang qui créa l'univers". Mais il avait poursuivi – et c'est là que le scandale arrive – par ces mots :
"Ce soir, je me sens Charlie Coulibaly".
Au regard du contexte et des explications constantes de l'intéressé, on conviendra que bien que provocants, ces propos sont loin d'être aussi dangereux que cela a pu l'être soutenu. En aucun cas, ils ne devraient être rapprochés de ceux, véritablement scandaleux, qui lui ont déjà valu plusieurs condamnations.

Une condamnation qui touche la liberté d'expression

D'un point de vue purement juridique, la décision du 18 mars, qui le condamne à deux mois de prison avec sursis, est hautement contestable. L'article 421-2-5 du Code pénal dispose que le fait de faire publiquement l'apologie d'actes de terrorisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de 10.000 euros d'amende, lorsque cela a été fait en utilisant un service de communication au public en ligne.
Faire l'apologie du terrorisme, si l’on en croit tout dictionnaire, c'est soutenir ces actions, les justifier, les valoriser, souhaiter leur renouvellement, sans aucune ambiguïté. Or les propos de Dieudonné, courts, vagues, expliqués de manière non-haineuse par l'intéressé ne constituent pas une apologie.
Il est difficile d'en retirer sans mauvaise foi une interprétation certaine. Ils peuvent certes être considérés comme choquants, mais la justice n'a pas vocation à réprimer le cynisme ou l'ironie.
Si cette condamnation repose sur l’apologie du terrorisme, elle touche de très près à la liberté d’expression, et aux limites qui doivent ou ne doivent pas lui être fixées.

L'émotion triomphe sur le droit

L'un des principes fondamentaux du droit pénal, le principe de légalité, repose sur l'interprétation stricte de la loi. Il s'agit de permettre une certaine protection des citoyens face à l'arbitraire du juge, de ne pas étendre la règle de droit à des situations qu'elle ne vise pas, afin d'assurer une certaine sécurité juridique et une prévisibilité de la sanction si elle est nécessaire.
La loi pénale doit définir clairement ce que l'on a pas le droit de faire. Quand elle induit un doute, c'est que la loi n'a pas rempli son office. Plus que n’importe quelle autre, la loi pénale se doit d’être claire, ferme et précise, notamment en matière de liberté d'expression, pour assurer l’exercice de celle-ci.
Le citoyen ne doit pas craindre de s'exprimer librement ! Utiliser la loi contre l'apologie du terrorisme pour condamner des propos cyniques, dont l'interprétation est incertaine, revient à renier l'esprit du principe, mais également son objectif.
C’est ici une intention qui semble condamnée, une idée qui semble avoir été lue derrière les mots, qui pourtant n'en ressortait pas. Cette décision disproportionnée fait triompher (dans un contexte certes éprouvant pour tout français attaché à ses valeurs) l'émotion sur le droit.
Tordre les concepts juridiques, afin de réprimer un comportement que l'on estime moralement condamnable, est plus que contestable.

Une épée de Damoclès pénale

Il est très facile de vider la liberté d'expression de sa substance, elle est particulièrement fragile sur ce point. Toute restriction à la liberté d'expression doit s'apprécier de manière proportionnée, particulièrement celles issues du droit.
La longue succession de provocations de Dieudonné depuis quelques années a déchaîné les passions, et attaché à ce personnage une réputation sulfureuse, teintée de scandale et d’antisémitisme.
Cependant, on ne peut présumer l'intention en matière de liberté d'expression, car cela reviendrait à dire que toute personne ayant outrepassé une fois ses droits en la matière ne pourrait plus jamais s'exprimer, sans que plane sur elle une épée de Damoclès pénale, prête à orienter elle-même l'interprétation de propos douteux.
On reste dès lors songeur quant à l'effectivité de la liberté d'expression... La personnalité de l'auteur des propos contestés ne doit donc jamais intervenir comme un élément à charge.

Une liberté d'expression à dimension variable

Condamner Dieudonné pour ces propos précis, c'est lui donner raison, c’est faire exister la persécution dont il se dit victime, et donner raison à tous ceux qui, après les attentats, ont affirmé que la liberté d'expression était un droit à dimension variable.
On ne peut accepter que certains propos dans l’air du temps soient tolérés, et que d’autres soient condamnés alors qu’ils ne relèvent pas d’une atteinte manifestement disproportionnée à certains droits et intérêts.
Défendre la liberté d'outrage de "Charlie Hebdo" par de grandes déclarations, par des appels aux valeurs renouvelés, des marches solennelles, pour finir par condamner ces propos, c’est renier l’esprit de la mobilisation de janvier. Voltaire Evelyn Beatrice Hall disait :
"Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire".
On a longtemps attribué cette phrase à Voltaire, dont on redécouvre aujourd'hui le "Traité sur la tolérance".
La question n’est pas ici de défendre un homme, mais un principe primordial. Plus qu'un paradoxe, ne pas le faire après le 11 janvier serait une véritable hypocrisie.
Source : Le Nouvel'Obs

1 commentaire:

  1. D'accord à 200% avec cet article, et pourtant je ne trouve aucun humour à l'antipathique Dieudonné.

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