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dimanche 12 avril 2015
Thomas Sankara et la dette
Intervention de Thomas Sankara a la tribune de l'ONU (octobre 1984).
Discours de Thomas Sankara a Addis Adeba sur la dette
Thomas Sankara est un homme politique anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste burkinabé. Il est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso.
Il incarne et dirige la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amène au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Il fait notamment changer le nom de la Haute-Volta, nom issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine : Burkina Faso, qui est un mélange de moré et de dioula et signifie pays des hommes intègres. Il conduit une politique d'affranchissement du peuple burkinabè. Son gouvernement entreprend des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l'éducation, l'agriculture et le statut des femmes.
Source (et suite) du texte : wikipedia
Site dédié : Thomas Sankara
"Thomas Sankara, un révolutionnaire" de Jean Ziegler
En 1987, le charismatique chef de l’État prononça un « Discours sur la dette » d’une clairvoyance inégalée, démontrant comment la dette et son service sont l’un des plus moyens de domination du Nord sur le Sud. Témoignage de Jean Ziegler[*], l’ami de Sankara.
Sankara avait-il, par une étrange prémonition, pressenti son assassinat ? Nous nous étions rencontrés pour la dernière fois, Sankara, ma femme Érica et moi, le 12 septembre 1987 à Addis-Abeba, au lendemain de la proclamation de la République populaire démocratique d’Ethiopie. Dans sa résidence, le soir, nous discutions du destin de Che Guevara, exécuté vingt ans auparavant dans les montagnes d’Higuieras en Bolivie. Tout à coup, il me demanda : « Quel âge avait donc le Che au moment de mourir ? » « 39 ans et 8 mois », répondis-je. Et Sankara, songeur, de murmurer : « Atteindrai-je jamais cet âge-là ? J’en doute... » S’il avait survécu, Sankara aurait eu 38 ans en décembre 1987. L’expérience de Sankara et de ses compagnons de lutte est unique en Afrique et dans le Tiers Monde. L’assassinat de cet homme exceptionnel l’après-midi du 15 octobre 1987, un mois après notre conversation amère, fut une tragédie pour l’Afrique entière. [...]
Le discours sur la dette tenu le 29 juillet 1987 devant les chefs d’État africains dans l’immense Africa Hall d’Addis-Abeba est probablement, parmi tous les discours de Sankara, le plus impitoyable, le plus profondément intelligent. Il mettait radicalement en question le système international qui écrase l’Afrique. Les propos tenus ce jour-là par le président du Burkina Faso sont d’une totale actualité. Avant de les analyser, je voudrais rappeler en quelques mots ce qui fonde l’autorité, la crédibilité et le rayonnement de la parole du jeune capitaine. Son discours sur la dette est nourri de son expérience publique et sociale, personnelle et singulière.
Thomas Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako, une ville sise à l’entrée du Sahel, entre Kaya et Ouahigouya, sur la route reliant Ouagadougou au Mali, dans le royaume mossi du Yatenga. Sa mère, Marguerite, était mossi ; son père, Joseph, peul. Thomas était le troisième de dix enfants. En 1949, son père, ancien soldat colonial, était vacataire au service des postes. La famille vivait sous la colonie française l’existence pénible du prolétariat urbain.
La personnalité de Sankara était frappée d’un curieux paradoxe : chaleureux, extraverti, passionné de débats, tendu jusqu’à l’extrême par la volonté de convaincre, rieur, aimant la musique, la fête, amateur de veillées interminables, convivial, il était en même temps un homme secret, solitaire, fermé presque.
Ni « vrai mossi », ni « vrai peul », dans un pays où l’identité ethnique fonde tous les rapports sociaux, Sankara semble avoir été obligé très tôt de se définir lui-même par ses propres actes, ses propres convictions.
Plusieurs dirigeants africains partagent cette condition : Patrice Lumumba n’était issu d’aucune des grandes ethnies homogènes du Congo ; il était mutelela, une ethnie « bâtarde » dispersée à travers tout le bassin congolais par les campagnes des armées esclavagistes du sultan de Zanzibar ; le Ghanéen Kwame N’Krumah était né dans la petite ethnie des Nzimah, insignifiante, méprisée par les ressortissants de l’empire ashanti et des royaumes ewe.
La conquête de sa propre identité fut une épreuve pour le jeune Thomas Sankara. Si les féodaux mossis, aristocrates du royaume et maîtres de la terre, regardaient de travers ce fils de Peul, les Peuls eux-mêmes ne l’acceptaient pas comme un des leurs. [...]
L’intégration subversive
A son retour à Ouagadougou fin 1978 (d’un stage militaire politiquement formateur à Madagascar et d’un autre au Maroc, ndlr), Sankara fut nommé commandant des unités de commandos. Commença alors le travail raisonné, méthodique, du révolutionnaire. Prise de contact discrète avec des camarades dont l’humiliation personnelle, l’expérience politique étaient proches des siennes. Inventaire documenté des contradictions, des dysfonctions du système politique, de la structure économique de l’État néocolonial. [...]
Pendant tout ce temps, Sankara et ses amis poursuivaient leurs carrières institutionnelles : ils pratiquaient l’intégration subversive. Sankara devint secrétaire d’État à l’Information en 1982. Son évidente intelligence et sa popularité amenèrent les dirigeants néocoloniaux à commettre une erreur fatale : Sankara fut nommé premier ministre par le président Jean-Baptiste Ouedraogo. À peine entré en fonction, il partit pour New Delhi où se réunissaient en janvier 1983 les chefs d’État et chefs de gouvernement des pays non alignés.
À New Delhi, son discours en séance plénière, ses interventions en commission - déjà marqués par ce mélange explosif de pédagogie populaire, de récit africain et d’analyse conceptuelle qui constitueront plus tard toute la séduction du dirigeant révolutionnaire - firent impression. Fidel Castro, président en exercice du mouvement des non alignés, l’invita un soir dans sa villa. Cette rencontre représente un tournant dans la vie de Sankara. De plusieurs manières : Sankara découvrait concrètement les revendications, les désirs de libération communs aux peuples du Tiers Monde. Il se sentit reconnu, encouragé par un révolutionnaire qui - au prix d’une formidable patience - avait su briser le carcan de la misère dans son pays. [...]
Autre conséquence de la conférence de New Delhi : les services secrets occidentaux - et notamment français - commencèrent à s’intéresser de près à ce jeune capitaine trop cultivé, trop intelligent, trop libre d’esprit. [...]
Le 17 mai, Sankara fut arrêté. Les 20 et 21 mai, trois jours après l’arrestation de Sankara et son transfert au camp militaire de Dori, Ouagadougou explosa : les étudiants de l’université, les élèves du secondaire, les petits fonctionnaires guidés par la Lipad (Ligue patriotique pour le développement) et l’ULC (Unité et lutte communistes) envahirent la capitale, exigeant la libération du capitaine. Juchés sur leurs Mobylettes, sur des charrettes tirées par des ânes, à vélo, à pied, dans des autobus bringuebalants, de tous les faubourgs, des bourgs environnants, les travailleurs, les chômeurs, les marchands ambulants convergèrent vers le centre de la capitale. Les voyous de Kouluba et de Nab Raaga, les prostituées de Zagoera et Bilbambili affrontèrent les gendarmes. La puissante CSV (Confédération syndicale vol-taïque) appela à la grève générale. À Pô, Blaise Compaoré, qui seul parmi tous les camarades de Sankara avait échappé à l’arrestation, organisa la résistance. Jean-Baptiste Ouedraogo ne gouvernait plus : le pouvoir était dans la rue. Dans la nuit du 4 août enfin, le mouvement populaire allié aux soldats de Compaoré renversa le président Ouedraogo et prit le pouvoir à Ouagadougou. Sankara, libéré, prit la tête du Conseil national de la révolution (CNR).
Un jour de décembre 1983 : dans mon bureau de l’université de Genève, le téléphone sonne. À l’appareil, une voix inconnue, chaleureuse, impérieuse : « Ici le capitaine Sankara... J’ai lu votre livre Main basse sur l’Afrique en prison... Il faut que nous nous voyions d’urgence... » Je n’avais pas la moindre idée de l’identité de mon interlocuteur. Et puis tout militaire éveille en moi une suspicion spontanée. Ma curiosité l’emporta toutefois. Trois jours plus tard, le billet d’avion me parvint. Encore huit jours et j’étais assis à une table de bois, couverte de boîtes de viande en conserve et de haricots verts, dans une petite maison étouffante de chaleur de l’enclos du Conseil de l’Entente à Ouagadougou, en train d’écouter les quatre jeunes officiers au pouvoir depuis le 4 août, Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Boukari Lingani et Henri Zongo, m’expliquer les buts de leur révolution.
Une indépendance farouche
Thomas Sankara n’était pas un orateur bouleversant : son débit était irrégulier, le ton légèrement pédant, monocorde, didactique à l’extrême. Mais sa pensée était une pensée initiatique. Elle était nourrie d’une expérience intime. Elle était faite d’intuitions plus que de concepts. Sankara exprimait les valeurs irrépressibles de l’homme humilié, cherchant sa libération : justice sociale, tolérance, réciprocité, complémentarité, dignité, autant de valeurs formant un imaginaire de convocation. Il y avait, sans aucun doute, une large coïncidence entre son discours et les espérances ardentes, les désirs de dignité, les refus de l’humiliation qui habitaient des millions déjeunes Africains. Dans l’état de délabrement extrême où se trouvait alors l’Afrique - où elle se trouve encore aujourd’hui -, ravagée par des satrapes corrompus et des tyrans sanguinaires, les peuples cherchaient dans la nuit une lumière capable de les guider. Sankara était cette flamme. [... ]
Octobre 1986, à Moscou : Sankara achève sa première visite officielle en Union soviétique. Au centre Novostni, il tient la classique conférence de presse des chefs d’État invités. Comme de coutume, les journalistes soviétiques cherchent à établir le lien, l’identification du processus révolutionnaire africain avec le coup d’État de Lénine de 1917, pressant Sankara de questions, guettant le moindre signe d’une possible assimilation. L’interviewé comprend immédiatement le jeu. Il répond longuement à chaque question, fait doctement, et d’une voix grave, l’éloge de la Révolution d’octobre, du marxisme-léninisme, de l’internationalisme prolétarien, des dernières propositions de Gorbatchev. Puis, brusquement, il s’arrête. L’œil brillant de malice, joyeux, il dit : « Votre révolution doit beaucoup à l’hiver... mais il n’y a pas d’hiver chez nous. » Volonté têtue d’indépendance. Volonté peu réaliste pour un petit pays ? Certes ! Et pourtant admirable. [...]
La dénonciation du garrot de la dette
Revenons maintenant au discours sur la dette.
Dans notre Europe de la conscience homogénéisée, du consensus confus, de fa raison d’État triomphante, toute idée de rupture avec l’ordre meurtrier du monde relève de l’utopie et même, plus communément, du délire. [...]
De minces oligarchies du capital financier globalisé gouvernent la planète. Leur idéologie légitimatrice : un économisme rigoureux, un chauvinisme fanfaron, une doctrine des droits de l’homme à usage discriminatoire. J’exagère ? Les États-Unis, la France, la Belgique, la Suisse, l’Angleterre et bien d’autres États occidentaux abritent à l’intérieur de leurs frontières des démocraties réelles, vivantes, respectueuses des libertés et des revendications au bonheur de leurs citoyens. Mais dans leurs empires néocoloniaux, face aux peuples périphériques qu’elles dominent, ces mêmes démocraties occidentales pratiquent ce que Maurice Duverger appelle le « fascisme extérieur » : dans beaucoup de pays de l’hémisphère sud, depuis près de cinquante ans, tous les indicateurs sociaux (sauf l’indicateur démographique) sont négatifs. La sous-alimentation, la misère, l’analphabétisme, le chômage chronique, les maladies endémiques, la destruction familiale sont les conséquences directes des termes inégaux de l’échange, de la tyrannie de la dette. Les démocraties occidentales pratiquent le génocide par indifférence. Régis Debray constate : « II faut des esclaves aux hommes libres. »[1] La fragile prospérité de l’Occident est à ce prix !
Périodiquement, à la périphérie, des hommes et des femmes se lèvent, refusent cet ordre du monde et revendiquent pour eux-mêmes, pour leur peuple, une chance.de vie. Thomas Sankara est de ces hommes. Mystère de la liberté humaine : ces insurrections de l’esprit ont généralement lieu dans les contrées les plus démunies, les plus affligées. Le Burkina Faso était en 1983, au moment de la prise de pouvoir de Sankara, le 9e pays le plus pauvre de la terre, si l’on considère le revenu par tête d’habitant. Sur la liste publiée par la Banque mondiale cette année-là, le Burkina Faso figurait en 161e position. Le déficit alimentaire du pays était de 200 000 tonnes céréalières. L’infrastructure industrielle ? Inexistante. Les réseaux routier, ferroviaire ? Rudimentaires. L’espérance de vie ? La moitié de celle de la France. Le budget de fonctionnement de l’État ? Déficitaire en permanence ; chaque année, dès le mois d’octobre, le Burkina Faso devait quêter à l’extérieur les fonds nécessaires au paiement de son fonctionnariat pléthorique et largement parasitaire. L’héritage institutionnel enfin ? Totalement inadapté aux exigences d’un développement accéléré autocentré d’un pays à l’agriculture primitive et à l’accumulation interne inexistante. Thomas Sankara et les siens combattirent pendant quatre ans, avec la dernière énergie, chacun de ces fléaux. ...
Treize ans après l’assassinat de Sankara, en 2000, une crise boursière violente a secoué la quasi-totalité des places financières, détruisant pour plusieurs centaines de milliards de dollars de valeurs patrimoniales. [...] Finalement, les valeurs détruites en Bourse au cours de cette période ont été soixante-dix fois plus élevées que la valeur cumulée de l’ensemble des titres de la dette extérieure des 122 pays du Tiers Monde.
Pourtant, malgré l’ampleur des capitaux anéantis, la crise boursière de 2000-2002 n’a pas provoqué l’effondrement du système bancaire mondial. Les places financières ont digéré ces pertes sans problèmes majeurs. Depuis lors, de nouvelles crises encore plus graves ont secoué les Bourses du monde en causant des pertes sévères dont les maîtres de la finance se relèvent en en faisant payer le prix aux peuples. [...]
Le discours sur la dette de Sankara délivré aux chefs d’État africains réunis à Addis-Abeba en 1987 est un chef-d’œuvre de lucidité et de courage, d’intuitions fulgurantes et de vérité analytique. Moins de trois mois plus tard, son auteur et onze de ses compagnons furent exécutés à la mitraillette dans l’enclos du Conseil de l’Entente à Ouagadougou.
1. Le Tiers Monde et la gauche, Régis Debray. ouvrage collectif, Éd. du Seuil, 1979, p. 79.
(*) Discours sur la dette, Thomas Sankara et Jean Ziegler, Éd. Elytis, (réédition 1987) Genève, 64p., 6,50 euros. Dernier livre paru : Destruction massive. Géopolitique de la faim. Éd. Points, 2012.
LA CRISE BOURSIERE DE 2000 A DETRUIT DES VALEURS 70 FOIS PLUS ELEVEES QUE LA DETTE CUMULEE DES 122 PAYS DU TIERS MONDE.
Source : Thomas Sankara
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LA DETTE ? Merci pour nous faire découvrir quelque chose de VRAIMENT ACTUEL et qui a 30 ans d'âge
RépondreSupprimer" les masses populaires en Europe ne sont pas opposés aux masses populaires en Afrique, mais ceux qui exploitent l'Afrique sont les même qui exploitent l'Europe.Nous avons un ennemi commun."