Wikileaks éclaire la face cachée de l'Arabie saoudite
22 juin 2015
Le «saoudileaks» éclaire la diplomatie saoudienne d'un jour peu flatteur. David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut Français d'Analyse Stratégique et rédacteur en chef de la Revue Orients stratégiques revient sur l'embarras saoudien.
RT France: Que disent les câbles révélés par Wikileaks de la diplomatie saoudienne?
David Rigoulet-Roze: Pour le moment, il est encore difficile d'avoir une vision totale de l'ensemble des câbles mis en ligne. D'abord parce que seulement une partie a été sortie, un peu plus de 61 000 documents. Le site prévoit d'en mettre en ligne encore jusqu'à 500 000. On attend évidemment un certain nombre de révélations d'importance. Ce qui est intéressant est que Wikileaks a mis le focus sur l'Arabie saoudite, ce qui est nouveau. Jusqu'à présent, le site de Julian Assange s'était plutôt intéressé à d'autres parties de la région. La déclaration de Julian Assange ne passe pas non plus inaperçue car il dit publiquement que ce pays est une dictature de plus en plus imprévisible qui est une menace non seulement pour ses voisins mais également pour elle-même. Il y a là une démarche volontariste de Wikileaks de mettre le doigt sur un certain nombre de contradictions liées à la situation du royaume.
RT France: Pourquoi cette révélation précisément maintenant? Y-a-t-il un lien avec la guerre menée contre le Yémen?
David Rigoulet-Roze: Le 23 mai dernier, il y a eu une déclaration saoudienne faisant état d'un piratage informatique dans le Royaume, au sein de trois ministères clés: l'Intérieur, les Affaires étrangères et la Défense. Cela avait été signalé et reconnu comme une intrusion. Ce piratage informatique avait été revendiqué par une mystérieuse Yemen Cyber Army. Cette attaque ne semble donc pas dissociable de la guerre contre le Yémen. Cette mystérieuse armée avait fait une déclaration en précisant que ses «cyber combattants» avaient lancé une vague d'offensives contre trois mille ordinateurs et serveurs appartenant aux trois ministères. Ils s'étaient emparé des boîtes mails de milliers d'employés, de collaborateurs, agents secrets, militaires, de milliers de documents classifiés dont certains remontent jusqu'aux années 80. Cette armée précisait qu'elle avait l'intention de publier une partie de ces documents pour montrer que le Royaume n'était qu'une «toile d'araignée» (trop distendue NDA). Tout cela n'est pas forcément sans lien avec la mise en ligne de ces «saudi-câbles» par Wikileaks.
RT France: Que pensez-vous de la ligne de défense de l'Arabie saoudite qui déclare que ces documents sont «faux»?
David Rigoulet-Roze: C'est la simple tentation du déni dans un premier temps. Mais manifestement cela témoigne d'un embarras certain de la part de Riyad parce que certains câbles, qui portent des cachets officiels de ministère, font référence à des actions très précises et soulèvent beaucoup de questions.
RT France: Quelles sont les véritables révélations de ces câbles, jusqu'alors ignorées?
David Rigoulet-Roze: On apprend toujours des choses sur des points particuliers. Ainsi on apprend qu'il y a un financement du mouvement islamique du Kurdistan. Cela suppose donc que la question kurde intéresse aussi l'Arabie saoudite parce que cela entre dans le système d'équilibre de la situation irakienne qui est très instable du côté de ses minorités ethniques. Cependant, tout n'a pas encore été dépouillé et il reste une quantité astronomique de documents qui ne se valent pas tous. Mais cette masse même de documents est en soi intéressante. Cela donne une vision de l'amplitude d'action de la diplomatie saoudienne. On voit par exemple l'inquiétude du pays par rapport aux Printemps arabes d'où l'affaire égyptienne quand Riyad a offert 10 milliards de dollars avec d'autres membres du Golfe (CCG) pour que soit relâché Hosni Moubarak et les siens.
RT France: Que dit l'obsession iranienne des peurs de l'Arabie saoudite?
David Rigoulet-Roze: Les câbles ne nous apprennent rien sur cette obsession qui était de toute façon connue. Mais les câbles la rendent encore plus manifeste et patente. Ils confirment que la diplomatie saoudienne est surdéterminée par la volonté d'empêcher l'influence de l'Iran dans la région. Cela date en fait de 2003 avec le renversement de Saddam Hussein en Irak et l'accession au pouvoir de la majorité chiite. L'Arabie saoudite est persuadée qu'il y a de la part de Téhéran une logique complotiste, avec une impression et une peur de plus en plus grande de l'encerclement par un axe chiite. D'où la guerre contre le Yémen qui est la dernière manifestation de cette peur de l'encerclement et de l'obsession iranienne.
RT France: Les câbles révèlent aussi un intérêt tout particulier pour la politique intérieure libanaise. Pourquoi?
David Rigoulet-Roze: Ce n'est pas nouveau non plus. On est dans le système des pétro-monarchies pour lesquelles potentiellement tout s'achète. La Qatar a aussi cette politique. Certains câbles confirment cette diplomatie financière: il s'agit tout simplement d'acheter des gens. Cela entre dans la diplomatie saoudienne depuis très longtemps. Les câbles parlent effectivement beaucoup du Liban mais cette diplomatie de l'argent peut concerner des groupes trans-étatiques, des personnalités, des investissements dans les entreprises, c'est très variable selon les intérêts.
RT France: Que pensez de la révélation selon laquelle certains médias sont achetés par le pays pour être plus complaisants envers Riyad?
David Rigoulet-Roze: Même dans les démocraties la question des médias et de l'argent n'est pas non plus toujours très claire. C'est toute la question de l'influence sur les médias qui se pose. C'est là la stratégie traditionnelle de l'Arabie saoudite.
RT France: Julian Assange souligne que le pays est à sa 100ème décapitation, qu'il prône une Islam assez proche somme toute de celui de l'Etat islamique. Pourquoi est-il soutenu par certains pays occidentaux?
David Rigoulet-Roze: Ce sont des questions qui se posent, mais qui sont préexistantes aux câbles. Au final, ceux-ci donnent une vision publique du Royaume. Or c'est un pays qui a toujours voulu rester très secret, très caché. Il y a là une dimension publicitaire nouvelle pour un pays qui la fuit. Cela va lui poser un problème d'image alors que ce pays a toujours cherché à ne pas être mis en accusation sur la place publique. Les décideurs ou les experts n'apprennent rien de nouveau mais ces câbles peuvent jouer sur l'opinion publique, ce que redoute l'Arabie saoudite.
Source : RT
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire