mercredi 1 juillet 2015

L'Europe contre la démocratie



L’Europe contre la démocratie grecque, 
Par Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, le 29 juin 2015

NEW YORK – La dispute et l’acrimonie qui vont croissantes au sein de l’Europe pourraient passer aux yeux d’un observateur extérieur pour le résultat inévitable de la fin de partie peu amène entre la Grèce et ses créanciers. Les dirigeants européens finissent par exposer au grand jour la véritable nature du conflit autour de la dette grecque, et cela n’a rien de plaisant : il s’agit bien plus une question de pouvoir et de démocratie que d’argent et d’économie.

Le programme économique que la troïka (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI) a imposé à la Grèce il y a cinq ans était une aberration. Il a conduit à une baisse de 25% du PIB du pays. Je ne connais aucune dépression qui ait été provoquée aussi délibérément et ait eu des conséquences aussi catastrophiques. Ainsi le taux de chômage parmi les jeunes Grecs dépasse maintenant 60%.

Il est incroyable que la troïka nie toute responsabilité et refuse d’admettre à quel point ses prévisions et ses modèles étaient erronés. Mais il est encore plus surprenant que les dirigeants européens n’aient retenu aucun enseignement de tout cela. La troïka continue à exiger de la Grèce qu’elle parvienne à un budget primaire en excédent (hors paiement des intérêts de la dette) de 3,5% du PIB en 2018.

Partout dans le monde les économistes condamnent cet objectif comme punitif, car il ne peut que ralentir encore l’économie. Même si la dette de la Grèce était restructurée au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, elle resterait en dépression si les électeurs acceptent les propositions de la troïka lors du référendum surprise qui aura lieu dimanche.

Peu de pays ont réussi à transformer un important déficit primaire en un excédent budgétaire comme l’ont fait les Grecs au cours des cinq dernières années. Et bien que le prix à payer en matière de souffrance humaine ait été extrêmement élevé, les dernières propositions du gouvernement grec constituent un grand pas en avant pour répondre aux exigences de ses créanciers.

Soyons clair : seule une très faible partie des énormes sommes d’argent prêtées à la Grèce lui étaient réellement destinées. Elles ont servi à rembourser les créanciers privés, notamment des banques en Allemagne et en France. La Grèce n’a reçu que des miettes, mais  elle a payé le prix fort pour préserver les systèmes bancaires de ces pays. Le FMI et les autres créanciers “officiels” n’ont pas besoin de l’argent qu’ils réclament. Dans une situation classique, ils se contenteraient de l’utiliser pour faire un nouveau prêt à la Grèce.

Mais ce n’est pas une question d’argent. Il s’agit en réalité d’utiliser les dates limites pour contraindre la Grèce à lever le pouce et à accepter l’inacceptable : non seulement l’austérité, mais d’autres mesures régressives et punitives.

Pourquoi l’Europe fait-elle cela ? Pourquoi les dirigeants de l’UE s’opposent-ils à la tenue du référendum et refusent-ils même de reculer de quelques jours la date limite du 30 juin fixée pour le prochain remboursement de la Grèce au FMI ? L’Europe n’est-elle pas avant tout une affaire de démocratie ?

En janvier, les citoyens grecs ont élu un gouvernement qui s’est engagé à mettre fin à l’austérité. Si ce gouvernement voulait simplement tenir ses engagements de campagne, il aurait déjà rejeté la proposition des créanciers. Mais il veut donner aux Grecs l’occasion d’intervenir sur cette question cruciale pour l’avenir de leur pays.

Ce souci de légitimité est incompatible avec la politique de la zone euro qui n’a jamais été un projet très démocratique. La plupart des Etats membres n’ont pas cherché l’approbation de leurs citoyens pour remettre la souveraineté monétaire de la zone entres les mains de la BCE. Quand la Suède l’a fait, les Suédois ont dit Non. Ils ont compris que le chômage augmenterait si une banque centrale concernée uniquement par le taux d’inflation (et qui ne porterait pas l’attention voulue à la stabilité financière) décide de la politique monétaire du pays. L’économie souffrirait parce que le modèle économique sur lequel repose la zone euro est basé sur des relations de pouvoir qui désavantagent les travailleurs.

Il n’est donc pas surprenant que 16 ans après que la zone euro ait institutionnalisé ces relations, c’est l’antithèse de la démocratie qui est à l’oeuvre. Beaucoup de dirigeants européens veulent la fin du gouvernement de gauche du Premier ministre Alexis Tsipras. A leurs yeux il est inacceptable d’avoir en Grèce un gouvernement qui refuse une politique qui a tant fait pour augmenter les inégalités dans nombre de pays avancés et qui veut limiter le pouvoir de l’argent. Ils pensent qu’ils pourront se débarrasser du gouvernement de Tsipras en l’obligeant à accepter un accord en contradiction avec son mandat.

Il est difficile de donner un conseil aux Grecs  pour le vote de dimanche. Dire Oui ou Non aux exigences de la troïka n’est pas chose facile, et tant l’approbation que le rejet sont porteurs d’énormes risques. Le Oui signifierait une dépression presque sans fin. Peut-être un pays dépouillé de tout (un pays qui a vendu tous ses actifs et dont la jeunesse prometteuse émigre) obtiendra-t-il finalement l’annulation de sa dette ; peut-être étant devenu un pays à revenu moyen, la Grèce va-t-elle finalement obtenir l’aide de la Banque mondiale. Cela pourrait se produire au cours de la décennie prochaine, ou de la suivante.

Par contre un Non permettrait au moins à la Grèce, avec sa forte tradition démocratique, de prendre son destin en main. Les Grecs pourraient alors dessiner leur avenir, qui même s’il n’était pas aussi prospère que le passé, sera bien plus porteur d’espoir que la torture invraisemblable qui leurs est imposée aujourd’hui.

Je sais comment je voterais…

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Source : Joseph Stiglitz, pour Project Syndicate, le 29 juin 2015.
Vu sur : Les Crises

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A voir aussi sur BFMTV : Jacques Sapir face à Ruth Elkrief 

Jacques Sapir, économiste et directeur d'études à l'EHESS, a répondu aux questions de Ruth Elkrief, ce lundi 29 juin 2015, sur la décision d'Alexis Tsipras de recourir à un référendum pour une éventuelle sortie de la Grèce de l’Eurozone. Ce vote déterminera si les Grecs accepteront ou pas les propositions de réformes réclamées par le FMI et l'UE en échange du déblocage de nouvelles liquidités. Les créanciers d'Athènes comptent sur une peur du Grexit et la sortie de l'euro pour que les Grecs désavouent leur Premier ministre et disent oui quelle que soit la question posée.
Source : BFMTV

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Communiqué de Podemos au regard de la situation en Grèce et à la suite de la rupture des négociations par l’Eurogroupe
Le 1 juillet 2015

1. Lundi dernier, le gouvernement grec a présenté à l’Eurogroupe une proposition d’accord qui comprenait un grand nombre de concessions et a été saluée par l’ensemble des prêteurs comme une proposition raisonnable et viable. Dans les jours qui ont suivi, cependant, les créanciers internationaux, emmenés par le FMI, ont finalement rejeté la proposition du gouvernement grec de taxer les secteurs les plus riches de la société, de restructurer la dette et de mettre en œuvre un programme d’investissement pour relancer l’économie. Au lieu de cela, ils lui ont demandé d’augmenter la TVA sur les services de base et la nourriture et ont exigé des coupes supplémentaires sur les retraites et les salaires. Dans leur effort visant à démontrer qu’il n’existe pas d’alternative aux politiques d’austérité, les créanciers ne semblent accepter que l’argent des pauvres et s’évertuent à imposer la même logique et les mêmes mesures que celles qui ont conduit le pays à une catastrophe humanitaire. L’économie grecque est asphyxiée. Continuer de l’asphyxier est l’exact opposé de ce qui doit être fait.

2. Face à une telle extorsion et un tel chantage, le gouvernement grec a réagi à l’ultimatum de manière exemplaire : en appelant le peuple à se prononcer démocratiquement et souverainement sur son avenir. Contrairement aux gouvernements espagnols de 2011 et de 2012, le gouvernement hellénique a refusé de violer le mandat populaire issu des élections de janvier. Les tentatives visant à contraindre, intimider et influencer ce vote de la part de pouvoirs non élus et en particulier de la Banque Centrale Européenne ― qui s’emploie à étouffer le système financier grec afin d’influencer le résultat de la consultation ― constituent une violation flagrante et inacceptable du principe démocratique. Ce que nous disons, c’est que l’Europe sans démocratie n’est pas l’Europe : tous les démocrates doivent aujourd’hui unir leurs voix pour dénoncer cette ingérence et ces pressions insupportables. La démocratie ne peut aller de pair avec le fait de laisser des pouvoirs non élus gouverner et décider pour nous. Il en va de la démocratie même.

3. Par leur intransigeance, les créanciers ont démontré qu’ils ne se préoccupaient nullement de résoudre la crise de la dette grecque ; leur but est bien plutôt de soumettre et de renverser un gouvernement démocratiquement élu afin de démontrer qu’il n’existe pas d’alternative aux politiques d’austérité. Leur aveuglement est tel qu’ils s’apprêtent à mettre en péril l’intégrité et la stabilité du système financier et le projet européen lui-même en exposant celui-ci à des attaques spéculatives dont le prix sera également payé par les citoyens d’autres pays. Nous le disons une fois de plus: c’est eux qui seront à blâmer, eux qui porteront la responsabilité des conséquences de ce désastre.

4. Syriza n’a pas créé l’énorme crise économique qui affecte la Grèce. Ce sont les gouvernements de la Nouvelle Démocratie et du PASOK, les amis de notre Parti Populaire et de notre PSOE, qui ont falsifié les données et les comptes, remis la souveraineté du pays entre les mains de la Troïka et laissé à Syriza un désastre économique et social qu’il est impératif et urgent d’inverser.

5. De nombreuses personnalités internationales ont d’ores et déjà pris leurs distances avec le dogmatisme des créanciers. Des centaines de milliers de personnes à travers le monde ont exprimé leur solidarité avec le peuple grec dans sa défense du principe démocratique. Nous exigeons que le gouvernement espagnol et les institutions européennes respectent la souveraineté et la dignité du peuple grec et garantissent en conséquence que le référendum se déroule dans des conditions de liberté et de pleine régularité. La volonté démocratique et les droits fondamentaux du peuple grec, qui ont été systématiquement bafoués durant les longues années d’austérité, doivent être respectés.

Il y a en Europe deux camps opposés : celui de l’austérité et celui de la démocratie, celui du gouvernement du peuple et celui du gouvernement des marchés et de leurs pouvoirs non élus. Nous nous tenons fermement du côté de la démocratie. Nous nous tenons fermement aux côtés du peuple grec. »

Source : Podemos, traduit de l’anglais par Dimitris Alexakis / Olivier Demeulenare (trad. fr)

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