Déclaration d'Alexis Tsipras après le référendum: «La Grèce va rendre l'Europe aux peuples» VOSTFR (Athènes le 5 juillet 2015)
Voir aussi les pages : OXI! NON ! (1) / OXI! NON ! (2)
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OXI ! (Non)
Par Jacques Sapir, le 6 juillet 2015
La victoire du « Non » au référendum est un événement historique. Elle fera date. En dépit des pressions nombreuses pour un vote « Oui » tant de la part des médias grecs que de celui des dirigeants de l’Union européenne, en dépit de l’organisation par la BCE des conditions d’une panique bancaire, le peuple grec a fait entendre sa voix. Il a fait entendre sa voix contre les mensonges qui ont été déversés continument sur la situation de la Grèce depuis ces dernières semaines. Nous aurons ici une pensée pour ces éditorialistes qui ont, à dessein, travestis la réalité, et laissés entendre un lien entre Syriza et l’extrême-droite d’Aube Dorée. Ces mensonges ne nous étonnent plus, mais nous ne les oublieront pas. Le peuple a fait entendre sa voix avec une force inaccoutumée, puisque contrairement à ce que laissait penser les sondages réalisés à la sortie des urnes, la victoire du « Non » est obtenue avec un écart important, par près de 60%. Cela renforce bien évidemment le gouvernement d’Alexis Tsipras et devrait faire réfléchir ses interlocuteurs. Nous verrons rapidement ce qu’il en sera. Mais, on doit dire immédiatement que les réactions, que ce soient celles de Martin Schulz au Parlement européen, de Jean-Claude Juncker pour la Commission[1], ou de Sigmar Gabriel, le Ministre de l’économie et l’allié SPD de Mme Merkel en Allemagne[2], ne laissent guère de place à l’optimisme sur ce point.
Cette victoire du « Non » a aussi, et c’est une évidence, une résonnance particulière en France. Elle a lieu quasiment dix ans après une autre victoire du « Non », cette fois dans notre pays (ainsi qu’au Pays-Bas). Il s’agissait alors, en 2005, du projet de Traité Constitutionnel Européen. Ce projet fut rejeté dans notre pays par plus de 54% des suffrages. Ici encore la campagne de presse menée par les partisans du « oui » avait passée toute les mesures, franchie toute les bornes. Les partisans du « non » furent enfouis sous les injures et les menaces[3]. Mais ils tinrent bon. De là date le divorce, sans cesse grandissant, entre les français et la caste médiatique, divorce qui se lit à la fois dans les statistiques déclinantes de la presse « officielle » et dans l’explosion de l’audience des blogs, dont celui-ci.
Le vote avait marqué la nette différence entre ce que pensaient les électeurs des classes populaires et ceux des classes plus aisées[4]. Je l’avais qualifié de « victoire des prolos sur les bobos »[5]. Il semble bien que l’on ait assisté à un phénomène du même ordre en Grèce, puisque si les banlieues huppées d’Athènes ont voté « Oui » à plus de 80%, c’est dans une proportion inverse que le « Non » l’a emporté dans les quartiers populaires. Le vote « non » des grecs est un écho direct à celui des français. Pourtant, après des manœuvres multiples, un texte presque similaire, le « Traité de Lisbonne », fut adopté au « congrès » quelques années après par le biais d’une alliance sans principe entre l’UMP et le PS. De là date certainement la rupture que l’on constate entre les élites politiques et médiatiques et les électeurs. Ce déni de la démocratie, ce vol d’un vote souverain, est une blessure profonde chez de nombreux français. La large victoire du « Non » grec vient réactiver cette blessure et pourrait pousser les électeurs à demander des comptes pour un passé qui décidemment ne passe pas.
Le sens d’un « Non »
Mais, il faut comprendre le sens profond de ce « Non ». Il s’oppose aux comportements très antidémocratiques des responsables tant de l’Eurogroupe que de la Commission européenne ou du Parlement européen. Il discrédite des personnalités comme Jean-Claude Juncker, ou M. Dijssenbloem, ou encore M. Martin Schulz, le Président du parlement. Il s’oppose surtout à la logique qui avait été mis en œuvre depuis le 27 juin, quand M. Dijssenbloem, Président de l’Eurogroupe, avait décidé d’exclure de fait M. Varoufakis, le Ministre des Finances grec, d’une réunion. Ce geste inouï revenait à exclure la Grèce de la zone Euro. On doit alors remarquer l’étonnante passivité du Ministre Français, M. Michel Sapin. En acceptant de rester dans la salle, il fut connivent de l’abus de pouvoir commis par M. Dijssenbloem. Même si le gouvernement français dit actuellement qu’il veut que la Grèce reste dans la zone Euro, le comportement de l’un de ses membres éminent, qui plus est proche du Président de la République, vient apporter si ce n’est un démenti, du moins fait peser un doute sur la réalité de cet engagement. Le gouvernement grec n’a pas pu ne pas le noter et en prendre acte. De fait, nous avons été exclu d’une bataille où l’Allemagne a, que ce soit directement ou indirectement, largement inspirée les positions européennes.
Le fait que la BCE ait organisé dans la semaine du 28 juin au 5 juillet l’asphyxie financière des banques grecques, provoquant une émotion très compréhensible dans la population, est bien la preuve que les institutions européennes n’entendaient nullement continuer les négociations avec Alexis Tsipras mais cherchaient à obtenir soit son départ volontaire soit son renversement dans une de ces arnaques d’assemblée que rend possible un régime parlementaire comme le régime grec. Le référendum était aussi une tentative pour s’opposer à ces manœuvres. La victoire du « non » garantit que, pour un temps, le gouvernement Tsipras sera à l’abri de ce genre de tentative.
Une reprise des négociations est-elle possible ?
Mais, cela ne signifie nullement que les négociations sur la question de la dette grecque, pourtant nécessaires, pourtant justifiées comme le rappelle un rapport du FMI[6] opportunément publié en dépit des tentatives d’embargo de la part de l’Eurogroupe, pourront reprendre. Tous les économistes qui ont travaillé ce dossier, des personnalités illustres comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz (prix Nobel), des spécialistes internationaux comme James Galbraith ou Thomas Piketty, ont expliqué depuis des semaines que sans une restructuration de la dette accompagnée d’une annulation d’une partie de cette dernière, la Grèce ne pourrait retrouver le chemin de la croissance. Il serait donc logique d’accorder à la Grèce ce qui fut, en 1953, accordé à l’Allemagne. Mais il faut faire vite, sans doute dans les 48h, et il n’est pas dit que les institutions européennes, qui ont tenté d’empêcher la publication du rapport du FMI, le veuillent. La déclaration de Martin Schulz, le Président du Parlement européen, ou celle de Sigmar Gabriel disant que les ponts étaient rompus, ne présage rien de bon.
La décision de Yannis Varoufakis de démissionner de son poste de Ministre des Finances a beaucoup étonné. Il est en effet l’un des grands vainqueurs du référendum. Mais cette décision est assez logique. Son remplacement par Euclid Tsakalotos va plus loin qu’une simple concession tactique accordée aux « créanciers ». C’est ainsi d’ailleurs que Varoufakis présente d’ailleurs sa démission[7]. Mais le nouveau ministre pourrait aussi signifier l’arrivée d’un homme plus résolu à une rupture. Tsakalotos ne cache pas qu’il est devenu un « Eurosceptique ». On ne l’a pas pleinement mesuré à Bruxelles, mais Varoufakis était en réalité passionnément attaché à l’Euro et à l’idée européenne. Ce n’est pas le cas de Tsakalotos. Ceci pourrait avoir des conséquences importantes dans les prochains jours.
En effet, si la BCE ne se décide pas très rapidement à augmenter le plafond de l’accord d’urgence sur les liquidités (ELA), la situation deviendra rapidement critique en Grèce et ces négociations perdront tout sens. C’est ce qu’a dit Alexis Tsipras au soir de la victoire du « Non ». Un accord est peut-être possible, si tant est que les deux parties le veuillent. Mais, justement, on est en droit d’avoir un doute, et même plus que cela, sur les intentions des institutions européennes.
Si, donc, la BCE n’augmentait pas le plafond de l’ELA, le gouvernement grec n’aurait plus le choix. Il devrait soit mettre en circulation des « certificats de paiements » qui constitueraient une monnaie parallèle, soit prendre le contrôle de la Banque Centrale par décret (ce que l’on appelle une réquisition) et la forcer à mettre en circulation tant les billets qu’elle conserve en réserve que ceux qui sont conservés dans les banques commerciales sous son autorisation. Si une prise de contrôle de la Banque Centrale serait entièrement justifiée du fait du comportement de la BCE et de l’Eurogroupe qui ont sciemment violé le fond comme la lettre des traités, il est néanmoins probable que ce sera la première solution qui sera choisie. En tous les cas, ce n’était pas la position de Yanis Varoufakis. Nous ne savons pas à l’heure actuelle quelle sera la position de Tsakalotos. Si le gouvernement grec se décide donc à émettre des certificats de paiement, cela conduira rapidement à un système à deux monnaies en Grèce, et d’ici quelques semaines on peut penser que l’une de ces deux monnaies disparaîtra. Nous serions confrontés à la sortie de l’Euro, au « Grexit ». Il convient ici de dire que cette sortie de l’Euro serait totalement et complètement imputable aux institutions européennes.
La sortie de la Grèce de l’Euro est-elle en cours ?
On doit rappeler qu’une sortie de l’Euro ne passe pas nécessairement (et obligatoirement) par une décision nette et tranchée. Ce point a été particulièrement bien mis en lumière par Frances Coppola dans un article publié par le magazine Forbes[8]. Elle peut résulter de la logique des circonstances et des réactions du gouvernement grec face au double jeu tant de l’Eurogroupe que de la BCE qui sont en train de l’étrangler financièrement. Il est, là encore, inouï qu’une Banque Centrale comme la BCE, qui a légalement en charge la stabilité du système bancaire dans les pays de la zone Euro, organise en réalité l’étranglement des banques et leur faillite. C’est un fait inouï, mais ce n’est pas un fait sans précédent[9]. Il nous faut ici remonter dans l’histoire tragique du XXème siècle.
En 1930, en Allemagne, le Président de la Reichbank (la Banque Centrale de l’Allemagne), M. Hjalmar Schacht, avait fait obstacle à un prêt américain au gouvernement de l’Allemagne de Weimar, provoquant une panique bancaire[10]. Cette panique provoqua la chute de la coalition alors au pouvoir, et la démission du Ministre des Finances, le socialiste Rudolph Hilferding. Ayant obtenu ce qu’il désirait, Schacht leva son obstruction. On voit ainsi que l’action antidémocratique d’une Banque Centrale a un précédent, mais un précédent tragique. Avec l’arrivée du chancelier Brüning l’Allemagne fit le choix d’une austérité insensée qui porta quelques années plus tard les Nazis au pouvoir. Ceci établit le pouvoir de la Reichbank comme un pouvoir parallèle à celui du gouvernement. Le terme de “Nebenregierung” ou « gouvernement parallèle » est d’ailleurs passé dans le discours technique et historique en Allemagne.
On est donc en droit de se demander si la sortie de la Grèce de la zone Euro n’a pas commencée depuis maintenant une semaine à l’instigation de la BCE et du poids de l’Allemagne au sein des organismes de la BCE. Mais il est clair, alors, que cette sortie est entièrement du fait de l’Eurogroupe et de la BCE. Il s’agit en réalité d’une expulsion, un acte à la fois scandaleux et illégal, qui légitimerait le recours par les autorités grecques aux mesures les plus radicales.
C’est ici que la France pourrait être un frein. Une réunion entre François Hollande et Angela Merkel est prévue pour la fin de journée du lundi 6 juillet. Mais, disons le tout net, pour que cette réunion arrive à changer la position de l’Allemagne, la France devrait mettre tout son poids dans la balance et menacer elle aussi de quitter la zone Euro si l’Allemagne poursuivait ses actions et sa politique. Gageons que François Hollande n’en fera rien. En dépit des déclarations rassurantes faites par des seconds couteaux, notre Président tient beaucoup trop à ce qu’il imagine être un « couple franco-allemand ». Il n’a probablement pas le courage de tirer les conséquences, toutes les conséquences, du comportement dangereux et scandaleux de l’Allemagne. Ce faisant, et à son corps défendant, il conduira l’Euro à sa perte, ce qui n’est rien, mais sans doute aussi l’Union européenne, ce qui est bien plus.
La grande crainte des prêtres de l’Euro
Disons le, une chose terrorise totalement les responsables européens : que la Grèce fasse la démonstration qu’il y a une vie hors de l’Euro, et que cette vie peut, sous certaines conditions, s’avérer meilleure que celle que l’on a dans l’Euro. Telle est leur grande crainte, tel est ce qui les remplit d’effroi. Car ceci montrerait à tous, aux Portugais, aux Espagnols, aux Italiens et aux Français le chemin à suivre. Ceci dévoilerait tant l’immense fraude qu’a représenté l’Euro, qui ne fut pas un instrument de croissance ni même un instrument de stabilité pour les pays qui l’ont adopté, que la nature tyrannique du pouvoir non élu de l’Eurogroupe et de la BCE.
Il est donc possible, voire probable, que les dirigeants de l’Eurogroupe et de la BCE fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour provoquer le chaos en Grèce. Ils ont d’ores et déjà commencé ce sale boulot depuis la semaine dernière. Il convient donc que le gouvernement grec, tout en cherchant à négocier honnêtement mais fermement, comme il le fit depuis février 2015, se prépare aux mesures qui assureront la stabilité dans le pays et le fonctionnement normal de l’économie et des institutions, fut-il pour cela obligé de prendre des libertés avec la lettre des traités. Peut-être est-ce là le sens du départ de Yannis Varoufakis, qui doit vivre le comportement de l’Allemagne et de l’Eurogroupe comme une tragédie, et son remplacement par Euclid Tsakalotos. Après tout, ce n’est pas la Grèce qui brisa la première les traités, et l’on peut considérer que l’action tant de l’Eurogroupe que de la BCE depuis une semaine ont constitué des actes contraires et en contravention tant avec la fond qu’avec la forme de ces dits traités.
Cette rupture porte en elle la fin de la zone Euro. Quelle que soit la politique décidée par Alexis Tsipras, il est désormais clair que cette fin est l’horizon de la crise actuelle.
Notes
[1] http://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-15-5310_en.htm
[2] L’Obs, « Grèce, un non qui passe mal en Allemagne », 6 juillet 2015, http://tempsreel.nouvelobs.com/la-crise-grecque/20150706.OBS2132/grece-un-non-qui-passe-mal-en-allemagne.html
[3] On se reportera aux archives du site ACRIMED, http://www.acrimed.org/article1980.html et http://www.acrimed.org/article2014.html ainsi qu’à Lordon F., « La procession des fulminants », texte installé sur le site ACRIMED, http://www.acrimed.org/article2057.htm
[4] B. Brunhes, « La victoire du non relève de la lutte des classes », propos recueillis par François-Xavier Bourmaud, Le Figaro, 2 juin 2005.
[5] Sapir J., La Fin de l’Eurolibéralisme, Paris, Le Seuil, 2006.
[6] The Guardian, « IMF says Greece needs extra €60bn in funds and debt relief », 2 juillet 2015, http://www.theguardian.com/business/2015/jul/02/imf-greece-needs-extra-50bn-euros?CMP=share_btn_tw
[7] http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/06/minister-no-more/
[8] Coppola F., « The Road To Grexit », Forbes, 3 juillet 2015, http://www.forbes.com/sites/francescoppola/2015/07/03/the-road-to-grexit/print/
[9] Je remercie un de mes correspondants, Christoph Stein, qui a porté mon attention sur ce point.
[10] Müller H., Die Zentralbank – eine Nebenregierung Reichsbankpräsident Hjalmar Schacht als Politiker der Weimarer Republik, Westdeutscher Verlag, Opladen, 1973.
Source : RussEurope
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Du Grain à moudre par Hervé Gardette
Va-t-on vers une Europe à la carte ? 23.06.2015
Avec :
Guillaume Klossa, directeur de l'Union européenne de Radiotélévision et fondateur du think tank EuropaNova
Coralie Delaume, journaliste et auteur du blog L'arène nue
Marcel Sel, écrivain et blogueur belge
L'Invité des Matins d'été (2ème partie) par Nicolas Martin
Référendum grec : le début de la désintégration européenne ? 06.07.2015
Avec :
Coralie Delaume, journaliste et auteur du blog L'arène nue
Sylvain Kahn, historien et géographe, professeur agrégé à Sciences Po, producteur de Planète Terre, l'émission de géographie de France Culture
Elie Cohen, économiste, directeur de recherche au CNRS
Angélique Kourounis, correspondante en Grèce pour Radio France.
Théodore Fortsakis, député conservateur du parti grec Nouvelle démocratie, avocat, ancien recteur de la faculté de droit
Dimosthenis Papadatos, sociologue, membre du bureau central de Syriza
Dossier FC : Quel avenir pour la Grèce ?
Référendum grec : «Rien ne sera plus jamais comme avant»
Par Alexandre Devecchio Publié le 3 juillet 2015 - Figaro Vox
Avant le référendum grec, Coralie Delaume a accordé un long entretien à FigaroVox. Selon elle, quel que soit le résultat du scrutin, ce vote devrait bouleverser en profondeur une Europe en panne de démocratie.
Coralie Delaume est essayiste. Fine connaisseuse du droit communautaire, elle a notamment publié «Europe. Les Etats désunis» (Michalon, 2014). Découvrez ses chroniques sur son blog.
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Depuis l'annonce de la tenue d'un référendum en Grèce, la classe politique européenne est en émoi. «Je demande au peuple grec de voter oui, indépendamment de la question qui sera posée» a notamment déclaré le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker? Que vous inspire ce type de réaction?
Voilà un homme qui aime vivre dangereusement! Heureusement pour lui, Alexis Tsipras na pas choisi une question de type «la Grèce doit-elle quitter la zone euro?». Dans le même genre, on a également eu quelques belles sorties de Michel Sapin telles que «le vote non n'aura pas les mêmes conséquences que le vote oui», ou encore: «je ne sais pas discuter avec quelqu'un qui dit non».
En fait, on se rend compte que tous ces gens n'ont plus la moindre idée de ce qu'est un référendum et, au delà de ça, de ce qu'est la démocratie. C'est assez inquiétant. Mais à vrai dire, comment s'en étonner? Jean-Claude Juncker avait été celui qui, dès l'arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce, avait affirmé: «Dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités (…) Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ...»
Pour lui comme pour beaucoup d'autres, une alternance politique n'a pas vocation a entraîner des changements. Les élections nationales servent surtout à occuper les citoyens, à les distraire, elles sont pure comédie. Et d'une certaine façon, Juncker a raison. L'Union européenne a été bâtie de telle sorte que la démocratie en soit bannie. Il suffit de se plonger un peu dans la mécanique, dans le droit de l'Union, dans le fonctionnement de l'euro, pour s'en apercevoir.
Ces réactions révèlent donc un problème de démocratie en Europe?
Bien sûr, et pas qu'un peu! Je voudrais faire valoir trois arguments.
Première chose: comme le dit souvent l'économiste Frédéric Lordon et comme il l'a encore rappelé récemment, de très larges pans de ce que devrait être la «politique économique» ( par définition fluctuante: une politique prend en compte le contexte ) ont été gravés dans le marbre de traités. Or la démocratie, c'est avant tout le débat. Mais de quoi voulez-vous débattre quand tout ce qui devrait relever du conjoncturel et de l'adaptable a été ossifié? On ne peut pas débattre de la politique monétaire: d'abord, elle échappe aux États donc aux représentants des peuples. Ensuite, les contours de cette politique sont prédéterminés dans les statuts de la BCE. Certes, Mario Draghi tend à s'asseoir dessus de plus en plus souvent. Il fait un peu ce qu'il veut quand et comme il le veut. Sauf que.... personne n'a élu Mario Draghi!
On ne peut pas débattre non plus de la politique budgétaire. Elle est prédéterminée par les critères dits de convergence (qui imposent de maintenir de déficit public en deçà de 3%) et, désormais, par les deux paquets de textes hyper contraignants que sont le Six Pack et le Two Pack de même que par le Pacte budgétaire européen (le TSCG).
On ne peut pas débattre, enfin, de la mise en œuvre d'une vraie politique industrielle: l'État stratège a cédé le pas au principe sacro-saint de la «libre concurrence», inscrit en lettre d'or dans les traités. Au bout du compte, que reste-t-il? Dans le domaine de l'économie, rien. Quand on vote aujourd'hui aux élections présidentielles ou législatives, il faut bien en avoir conscience: on vote pour des gens qui n'auront aucune possibilité d'agir sur l'économie de leur pays. Dans ce domaine au moins (la politique économique), l'alternance est d'une innocuité totale.
Deuxième chose: depuis les années 1960, il est admis qu'il existe une primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. C'est la Cour de justice des communautés européennes (CJCE à l'époque, CJUE aujourd'hui) qui l'a décidé, à l'occasion d'arrêts fondateurs, les arrêts Van Gend en Loos de 1963 et Costa contre ENEL de 1964.
J'insiste: ce sont des arrêts. Ils relèvent de la jurisprudence de la Cour et leurs conclusions n'ont donc jamais été débattues par quelque Parlement que ce soit. Depuis lors, aucun État ne les a contestés. Le fait que le droit supranational, qu'il s'agisse des traités ou du droit dérivé (directives, règlements) s'applique sans discussion à tout les États-membres, est vécu comme une sorte de fatalité. Ainsi, tout nouvel État venant à entrer dans l'Union est tenu de transposer en droit interne des pages et des pages «d'acquis communautaire». Pendant qu'il s'y emploie, son Parlement se transforme ponctuellement en chambre d'enregistrement. Je n'irai évidemment pas jusqu'à dire que toutes nos lois nous sont imposées du dehors: c'est faux. Pour autant, dans un livre dense et passionnant sur l'histoire de l'intégration européenne intitulé Le Passage à l'Europe, le philosophe Luuk Van Middelaar affirmait, au sujet de la Cour de justice de l'Union et de ses célèbres arrêts de 1963-64: «lorsque les États reconnaissent la Cour comme porte-parole de la fondation européenne, ils sont juridiquement domptés». Être dompté: quelle heureuse perspective pour un démocrate!
Et attention: il ne faut pas croire, sous prétexte qu'on n'en parle rarement, que la CJUE n'existe plus ou n'a plus aucune action . Tout récemment, elle a été amenée à statuer sur le programme OMT (Outright monetary transactions), un programme non conventionnel lancé par Mario Draghi en 2012 pour «sauver l'euro». Elle a évidemment considéré que ce programme était bel et bon. C'est remarquable: une institution supranationale non élue, la BCE, met au point un programme qui semble contrevenir à la mission que lui assignent les traités. A la demande de la Bundesbank puis de la Cour constitutionnelle allemande, ce programme est déféré devant une autre institution supranationale non élue, la CJUE, qui l'avalise. La Banque centrale et la Cour de justice dialoguent donc entre elles, se font des politesses, se délivrent l'une à l'autre des certificats de bonne conduite. Quelle chance de réussite peut avoir un véritable gouvernement d'alternance comme celui d'Alexis Tsipras dans un tel environnement?
Troisième et dernière chose: on ne peut attendre de l'Union européenne qu'elle soit démocratique, car la démocratie par définition, c'est «le pouvoir du peuple». Or il n'y a pas de peuple européen. Il y a 28 peuples nationaux. Si l'Europe était un organisme inter-national, ces peuples pourraient coopérer, avoir des relations de bon voisinage et d'amitié. Mais l'Union est une structure supra-nationale, qui exige que chacun de dépouille de large morceaux de souveraineté. On a vu à quoi cela conduit: ce sont désormais 28 légitimités qui s'affrontent, dans le but essentiel de ne pas se laisser dévorer par l'échelon de surplomb, l'échelon communautaire. Dans le cas qui nous occupe, il est assez clair que la Grèce est en train d'affronter l'Allemagne. Le gouvernement grec cessera d'être légitime aux yeux de son peuple dès lors qu'il acceptera de faire ce que son appartenance supranationale exigerait de lui: renoncer à essayer de sortir son pays de l'austérité et exiger un allégement de sa dette. Le gouvernement allemand, pour sa part, cessera également d'être légitime aux yeux de son peuple s'il renonce à faire ce que son appartenance supranationale devrait lui imposer: se montrer solidaire, renoncer à ses créances sur la Grèce et accepter la restructuration de la dette hellène. Dans le premier cas, Tsipras faillirait à sa parole puisqu'il a promis la fin des privations. Dans le second cas, Merkel faillirait à sa parole puisqu'elle a promis de protéger le contribuable allemand.
Nous sommes dans un nœud de contradictions et, comme le dit le juriste Régis de Castelnau, «L'UE n'est pas un organisme démocratique. Elle n'est pas anti-démocratique, elle est a-démocratique» . Elle est devenue le lieu où se percutent violemment les intérêts contradictoires de différents pays. Le premier qui cesse de faire entendre sa voix cesse d'être une démocratie véritable pour devenir une «post-démocratie», sorte d'objet politique un peu flasque au sein duquel les libertés individuelles sont préservées, mais où n'existe plus aucune possibilité de choix collectif. La France est dans ce cas. L'Allemagne est l'une des dernières démocraties d'Europe: elle a pu le rester parce qu'elle est le pays le plus fort, et cela ne s'est fait qu'au détriment des pays voisins. La Grèce, elle, tente de redevenir une démocratie. A cet égard, le référendum décidé par Alexis Tsipras, quel que puisse être son résultat, est un très beau pas en avant.
Dans le journal Le Monde, Nicolas Sarkozy, qui lors de son retour a fait du recours au référendum l'une de ses propositions phares, trouve anormal qu'Alexis Tsipras appelle à voter non. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Nicolas Sarkozy est l'homme même qui a inventé l'invalidation de la parole du peuple par le Parlement en faisant ratifier par le Congrès, en 2008, un traité (Lisbonne), rejeté par référendum trois ans avant. Que pouvait-on attendre de lui?
En fait, beaucoup de gens se révèlent à l'occasion de cette crise grecque. Ils sont mis à nu. Dans le cas de Sarkozy, on voit bien quel genre de société il appelle de ses vœux. Un chef de parti qui propose, d'une part, de remettre en cause le principe du droit du sol, d'autre part de s'en remettre à l'Allemagne pour tout le reste (ce qu'il a d'ailleurs toujours fait lorsqu'il était Président: il a été un second très obéissant pour Mme Merkel), je ne vois plus trop où le classer politiquement.
Pour en revenir à Tsipras et au fait qu'il appelle à voter «non», j'avoue que je ne comprends pas où est le problème. Syriza est arrivé au pouvoir en janvier avec 36,5% des suffrages seulement. Ils se sont fait élire sur une promesse qui, personnellement (l'euro me semble être une monnaie austéritaire par construction) me paraissait contradictoire: mettre fin à l'austérité d'une part, demeurer dans la monnaie unique d'autre part. Arrivée à un certain point de la négociation, Alexis Tsipras s'est aperçu qu'il ne parvenait pas à tenir sa promesse. Les toutes dernières propositions qu'il a faites la semaine dernière étaient véritablement des propositions austéritaires, et il a dû lui en coûter beaucoup de les formuler. Malgré cet effort substantiel, les créanciers lui ont retourné sa copie biffée de rouge, comme on on le fait avec un petit enfant qui aurait pondu un mauvais devoir. Au comble de l'humiliation, voyant bien qu'il n'avancerait pas davantage, le Premier ministre grec a convoqué un référendum.
La raison en est aisément compréhensible. Elle a été donnée par le ministre Yanis Varoufakis : pour pouvoir poursuivre son combat en position de force, le gouvernement hellène a désormais besoin de 50% des voix +1, c'est à dire de la majorité absolue. Tsipras en appelle au peuple dans l'espoir d'obtenir le surcroît de légitimité nécessaire pour pour pouvoir aller plus loin. Y compris, peut-être, jusqu'à la rupture.
Il est donc plus que logique qu'il milite pour le «non». S'il le «oui» l'emporte, il a toutefois affirmé qu'il le respecterait, mais également qu'il se retirerait, afin de ne pas avoir à endosser une politique contraire à ses idées. Où est le scandale? En France, le général de Gaulle gouvernait comme ça. Cela a-t-il ruiné la France? Je ne crois pas....
Beaucoup d'observateurs prédisent le chaos en cas de vote non. Leurs inquiétudes ne sont-elles pas légitimes?
J'ai l'impression que l'impasse serait bien plus totale en cas de vote «oui». Tsipras quitterait ses fonction avec, probablement, l'ensemble de son gouvernement. Il y aurait donc un nouveau scrutin. Or Syriza demeure très populaire dans le pays. Que se passerai-il alors? Les mêmes seraient réélus et on en reviendrait aux mêmes points de blocage. A moins que les Grecs recourent une nouvelle fois au second parti du pays, Nouvelle Démocratie. Mais cette fois, on en reviendrait carrément à la situation d'avant le 25 janvier 2015. Avec le sentiment terrible, pour la population, que rien n'avance et que rien n'est possible.
Je ne doute pas une seconde que bon nombre de leaders européens adoreraient la solution prônée par Martin Schultz: la mise en place d'un «gouvernement de technocrates» . Je rappelle pour mémoire que Martin Schultz est social-démocrate, et que dans social-démocrate il y a «social» et «démocrate». Je rappelle également qu'il préside le Parlement européen, cette institution qu'on nous a vendue comme étant le haut lieu d'une démocratie européenne en devenir, et dont on nous disait que tout deviendrait rose sitôt qu'elle aurait accru ses prérogatives.
Bref, Martin Schultz et quelques autres sont devenus des alliés objectifs de l'Aube Dorée. Je pense d'ailleurs qu'ils le savent, et que ça leur convient. Car si le parti d'extrême-droite arrive un jour au pouvoir à Athènes, ça leur donnera une nouvelle occasion d'injurier les Grecs, de leur intenter un procès en fascisme. Du coup, ils ne prennent même plus la peine de dissimuler leur malveillance.
Certains grands titres ont parlé de «braqueur de banques» au sujet d'Alexis Tsipras … Au-delà des politiques, en France, la majorité des médias et des éditorialistes font campagne pour le oui. La comparaison avec le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen vous parait-elle justifiée?
Ce qualificatif de «braqueur de banques» ne manque pas de sel quand on sait que la majeure partie de l'aide accordée par la Grèce en 2010 a constitué, en réalité, une recapitalisation déguisée des banques européennes, principalement françaises et allemandes. La Grèce n'a finalement servi que de courroie de transmission pour des sommes énormes qui sont passées des mains d'entités publiques (États membres, FMI, BCE) dans les poches d'entités privées, sans que la population hellène en voie jamais la couleur. Plusieurs économistes qui se sont trouvés au cœur des négociations à l'époque le disent aujourd'hui . En 2010, la Grèce était déjà insolvable. Le défaut était inévitable et il aurait dû intervenir immédiatement. On ne l'a différé que pour laisser le temps à quelques banques très exposées de faire leurs valises. Ces établissements, qui avaient joué avec le feu en prêtant à risque et avaient touché à cette fin des intérêts très importants (le taux d'intérêt n'est rien d'autre que la rémunération du risque), ont empoché des gains et essuyé des pertes mineures. Et on a transféré le risque sur les contribuables européens, auxquels on dit aujourd'hui qu'ils vont payer pour les Grecs. C'est un mensonge. Si la Grèce fait défaut sur sa dette, ils vont payer pour les banques.
Concernant la campagne menée par les éditorialistes français.... certes, elle existe. Mais ça ne me semble même pas être le plus grave. Le plus grave, c'est que toute l'eurocratie milite pour le «oui».
Ça, c'était avant l'annonce du référendum. Cette dernière ayant pris tout le monde de court, les créanciers ont alors changé de braquet. Ils ont entrepris de faire gagner le « oui ».
Plus grave encore: depuis le début, il y a une volonté authentique de déstabilisation du gouvernement Tsipras. Le journal Le Monde s'est même risqué à proposer un scénario du putsch : «Imaginons donc un scénario de crise: 30 juin, constat de défaut de la Grèce: 1er juillet, panique bancaire et instauration d'un contrôle des changes par Tsipras, contraint et forcé ; 2 juillet, mise en minorité du gouvernement Tsipras par les irréductibles de Syriza ; 3 juillet, constitution d'un gouvernement d'union nationale, avec ou sans Tsipras ; 4 juillet, retour des négociateurs à Bruxelles-Canossa. Odieusement antidémocratique? Les Grecs jouent au poker. Pourquoi pas nous?» écrivait carrément Arnaud Leparmentier.
On constate que le scénario a été plutôt bien suivi. Pour commencer, on a d'abord conduit Tsipras à formuler des propositions dont on espérait qu'il serait incapable les faire voter par son aile gauche, ce qu'il fit en milieu de semaine dernière. Il fallait que Syriza se scinde pour pouvoir soit se débarrasser de Tsipras, soit le contraindre à faire alliance avec le parti centriste To Potami, voire avec les conservateurs de l'aile Kamaranlis. Cette stratégie des créanciers, le journaliste britannique Paul Mason l'avait déjà mise à jour dès le mois d'avril .
Ça, c'était avant l'annonce du référendum. Cette dernière ayant pris tout le monde de court, les créanciers ont alors changé de braquet. Ils ont entrepris de faire gagner le «oui». Comment? De très simple manière. Dans un premier temps, l'Eurogroupe a refusé de poursuivre le programme d'aide au delà de sa date originelle de fin, c'est à dire du 30 juin. Dans un second temps, la Banque centrale européenne a décidé de maintenir l'accès des banques grecques à la liquidité d'urgence (ELA), mais sans en augmenter le plafond, alors même que l'annonce du référendum avait conduit à de très importants retraits d'argent liquide tout au long du week-end dernier, et que les banques du pays étaient à sec. La décision de Mario Draghi de ne pas couper brutalement l'ELA a été présentée comme un cadeau fait à la Grèce. Mais de quel cadeau parle-t-on? C'est la mission même d'une banque centrale que de refinancer les banques de second rang et cela, partout dans le monde. Le seul cas où elle doit s'abstenir de le faire, c'est si lesdites banques sont insolvables. Comment sait-on si les banques grecques sont insolvables ou simplement illiquides? Si elles sont insolvables, pourquoi la BCE a-t-elle augmenté le plafond de l'ELA trois fois au cours de la semaine dernière? Si elle sont simplement illiquides, pourquoi ne les refinance-t-on pas sans discuter? La réponse est évidente: pour contraindre le gouvernement grec à décider de la mise en place d'un contrôle des capitaux, mesure dont tout le monde savait qu'elle serait très impopulaire et militerait avec une efficacité redoutable en faveur du «oui»....
Depuis le début, les Bruxellois sont tellement sûrs qu'ils parviendront à se débarrasser du remuant Tsipras, qu'ils ont même entrepris de commencer à former le gouvernement grec de substitution. Dans ce cadre, ils ont reçu celui qu'ils considèrent probablement comme le Premier ministre idéal, le leader du parti To Potami Stavros Théodorakis. Comme le souligne ici la rédactrice en chef d'une revue grecque de philosophie Vicky Skoumbi, cet homme, chef d'un parti qui représente à peine 6% des suffrages en Grèce, a été accueilli en fanfare... le jour même où l'on faisait officiellement savoir à Tsipras que ses toutes dernières propositions étaient rejetées. Le même jour, l'on recevait également la nouvelle patronne du PASOK. Et la veille, on invitait Antonis Samaras.
On n'a donc que ça à faire, à Bruxelles? Organiser des déjeuners avec toute l'opposition grecque alors qu'on est au cœur d'un processus de négociation difficile? Vicky Skoumbi parle de tentative de «coup d'État financier contre Athènes». Très honnêtement, même si ça sonne complotiste aux oreilles de certains, j'ai bien peur qu'elle soit proche de la vérité. En tout état de cause, si le vote «oui» l'emporte dimanche, on saura qu'on ne le doit pas qu'au seul peuple grec....
Un sondage d'une association antiraciste révèle que 85 % des Grecs penseraient que les juifs ont trop de poids dans la finance …
Mince. J'avais raté ce réjouissant élément d'information. Décidément, aucune injure ne sera épargnée à ce peuple. On nous a dit que les Grecs étaient dispendieux, fainéants, tricheurs. Les voilà antisémites!
Il y a en Grèce, c'est vrai, un parti néonazi: l'Aube dorée. Mais, faut-il le rappeler, il a obtenu à peine plus de 6% aux législatives de janvier. Dans un pays aussi durement touché par la crise, c'est plutôt une contre-performance.
Il a beaucoup été dit, sinon, que Tsipras gouvernait avec un parti d'extrême-droite, les Grecs indépendants. C'est une erreur: les Grecs indépendants ne sont pas des extrémistes. Il s'agit d'une formation de droite ordinaire, issue d'une scission de Nouvelle Démocratie. Leur particularité est qu'ils sont souverainistes, et c'est surtout ça, me semble-t-il, qu'on leur reproche.
Il y a bien eu, en revanche, dans les précédents gouvernements grecs, ceux dirigés par Antonis Samaras, de vrais ministres d'extrême-droite, comme par exemple Adonis Georgiadis ou Makis Voridis , tous deux passés par le LAOS. Au demeurant, les deux étaient déjà membres du gouvernement dirigé par l'ancien banquier central Papadimos en 2011 . Cela a-t-il empêché les associations antiracistes de dormir à l'époque? Je ne me le rappelle pas.
Si le non grec l'emporte, peut-il être ignoré comme le fut le non français?
Non. Cette fois-ci, c'est différent. D'abord parce que le gouvernement grec appelle lui-même à voter non. Ensuite parce que tous les caciques de cette Union européenne se sont dévoilés. Leur aversion pour la démocratie s'est vue comme un nez au milieu de la figure. Là dessus, il ne pourra y avoir de retour en arrière.
D'ailleurs, il n'y aura pas de retour en arrière non plus si le «oui» l'emporte. En réalité, c'est la tenue du référendum elle-même qui représente un tournant. Elle rend caduque l'idée selon laquelle il n'existe aucun choix possible au sein de l'Union européenne. Elle prouve par les faits que, même seul, même sans allié au sein de l'UE, le gouvernement d'un petit pays peut tenir tête. On imagine aisément ce que ça pourrait donner si, demain, le gouvernement d'un grand pays de l'eurozone se mettait à vouloir exercer, lui aussi et pour de vrai, le pouvoir qu'il a reçu des urnes.
Bref, Jean-Claude Junker s'est fourvoyé: les citoyens ont encore le choix. Il y a un choix démocratique possible même dans le cadre des traités européens.
Source : Le Figaro
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Grèce : les options de la BCE
Par Romaric Godin, le 6 juillet 2015 - La Tribune
Lundi 6 juillet, la BCE va se réunir pour examiner la demande de relèvement du plafond des liquidités d’urgence de la Grèce. Une réunion cruciale. Revue des options.
Le « non » grec, franc, clair et massif pose désormais un problème d’envergure à la BCE. Lundi 6 juillet, le conseil des gouverneurs de l’institution de Francfort va se réunir pour examiner une nouvelle fois la demande de la Banque de Grèce déposée ce dimanche de relever le plafond de la liquidité d’urgence mis à la disposition des banques helléniques dans le cadre du programme ELA. Or, de cette décision dépend très concrètement l’avenir de la Grèce dans la zone euro. Quelles sont les options possibles ?
Première option (la plus probable) : ne rien faire
La première option est que la BCE considère qu’il n’y a pas de changement. C’est l’option qui est jugé la plus crédible ce soir. La possibilité d’un accord reste la même qu’avant le « non », les négociations continuent et la BCE tient à en attendre l’issue. Elle maintient donc l’accès à l’ELA à son niveau actuel. Dans ce cas, la situation diffère en réalité peu de celle de l’option précédente, quoique la pression soit théoriquement moins forte. Mais en réalité, le processus de sortie de la Grèce de la zone euro a déjà commencé avec le gel du niveau de l’ELA la semaine passée. Progressivement, la Grèce se détache de l’euro. Les transactions électroniques sont interrompues et, ce dimanche soir, Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances a annoncé l’émission de titres de créances de l’Etat ayant valeur monétaire (les « IOU »), qui ne sont rien moins qu’une monnaie parallèle. Autrement dit, un gel de l’ELA continue le processus de divorce entre la Grèce et la zone euro.
Deuxième option (possible) : augmenter les décotes sur les collatéraux
Mais le Conseil des Gouverneurs de la BCE peut considérer qu’il reste un espoir d’accord compte tenu de la réunion de l’Eurogroupe et des dirigeants de la zone euro mardi 7 juillet, mais aussi des déclarations d’Alexis Tsipras appelant à des discussions. Comme cet espoir n’est pas certain, cependant, il peut estimer que la valeur des titres déposés par les banques grecques en garantie (collatéraux) pour obtenir les crédits de l’ELA (rappelons que cet argent n’est pas « donné » aux banques) est dégradée puisque le risque de défaut grec est plus élevé. Une grande partie de ces titres sont en effet soit des titres de l’Etat grec, soit des titres garantis par l’Etat grec.
En conséquence, le CG de la BCE rejettera alors la demande de la Banque de Grèce et durcira les conditions pour avoir accès aux liquidités de l’ELA en abaissant la décote appliquée pour le calcul de la valeur des collatéraux. Dans ce cas, la capacité d’emprunt des banques grecques va se réduire. Compte tenu de l’état des banques grecques, cette décision conduirait encore à un durcissement de la situation sur le terrain, sans doute avec de nouvelles restrictions pour les retraits et des relations financières encore plus difficile entre la Grèce et le reste du monde. Dans ce cas, la BCE n’expulse pas la Grèce de la zone euro, mais elle met la pression davantage sur le gouvernement grec et les Européens pour trouver une solution rapidement. Mais elle prendra le risque d’un « Graccident » si le manque de liquidité conduit à une détérioration de la situation intenable.
Troisième option (peu probable) : couper l’ELA
La troisième option de la BCE serait que le Conseil des Gouverneurs considère que ce « non » réduit à néant toute possibilité d’accord. Il suivrait donc l’avis du vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel qui considérait dimanche soir « qu’Alexis Tsipras a détruit les derniers espoirs d’entente. » Dans ce cas, le défaut est inévitable et les collatéraux des banques grecques ne valent plus rien. L’ELA ne peut donc plus être poursuivie. Les banques grecques se retrouvent alors immédiatement en état de faillite, incapable de fonctionner. Athènes devra alors réagir vite. Il est possible de renflouer les banques avec les dépôts, mais c’est très douloureux socialement et cela ne règle pas le problème de liquidité des banques. La Grèce devrait sans doute nationaliser les banques, mais là encore, il faudra régler le problème de la liquidité. L’émission d’une nouvelle monnaie deviendrait incontournable. La BCE aura expulsé de facto le pays de la zone euro. C’est une option peu vraisemblable compte tenu des négociations encore en cours. Surtout, couper l’ELA nécessite une majorité des deux tiers au Conseil, ce qui est sans doute difficile à obtenir.
Quatrième option (peu probable) : relever le plafond de l’ELA
La dernière option est celle où le Conseil des Gouverneurs considère que le « non » a renforcé la possibilité d’un accord et donne satisfaction aux demandes de la Banque de Grèce. Dans ce cas, les banques grecques pourraient rouvrir rapidement, mais les restrictions aux guichets pourraient rester en place pour éviter une hémorragie des dépôts. Ce serait le scénario le plus favorable à la Grèce et qui écarterait tout risque de Grexit dans l’immédiat. Mais c’est aussi le moins probable compte tenu des réactions au « non » entendu en Allemagne. La BCE ne peut prendre une telle décision avant les réunions de mardi.
Comment éviter le Grexit ?
On le voit, la possibilité d’une sortie de la Grèce de la zone euro reste très élevée. L’option la plus favorable serait celle d’un gel de l’ELA lundi 6 juillet, d’une ébauche d’accord le lendemain et, mercredi, d’un relèvement du plafond de l’ELA par la BCE. Mais le jeu politique européen n’étant pas si simple, la situation peut à tout moment déraper. D’autant, on l’aura compris, que la Grèce glisse progressivement vers la sortie de l’UEM. Surtout, il n’est pas à exclure que les 18 décident de provoquer l’expulsion de la Grèce en ruinant toute possibilité d’accord. Déjà, ce dimanche soir, Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe a jugé « regrettable » le résultat du référendum. Si aucun accord n’est possible, la situation de la BCE deviendra intenable. Elle ne pourra plus guère utiliser l’ELA. Mais elle est tenue – on l’oublie souvent – par les traités à assurer la « stabilité monétaire de la zone euro. » Or, la Grèce est encore dans la zone euro et couper l’ELA pour expulser la Grèce pourrait mettre en cause cette stabilité. La BCE est désormais en première ligne, mais elle est face à une impasse.
Source : La Tribune
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Grèce : le “non” grec place Angela Merkel au pied du mur
Par Romaric Godin, le 5 juillet 2015 - La Tribune
En votant “non”, les Grecs ont montré une nouvelle fois leur refus de l’impasse à laquelle a conduit l’austérité. Angela Merkel doit désormais choisir entre la prise en compte de ce vote et l’inflexibilité de son ministre des Finances.
Désormais, le bluff n’est plus possible pour Angela Merkel. Après une semaine de campagne réalisée dans des conditions inimaginables de banques fermées, d’argent rationné, de retraités angoissés et de matraquage médiatique angoissant, les Grecs ont dit une nouvelle fois « non. » On pourra certes relativiser la portée de ce non par le taux d’abstention [note OB : 40 %]. Mais il n’empêche. Dans les conditions décrites ci-dessus, il s’est trouvé plus d’électeurs grecs pour refuser l’ultimatum posé par les créanciers à leur pays que pour l’accepter.
Prêts à prendre le risque du Grexit plutôt que de subir l’austérité stérile
Entre le rejet d’une nouvelle cure d’austérité stérile et le risque du Grexit, les Grecs ont choisi la deuxième solution. Certes, nul en Grèce ne souhaite la sortie de la zone euro, mais le message envoyé ce dimanche 5 juillet à ceux qui, comme Jean-Claude Juncker, Benoît Cœuré ou Jeroen Dijsselbloem, les ont menacés durant une semaine d’une expulsion de l’Union économique et monétaire s’ils votaient « mal », est bien celui-ci : les Grecs sont prêts à prendre ce risque pour ne pas s’engluer à nouveau dans la spirale infernale de l’austérité sans fin.
Le rejet de la logique européenne
Une nouvelle fois donc – la deuxième en moins de six mois -, les créanciers peuvent donc mesurer l’ampleur du rejet des politiques qu’ils ont imposées au pays depuis 2010. Une nouvelle fois, ils peuvent prendre conscience que leur stratégie de la peur ne fonctionne plus en Grèce. Si Angela Merkel a déclaré ce dimanche qu’Alexis Tsipras « lance son pays vers un mur à pleine vitesse », elle doit ce soir reconnaître que, pour la première fois depuis 2010, sa stratégie du pourrissement a échoué. Elle qui déteste trancher se retrouve ce soir face à la nécessité d’un choix. Les autorités grecques sont désormais prêtes à reprendre les négociations : elles n’ont jamais vu le « non » comme un vote de rupture, mais comme un moyen de reprendre la main dans les négociations. Le camp grec est ce soir plus fort de son soutien populaire, mais il tend une main vers les créanciers. Et Angela Merkel doit simplement décider si elle accepte cette main tendue ou si elle la refuse.
Ne rien faire : ouvrir la porte au Grexit
Si elle la refuse, si elle laisse l’affaire, comme elle l’a fait depuis des mois, entre les mains de la BCE et de l’Eurogroupe, donc si elle continue à ne considérer la crise grecque que comme une affaire de technique financière, la Grèce n’aura guère d’autre choix que de sortir de la zone euro. Les banques grecques sont à l’agonie. Les distributeurs sont vides. La BCE doit, lundi 6 juillet, décider de l’accès du système financier grec à la liquidité d’urgence. Si elle n’a aucun signe de la possibilité d’un accord, il est certain qu’au mieux, elle durcira les conditions en abaissant la valeur des collatéraux (garanties) déposés par les banques grecques pour obtenir cette liquidité d’urgence. Alors, le gouvernement grec sera soumis à une économie à l’arrêt complet. Une situation qui peut durer quelques jours peut-être, le temps de rouvrir des négociations et d’envoyer un message à la BCE pour normaliser l’accès à la liquidité. Mais pas plus. Si aucun message d’ouverture ne vient de Berlin, la Grèce devra commencer à émettre une monnaie propre pour permettre le fonctionnement de son économie. La glissade vers le Grexit sera alors inévitable.
Stopper la machine infernale
Angela Merkel peut donc encore décider de stopper la machine infernale. Elle peut accepter le résultat de ce soir et la décision du peuple grec et engager des négociations sur la base de la dernière proposition grecque. Cette dernière, rappelons-le, reprenait l’essentiel du plan du 25 juin rejeté ce soir par les électeurs grecs à quelques exceptions près (maintien du rabais de 30 % de la TVA dans les îles de la mer Egée, suppression plus tardive de la retraite complémentaire pour les plus fragiles, par exemple). Elles sont donc acceptables par les créanciers. Mais Athènes n’acceptait ces sacrifices que dans le cadre d’une restructuration de cette dette insoutenable comme l’a encore reconnu le FMI vendredi 3 juillet. il faudra donc aussi que la chancelière accepte d’en parler.
Les “promesses intenables” d’Angela Merkel
On a beaucoup glosé sur les « promesses intenables » d’Alexis Tsipras. Mais on a oublié une autre promesse intenable : celle d’Angela Merkel faite à ses électeurs de récupérer les sommes versées à partir de 2010 à la Grèce dans le cadre d’une cavalerie financière intenable. La démagogie n’est pas toujours là où on l’attend et Angela Merkel arrive ce soir au bout de ses « promesses intenables. » Elle doit donc accepter de discuter – Athènes ne demande pas davantage – de l’avenir de la dette grecque.
La responsabilité de la chancelière face à l’avenir de l’Europe
C’est donc un choix difficile pour la chancelière. Si elle refuse d’emprunter cette voie, si elle continue de laisser décider la BCE, l’Eurogroupe et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble – qui estime que le Grexit pourrait n’être que « temporaire » et était sans effet pour l’Europe -, alors elle pourrait devoir aussi en assumer les terribles conséquences. D’abord, pour la Grèce elle-même. Si le Grexit tourne mal, elle devra répondre de l’aggravation d’une situation humanitaire déjà bien dégradée. Ensuite, elle devra savoir qu’elle entrera dans l’Histoire comme celle qui aura défait tout ce que la génération précédente avait construit. L’Union économique et monétaire deviendra un système de taux de change fixe. A tout moment, il sera possible d’en sortir ou de s’en faire expulser. Ce sera une construction dénuée de sens politique. Par ailleurs, pour refuser d’accepter la réalité de l’insoutenabilité de la dette grecque, la chancelière risque de devoir faire face à un défaut unilatéral de la Grèce, et elle et son ministre des Finances devront expliquer aux contribuables allemands que leur rigidité leur a fait perdre des montants bien plus importants que ce qu’ils avaient voulu sauvegarder. Enfin, elle devra assumer les risques qui sont aujourd’hui minimisés peut-être à tort d’un Grexit sur la conjoncture alors qu’un krach boursier se profile en Chine…
Au pied du mur
Ce soir donc, les Grecs placent clairement Angela Merkel face à ses responsabilités. La journée de lundi sera décisive. La chancelière rencontrera François Hollande en soirée. Mais elle devra auparavant faire savoir si elle accepte ou non la réouverture des négociations. Sans son accord, le Bundestag refusera toute discussion. Or, sans feu vert du Bundestag, le MES ne peut pas engager de discussions sur un nouveau programme. La chancelière est donc ce soir au pied du mur.
Source : La Tribune
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Paresseux, profiteurs, anti-européens : des Grecs répondent aux idées reçues diffusées à l’occasion du référendum
Par Camille Polloni, le 6 juillet 2015 - Bastamag
Fainéants, fraudeurs, dépensiers... Depuis cinq ans, les Grecs ont été accusés de nombreux maux : des clichés distillés dans certains médias et par plusieurs dirigeants politiques européens, notamment Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances. Alors que les Grecs ont répondu « non » à plus de 60% aux conditions posées par la Commission européenne et le FMI, Basta ! a choisi de les faire réagir à ces idées reçues. Qu’ils aient voté oui ou non au référendum du 5 juillet, ils témoignent tous de la brutalité des politiques d’austérité et, pour la plupart, de leur attachement à l’idée européenne. Reportage à Athènes.
Il est tentant de répondre à la situation grecque par des phrases toutes faites. Le pays s’est endetté pendant des années ? Qu’il rembourse après s’être bien « goinfré ». Les mesures d’austérité imposées sans nuance depuis 2010 ont aggravé les conditions de vie de millions de familles ? L’épreuve est rude mais les efforts porteront leurs fruits. D’ailleurs, ce n’est qu’un juste retour des choses : si l’Union européenne et le FMI n’avaient pas joué les anges gardiens, ces méditerranéens engourdis auraient sans doute continué à se prélasser sous les bougainvilliers, en rêvant au meilleur moyen d’échapper à l’impôt. Pendant que leurs voisins d’Europe de l’Ouest, eux, travaillent à réduire la note.
En mars dernier, Attac a dressé une liste de clichés sur la Grèce, en y apportant des réponses économiques argumentées. L’expérience de ceux qui ont subi cinq ans de coupes budgétaires, de baisses de salaires (37% en moyenne selon le ministre de l’Economie Yanis Varoufakis) contribue aussi à relativiser ces idées reçues. Nous en avons soumis quelques unes à des Grecs de tous horizons, partisans du « non » comme du « oui », au cours de la semaine pesante qui a précédé le référendum sur l’acceptation, ou non, du plan proposé par la Troïka (Commission européenne, FMI, BCE) [1].
Le budget de la santé en diminution de 40%
On leur a dit que l’Europe était là pour les aider, et que l’austérité ne tuait pas. Pourtant, le taux de suicide a explosé en Grèce et diverses pathologies – tuberculose, syphilis, Sida, paludisme, mortalité infantile – ont fait leur retour ou prospéré. Dans le même temps, le budget de la santé a diminué de 40%. L’enveloppe consacrée à l’hôpital Evangelismos, le plus grand d’Athènes, est passée de 156 à 72 millions d’euros en cinq ans.
Vicky, médecin spécialisée dans les biopsies, a fait les frais de ces coupes budgétaires : l’hôpital où elle travaillait n’a pas renouvelé son contrat. Elle attend depuis deux ans d’être réaffectée ailleurs, sans que le ministère ne donne signe de vie. « 20 000 médecins ont émigré ailleurs en Europe », souligne la jeune femme en agitant un drapeau grec, dans la manifestation de vendredi pour le “oui” au référendum devant le stade Kallimarmaro d’Athènes (lire à ce propos notre enquête en Allemagne). Elle craint par-dessus tout une sortie de l’euro et de l’Union. « Notre situation ressemblerait à celle du pire pays africain », renchérit l’homme qui l’accompagne.
L’Europe, une « union politique solidaire » ?
Pavlina, 59 ans, logisticienne en milieu hospitalier, participe aussi à la manifestation. Elle blâme plutôt les gouvernements grecs successifs, qui « n’ont pas joué leur rôle correctement », que l’UE : « On est mieux en Europe que sans l’Europe. » Un libraire rencontré la veille se demande « de quelle Europe on parle ». Déçu par « l’Europe de la finance, pour faire vite », il rappelle que l’ambition initiale de cette « union politique solidaire » consistait à « favoriser le développement social et économique ». « Et éviter la guerre ! », ajoute la gérante de la librairie, avant de confier ses difficultés.
« J’ai le sens de l’effort et je suis convaincue qu’en se serrant la ceinture, on peut arriver à quelque chose. Mais il faut savoir se battre contre des crétins qui appliquent des mesures complètement techniques sur des êtres humains. » La librairie a perdu du chiffre d’affaires – « les clients pensent d’abord à s’acheter à manger et des médicaments » – et cette semaine, il lui est impossible de payer les fournisseurs, comme d’être payée en retour. « Je n’ai jamais vu une situation pareille, tout est bloqué. Selon les jours, je suis tantôt le créancier, tantôt le débiteur de quelqu’un. » Le lendemain, coup de téléphone : la gérante ne veut plus que le nom de la librairie et le sien apparaissent dans l’article. L’équilibre fragile de son commerce repose sur sa bonne réputation.
Cliché « raciste et colonialiste »
Lors d’un débat organisé début juin à Athènes, l’historien français Olivier Delorme avançait que « le stéréotype du grec voleur, fainéant, menteur, déjà utilisé par les croisés quand ils rencontrèrent les Byzantins, est utilisé pour installer la guerre de tous contre tous en Europe ».
Harris, 52 ans, manifestant pro-”oui”, concède que si ce présupposé sur ses compatriotes « n’est pas vrai », « l’état du pays donne cette impression ». « En agissant comme nous l’avons fait pendant des années, nous les avons autorisés à penser cela. » Cet élégant fabricant de bijoux qui exporte sa production en Belgique, en France, aux États-Unis, pensait voir le bout du tunnel en 2014. Mais les derniers mois l’ont fait déchanter, et la fermeture des banques ces jours-ci l’empêche aussi bien d’honorer ses commandes que de payer ses fournisseurs. Il craint de ne pas pouvoir verser leurs salaires à ses employés.
Panagiotis Sotiris, membre du comité de coordination de la coalition d’extrême-gauche Antarsya, s’élève contre un cliché « raciste et colonialiste ». « Toutes les statistiques montrent qu’en Grèce, les heures et jours de travail sont les mêmes que dans le reste de l’Europe. » Auparavant maître de conférence en CDD à l’université d’Egée, il a lui-même perdu son emploi suites aux coupes budgétaires. « En grec, on utilise le même mot pour “la dette” et “le devoir”. Mais notre dette, notre devoir, est envers une société qui a tout souffert, envers nos enfants et le futur de ce pays, pas envers nos créditeurs. » A ses yeux, l’intervention de l’Union européenne « a été le mécanisme principal pour imposer une austérité disciplinaire et punitive ».
Le PIB a chuté de 42% en sept ans
Au rassemblement pour le “non”, vendredi place Syntagma, Tomas et Efi sont assis sur un rebord de trottoir. A 30 ans, cet « ancien anarchiste » est au chômage depuis la fin de ses études en journalisme, comme plus de 50% des jeunes – et 25,6% des actifs, soit 1,5 million de personnes. Sa soeur de 21 ans étudie la littérature anglaise. Ils vivent tous les deux chez leurs parents. « Vous devez vous demander comment on fait avec un tel taux de chômage ? », demande Tomas. « C’est simple : une seule personne travaille et tente de faire vivre toute la famille. »
Au total, le PIB a chuté de 42% depuis 2008. Le père d’Efi et Tomas tient un “periptero”, ces kiosques ouverts très tôt et très tard qui vendent journaux, cigarettes, boissons et souvenirs. « Il travaille 10 à 12 heures par jour, tous les jours. » Tomas entrevoit un sursaut. « Avant, les vieux disaient aux jeunes de ne pas aller aux manifestations, maintenant ils veulent qu’on les emmène. Nous menons le combat pour toute l’Europe. Si nous le perdons, ce sera un très mauvais exemple pour les autres pays. »
La Grèce, laboratoire européen de l’austérité ?
Cette idée que la Grèce servirait de laboratoire aux politiques d’austérité européennes est sur toutes les lèvres. « Nous pourrions devenir une source d’inspiration pour les travailleurs de toute l’Europe », se prend à rêver Eleni, membre du très rigide KKE, le parti communiste grec. Elle gagne 750 euros par mois – un peu plus que le nouveau salaire minimum de 2012, mais moins que l’ancien – et dépense 250 euros par mois pour se rendre au travail. « Les cinq dernières années, pour nous, ont été de pire en pire. Je ne pense pas que ça change à long terme. »
La dette, beaucoup de Grecs la voient comme scandaleuse. Ils peuvent à présent s’appuyer sur les conclusions d’un audit mené par une commission parlementaire. En juin, celle-ci a rendu ses premières conclusions : une grande partie de la dette est illégale, illégitime et odieuse, selon les termes utilisés en droit international [2]. La majeure partie des aides accordées à la Grèce ont en fait servi à rembourser les banques européennes (lire aussi : Où sont passés les 200 milliards destinés au « sauvetage » de la Grèce ?). Dans ces conditions, l’obligation de rembourser perd de sa substance. Ce ne serait pas la première fois que des pays surendettés négocient avec leurs créanciers une restructuration de leurs dettes : l’Islande en 2011, l’Irlande en 2013, sans parler de l’Allemagne en 1953.
Rembourser ou pas une dette jugée « illégitime » ?
Makis, 53 ans, travaille comme serveur dans un restaurant pendant la saison touristique à Paros. Il gère en même temps une petite pension de cinq chambres. « Le fait que les Grecs travaillent d’une manière plus détendue, en raison du climat et de la mentalité, n’en fait pas des fainéants. Nous travaillons pour vivre, et non l’inverse comme beaucoup d’Européens du Nord. » Au chômage en hiver, il considère comme tout à fait justifié de rembourser les prêts qu’il pourrait être amené à emprunter. « Mais l’argent que mon gouvernement a emprunté et dépensé en mon nom, sans que j’en voie jamais la couleur, non. Et n’oublions pas la responsabilité des prêteurs. Ils savaient qu’ils ne récupéreraient probablement jamais leur mise. »
Aujourd’hui, il espère que la Grèce sortira de l’Union Européenne, qui « nous a transformée en colonie et n’a aidé qu’à la stabilité de l’euro », sans que des réformes de fond aient eu lieu en cinq ans. « Le capitalisme est si avide qu’un jour il se mangera lui-même. J’espère être encore en vie pour voir ce jour-là ! » Harris, le marchand de bijoux, tient sa ligne : « Quand on est membre de quelque chose, on suit des règles communes. L’Union européenne nous a envoyé de l’argent, il faut le rendre, même s’il a été mal utilisé. »
« Les citoyens lambda ont remboursé leurs emprunts »
« Il faut rembourser, je suis d’accord. Mais nous n’aurions jamais dû emprunter au début », avance Filippos Chatzopoulos, 49 ans, journaliste dans l’un des principaux quotidiens du pays, H Kathimerini, depuis 1998. Son salaire a diminué de 20% quand ses impôts ont augmenté « de 250% », assure-t-il. Aux pages internationales, ils sont passés de seize à cinq journalistes. « Je travaille d’arrache-pied, 45 heures par semaine minimum, et tout le monde autour de moi aussi. » Après 42 ans de cotisation, sa mère touche 750 euros par mois de pension. Entre 2009 et aujourd’hui, les retraites sont passées en moyenne de 1350 à 833 euros. Dans ce pays vieillissant, les retraites sont un point sensible, et surtout l’un des points de blocage des négociations avec les créanciers.
L’abattement est général mais le pays divisé. Les employés du secteur privé ont la dent dure contre le secteur public, longtemps livré au clientélisme du Pasok (social-démocrate) et de Nouvelle Démocratie (droite libérale). George, agronome de 43 ans responsable du campus de l’université à Ioannina (nord-ouest de la Grèce), est fonctionnaire, comme sa femme. Sa situation de famille – il a quatre enfants – lui a permis de garder son poste, mais leurs allocations sociales ont diminué. « L’Europe n’a aidé que les banques et pas l’économie du pays. Je suis plus pauvre qu’avant. Et nous serions les responsables, alors que tous les citoyens lambda ont remboursé leurs emprunts malgré la dépréciation des terrains et de l’immobilier. »
Au travail, George et ses collègues « essaient d’inventer des moyens pour répondre aux problèmes » posés par la pénurie d’argent public. « S’il y a un problème avec le système d’irrigation, je ne peux pas acheter de matériel pour le réparer. Alors je déplace les équipements d’un endroit à un autre, en cherchant à quel endroit du campus il serait moins grave de ne plus avoir d’eau. L’université laisse aussi des agriculteurs tondre la pelouse, à leurs frais, et en échange ils peuvent emporter l’herbe pour nourrir leurs animaux. » Un proverbe grec dit : “« Ne consulte pas le médecin mais celui qui a été malade. »
Camille Polloni, à Athènes
Photo de une : Rassemblement pour le non, le 3 juillet, devant le Parlement grec / Source : Okeanews
Photos : Vicky, Pavlina, Harris, Tomas et Efi
Notes
[1] La question posée par référendum était : "Faut-il accepter le Plan d’Accord soumis par la Commission Européenne, la BCE et le FMI lors de l’Eurogroupe du 25 juin ?".
[2] Le rapport montre que l’endettement grec a explosé bien avant l’adhésion du pays à la zone euro, et qu’ensuite le gouvernement grec n’a pas dépensé davantage que les autres pays européens, importations d’armement mises à part.
Source : Bastamag
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