jeudi 5 novembre 2015

L’Empire le plus bête du monde


L’Empire le plus bête du monde
Par Dmitri Orlov, le 6 octobre 2015

Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que ces dernières semaines l’Empire est devenu extrêmement bête – si stupide que je pense qu’il mérite le titre d’Empire le plus bête du monde. Certains pourraient prétendre qu’il a été stupide par le passé, mais les récentes évolutions semblent montrer un saut gigantesque dans son degré de bêtise.

La première très grosse bêtise a fait surface quand le général Lloyd J. Austin III, le chef du commandement central des États-Unis, a indiqué à un comité sénatorial que seul un très petit nombre de combattants syriens entraînés par les États-Unis – pas plus de cinq peut-être – combattaient encore. La facture pour les entraîner et les équiper a été de 500 millions de dollars. Cela fait 100 millions par combattant mais tout va bien tant que les sous-traitants militaires sont payés. Les choses sont devenues encore plus embarrassantes quand il s’est avéré par la suite que ces quelques rares combattants s’étaient fait cambrioler par ISIS/Al-Qaïda (quelle que soit la manière dont ils s’appellent) et avaient perdu armes et véhicules.

Le Général Austin reprend le rôle du Lt. Général Casey dans le film Mars Attacks de Tim Burton ! C’était déjà un rôle très stupide, mais son rôle actuel constitue une nette progression, en termes de niveau hiérarchique comme en termes de degré de bêtise.

L’épisode de stupidité suivant s’est déroulé devant l’assemblée Générale des Nations-Unies quand Obama, qui s’est exprimé durant 30 minutes au lieu des 15 accordées (M. le stupide Président sait-il au moins lire une montre ?), a réussi la performance d’utiliser tout ce temps pour ne dire absolument rien de sensé pour qui que ce soit.

Mais c’est le discours de Poutine qui a exposé aux yeux de tous la bêtise de l’Empire, lorsqu’il a sermonné les ÉU pour avoir fait du Moyen-Orient le théâtre d’un bain de sang avec leurs interventions maladroites. La phrase, maintes fois relayée « Comprenez-vous ce que vous avez fait ? » n’est cependant pas tout à fait exacte. La phrase russe « Вы хоть понимаете теперь, чего вы натворили? » peut être plus précisément traduit par « Comment ne pouvez-vous pas, même aujourd’hui, comprendre quelle monstrueuse pagaille vous avez provoquée ? » Les mots ont leur importance. Ce n’est pas de cette manière qu’on s’adresse à une super puissance devant une assemblée de leaders mondiaux ; c’est ainsi qu’on réprimande un enfant stupide et capricieux. Aux yeux du monde entier, cela donne l’image d’un Empire plutôt idiot.

Ce qui s’est produit ensuite est l’annonce par la Russie du début de sa campagne de bombardements contre toutes les types de terroristes en Syrie (et peut-être en Irak aussi, la demande irakienne est dans la boite mail de Poutine). Ce qui est remarquable avec cette campagne de bombardements, c’est qu’elle est entièrement légale. Le gouvernement syrien, légitimement élu, a demandé l’aide de la Russie. La campagne a été approuvée par le parlement russe. De l’autre côté, la campagne de bombardement menée par les États-Unis est totalement illégale. Il n’existe que deux possibilités pour bombarder légalement le territoire d’un autre pays : 1 – une demande provenant du gouvernement de ce pays. 2 – une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les ÉU n’ont obtenu ni l’une, ni l’autre.

Pourquoi est-ce important ? Parce que l’ONU, avec son Conseil de Sécurité, a été créée pour éviter les guerres, en empêchant les nations d’entrer dans des conflits militaires sans devoir assumer toutes sortes de répercussions économiques et politiques. Après la Seconde Guerre mondiale, on s’est dit que les guerres étaient horribles et que quelque chose devait être fait pour les éviter. Mais les États-Unis estiment que cela n’est pas vraiment nécessaire. Lorsqu’un correspondant de presse russe (Gayane Chichakyan de RT) a demandé au porte-parole de la Maison Blanche sur quelle base légale les ÉU bombardaient la Syrie, il a commencé par faire semblant de ne pas comprendre la question, puis bredouillé de manière incohérente, en apparaissant plutôt ridicule. Voyez-vous, les États-Unis aiment faire la guerre (ou plus précisément, leurs sous-traitants militaires aiment faire la guerre, parce que cela leur permet de s’enrichir et de contrôler une grande partie du gouvernement américain). Mais les États-Unis ne peuvent gagner aucune guerre, ce qui rend l’ensemble de leur effort de guerre plutôt stupide (de manière meurtrière).

Malgré les réticences américaines, l’ONU empêche les guerres de fait. Récemment, elle a empêché les États-Unis de mettre en place une « frappe limitée contre le régime Assad en réponse à l’utilisation éhontée d’armes chimiques ». Cela a été facilité par le jeu adroit de la diplomatie russe, qui a abouti à ce que la Syrie abandonne volontairement son stock d’armes chimiques. Négligeant la diplomatie, les ÉU ont tiré quelques missiles de croisière en direction de la Syrie, mais les Russes les ont promptement éliminés du ciel, obligeant le Pentagone à repenser de façon majeure sa stratégie, et, bien sûr, ridiculisant les États-Unis.

Mais une fois qu’on s’est ridiculisé soi-même, pourquoi s’arrêter ? Effectivement, Obama n’affiche aucunement l’intention d’en rester là. A peu près toute l’assemblée générale de l’ONU savait que l’attaque chimique du gouvernement syrien contre son propre peuple n’avait jamais existé. Les produits chimiques ont été fournis par les Saoudiens et involontairement utilisés par les rebelles syriens contre eux-mêmes. Mentir, lorsque tout le monde sait que vous mentez, et sait que vous savez que vous mentez : est-il possible d’ être plus stupide encore ?

OK. Et à quoi bon parler continuellement, à tort et à travers, de « la liberté et la démocratie » au Moyen-Orient, après avoir plongé toute la région dans le chaos à travers leurs interventions de lobotomisés ? La seule voix de la raison aux États-Unis semble être celle de Donald Trump, qui a récemment déclaré que le Moyen-Orient était plus stable sous Saddam Hussein, Moammar Khaddafi et Bachar al-Assad. C’était effectivement le cas. Le fait que le seul politicien non-stupide qui reste aux États-Unis soit Trump – ce sac à fric pompeux – place très haut le niveau de bêtise de l’ensemble du pays.

Parler à tort et à travers de « la liberté et la démocratie » au Moyen-Orient est également stupide car l’ensemble de la région est tribal – l’a été depuis quelques milliers d’années, et le sera pour quelques milliers d’années encore. Dans chaque localité, une tribu est au-dessus des autres. Si l’idée est de la découper en unités territoriales souveraines (aucune d’entre elles ne se désigne en tant que nation, car chacune finit par être multinationale), alors chaque unité territoriale s’avérera être gouvernée par une tribu pendant que les autres renâcleront. Faire des bourdes et exploiter la grogne pour provoquer un « changement de régime » – et automatiquement l’ensemble de la région s’enflamme.

Israël en est un bon exemple : une tribu y fait la loi, les Juifs. Ils peuvent flinguer ou bombarder n’importe qui d’autre dans la plus totale impunité. Le pays est considéré comme « démocratique » pour la bonne raison que les Juifs ont le droit de vote, ce qui est très bien pour les Juifs. Les Alaouites de Syrie peuvent voter eux aussi – et voter pour Bachar al-Assad ; pourquoi est-ce que cela ne suffit pas ? À cause de l’hypocrisie des Américains et de leur « deux poids, deux mesures ».

Et ainsi de suite. L’Arabie Saoudite est aux mains d’une tribu, la Maison des Saoud, et tout les autres sont privés de droits civils. L’Irak était autrefois dirigé par les Sunnites de la tribu de Saddam Hussein, mais les Américains les ont délogés, et ce qui en reste est maintenant dirigé par les Chiites du Sud, tandis que les Sunnites en sont partis et ont rejoint Daesh. Tout cela peut paraître super simple, mais pas pour les Américains, parce que cela va à l’encontre de leur idéologie, selon laquelle l’ensemble du monde doit être remodelé à leur image. Et donc ils continuent d’essayer de le faire (ou prétendent essayer de faire, car les résultats ne comptent pas vraiment, tant que les fournisseurs d’armes et de mercenaires continuent à être payés) et ils n’ont visiblement pas l’air de se préoccuper le moins du monde de l’air particulièrement stupide que cela leur donne.

Et ainsi se dessine le schéma typique : les États-Unis bombardent un pays jusqu’à en faire un tas de ruines fumantes, préparent une invasion terrestre, mettent en place un régime fantoche, et, plus ou moins rapidement, se retirent. Le régime fantoche s’écroule, et vous voilà face soit à un chaos ingouvernable ou à une forme passablement vilaine de dictature, soit un peu des deux : un État inexistant, comme la Libye, le Yémen, une bonne partie de l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie. Peu importe au fond un tel résultat (du moins tant que les vendeurs d’armes continuent à être payés), dans la mesure où le leitmotiv de l’Amérique semble être : « Ayons l’air de crétins et continuons comme ça ». Détruisez un pays – et en avant pour la prochaine campagne de bombardements.

Mais c’est ici que l’ensemble en devient absolument stupide : ils ne peuvent pas même y parvenir en Syrie. Cela fait un an maintenant que les Américains bombardent Daesh ; et dans le même temps, Daesh est devenu plus fort et contrôle davantage de territoire. Mais ils ne se sont pas allés jusqu’à renverser Assad ; au lieu de ca, les gars de Daesh passent leur temps à se pavaner dans le désert en haillons noirs et baskets blanches, à prendre des selfies, exploser des sites archéologiques, réduire les femmes en esclavage et décapiter tous ceux dont la tête ne leur revient pas.

Mais il semble à présent que les Russes ont réussi en cinq jours ce que les Américains n’ont pas réussi en un an, et les gars de Daesh s’enfuient en Jordanie ; d’autres veulent aller en Allemagne et demandent l’asile. Ce qui a rendu les Américains furieux, parce que, voyez-vous, les Russes bombardent “leurs” terroristes – ceux que les Américains avaient recrutés, équipés et entraînés… puis bombardés ? Je sais, c’est débile – mais vrai. Les Russes ne connaîtront rien de tel, parce que leur approche est la suivante : si cela a l’air d’un terroriste, cancane comme un terroriste, alors c’est un terroriste, donc on le bombarde.

Mais on peut comprendre que cette perspective n’emporte pas l’adhésion des Américains : là, ils avaient soigneusement déversé des tonnes d’armes et matériel, en bombardant soigneusement dans les coins de façon à ne rien endommager, et voilà que les Russes déboulent et réduisent le tout en fumée ! Les Saoudiens sont absolument blancs de rage, étant donné qu’ils en avaient payé la majeure partie. Et en plus, les terroristes sont leurs frères wahhabites ou takfiris – ceux-là mêmes qui se plaisent à déclarer à bien d’autres musulmans qu’ils les considèrent comme des infidèles, en violation de leur propre Charia. Cela vous rappelle quelqu’un ? Quelqu’un de particulièrement débile ?

Mais il semble qu’il n’y ait rien que les Américains puissent faire pour arrêter les Russes, ou les Chinois, qui eux aussi veulent un morceau de Daesh comme part du gâteau, ou encore les Iraniens et les combattants du Hezbollah, prêts à marcher et à nettoyer ce qu’il restera de Daesh une fois que les missions de bombardement auront détruit tout le matériel de guerre qu’il avait amassé. Et il est donc temps pour les Américains de déclencher une guerre de l’information en accusant les Russes de causer des pertes civiles.

Bien sûr, en dignes Américains, il leur faut entreprendre cette guerre de l’information de la façon la plus débile possible. D’abord, faire état de vos informations sur des morts civiles avant même que les avions russes n’aient décollé. Oups ! Ensuite, vous inondez les médias sociaux de photos truquées d’enfants blessés, préparées à l’avance, avec des acteurs en casques blancs payés par George Soros. Et ensuite, lorsqu’on vous demande des preuves, refusez d’en fournir la moindre.

Jusqu’ici, tout va bien ; mais essayons de nous montrer encore plus stupides. Juste après avoir crié haut et fort que les Russes tuent des civils, les Américains détruisent un hôpital en Afghanistan dirigé par Médecins Sans Frontières, en dépit d’avoir été informés de sa localisation précise avant et pendant le bombardement. « Ne tuez pas de civils… voilà, comme ça ! » Peut-on se montrer plus débile que cela ? Bien sûr on peut : les États-Unis peuvent se mettre à mentir crûment et ouvertement : « Il y avait des Talibans cachés dans cet hôpital » – non, il n’y en avait pas. « Les Afghans nous ont dit de bombarder cet hôpital ! » – non, ils ne l’ont pas fait. Bombarder cet hôpital était un authentique crime de guerre – dixit l’ONU. Les Russes vont-ils se mettre à accepter des leçons de la part de criminels de guerre ? Ne soyez pas stupides, voyons !

Il est difficile de l’admettre, mais tout semble possible à présent. Ainsi, les États-Unis semblent ne plus avoir la moindre politique étrangère : la Maison Blanche dit une chose, le Département d’État une autre, le Pentagone une troisième ; Samantha Power, à l’ONU, fait sa propre politique étrangère via Twitter, et le sénateur John McCain veut armer les rebelles syriens pour qu’ils descendent les avions russes (Tous les cinq ? Ne sois pas stupide, John !). En réaction face à une telle confusion, les hommes politiques à la botte des États-Unis dans l’Union Européenne commencent à s’agiter de façon incontrôlable et ne respectent plus le scénario, pour la bonne raison que le centre nerveux à Washington ne leur envoie plus de signes cohérents.

Comment tout cela va-t-il finir ? Eh bien, puisque nous sommes en train de devenir tous stupides, qu’il me soit permis de faire une humble suggestion : les États-Unis devraient bombarder tout ce qui se trouve à l’intérieur du périphérique à Washington, plus quelques comtés de Virginie. Cela devrait sensiblement diminuer le potentiel de débilité du pays. Et si cela ne marche pas, et alors ? Après tout, il est clair que ce n’est pas le résultat qui compte. Tant que les marchands d’armes sont payés, tout va bien.

Source : Club Orlov / Les Crises (traduction)

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