samedi 24 décembre 2016

Joyeux Noël

MAJ de la page : Maître Eckhart / Fernand Brunner

Le Caravage, Nativité avec S.François (1609)

(...)
Celui-là est un homme pauvre qui ne veut rien, ne sait rien et n'a rien.
(...)
Pour posséder vraiment la pauvreté, il faut que l'homme soit aussi vide de sa volonté créée qu'il le faisait au moment où il n'était pas encore né. (...) là j'étais libre de Dieu et de toute chose.
(...)
Bien plus : il faut qu'il soit à tel point vide de tout son propre savoir qu'il ne sache, ni ne connaisse, ni ne sente que Dieu vit en lui. Plus encore : il faut qu'il soit vide de toute connaissance qui pourrait encore vivre en lui. (...) l'homme doit rester aussi vide de son propre savoir qu'il le faisait au temps où il n'était pas encore.
(...)
Nous disons donc que l'homme doit être tellement pauvre qu'il ne soit pas un lieu et n'ait pas en lui un lieu où Dieu puisse opérer. Tant que l'homme conserve encore en lui un lieu quelconque, il conserve aussi quelque distinction. C'est pourquoi je prie Dieu de me libérer de Dieu; car mon être essentiel est au-dessus de Dieu, dans la mesure où nous concevons Dieu comme l'origine des créatures; en effet, dans ce même être de Dieu où Dieu est au-dessus de l'être et de la distinction, j'étais moi-même, je me voulais moi-même et je me connaissais moi-même, pour faire cet homme .  Et c'est pourquoi je suis cause de moi-même selon mon être qui est éternel, mais non pas selon mon devenir qui est temporel. C'est pourquoi je suis non-né et selon mon mode non-né je ne puis jamais mourir. Selon non mode non-né, j'ai été éternellement, je suis maintenant et je demeurerai éternellement. Ce que je suis selon ma nativité doit mourir et s'anéantira, car cela est mortel et doit se corrompre avec le temps. Mais dans ma naissance naquirent toutes choses; ici je fus cause de moi-même et de toute choses. Si je l'avais voulu alors, je ne serais pas et le monde entier ne serait pas; et, si je n'étais pas, Dieu ne serait pas non plus; que Dieu soit Dieu, j'en suis une cause. Si je n'étais pas, Dieu ne serais pas Dieu.  
Il n'est pas nécessaire de savoir cela.
Un grand maître dit que sa percée est plus noble que sa sortie. C'est vrai. Lorsque je sortis de Dieu, toutes les choses dirent : Dieu est. Et cela ne peut me rendre bienheureux, car par là je me reconnais créature. Mais dans la percée où je suis libéré de ma propre volonté, libre même de la volonté de Dieu, de toutes ses opérations et de Dieu Lui-même, là je suis au-dessus de toutes les créatures; et je ne suis ni Dieu ni créature, mais je suis ce que j'étais et ce que je demeurerai maintenant et à tout jamais. Là je reçois en moi une impression qui doit m'élever au-dessus de tous les anges. Dans cette impression je reçois une si grande richesse que Dieu ne peut me suffire avec tout ce qu'Il est comme Dieu, ni avec toutes ses opérations divines; car dans cette percées, je reçois ceci : que Dieu et moi nous sommes un. Là je suis ce que j'étais et là je ne crois ni ne décrois, car là je suis une cause immobile, qui fait mouvoir toutes choses. Alors Dieu ne trouve plus de lieu dans l'homme, car l'homme conquiert par cette pauvreté ce qu'il a été de toute éternité et demeurera toujours. Alors Dieu est un avec l'esprit et cela c'est la plus extrême pauvreté que l'on puisse trouver.

Que celui qui ne comprend pas ce discours ne se mette pas martel en tête. En effet, tant que l'homme n'est pas semblable à cette Vérité, il ne peut comprendre ce discours, car c'est une vérité sans voile qui est sortie directement du cœur de Dieu.
Puissions-nous vivre de façon à l'éprouver éternellement, avec l'aide de Dieu ! Amen.

Maître Eckhart, Sermon no 52, "Heureux les pauvres d'esprit car le royaume des cieux est à eux", trad. Alain de Libéra, dans Traités et Sermons, Ed. Flammarion, 1993 - épuisé
Dieu au-delà de Dieu : Sermons XXXI à LX, trad. Gwendoline Jarczyk, Ed. Albion Michel, 1999
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(...)
Nous comprenons maintenant que lorsque Maître Eckhart demande à l'homme de s'abandonner lui-même, de se vider lui-même, de mourir à soi, de s'anéantir, il n'exige pas de lui ce scandale de ne plus exister absolument; il exige de lui d'exister non plus pour soi-même, mais pour Dieu et par Dieu.

"Comme il a été dit ici à propos de l'image, lit-on dans la Predigt 16b, vois, c'est de cette façon que tu dois vivre ! Tu dois être à lui, tu dois être pour lui, tu ne dois pas être à toi, tu ne dois pas être pour toi". (DW,1,271,Anc.-Hust.I,141). En s'acceptant comme néant par lui-même, l'homme fait place à Dieu sans détruire l'oeuvre de Dieu en lui : une continuité et même une identité jusqu'à lors impensable s'instituent entre l'homme et Dieu, puisque "dans la mesure où l'homme se renie lui-même pour Dieu, dans cette mesure il est plus Dieu que créature". (Pr.66,DW,II,111,109,6, Anc.-Hust.III, 41.) S'anéantir, c'est ne plus compter pour soi et ipso facto se donner l'être par Dieu et en Dieu, se donner l'être-Dieu par la "percée" (durchbruch) - l'analogue du retour néoplatonicien - qui conduit à ce fond qui est tout ensemble mon fond et le fond de Dieu et dont procède toute créature. Ainsi disparaît le scandale concernant l'exigence de néantisation de soi qui est imposée à l'homme et s'éclaire le paradoxe de l'unité avec Dieu de cet homme qui n'est plus.

[217] Dans la logique irréfragable de ses positions extrêmes, la doctrine eckhartienne se joue des difficultés qu'elle génère et que son auteur multiplie pour ne débarrasser de tout résidu d'inintelligence, et nous forcer à comprendre au-delà des compréhensions moyennes. Aucun texte peut-être ne contient de plus fort paradoxes que cette étonnante Predigt 52 dont le thème est "heureux les pauvres en esprit". Il ne s'agit ici ni de la simplicité de l'intelligence ni de la pauvreté matérielle, mais du détachement, et quel détachement ? Celui qui nous transporte dans un état où nous sommes aussi dépouillés de nous-mêmes que lorsque nous n'étions pas encore, avant que fussent toute volonté, même bonne, toute connaissance, même portant sur Dieu, en un mot, tout être distinct de Dieu. C'est alors que s'élève cette prodigieuse demande qu'on ne saurait reproduire sans scandale en l'isolant de son contexte explicatif : "Je prie Dieu de me libérer de Dieu, car mon être essentiel est au-dessus de Dieu en tant que nous saisissons Dieu comme principe des créatures". (DW,II,502,6, Anc.-Hust.II,158).

(...)
C'est ainsi qu'il est vrai, et non seulement pieux, de placer Dieu au-dessus de toute dénomination et de dire en ce sens qu'il n'est rien. La thèse de la transcendance absolue s'énonce non seulement pour exhorter l'esprit à l'élévation vers Dieu, mais encore parce que, véritablement, Dieu est au-delà de toute créature, de toute représentation, de toute image. C'est selon la nature des choses aussi qu'il faut distinguer en Dieu Celui qui est absolument lui-même et Celui qui a rapport à nous.
Il est vrai, et non seulement pieux, que l'âme ait son point d'attache en Dieu et que son renoncement à toute créature, y compris à elle-même, la conduise jusqu'au fond divin qui ne se distingue pas de son propre fond. Ni démarche conceptuelle, ni effusion spirituelle, ou plutôt l'une et l'autre, cette doctrine est foncièrement et puissamment spéculative au moment même où elle défie et dépasse tout langage. Elle pose en effet, qu'au-delà de d'amour et au-delà de la relation de connaissance, il y a un rapport ontologique de l'homme à Dieu, qui fait la béatitude de l'homme détaché (Cf. De l'homme noble, DW,V,117,19,Anc.-Hust.,Tr.,151-152.) : Dieu réside dans l'homme détaché au-delà de la connaissance que l'homme prend de Dieu. Qu'on ne dise pas, [226] selon l'expression consacrée et un peu sotte, qu'elle frise ou frôle le panthéisme ou même qu'elle y tombe, puisqu'elle fait tout le contraire : elle exclut de l'unité avec Dieu tout ce qui n'est pas Dieu; elle annule la créature prise sans Dieu pour que Dieu seul soit et ne diffère plus de lui-même.

Eckhart ou le goût des positions extrêmes, dans Fernand Brunner, Etudes sur Maître Eckhart, Ed. Hermann, 2012
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Bach : Cantates de Noël en l'église de Saint Roch- Paris (France, 2015)

Le Collegium vocal de Gand, l’un des ensembles vocaux les plus prestigieux au monde, interprète les quatre "Cantates de Noël" de Jean-Sébastien Bach, sous la direction de son fondateur, le chef d’orchestre Philippe Herreweghe.

Loué soit Bach ! Cantor de l’église Saint-Thomas de Leipzig, Jean-Sébastien Bach (1685-1750) a composé de nombreuses cantates célébrant la liturgie luthérienne, des pièces écrites pour être interprétées par un effectif réduit et jouées dans une église. Composé de quatre de ses cantates dites "de Noël" – BWV 62, 91, 40, 63 ...  –, ce programme inédit a été enregistré en décembre 2015 en l’église Saint-Roch, à Paris. Invitation à la réflexion sur le sens spirituel de Noël, ces œuvres sont interprétées par le Collegium vocal de Gand, l’un des ensembles vocaux les plus prestigieux au monde, sous la direction de son fondateur, le chef d’orchestre Philippe Herreweghe.
Source : Arte

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