Par Régis de Castelnau, avocat, le 28 février 2017 - Vu du droit
Comment donner raison à Marine Le Pen et lui abandonner la défense des libertés publiques.
Emmanuel Todd avait parlé de « flash totalitaire » au moment de l’organisation par le pouvoir socialiste des manifestations après les massacres de Charlie hebdo et de l’Hyper-casher en janvier 2015. Cette façon de qualifier fut accueilli par un violent concert de désapprobation. Cela aurait pourtant mérité discussion, surtout à la lumière des jours qui ont suivi. Cette expression fait aujourd’hui un retour fracassant, pour qualifier le comportement hallucinant d’un système aux abois. Une presse aux ordres, à la fois de ses patrons oligarques et du pouvoir d’État, fait la promotion d’un télévangéliste sorti de nulle part, et affublé de tous les attributs de ce que les Français ne supportent plus. Ayant connu toutes les élections présidentielles depuis 1965 je n’ai jamais vu un tel déferlement de propagande. Et je n’ai jamais assisté non plus à une telle instrumentalisation de la justice et de la police à des fins directement politiciennes.
Avec esprit de responsabilité les Français sont restés stoïques face à la catastrophe démocratique et politique de la présidence Hollande, s’en remettant pour s’en débarrasser à l’élection la plus importante des institutions de la Ve République. Ils constatent effarés toute une série de manipulations visant à confisquer ce scrutin, pour faire élire Emmanuel Macron à la faveur d’un deuxième tour contre Marine Le Pen. Manipulations qui utilisent sans vergogne les services de l’État dont beaucoup abandonnent une neutralité qui devrait pourtant leur être constitutive.
On a déjà dit ce qu’il fallait penser de la crédibilité et de l’impartialité du Parquet National Financier, pas seulement à cause du rôle qu’il a joué dans l’opération anti-Fillon, ou de l’incroyable acharnement vis-à-vis de Nicolas Sarkozy mais aussi du peu d’empressement à intervenir dès lors qu’il s’agissait de proches du chef de l’État. De ce point de vue, le Pôle Financier qui de son côté assure l’instruction n’est pas en reste. On aura compris l’utilité du renvoi en pleine période électorale de Nicolas Sarkozy en correctionnelle, qui ne présentait pourtant aucune urgence. Il fallait fermer la porte à un plan B Sarkozien après le déclenchement du bombardement de François Fillon. On aura également compris l’utilité, dans la perspective du deuxième tour, d’affaiblir Marine Le Pen en déclenchant contre elle et son entourage des rafales d’actes de procédure qui eux non plus ne présentaient pourtant aucune urgence.
Que l’on comprenne bien, le propos n’est pas de considérer que François Fillon n’a rien à se reprocher, ou que le Front National est exempt de tout agissement à caractère pénal. Le problème, est que cette accélération à ce moment-là d’affaires anciennes poursuit un but politique évident : empêcher le débat de fond. À tout prix. Prenons l’exemple de la transmission aux duettistes du Monde, amis du pouvoir, de pièces de procédure couvertes par le secret. Cette transmission effectuée par des fonctionnaires chargés de veiller à son respect est un manquement doublé d’une infraction pénale gravissime. Et puis, la phrase rituelle : « la justice doit passer, il n’y a pas de trêve » est une hypocrisie destinée à justifier toutes les manipulations. Évidemment, que des procédures pour des affaires ou des faits anciens ne sont marquées d’aucune urgence, et peuvent être suspendues pendant une campagne électorale présidentielle. À titre d’exemple, la publication des lettres d’observations des Chambres Régionales des Comptes, sur la gestion des collectivités locales est interdite six mois avant les élections locales. Pour justement éviter les manipulations.
Et ce qui est paradoxal, c’est qu’ainsi le Front National présenté comme une organisation pré-fasciste et que personnellement, j’ai toujours combattu, peut prendre la posture de victime de l’arbitraire, et sa candidate se présenter en défenseuse des libertés publiques. Parce que sur les deux derniers incidents, intervenu la semaine dernière, c’est Marine Le Pen qui avait raison.
Tout d’abord, pour faire bon poids après perquisitions, gardes à vue et mise en examen spectaculaires et médiatisées, la police judiciaire s’est permis de convoquer une parlementaire couverte par son immunité. Comment peut-on considérer que cette convocation illégale soit légitime et que le refus de Marine Le Pen d’y déférer soit un scandale ? L’immunité parlementaire est une protection accordée aux représentants du peuple régulièrement élus, face à l’arbitraire dont pourrait faire preuve le pouvoir en place. Cette inviolabilité est tout simplement une liberté publique fondamentale, que la police judiciaire, sur ordre, et pour faire du buzz, s’apprêtait à violer. C’est donc bien la candidate du Front National qui en la circonstance l’a défendue. Il convient de féliciter les ânes bâtés qui lui ont offert cette opportunité.
Il y a ensuite le discours de Nantes où Marine Le Pen a dit précisément ceci : «les fonctionnaires à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs de l’Etat pour surveiller les opposants ou organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus ou des cabales». «Dans quelques semaines ce pouvoir politique aura été balayé, mais ces fonctionnaires devront assumer le poids de ces méthodes illégales et ils mettent en jeu leur propre responsabilité »
Eh bien, Marine Le Pen fait simplement, et à sa façon, brutale, référence à la loi française. Et elle rappelle aux fonctionnaires leur devoir, en leur précisant fermement qu’en cas de violation de celui-ci leur responsabilité serait engagée. C’est en particulier l’article 28 du statut de la fonction publique qui met à la charge du fonctionnaire un devoir d’obéissance. « Loi n°83.634 du 13 juillet 1983, article 28 Le fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. » »
Une seule exception est donc prévue, si l’ordre « est manifestement illégal ». Cela veut dire que tout fonctionnaire qui accepte en connaissance de cause de commettre un acte en exécution d’un ordre illégal engage sa responsabilité. Pénale si l’acte en question consiste en une infraction prévue au code pénal, simplement professionnelle si ce n’est pas le cas. Cette question de « l’ordre manifestement illégal » a donné lieu à une importante jurisprudence pénale et administrative. L’essentiel de ces décisions ont été consécutives à des procédures engagées après des alternances qu’elles soient locales ou nationales. Prenons à nouveau un exemple, l’infraction pénale, celle-là incontestable, commise ces dernières semaines, qui a consisté à fournir aux duettistes du Monde des éléments de procédure frappées du plus strict secret professionnel. Comme l’a relevé Éric Dupont Moretti, on peut penser que cela ne peut être le cas que des policiers chargés de l’enquête, ou des magistrats du PNF. Une fois les responsabilités éventuelles établies, il serait normal que la justice pénale et les procédures disciplinaires suivent leur cours. Une plainte a été déposée par François Fillon, on peut gager qu’elle ne connaîtra dans l’immédiat aucune suite mais il serait légitime, si celui-ci devenait Président de la République, qu’il demande à son Garde des Sceaux « que la justice passe sans désemparer ».
Qualifier cet appel à la responsabilité des fonctionnaires de volonté d’épuration n’est pas sérieux. Mais il est reçu comme tel au sein des couches populaires par tous ceux qui sont en rage et ne supporte plus l’arrogance irresponsable de la cohorte qui rêve de garder ses places dans le sillage du télévangéliste. Encore bravo d’avoir permis à nouveau à Marine Le Pen de jouer sur le velours.
Hypnotisés par la vipère Macron et l’anaconda Le Pen, Fillon est atone, Mélenchon mutique, Hamon à l’ouest, et tous les autres inaudibles. La voiture n’a plus de frein, pas d’airbag, l’accélérateur est coincé, et on fonce vers le mur.
Frédéric Lordon, a choisi une métaphore marine… « Voguons donc avec entrain vers un deuxième tour tant espéré, qui ne nous laissera que le choix de la candidate de l’extrême droite et du candidat qui fera nécessairement advenir l’extrême droite ».
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Autodestructions
Par Jacques Sapir, le 1 mars 2017 - RussEurope
L’annonce de la prochaine mise en examen de François Fillon équivaut à un véritable séisme dans le cours d’une campagne déjà passablement agitée. On peut s’étonner de la soudaine précipitation du parquet, un parquet qui disait il y a encore quelques mois que le temps de la justice n’était pas celui de l’action politique. Si la question des emplois fictifs au Parlement risque de donner lieu à de belles passes d’armes entre procureur et avocats, la question se pose effectivement au sujet de la Revue des Deux Mondes, et l’abus de bien social pourrait être constitué, ainsi que son recel. Mais, l’essentiel n’est pas là. François Fillon avait déjà perdu une bonne part de se légitimité par les pratiques auxquelles il a eu recours, qu’elles soient légales ou pas. On ne peut décemment prendre à titre personnel l’argent de l’Etat et exiger l’austérité pour les autres. Cette contradiction était présente depuis le début de ce que l’on a appelé le « Pénélope Gate ». Elle devient désormais irrémédiable.
François Fillon est ainsi abandonné par certains de ses soutiens, et en particulier par Bruno Lemaire[1]. On ne sait pas, à l’heure où sont écrites ses lignes si cela va s’amplifier ou s’arrêter dans les jours qui viennent. Mais, il est clair que le coup est dur, et qu’il a porté.
C’est donc bien un séisme, et l’on ne voit que trop à qui il profite. On peut même se demander si tel n’est pas le but ultime de toute cette opération. Empêtré dans ses démêlés judiciaires, François Fillon est durablement, et probablement décisivement, affaibli face à l’autre candidat de l’oligarchie financière et médiatique, on veut parler d’Emmanuel Macron. Pourtant, ce dernier ferait bien de prendre garde. Ses déclarations de patrimoine sont rien moins que claires. Si, comme l’avance Olivier Berruyer[2], Macron a bien dépensé pendant trois ans l’équivalent d’un SMIC par jour, on peut se demander quel exemple il entend bien nous donner, que ce soit comme homme ou comme gestionnaire.
Notons par ailleurs qu’il faudrait souffrir d’amnésie galopante pour oublier la contribution de M. Emmanuel Macron au marasme actuel de l’économie française, que ce soit comme conseiller économique du Président François Hollande ou comme Ministre de l’Economie. Il est déjà usé alors qu’il est encore jeune. On peut le croire un peu « ficelles » dans sa capacité à jouer sur les mots, à ne pas assumer sa part dans le désastre économique du quinquennat, mais aujourd’hui il est usé jusqu’à la corde.En un mot, rien ne permet de faire confiance à un homme qui, à défaut de nous faire prendre l’autobus, entend nous mener en bateau. Et, ce bateau, il n’a guère plus de capacité à le diriger qu’un certain capitaine de pédalo (dédicace gratuite au jugement de J-L. Mélenchon sur F. Hollande).
Cela nous conduit à l’héritier officiel, à défaut d’être le fils spirituel, de notre Président : M. Benoit Hamon. Dans ses dernières déclarations, celle portant sur les intérêts de la dette est d’une insondable bêtise, et d’une démagogie certaine. Ne pas payer les intérêts, même pour une durée de trois ans, c’est compromettre le système de l’assurance-vie qui joue un rôle capital dans l’épargne des français. C’est, de plus, poser le problème de la distinction entre les détenteurs « résidents » et les détenteurs « non-résidents » de cette dette.
La démagogie, on sait que M. Benoit Hamon la pratique largement, comme on peut se souvenir des déclarations imprudentes et impudentes qu’il avait faites en septembre 2009 sur la dette publique[3]. Je n’ai jamais pensé que Benoit Hamon soit « idiot », comme je l’écrivais dans Marianne2 à l’époque[4]. Mais il s’agit d’un démagogue de la pire espèce, prêt à raconter n’importe quelle énormité pour pécher quelques voix dans le vivier de Mélenchon. Le fait qu’il soit attaqué par l’aile droite de son propre parti, par un Le Guen qui le traite de « radicalisé » sans se rendre compte – la bête est trop épaisse – de ce qu’il met dans les mots, ne saurait ici y changer quelque chose.
On peut alors comprendre le slogan de ce dernier : « qu’ils s’en aillent tous ». Il reste à espérer que ces trois candidats, les deux de l’oligarchie et le dernier qui aspirerait d’en être, finissent par s’autodétruire. Et il faut dire que, de manœuvres calamiteuses en magouilles dérisoires, ils s’y prennent plutôt bien…
[1] http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/03/01/bruno-le-maire-demissionne-de-ses-fonctions-aupres-de-francois-fillon_5087583_485400
[2] https://www.les-crises.fr/macron-a-bien-claque-un-smic-par-jour-pendant-3-ans-20-questions-a-lui-poser-sur-des-bizarreries-sur-son-patrimoine/
[3] https://russeurope.hypotheses.org/5641
[4] http://www.marianne.net/Dette-Benoit-Hamon-n-a-rien-compris_a182319.html
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