jeudi 27 avril 2017

Yémen, le bal des hypocrites

Yémen, le bal des hypocrites
Par Luis Lema, le 25 avril 2017 - Le Temps

Plus d’un milliard de dollars ont été réunis à Genève en faveur de la population yéménite. Mais la guerre peut continuer

Un sursaut de décence? Ou plutôt une nouvelle farandole dans ce bal des hypocrites? A Genève, sous la houlette notamment de la Suisse, les Nations unies ont réuni en une seule journée plus d’un milliard de dollars de promesses de dons en faveur des victimes de la guerre au Yémen. Une guerre aux conséquences abominables: la famine y menace désormais 19 millions de personnes. Pendant la seule durée de cette conférence, les statistiques disent que 50 enfants sont morts dans le pays, de malnutrition ou de maladies liées au conflit. Le Yémen est l’une des grandes déroutes collectives de notre temps. Et, malheureusement, un milliard de dollars de plus n’y pourra rien.

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C’est dans l’indifférence pratiquement générale que, dans cette même enceinte à Genève, les pourparlers pour mettre fin à la guerre ont échoué jusqu’ici lamentablement. C’est dans une indifférence comparable que, jour après jour, l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe bombardent pratiquement au hasard le pays, étouffent une grande partie de sa population, tuent ses enfants.

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Face à cette coalition arabe qui s’est donnée pour but de stopper la progression iranienne (au moins aussi fantasmée que réelle), l’autre camp n’est pas en reste, c’est vrai. Les milices houthies, et derrière elles l’ancien président Ali Abdallah Saleh, jouent un jeu particulièrement sale, se rendant eux aussi coupables d’une liste sans fin d’atrocités. Il n’empêche: à chaque bombe larguée par la coalition arabe, les rangs se resserrent contre elle. L’exercice n’a pas de fin. Et les enfants yéménites meurent.

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A dire vrai, il n’est pas seulement question d’indifférence pour cette guerre maudite. L’Arabie saoudite reste un partenaire trop important aux yeux des Occidentaux pour qu’ils se mettent à sourciller. Les bombes, ou les avions qui les larguent, sont français, anglais, américains. A Genève, tandis que l’Arabie saoudite s’affichait en champion des défenseurs de la population yéménite, personne n’a bougé. Le but, c’était de réunir des fonds. Pas de faire de la politique.

Dans ce bal des hypocrites, le Yémen pourrait bien, très vite, voir se multiplier les pas de danse d’une administration américaine tentée de se rapprocher encore davantage de son allié saoudien. L’Iran est un ennemi commode pour Donald Trump. Comme tant d’autres, Washington a mis la main au porte-monnaie à Genève. Le geste est fort, les apparences sont sauves. Et les enfants yéménites peuvent continuer de mourir.

* * *

L’Arabie saoudite intègre la Commission des droits des femmes de l’ONU. Absurde!
Par Olivier Bot, le 25 avril 2017 - TdG

Le royaume wahhabite est le pays le plus rétrograde en matière de droits des femmes. Mais il sera chargé de les défendre  

«Elire l’Arabie saoudite à la protection des droits des femmes, c’est comme nommer un pyromane chef des pompiers.» Hillel Neuer, directeur général de l’ONG UN Watch à Genève, exprime sa colère dans un tweet sur une élection qui va susciter la polémique.

Le 21 avril, l’Arabie saoudite a été élue à bulletins secrets au sein de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, parmi treize autres pays entrant dans cette commission du Conseil économique et social de l’ONU, qui compte 45 membres pour la période 2018-2022. Le royaume wahhabite est en effet le pays le plus rétrograde en matière de droits des femmes.

Les Saoudiennes dépendent d’un tuteur masculin, père, frère et mari, ou même fils, pour la plupart des actes de leur vie. Qu’elles veuillent travailler, voyager, sortir de chez elles, parfois. Dans un rapport publié l’été dernier, Human Rights Watch dénonçait la condition des femmes, qui ne peuvent effectuer des transactions, louer un appartement ou porter plainte sans l’accord d’un homme. Quand elles travaillent, elles sont souvent spoliées par leur entourage masculin. Lorsqu’elles cherchent à échapper aux abus de tuteurs violents, et notamment à la violence de leur mari, les femmes restent néanmoins sous tutelle. Idem en cas de divorce. La charia leur accorde par ailleurs peu de droits civils, au contraire des hommes. De plus, elles n’ont pas le droit de conduire une voiture.

Le 28 mars, une jeune étudiante de la ville d’Al Qasim, atteinte d’une arthrose du genou, se filmait au volant, pour dénoncer le fait qu’elle devait se rendre à pied à l’université, malgré son handicap. Quelques heures plus tard, les vidéos de soutien fleurissaient sur Internet. Le mouvement «Résister en marchant» est né de cette mobilisation. Pour protester, des dizaines de Saoudiennes se sont filmées marchant seules dans la rue, comme une forme de revendication.

Lors des sessions d’examen périodique du Conseil des droits de l’homme à Genève, en 2009 et en 2013, le représentant de l’Arabie saoudite a exprimé son accord à la demande d’abolition du système de tutelle masculine. Sans suite. Cette élection à la Commission des droits de la femme rappelle que le royaume – important contributeur de l’ONU et de ses missions – fait depuis plusieurs années le forcing pour figurer en bonne place dans les organes onusiens. En 2015, le représentant permanent de l’Arabie saoudite avait fait campagne pour être candidat, pour le groupe Asie, à la présidence du Conseil des droits de l’homme.

Il y a un an, le royaume avait été retiré d’une liste de pays violant les droits des enfants dans les zones de conflit, concernant la guerre au Yémen. Le secrétaire général d’alors, Ban Ki-moon, était personnellement intervenu devant les menaces de coupes dans les contributions, qui se chiffrent en millions de dollars, au financement des activités de l’ONU.

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