samedi 6 mai 2017

Fin de campagne et sécessions

Fin de campagne et sécessions
Par Jacques Sapir, le 5 mai 2017 - RussEurope


Cette campagne électorale se termine. Elle fut révélatrice, dans le comportement d’une certaine presse, de ce que la société française a de plus hideux. Le résultat de l’élection présidentielle ne fait désormais guère de doutes. M. Emmanuel Macron sera, selon toutes probabilités, élu le 7 mai au soir. Mais, cette campagne va laisser des traces profondes. Le pays est profondément divisé et n’arrivera pas à s’unir sous ce nouveau Président. Des pans entiers de la population sont entrés, ou sont sur le point d’entrer, en sécession. Christophe Guilluy a d’ailleurs bien analysé le désastre de cette bien-pensance soi-disant antifasciste qui ne sert que de couverture aux intérêts des puissants[1].

L’horreur Macron

Les deux candidats portent une responsabilité évidente dans cet état de fait. M. Emmanuel Macron, tout d’abord, qui par son arrogance combinée à son insignifiance, s’avère être un produit de ce que l’on appelle le « système », vendu aux électeurs comme l’on vend un paquet de lessive (selon Michel Onfray) ou une pâtisserie trop grasse et trop sucrée, aux consommateurs dans un supermarché. Il a porté très haut la barre de l’indécence en matière de récupération mémorielle, et durablement endommagé la mémoire historique qu’il convient de préserver. Son erreur sur le chômage de masse lors du débat du 3 mai à la télévision est en réalité exemplaire. En prétendant que la France est la seule touchée par le « chômage de masse », en oubliant la situation de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, il dévoile en réalité sa pensée. Ces pays ne sont plus considérés comme frappés par le chômage, parce qu’ils ont mis en place, que ce soit volontairement ou contraints et forcés, des politiques de « réforme du marché du travail ». Que ces politiques aggravent en réalité la situation à laquelle elles étaient censées remédier constitue l’erreur de fond que recouvre cette erreur de forme.

Sur le fond donc, tout a été dit de ce que représente le projet d’Emmanuel Macron, sa soumission profonde au néo-libéralisme et au culte de l’Union européenne, ses aspects rétrogrades sous des masques faussement modernes. Cet homme est bien le produit, comme l’a rappelé Aude Lancelin, d’un putsch silencieux du CAC-40, même si Aude Lancelin ne décrit que très imparfaitement les mécanismes et les ressorts de ce putsch[2]. Autour de lui se rassemblent tous les politiciens qui ont échoué depuis ces vingt ou ces trente dernières années. Il a été incapable d’entendre ce que lui disaient les français qu’il a rencontrés. Muré dans ses certitudes, droit dans ses bottes comme le veut l’expression, ce Président par défaut qui s’annonce sera un profond facteur de division et une cause de sécessions parmi les français. Comme le dit et l’écrit François Ruffin il sera haï à peine que d’être élu et ne bénéficiera d’aucun état de grâce[3].

L(’ir)responsabilité de Marine le Pen

Mais, Mme Marine le Pen porte aussi une grande part de responsabilité dans cette situation. Elle s’est révélée incapable de porter son programme, et ce quelles que soient les critiques que l’on pouvait y faire par ailleurs. Ce programme avait une cohérence et, par ses revirements de dernière minute, elle a contribué à la brouiller. Elle dit avoir écouté les économistes sur de nombreuses questions, de l’Euro à la mondialisation, mais à l’évidence elle ne les a pas entendus ni compris. Ses différents changements de pieds en fin de campagne, de l’Euro justement à l’âge de la retraite ont été désastreux. Cela montre, au mieux, un très grand amateurisme dans le traitement de ces sujets qui sont pourtant des questions essentielles pour la France et les français. Au pire, cela révèle une attitude instrumentaliste quant ces sujets et, plus globalement, quant à la question économique et sociale. Son style pugnace s’est transformé en une agressivité sans borne. Tout cela ne fait pas d’elle, contrairement à ce que prétend une bien-pensance imbécile, une « fasciste », et ne justifie nullement l’appel à faire « barrage » contre elle. J’ai dit, dans une précédente note[4], ce qu’il fallait penser de tout cela. Néanmoins, elle s’est avérée être le meilleur ennemi des idées qu’elle prétendait porter. Si elle ne réfléchit pas à cela, et si elle n’en tire pas les leçons, elle est perdue. Or, la désespérance que cela peut induire est susceptible de faire le jeu de politiques qui, elles, seront ouvertement condamnables et autrement plus radicales et dangereuses.

Sécessions politiques

Tout cela met en place une segmentation politique et culturelle profonde des français. On voit bien que les partisans d’Emmanuel Macron et ceux de Marine le Pen n’habitent plus le même pays. Ils habitent des pays différents géographiquement tout d’abord, avec la distinction entre France « périphérique » et France de la métropolisation. Mais ils habitent aussi des pays différents en matière de références culturelles et sociales. Cette sécession est d’une extraordinaire gravité. Quant on n’a plus de mots en commun, la porte est ouverte à la guerre civile.

Cette sécession n’est pas la seule. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, du moins une large fraction d’entre eux qui se prononce contre le vote Macron, s’orientent vers une autre forme de sécession. La manière dont cet électorat a été méprisé, diffamé, menacé pour qu’il rejoigne la coalition macroniste restera l’un des grands scandales et l’une des grandes hontes de cette élection. Surtout, cette campagne hystérique et haineuse, cette campagne que j’avais dénoncée sur ce même carnet[5], va pousser ceux qui se définissent eux mêmes comme des « Insoumis » vers la sécession vis-à-vis du système politique. Ce ne sont pas les risibles manœuvres de la 11ème heure d’un PCF agonisant, manœuvres dénoncées par Mélenchon lui même, qui pourront l’empêcher[6]. Il est probable que ces manœuvres, et d’autres, vont se multiplier durant la campagne pour les élections législatives de juin. On en comprend l’objectif : priver les « Insoumis » du nombre de députés auquel leur nombre numérique leur donnerait droit. Si ce scénario se mettait en place, alors la sécession des « Insoumis » deviendrait une réalité avec ce qu’un tel processus, venant s’ajouter aux sécessions précédentes, porterait en lui comme menaces de montée de la violence, mais aussi dans la violence. Les phrases finales de François Ruffin dans sa tribune pour le journal Le Monde sont très claires sur ce point.

Le désespoir de s’être vu « voler » l’élection par le système qui impose dans les faits un président dont beaucoup ne veulent pas est gros de ruptures futures. L’arrogance très probable à laquelle on doit s’attendre si Emmanuel Macron est élu va démultiplier ce désespoir. Il est toujours dangereux d’acculer deux fractions des français au désespoir, chose qu’ignorent superbement Emmanuel Macron et ses soutiens, dont le calamiteux François Hollande. Ces gens portent potentiellement la responsabilité d’ouvrir les portes à la guerre civile.

La sécession silencieuse

Mais, il y a une quatrième sécession, elle silencieuse, qui se produit dans le même temps. De plus en plus de jeunes français issus de l’immigration et de confession musulmane rejettent les principes d’égalité qui fondent la République. Nous sommes ici aussi en face d’un processus de sécession, d’autant plus grave qu’il est toléré, par clientélisme électoral ou par volonté de faire régner le calme, par des politiques de tous bords[7]. Cette sécession se manifeste dans l’exclusion de plus en plus grande des femmes de la sphère publique, dans la déscolarisation des enfants et la constitution de réseaux alternatifs et non contrôlés d’enseignement.

Or, ceci est d’une gravité extrême, qui dépasse le danger direct du terrorisme et du salafisme. Le lent et silencieux grignotage de la laïcité par les organisations « faux nez » ou proches des Frères Musulmans pose un problème redoutable pour la sphère politique française. On a publié il y a quelques semaines le texte de Jérôme Maucourant à ce sujet[8]. Le problème est d’une autre gravité que l’hystérie dite « anti-fasciste » qui s’est emparée d’une partie des esprits et de la quasi-totalité de la presse, à l’occasion de cette élection présidentielle. Nous voici confrontés donc à une autre forme de sécession, et celle-ci, il est à craindre, encore plus irréconciliable que les trois autres.

Si l’on veut parler de peuple, et sans le peuple il ne peut y avoir de souveraineté, alors s’impose l’importante distinction que l’on doit faire entre le peuple « ethnique » et le peuple « politique ». J’y ai consacré des pages entières dans le livre que j’ai publié en 2016, Souveraineté, Démocratie, Laïcité[9], un livre dont l’actualité se charge, hélas, de nous rappeler l’importance du propos. On ne peut penser la Démocratie sans penser en même temps la Souveraineté, et que cette dernière implique et impose la Laïcité. Nous ne disons pas autre chose avec Bernard Bourdin dans le récent livre que nous venons de publier[10]. Il ne peut y avoir d’individus libres que dans une société libre. La souveraineté définit aussi cette liberté de décider qui caractérise les communautés politiques que sont les peuples à travers le cadre de la Nation et de l’Etat. Encore faut-il savoir ce qui fait société. Encore faut-il comprendre ce qui constitue un « peuple », et faut-il comprendre que quand nous parlons d’un « peuple » nous ne parlons pas d’une communauté, qu’elle soit ethnique ou religieuse, mais de cette communauté politique d’individus rassemblés qui prend son avenir en mains. Tel est le peuple auquel parle les politiques qui font réellement leur travail, et non ceux qui, comme Emmanuel Macron, sont promus comme un paquet de lessive.

Cette élection semble jouée. Cette élection a surtout été volée aux électeurs, par la combinaison de la volonté consciente et organisée des uns, par l’irresponsabilité des autres. Mais, elle ne réglera rien, ne tranchera rien. Au contraire, son résultat probable, précipitant des fractures antérieures, risque – et l’on espère ici de tout cœur se tromper – de faire basculer la France dans un avenir fort sombre.

Notes

[1] Guilluy C., « La posture anti-fasciste de supériorité morale de la France d’en haut permet en réalité de disqualifier tout diagnostic social » http://www.atlantico.fr/decryptage/christophe-guilluy-posture-anti-fasciste-superiorite-morale-france-en-haut-permet-en-realite-disqualifier-tout-diagnostic-social-3031677.html#CiyKyhEAzGD6UQfU.99

[2] De Castelnau R., http://www.vududroit.com/2017/05/presidentielle-sortir-machoires-piege/

[3] http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/05/04/francois-ruffin-lettre-ouverte-a-un-futur-president-deja-hai_5122151_3232.html

[4] Voir « Mélenchon, la meute et la dignité », note publiée le 28 avril, https://russeurope.hypotheses.org/5948

[5] Idem.

[6] http://www.lefigaro.fr/politique/2017/05/04/01002-20170504ARTFIG00231-legislatives-la-france-insoumise-va-poursuivre-les-communistes-qui-se-reclament-de-melenchon.php

[7] Voir Pina C., Silence Coupable, Paris, Kéro, 2016. Voir aussi la recension de cet ouvrage sur ce carnet : Les salafistes et la République (recension de « Silence Coupable »), http://russeurope.hypotheses.org/4909

[8] https://russeurope.hypotheses.org/5892

[9] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Editions Michalon, 2016.

[10] Bourdin B. et Sapir J., Souveraineté, Nation, Religion, Paris, Editions du Cerf, 2017.

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