dimanche 17 avril 2022

Joyeuses Pâques !

Christ est ressuscité ! 

Dans le Sermon 81, Eckhart affirme que l’« on doit donc commencer [à aimer Dieu] par le cœur. Il est l’organe le plus noble du corps et il se trouve au centre afin de donner la vie à tout le corps, car la source de vie jaillit dans le cœur et opère comme le ciel (33) ». Le cœur est décrit comme cet organe « le plus noble » car il est le siège même de la vie (34). Principe de la vie du corps, il l’est aussi, au sens figuré, de la vie de l’esprit. En effet, Dieu sonde le cœur de l’homme, touche l’homme dans son cœur, et parle au cœur de l’homme. Le cœur traduit donc l’intériorité de l’homme spirituel, et dans certains sermons d’Eckhart, se confond parfois avec l’âme. Ainsi, à travers l’image du cœur, ne faut-il pas voir le lieu du plus intime, de cette profondeur même du lien entre Dieu et l’homme ? Dieu ne conduit-il pas Osée au désert pour « parler à son cœur » ? Cette réalité du cœur traduit donc avant tout l’intimité d’une conversation mystique entre le Créateur et sa créature. La profondeur de l’intime renvoie ainsi à la vie mystique, à ce dialogue intérieur et fécond entre le Verbe et l’âme. Or il est intéressant de constater que la cavité du Christ est à l’endroit même de son cœur (Kaysersberg (35) ; Fribourg-en-Brisgau…). Cette réalité iconographique est-elle l’expression d’un simple hasard, ou encore celle d’une recherche esthétique ? Je ne le crois pas. En effet, selon moi, il y aurait une correspondance directe entre les effets de la prédication des mystiques rhénans et les productions artistiques de la région, comme s’il fallait voir en ces dernières l’expression en image de pierre de toute une dévotion populaire pour « le cœur » du Christ, son « temple », et par extension pour cette vie intérieure, dans le fond, dans le cœur de l’homme qui est le lieu même de la naissance de Dieu, ce « tabernacle » : « Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur (36) ». 
Et ce trésor, n’est-ce pas la petite étincelle de l’âme elle-même ? Ainsi, on comprend pourquoi Eckhart, dans le Sermon 51 (37), après un long développement sur le cœur, emploie l’image d’une coque qui se brise pour que le fruit en sorte :
J’ai souvent dit déjà : la coque doit être brisée pour que sorte ce qu’elle contient. Car si tu veux avoir le fruit, tu dois briser la coque. Et donc, si tu veux trouver la nature dans sa nudité, tous les symboles doivent être brisés et plus on y pénètre, plus on est proche de l’être. Et quand elle (l’âme) trouve l’Un où tout est un, elle demeure dans cet unique Un. Qui honore Dieu ? Celui qui a en vue l’honneur de Dieu en toutes choses.
Cette coque n’est-elle pas tout ce qui nous retient à l’extérieur, dans les créatures, dans la multiplicité des images, et dans le temps ? N’est-elle pas l’expression de cette écorce terrestre qu’il est nécessaire de dépasser, de franchir, pour aller au plus profond, au plus essentiel, c’est-à-dire au plus intime, au cœur ? Le cœur est le foyer de la vie intérieure, ce lieu même de la naissance du Verbe, et donc l’expression de l’union en Dieu et de la transformation en Dieu : là, dans le cœur, on pourrait dire, avec Eckhart, que l’on voit « avec l’œil même de Dieu (38) ». Il y a donc, dans cette cavité à l’endroit du cœur du Christ, l’expression de tout un mystère : celui de l’union de l’âme à Dieu, et par suite, celui de sa transformation par grâce : 
L’homme qui s’est tourné en lui-même, en sorte qu’il connaît Dieu dans le propre goût et dans le propre fond de celui-ci – cet homme est affranchi de toutes choses créées, il est enfermé en lui-même sous un véritable verrou de vérité. J’ai dit un jour que Notre-Seigneur vint le jour de Pâques vers ses disciples, les portes étant fermées ; il en est de même pour cet homme affranchi de toutes choses étrangères et de tout le créé. Dans un tel homme, Dieu ne vient pas, il est en lui dans son essence. (39) 
Notes : 
33 Eckhart, Sermon 81, JAH III, p. 140-141.
34 « La vie réside dans le cœur » dit Eckhart dans le Sermon 51 (JAH I, p. 135-136) ; et dans le Sermon 71 (JAH III, p. 76), Eckhart propose tout un développement sur le cœur : « Dieu donne à la nature d’agir et sa première œuvre est le cœur. Quelques maîtres en conclurent que l’âme est totalement dans le cœur et se répand dans les autres membres avec la vie. Il n’en est pas ainsi. L’âme est totalement dans chaque membre. Il est bien vrai que sa première œuvre est dans le cœur. Le cœur est au centre, il veut être protégé tout alentour, de même que le ciel ne subit nulle influence étrangère et ne reçoit rien de quoi que ce soit ».
35 Voir photos 1 et 2, p. 93.
36 Matthieu 6, 21.
37 Eckhart, Sermon 51, JAH II, p. 135-136.
38 Id., Sermon 10, JAH I, p. 122-123. « L’œil dans lequel je vois Dieu est l’œil même dans lequel Dieu me voit : mon œil et l’œil de Dieu ne sont qu’un œil, et une vision, et une connaissance, et un amour. »
39 Sermon 10, JAH I, p. 109.


Pyotr Ilyich Tchaikovsky. Hymn of the Cherubim. Extrait de : Liturgy of St John Chrysostom


Pyotr Ilyich Tchaikovsky, Liturgy of St John Chrysostom (1879) 
 

Valaam Monastery Choir. Chants from Valaam 
 

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