René Magritte |
Le paradoxe dans une approche non duelle (1). Le koan.
Dans sa forme le koan est indéfini, il peut aussi bien se présenter en quelques mots, dans une seule phrase, assertion ou interrogation, ou faire partie d'un dialogue d'une certaine longueur.
- Quel est le bruit d’une seule main qui applaudit ?
- Sans mot et sans absence de mots, peux-tu me dire la vérité ?
Le Bouddha garda le silence.
Alors le philosophe s'inclina respectueusement et remercia le Bouddha :
- Par ta compassion j'ai dissipé mes illusions et j'ai atteint la vraie voie.
Plus tard, Ananda demanda au Bouddha ce que le philosophe avait atteint. Le Bouddha répondit :
- La seule ombre d'un fouet fait galoper un bon cheval.
Ekai, extrait du Wu Men Kuan (la barrière sans porte), écrit par ses disciples, XIIIe siècle. (*)
Qu'elle est cet étonnement qui fait suite au koan ? Quoi en faire ou ne pas en faire ? Que devient alors le paradoxe ?
La réponse à ces questions déterminera son utilisation ou son rejet.
Ainsi les deux grandes écoles du bouddhisme zen s'opposent. L'une, Soto, lui accorde peu d'importance, parfois le rejette fermement. L'autre, Rinsai, lui donne la même place que l'assise dans la posture du Bouddha (zazen), le koan est sensé tout autant provoquer le satori (l'éveil) que permettre sa vérification.
Pourtant le koan n'est pas une énigme à résoudre avec une forte récompense à la clé, la réponse correct n'a jamais suscité le moindre satori - et parfois le koan est sans solution. En ce sens c'est une imposture, une impasse dans laquelle la pensée ne pourra trouver que de la colère et de la confusion.
Peut-être faut-il envisager un retournement. Sa résolution ne précède pas le satori, mais l'inverse, il faut atteindre le satori pour pouvoir répondre au koan. A quoi peut-il alors bien servir ?
Le koan est une invitation à changer de point de vue, à opter pour une absence de point de vue. La résolution du koan ne provoque pas le satori, la résolution (non conceptuelle) est le satori, à partir de quoi une réponse (conceptuelle) pourra être formulée. Celle-ci sera validée précisément en raison de sa provenance, mais dépendra aussi du contexte de sa profération. Une même réponse à une même question pourra alors être acceptée ou rejetée par le maitre zen.
L'étonnement provoqué par le koan est une suspension (...), un espace vide de tout concept, facilitant la reconnaissance de ce qui est. Cette reconnaissance c'est le satori. On peut aussi ne pas l'apercevoir et le remplir aussitôt par une nouvelle inquiétude de la pensée, par la recherche d'une réponse.
Le koan peut aussi proposer un outil conceptuel, non pas pour accumuler un nouveau concept mais pour en déloger d'autres auxquels nous croyons fortement. Il faudra alors abandonner l'outil (et soi-même avec) une fois qu'il n'aura plus sa raison d'être. L'espace crée par cet appauvrissement sera un nouvel étonnement de la pensée.
Je crois que la meilleure explication de la valeur des concepts est celle qu’en a donné Ramana Maharshi : un concept n’est utile que tant que vous l’utilisez comme vous le feriez d’une épine pour extraire une autre épine enfoncée dans votre pied. Quand vous avez retirée l’épine de votre pied, vous jetez les deux épines. Voilà tout ce à quoi un concept est bon : expulser un autre concept qui fait obstruction.
Ramesh Balsekar
Ainsi dans un premier temps le koan est une simple invitation, dans un second, si celle-ci n'est pas reçue, il pourra faire l'objet d'une méditation analytique, non pas pour construire quelque chose mais pour déconstruire (ou pour construire provisoirement afin de mieux déconstruire).
A partir du satori peut-être que tout devient koan. La vie n'est plus qu'une succession de paradoxes, un étonnement et une joie sans fin, aussi bien dans la feuille d'automne qui tombe que dans un problème de mathématique. Tout est paradoxe ou absence de paradoxe - puisque le paradoxe trouve à la fois sa résolution (non conceptuelle) et son renouvellement dans l'étonnement qui le constitue.
C'est là le paradoxe du paradoxe.
Suite :
Le paradoxe dans une approche non duelle (2). Ailleurs (que dans le bouddhisme zen).
(*)
L'analyse de ces koan fera l'objet d'un autre post.
- Une seule main
- La demande du philosophe
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