Le dernier livre de Eric Baret, Corps de Silence
Quatrième de couverture :
La joie, l'absolu sont à reconnaître ici et maintenant. Cette révélation est l'essence du tantrisme cachemirien. Sa mise en pratique est l'objet de la tradition telle que transmise par Jean Klein à partir des années soixante.
Ce livre souligne les bases shivaïtes de cet enseignement, ainsi que ses échos dans l'islam d'Ibn Arabi et la mystique rhénane. Tout en gardant son ancrage dans la tradition, cette résonance s'actualise dans tous les aspects de la vie quotidienne. Elle en souligne la beauté et la liberté inhérentes : tout est prétexte à cette reconnaissance.
L'abondante iconographie renvoie directement à cette même révélation où expérience esthétique et compréhension métaphysique vibrent d'un même silence.
Éric Baret a exploré pendant une trentaine d'années la tradition non-dualiste du shivaïsme cachemirien auprès de Jean Klein. Il a déjà publié chez Almora Le seul désir, Le sacre du dragon vert et Les crocodiles ne pensent pas.
Le présent ouvrage est l'approfondissement de la première partie de Yoga, corps de vibration, corps de silence, aujourd'hui épuisé.
On y trouve aussi un CD audio contenant 8 entretiens avec Éric Baret d'une durée totale de 75 min.
Radha, bronze, 15ème |
Préface de l'ouvrage par Colette Poggi :
"Il est des rencontres qui transforment l'existence. Pour Éric Baret, il y eut Jean Klein, et à travers cette personnalité intense et lumineuse, c'est en réalité toute une famille spirituelle, avec ses maîtres, leur trésor de textes et d'expériences, qui apparut en transparence. La rencontre fut donc décisive car elle suscita un émerveillement, un éveil... elle ouvrit une voie. C'est au fond l'objet de ce livre que de raconter, au fil des chapitres, l'histoire d'une rencontre qui servit de trame à une aventure intérieure. Jean Klein était pleinement immergé dans la lumière de l'Inde, ouvrant ainsi pour ses disciples et compagnons de route de nouveaux horizons spirituel et artistique. Il avait alors eu connaissance des théories véhiculées par le Shivaïsme du Cachemire ; son enthousiasme contagieux a de toute évidence touché Eric Baret qui a reconnu, en ces écoles cachemiriennes, des résonances avec sa propre expérience.
Qui étaient ces penseurs épris d'absolu qui vécurent au Cachemire entre les VIIIe et XIV ème siècles, laissant à la postérité des œuvres audacieuses portant à la fois sur les voies de délivrance, les moyens de réalisation, et l'expérience esthétique ?
C'est Lilian Silburn (1908-1993) qui la première a exploré, dès les années cinquante, le Shivaïsme du Cachemire ; chercheur au CNRS, elle a publié les traductions d'une dizaine de ses textes fondamentaux en les présentant dans leur esprit originel.
Deux aspects originaux retiennent l'attention :
- la vie quotidienne apparaît comme un champ de réalisation
- l'expérience esthétique peut conduire à la saveur de l'absolu
C'est Lilian Silburn (1908-1993) qui la première a exploré, dès les années cinquante, le Shivaïsme du Cachemire ; chercheur au CNRS, elle a publié les traductions d'une dizaine de ses textes fondamentaux en les présentant dans leur esprit originel.
Deux aspects originaux retiennent l'attention :
- la vie quotidienne apparaît comme un champ de réalisation
- l'expérience esthétique peut conduire à la saveur de l'absolu
L'une des caractéristiques fondamentales des théories cachemiriennes consiste ainsi à considérer l'art comme une voie de réalisation, un mode d'accès au Soi, grâce à l'épanouissement des énergies de la conscience et à la quiétude qu'il confère. Il n'est donc pas étonnant que Jean Klein, découvrant en Inde cette école de vie, ait éprouvé pour elle la fascination dont nous parle Eric Baret, et qu'il ait eu envie de la partager avec ses proches.
Quant à la vie quotidienne comme champ de réalisation, cette vision s'inscrit dans le prolongement de la précédente; tout regard, tout geste portant en lui le miracle de la conscience et de la vie. Mais est-il véritablement possible, emporté dans les flots du samsara, de vivre en accord avec la paix des profondeurs, goûtant la liberté de l'esprit par rapport aux attachements..., et leur cortège de tensions et de vanités ? La réponse est donnée par Abhinavagupta :
Quand on se libère des différenciations accumulées, l'état de bonheur est une allégresse comparable à la mise à terre d'un fardeau, l'apparition de la Lumière est l'acquisition d'un trésor oublié : le domaine de l'universelle non-dualité. Hymnes d'Abhinavagupta traduit par Lilian Silburn, p.57.
Le shivaïte du Trika peut vivre une existence de maître de maison et s'engager dans une voie de libération de ce type, le monde ne présente pas en soi d'entraves; par contre le regard porté sur celui-ci et sur sa propre essence influe sur le processus de la délivrance :
Nous rendons hommage à Shiva, Seigneur suprême manifesté aux êtres réalisés alors même qu'ils demeurent immergés dans les flots de l'existence, Lui que l'on ne peut attein dre que par la conscience de soi !
Commentaire sur la Reconnaissance du Seigneur d'Abhinavagupta, 1.8.
Comme l'évoque Eric Baret, certains auteurs médiévaux en Occident, chrétiens, soufis..., ont eux aussi perçu intuitivement le monde à la manière d'une œuvre d'art. Pour eux la Beauté est « l'éternel dans les choses » ; cette vision guérit, pensent-ils, du désir effréné de l'éphémère. Scot Origène (xe s.) part de la simple perception d'un caillou pour «imaginer » le monde.
Si je considère un caillou, des rayons en jaillissent, qui éclairent mon esprit. Ainsi en est-il de toutes choses... La machine du monde tout entier se présente comme une lumière immense, composée de lampes innombrables, destinées à révéler, (à mettre en lumière), à établir dans la cime de l'esprit les pures beautés des choses intelligibles.
Ce sentiment profond d'apaisement (shânti) et d'unité (aikyam), appelé aussi dans la philosophie indienne «saveur» (rasa), surgit avec la cessation (provisoire) du sens du moi (ahamkâra).
La visée de l'art dans ce contexte n'est autre qu'une transformation de soi dans le sens d'un accomplissement (samskriti). Il s'agit d'une intégration dans le rythme (chandas) du souffle cosmique, indissociable d'une « mise au diapason » avec le spanda cosmique. Ce terme dérive de la racine verbale CHAD (couvrir, tenir caché, secret), liée à son autre forme CHAND (se réjouir). Le rythme, selon la théorie indienne de l'art, sous-tend toute forme, toute structure, il définit pour chaque chose un mode distinctif, dans la manifestation universelle, de la Réalité primordiale.
Ainsi celui qui contemple l'image avec profondeur, s'il est « vacant », désencombré, s'emplit de ce rythme, de ce souffle, originel, entre en contact avec le principe même de la vie, et se charge d'énergie spirituelle.
Ainsi celui qui contemple l'image avec profondeur, s'il est « vacant », désencombré, s'emplit de ce rythme, de ce souffle, originel, entre en contact avec le principe même de la vie, et se charge d'énergie spirituelle.
L'émerveillement est comme un bond de l'âme qui unifie soudain l'être entier et le plonge dans un recueillement spontané. Sans ces instants de grâce où l'apparence cède à la transparence, toute pratique, tout acte artistique, rituel... resteraient à la surface d'eux-mêmes, laissant
la plupart des hommes enfermés dans leur corps mortel comme l'escargot dans sa coquille, enroulés dans leurs obsessions à la manière des hérissons, modelant sur eux-mêmes leur idée du Dieu bienheureux.
Clément d'Alexandrie
Comme Abhinavagupta et les penseurs cachemiriens, le peintre-lettré chinois, Mi fou, qui avait atteint grâce à son art l'équanimité, savait reconnaître les vraies richesses.
D'un regard perçant, traversant les apparences, il savait déceler ce qui se joue d'unique dans le moment présent, il savait le bonheur de s'attarder sur « l'Océan des mystères », selon la belle image d'Isaac le Syrien.
Il est pauvre mais il n'a pas de chagrin
Il embrasse le printemps du monde dans son esprit
Il est parfois assis dans les forêts
Il se promène parfois au bord des rivières.
C'est ainsi qu'il faudrait entrer dans les pages de ce livre, les forêts de ses textes, les rivières de ses images, en laissant ruisseler, en contrechant, les sonorités des mots sanskrits."
Mahakala, 15ème |
Le Silence est ce que je connais de plus difficile à maîtriser intérieurement, au delà des nuisances des "cogitations" envahissantes !
RépondreSupprimerFaire Silence n'est pas se "concentrer" mais "lâcher prise" en laissant passer les pensées qu'il faut arriver à laisser passer comme des nuages qui disparaissent d'eux mêmes.
Mais, quel bien cela fait !