Ouvrage anonyme anglais, Le Nuage d'inconnaissance (The Cloud of Unknowing) est un écrit du milieu du XIVe siècle, rédigé au plus fort de la querelle entre « actifs » et « contemplatifs ». Adressé à une solitaire (comme les épîtres qui accompagnent Le Nuage dans les plus anciens manuscrits), ce texte n'est pas pour autant une œuvre polémique contre la dévotion moderne. Débiteur des écrits de Denys l'Aréopagite et des Victorins, l'auteur enseigne une doctrine profondément anti-intellectualiste ; Dieu ne peut être atteint que par l'amour, le sentiment (feeling) et non par la pensée. Le rôle du « nuage de l'oubli » est précisément de couvrir l'activité discursive de l'entendement pour pouvoir permettre à l'homme d'accéder à Dieu par l' « amour ardent », la partie affective de l'âme. L'esprit reste alors dans le nuage d'inconnaissance, tandis que l'âme, dans sa partie supérieure, pénètre ce nuage et le traverse pour atteindre Dieu. L'âme est absorbée par la divinité avec qui elle finit par se confondre.
Le Nuage a eu une influence considérable sur la mystique anglo-saxonne et rhénane du XIVe et du XVe siècle. (...)
Source du texte : universalis
Bibliographie :
- Le Nuage d'inconnaissance, trad. Armel Guerne, Ed. du Seuil, Points Sagesse, 1998.
- Le Nuage d'Inconnaissance, trad. Alain Sainte-Marie, Ed. du Cerf, Sagesse chrétienne, 2004.
- Le Nuage d'Inconnaissance, Une mystique pour notre temps, trad. et commentaires de Bernard Durel, Ed. Albin Michel, Spiritualité vivante, 2009.
- La Mystique du Nuage d'Inconnaissance, trad., commentaires de William Johnston, Ed. du Carmel, 2009.
O Dieu, à qui sont ouverts tous les coeurs, et à qui parle toute volonté, et à qui rien de secret ne demeure caché : je Vous supplie de purifier les desseins de mon coeur par l'ineffable don de Votre grâce, en sorte que je puisse parfaitement Vous aimez, et dignement Vous louer. Amen.
Prière du Prologue.
Néanmoins, toutes les créatures qui ont intelligences, les angéliques comme les humaines, possèdent en elles-mêmes et chacune pour soi, une première puissance opérative principale, laquelle est nommée de connaissance, et une autre puissance opérative principale, laquelle est nommée de l'amour. Desquelles deux facultés, Dieu qui en est le créateur, reste toujours incompréhensible à la première, qui est celle de la connaissance, et à la seconde, qui est celle de l'amour, Il est tout compréhensible, pleinement et entièrement, quoique diversement pour chacun. de sorte qu'une seule et même âme peut, par la vertu de l'amour, comprendre en elle-même Celui qui est en Soi pleinement suffisant - et incomparablement plus encore - pour emplir et combler toutes les âmes et tous les anges jamais créés.
Extrait du chapitre 4.
Car encore qu'il soit bon de méditer sur la bonté de Dieu, et de L'aimer et glorifier pour cela, néanmoins il est de beaucoup meilleur de penser à son Etre pur, et de L'aimer et glorifier pour Lui-même.
Extrait du chapitre 5.
Mais maintenant tu m'interroges et me dis : "Comment vais-je penser à Lui, et qu'est-Il ?" et à cela je ne puis te répondre que ceci : "Je n'en sais rien.".
Car par ta question tu m'as jeté dans cette même obscurité et dans ce même nuage d'inconnaissance ou je voudrais que tu fusses toi-même. Car de toutes les autres créatures et de leurs oeuvres, oui certes, et des oeuvres de Dieu Lui-même, il est possible qu'un homme ait son plein de connaissance par la grâce, - et sur elles, il peut très bien penser, mais sur Dieu Soi-même, personne ne peut penser. C'est pourquoi laisserai-je toutes choses que je puis penser, et choisirai-je pour mon amour la chose que je ne puis penser.
Extrait du chapitre 6.
Aussi donc, quel que soit le moment où tu te disposes à cette œuvre, et quel, le sentiment d'y être appelé par la grâce de Dieu : élève alors ton cœur vers Lui, avec un mouvement et un élan d'humilité et d'amour, dans la pensée du Dieu qui t'a créé, et racheté, et qui t'a gracieusement rappelé au degré où tu es, n'admettant aucune autre pensée que cette seule pensée de Dieu. Et même celle-ci, seulement si tu t'y sens porté : car un élan direct et nu vers Dieu est suffisant assez, sans aucune autre cause que lui-même.
Et que si cet élan, il te convient l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot, afin de plus fermement t'y tenir, alors ce soit un petit mot, et très bref de syllabes : car le plus court il est, mieux il est accordé à l'œuvre de l'Esprit. Semblable mot est le mot : Dieu, ou encore le mot : Amour. Choisis celui que tu veux, ou tel autre qui te plaît, pourvu qu'il soit court de syllabes. Et celui-là, attache-le si ferme à ton cœur, que jamais il ne s'en écarte, quelque chose qu'il advienne.
Ce mot sera ton bouclier et ton glaive, que tu ailles en paix ou en guerre. Avec ce mot, tu frapperas sur ce nuage et cette obscurité au-dessus de toi. Et avec lui tu rabattras toutes manières de pensée sous le nuage de l'oubli. A tel point que, si quelque pensée t'importune d'en haut et te demande ce que tu voudrais posséder, tu ne lui répondras par aucunes paroles autres que ce mot seul. Et qu'elle argue de sa compétence en t'offrant d'expliquer ce mot très savamment et de t'en exposer les qualités ou propriétés, dis-lui : que tu veux le garder et posséder intact en son entier, et non point brisé ou défait.
Et si tu veux te tenir ferme en ce propos, sois bien sûr que pas un instant de plus, elle ne demeurera. Et pourquoi ? Parce que tu ne veux ni la laisses se nourrir aux douces méditations sur Dieu, alléguées ci-dessus.
Extrait du chapitre 7.
Source du texte : evagre
La plus haute part de la contemplation, autant qu’elle peut se faire ici, consiste tout entière en cette obscurité et ce nuage d’inconnaissance, et avec un élan d'amour et une aveugle considération de l'Etre pur de Dieu, uniquement Lui-même.
L'homme dans la vie active inférieure, est en dehors de soi et au-dessous de soi. Dans la vie active supérieure, et partie inférieure de la contemplative, l'homme est au-dedans de soi et égal à soi-même. Mais dans la vie contemplative supérieure, c'est au-dessus de soi qu'il est et sous son Dieu.
Extrait du chapitre 8.
L'humilité n'est en elle-même rien d'autres que la vraie connaissance et le sentiment vrai, pour l'homme, de ce qu'il est en soi-même.
Extrait du chapitre 13
Regarde qu'en ton intelligence et en ta volonté n'oeuvre que Dieu seul. Et tâche à abattre toute connaissance et tout sentiment de quoi que ce soit au-dessous de Dieu; et rejette bien loin toutes choses sous le nuage d'oubli. Et tu dois comprendre que tu n'as pas seulement à oublier en cette oeuvre toutes les autres créatures que toi-même et aussi leurs actions ou les tiennes, mais encore que tu as, en cette oeuvre, à oublier ensemble et toi-même et tes propres actions pour Dieu, non moins que les autres créatures et leurs actions.
Extrait du chapitre 43.
Au-dessus de toi, tu es : puisque tu parviens à venir par la grâce au-delà de ce que, par nature, tu peux et pourrais atteindre. C'est-à-dire à être uni à Dieu, en esprit, par l'amour, et par conformité de volonté. Et sous ton Dieu, tu es : puisque, et bien qu'on puisse d'une certaine manière affirmer qu'à ce moment Dieu et toi ne sont pas deux mais un, en esprit - à tel point que toi ou un autre, connaissant d'expérience cette unité par la perfection de l'oeuvre, pourra très assurément, au témoignage de l'Ecriture, être appelé un Dieu - néanmoins tu es au-dessous de Dieu. Et pourquoi ? C'est qu'Il est Dieu de nature et sans commencement, et qui, bientôt après que tu fus, par Sa puissance et Son amour, fait quelque chose, te fis toi-même pire que néant par le péché volontaire et accepté, ce n'est que par Sa miséricorde et sans mérite aucune de ta part, que tu es fait un Dieu en la grâce, uni à Lui en esprit sans partage, tout ensemble ici et dans la béatitude du ciel et sans fin. Et ainsi, bien que tu sois un avec Lui en la grâce, cependant tu es loin au-dessous de Lui en nature.
Extrait du chapitre 67.
Ah ! qu'il pense ce qu'il veut, car toujours et toujours il le trouvera un nuage d'inconnaissance, lequel est entre lui et son Dieu.
Extrait chapitre 69
Et c'est pourquoi travaille ferme en ce rien et nulle part, et laisse tes sens corporels du dehors et tout ce qu'ils font : car je te le dis véritablement, cette oeuvre ne peut et ne saurait être conçue par eux. (...)
De semblable manière en va-t-il de nos sens spirituels, lorsque nous travaillons à la connaissance de Dieu Lui-même. Car un homme aurait-il comme jamais la compréhension et connaissance de toutes choses spirituellement créés, néanmoins il ne peut jamais, par l'oeuvre de cette intelligence, venir à la connaissance d'une chose spirituellement non créée, laquelle n'est autre que Dieu. Mais par l'impuissance et cessation de cette intelligence, il le peut : car la chose devant laquelle elle est impuissante n'est pas autre chose que Dieu seul. Et c'est pourquoi saint Denis a dit : "la plus parfaite connaissance de Dieu est celle où Il est connu par inconnaissance." Et en vérité, quiconque voudra regarder aux livres de saint Denis, il trouvera que ses paroles affirment, et clairement confirment, toute ce que j'ai dit et pourrai dire, du commencement à la fin de ce présent traité.
Extrait du chapitre 70.
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