mercredi 2 novembre 2011

Pyrrhon d'Elis (1)



Les sceptiques grecs, après Énésidème (fin du ~ Ier s.), ont volontiers reconnu en Pyrrhon (~360-~270) un ancêtre de leur méthode; les présentations doxographiques de sa doctrine reflètent parfois cette intention. Pourtant, Pyrrhon n'est pas vraiment le fondateur d'une école sceptique. Élève d'Anaxarque, qui était lui-même un disciple de Démocrite, il accompagne avec lui Alexandre le Grand dans ses expéditions en Asie et en Inde, ce qui lui permet d'avoir des contacts avec des philosophes hindous et l'amène probablement à subir leur influence. À son retour en Grèce, il se retire dans sa ville natale, Élis, et y vit en solitaire.
Le but de la vie philosophique pour Pyrrhon est l'indifférence à l'égard des événements et des opinions, indifférence qui se fonde sur le fait que, pour l'homme, « aucune chose n'est plus ceci que cela » (Diogène Laërce, Vie des philosophes, IX, 61), c'est-à-dire que l'homme ne peut pas faire de différences entre les choses, ni du point de vue de la valeur ni du point de vue de la vérité. Tous nos jugements et nos actions ne sont que l'œuvre de la convention et de l'habitude. Le sage se conforme donc, sans illusions, à la « vie » (Vie des philosophes, IX, 62), c'est-à-dire aux opinions des non-philosophes, mais avec indifférence, c'est-à-dire avec une liberté intérieure qui préserve son ataraxie, la paix de son âme. Ce style de vie extérieurement ne se distingue pas de celui du commun : « Il vécut pieusement avec sa sœur, qui était sage-femme, quelquefois allant vendre au marché des poulets et des cochons et avec indifférence il faisait le ménage et la toilette du cochon » (Vie des philosophes, IX, 66). Tout est dans l'attitude intérieure. Les sceptiques postérieurs se reconnaîtront dans ce refus d'avoir une opinion et d'affirmer une théorie, mais Pyrrhon ne semble pas avoir lui-même développé d'argumentations subtiles pour réfuter le dogmatisme. La philosophie est pour lui exercice vécu et style de vie.
Auteur : Pierre Hadot
Source du texte : universalis

Autres biographies sur le net : guy karl / wikipedia / cosmovision


   Au temps de Pausanias, Elis était une fort belle cité, avec des gymnases, des temples, des portiques nombreux. Il faut voir la description du géographe. La présence d'une enceinte et d'un temple consacré à Hadès (ou le prêtre n'entrait qu'une fois l'an) était alors, semble-t-il, une particularité d'Elis : "Les Eléens sont les seuls, à ma connaissance, qui rendent un culte à Hadès", dit Pausanias. (...)
Pyrrhon fut grand prêtre (par élection), selon Diogène Larce (IX, 64) - et comme il tient le fait d'Antigone de Caryste, il n'y a pas lieu d'en douter. On l'imagine volontiers prêtre d'Hadès - et attentif à entretenile sanctuaire, à laver et parer la statue. (...)
Extrait de : Marcel Conche, Pyrrhon ou l'Apparence
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   Elis, petite cité grecque du Péloponnèse, 365 avant notre ère : du nommé Pleistarque ("Chef de Maints") ou Pistocrates ("Puissant par la Foi") et d'une dame inconnue naît Pyrrhon ("le Flamboyant"), frère cadet de certaine Philista ("Très Chère"), non dans les murs de la ville qui, comme Sparte, en était dépourvue, mais à une dizaine de kilomètre de là, à Pétra ("le Rocher"), à l'orée du dème d'Héraia et de la montagneuse Arcadie. 

   Naître et n'être ici se confondaient; Pyrrhon le bien nommé entamait notre indésirable vie extraordinaire : dès qu'il le put, m'appert-il en toute subjectivité, il souffrit d'acatalepsie ou, plus clairement mais avec moins de précision, de la cruelle frustration de "ne pas tout comprendre". 
   Bien mal né, il tressauta. D'abord peintre à Elis et Olympie, temple des Jeux panhelleniques, il écouta les maîtres de l'école éléenne (ou éliaque) fondée par Phédon l'Eupatride, disciple de Socrate, puis, à Athènes, nécessairement, Aristote de Stagire, le "nouveau philosophe", déjà... Ensuite, l'Histoire l'emporta dans les basques d'Anaxarque d'Abdère, penseur démocritéen et "ami" du petit Alexandre le Grand, pendant plus de douze années, jusques en Inde. On sait que, de retour en Elide, il confondit la "sagesse enjôleuse" des cripto-mégarique de l'école, et que, grand prêtre de la cité, il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans, bel âge, mythique peut-être, en ces temps reculés. (...)
Extrait de : Patrick Carré, Nostalgie de la vacuité, Ed. Pauvert, 1999. 
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"S'il faut lire un livre de philosophie dans sa vie, que ce soit le Pyrrhon ou l'apparence, de Marcel Conche". Patrick Carré


Bibliographie :
Marcel Conche, Pyrrhon ou l'apparence, PUF, 1994.

Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres (livre IX), Ed. Garnier Flammarion.
Sextus Empiricus, Hypothyposes pyrrrhoniennes, trad. Jean-Paul Dumont, textes choisis dans : Les Sceptiques grecs, Ed, PUF.
Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, trad. Pellegrin, Ed. du Seuil, 1997.
Léon Robin, Pyrrhon et le scepticisme grec, PUF, 1944.
Jean-Paul Dumont, Le scepticisme et le phénomène, Vrin, 2° éd. 1985.
Victor Brochard, Les Sceptiques grecs.
Anthony A. Long et David N. Sedley., Les Philosophes hellénistiques (1986), t. I : Pyrrhon, l'épicurisme, trad., Garnier-Flammarion, 1997.
Essai, roman :
Michel de Montaigne, Essais, tome 2 (chap. sur Raymond Sebond), Ed.
Patrick Carré, Yavana, Ed. Phoebus, 1991.
Patrick Carré, Nostalgie de la Vacuité, Ed. Pauvert, 1999.
Abolir tous les étants, Magazine Littéraire n° 394 - janvier 2001, p. 25-27.
En ligne :
Diogène Larce, Pyrrhon, sur les sites : Remacle  / Ugo Bratelli trad. Robert Grenaille (voir l'encadré)
Victor Brochard, Pyrrhon et le scepticisme primitif


Il est nécessaire, avant tout, de faire porter l'examen sur notre pouvoir de connaissance, car si la nature ne nous a pas faits capables de connaitre, il n'y a plus à poursuivre l'examen de quelque autre chose que ce soit.
Il y a eu, effectivement, autrefois, des philosophes pour émettre une telle assertion, et Aristote les a réfutés. Cependant Pyrrhon d'Elis aussi soutint en maître cette thèse. Il est vrai qu'il n'a laissé aucun écrit, mais Timon, son disciple, dit que celui qui veut être heureux a trois points à considérer : d'abord quelle est la nature des choses; ensuite dans quelle disposition nous devons être à leur égard; enfin ce qui en résultera pour ceux qui sont dans cette disposition.
   Les choses, dit-il, il (Pyrrhon) les montre également in-différentes, im-mesurables, in-décidables. C'est pourquoi ni nos sensations, ni nos jugements, ne peuvent, ni dire vrai, ni se tromper.
   Par suite, il ne faut pas leur accorder la moindre confiance, mais être sans jugement, sans inclination d'aucun côté, inébranlable, en disant de chaque chose qu'elle n'est pas plus qu'elle n'est pas, ou qu'elle est et n'est pas, ou qu'elle n'est ni n'est pas.
   Pour tous ceux qui se trouvent dans ces dispositions, ce qui en résultera, dit Timon, c'est d'abord l'aphasie, puis l'ataraxie...
Texte d'Aristoclès de Messène (-IIIe) 
rapportant les propos de Timon de Phlionte (325-235), dans Eusèbe de Césarée (268-338), Préparation évangélique, XIX, 18, 1-4, traduit par Marcel Conche dans Pyrrhon ou l'Apparence.

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Le propos de l'ouvrage général est d'établir que rien n'est appréhendé (compris) de façon ferme, ni par la sensation, ni par la pensée. C'est pourquoi ni les Pyrrhoniens ni les autres philosophes ne connaissent la vérité de l'étant, mais ceux qui philosophent selon une autre secte l'ignorent, entre autres choses, qu'eux-mêmes s'usent et se consument en vain en des tourments continuels, et ignorent cela même; que rien n'a été compris de ce qu'il leur a semblé comprendre. Quand à celui qui philosophe selon Pyrrhon, il est heureux surtout parce qu'il est sage, du fait de savoir avant tout que rien n'est par lui saisi (compris) de façon ferme; et des choses qu'il saurait, il lui appartient, en sa propre qualité de Pyrrhonien, de ne leur donner son assentiment pas plus par l'affirmation que par la négation. (...)


   Les philosophes de l'Académie sont des dogmatiques et posent certaines choses sans réserve, en rejettent d'autres sans hésitation, mais ceux qui suivent Pyrrhon sont aporétiques et libres de toute affirmation arrêtée. 

   Aucun d'eux absolument n'a dit que toutes choses sont incompréhensibles, ni compréhensibles, mais qu'elles ne sont pas plus (ouden mallon) l'un que l'autre, ou qu'elles sont tantôt compréhensibles et tantôt non, ou compréhensibles pour celui-ci, non compréhensibles pour un autre, et, pour un autre encore, ne sont pas du tout; ni que toutes ensembles, ou certaines d'entre elles, sont attingibles, ou qu'elles sont non attingibles, mais qu'elles ne sont pas plus attingibles que non attingibles, ou que tantôt elles sont attingibles et tantôt ne le sont plus, ou qu'elles sont attingibles à l'un et non à l'autre. 
   Et certes, il n'y a ni vrai ni faux, ni probable ni improbable, ni étant ni non-étant, mais le même, pour ainsi dire, n'est pas plus vrai que faux, probable qu'improbable, étant que non étant, ou tantôt ceci et tantôt cela, ou tel pour l'un et non tel pour l'autre. 
   Car d'une manière générale, le Pyrrhonien ne détermine rien, et pas même ceci que rien n'est déterminé; mais, dit-il, c'est sans avoir de quoi exprimer notre conception que nous parlons. 
Texte d'Enésidème (80-130), Discours pyrrhoniens, dans la Bibliothèque, codex 212, de Photius (810-893), traduit par Marcel Conche dans Pyrrhon ou l'Apparence. 
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