MAJ de la page : Confessions d'un assassin financier
Un assassin financier parle : John Perkins explique comment la Grèce a été victime des «assassins financiers»
Par Michael Nevradakis, le 11 septembre 2014
John Perkins, auteur des Confessions of an Economic Hit Man [Confessions d’un assassin financier], explique comment la Grèce et d’autres pays de l’eurozone sont devenus les nouvelles victimes des assassins financiers.
John Perkins est un habitué des confessions. Son célèbre livre, Confessions of an Economic Hit Man, a révélé comment les organisations internationales, telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, tout en prétendant publiquement sauver les pays et les économies en souffrance, leurrent plutôt leurs gouvernements en les appâtant : en promettant une croissance surprenante, de superbes infrastructures et un avenir de prospérité économique – tout ce qui arriverait si ces pays empruntaient des sommes énormes à ces organisations. Loin d’atteindre une croissance économique galopante et le succès, ces pays au contraire s’effondrent sous le poids de dettes écrasantes et insoutenables.
C’est ici que les assassins financiers entrent en scène : des hommes apparemment ordinaires, dont la situation est ordinaire, se rendent dans ces pays et y imposent les sévères politiques d’austérité prescrites par le FMI et la Banque mondiale comme solutions aux difficultés économiques qu’ils connaissent maintenant. Les hommes comme Perkins ont été formés à presser chaque dernière goutte de richesse et de ressources de ces économies malades, et continuent à le faire à ce jour. Dans cette interview, diffusée sur Dialogos Radio, Perkins explique comment la Grèce et l’eurozone sont devenus les nouvelles victimes de ces assassins économiques.
Michael Nevradakis – Dans votre livre, vous décrivez comment vous avez été pendant de nombreuses années ce qu’on appelle un assassin financier. Qui sont ces tueurs à gage économiques et que font-ils?
John Perkins – Pour l’essentiel, mon boulot consistait à identifier les pays détenant des ressources qui intéressent nos multinationales, et qui pouvaient être des choses comme du pétrole, ou des marchés prometteurs, des systèmes de transport. Il y a tant de choses différentes. Une fois que nous avions identifié ces pays, nous organisions des prêts énormes pour eux, mais l’argent n’arriverait jamais réellement à ces pays; au contraire, il irait à nos propres multinationales pour réaliser des projets d’infrastructures dans ces pays, des choses comme des centrales électriques et des autoroutes qui bénéficiaient à un petit nombre de gens riches ainsi qu’à nos propres entreprises. Mais pas à la majorité des gens qui ne pouvaient se permettre d’acheter ces choses, et pourtant ce sont eux qui ployaient sous le fardeau d’une dette énorme, très semblable à celle de la Grèce actuellement, une dette phénoménale.
Et une fois [qu’ils étaient] liés par cette dette, nous revenions, sous la forme du FMI – et dans le cas de la Grèce aujourd’hui, c’est le FMI et l’Union européenne – et posions des exigences énormes au pays : augmenter les impôts, réduire les dépenses, vendre les services publics aux entreprises privées, des choses comme les compagnies d’électricité et les systèmes de distribution de l’eau, les transports, les privatiser, et devenir au fond un esclave pour nous, pour les sociétés, pour le FMI, dans votre cas pour l’Union européenne. Fondamentalement, des organisations comme la Banque mondiale, le FMI, l’UE sont les outils des grandes sociétés multinationales, ce que j’appelle la corporatocratie.
– Avant de considérer le cas spécifique de la Grèce, parlons un peu plus de la manière dont opèrent ces tueurs à gage économiques et ces organisations, comme le FMI. Vous avez expliqué, bien sûr, comment elles entrent dans ces pays et travaillent pour les endetter massivement, avec l’argent qui entre puis repart directement. Vous avez aussi mentionné dans votre livre ces pronostics de croissance optimistes, qui sont vendus aux hommes politiques de ces pays, mais qui n’ont en réalité aucun rapport avec la réalité.
– Exactement. Nous avons montré que si ces investissements étaient placés dans des choses comme les systèmes d’énergie électrique, l’économie croîtrait dans des proportions phénoménales. Le nœud du problème est toutefois que lorsque vous investissez dans ces grandes infrastructures, la plus grande partie de cette croissance reflète le fait que le riche devient plus riche et encore plus riche ; elle ne reflète pas la situation de la majorité du peuple, et nous le voyons aux États-Unis aujourd’hui.
Par exemple, là où nous pouvions montrer une croissance économique, la croissance du PIB, le chômage peut en même temps augmenter ou rester au même niveau, et les saisies de maisons peuvent augmenter ou rester stables. Ces chiffres tendent à refléter la position des très riches, puisqu’ils possèdent un énorme pourcentage de l’économie, statistiquement parlant. Néanmoins, nous devions démontrer que lorsque vous investissez dans ces projets d’infrastructures, votre économie se développe, et nous voulions encore prouver que sa croissance serait beaucoup plus rapide que prévue, et c’était seulement utilisé pour justifier ces prêts épouvantables et incroyablement affaiblissants.
– Y a-t-il des points communs entre les pays généralement ciblés ? Sont-ils, par exemple, riches en ressources ou jouissent-ils de quelque autre importance stratégique pour les pouvoirs en place ?
– Oui, tous. Les ressources peuvent prendre différentes formes : certaines sont matérielles, comme les minéraux ou le pétrole ; une autre est l’emplacement stratégique ; une autre encore est un grand marché ou un faible coût du travail. Ainsi, différents pays ont des obligations différentes. Je pense que ce que nous voyons en Europe aujourd’hui n’est pas différent, et cela inclut la Grèce.
– Que se passe-t-il lorsque ces pays ciblés sont endettés ? Comment ces grandes puissances, ces tueurs économiques, ces organisations internationales reviennent-elles et obtiennent-elles leur livre de chair des pays qui sont lourdement endettés ?
– En insistant pour que les pays adoptent des politiques qui vendront leurs entreprises étatiques de service public aux grandes sociétés. L’eau et les systèmes d’épuration, peut-être les écoles, les transports, même les prisons. Privatiser, privatiser. Permettez-nous de construire des bases militaires sur votre sol. Beaucoup de choses peuvent être faites, mais à la base, ils deviennent les serviteurs de ce que j’appelle la corporatocratie. Vous devez vous rappeler qu’aujourd’hui, nous avons un Empire mondial, et ce n’est pas un empire américain. Ce n’est pas un empire national. Il n’aide pas beaucoup le peuple américain. C’est un empire industriel, et les grandes entreprises gouvernent. Elles contrôlent la politique des États-Unis et, dans une large mesure, elles contrôlent une grande partie des politiques de pays comme la Chine, partout dans le monde.
– John, considérons maintenant le cas spécifique de la Grèce ; bien sûr vous avez dit que vous croyiez que ce pays est devenu la victime de tueurs économiques et de ces organisations internationales… Quelle a été votre réaction quand vous avez entendu parler pour la première fois de la crise en Grèce et des mesures à mettre en œuvre dans le pays ?
– Je suis la situation de la Grèce depuis longtemps. J’ai été à la télévision grecque. Une société de production grecque a réalisé un documentaire intitulé Apology of an Economic Hit Man [Apologie d’un tueur économique] et j’ai aussi passé beaucoup de temps en Islande et en Irlande. J’ai été invité en Islande pour aider à encourager les gens à voter pour un référendum visant à ne pas rembourser leurs dettes, et je l’ai fait et j’ai encouragé les gens à ne pas le faire, et le résultat, c’est que l’Islande se porte plutôt bien maintenant économiquement, comparée au reste de l’Europe. L’Irlande, d’autre part : j’ai essayé de faire la même chose là-bas, mais les Irlandais ont manifestement voté contre le référendum, malgré qu’il y avait de nombreux rapports faisant état d’une importante corruption.
Dans le cas de la Grèce, ma réaction a été : «La Grèce est touchée». Il n’y a aucun doute à ce sujet. Bien sûr, la Grèce a commis des erreurs, vos dirigeants ont fait quelques erreurs, mais le peuple n’en a vraiment pas fait, et maintenant on demande aux gens de payer pour les erreurs commises par leurs dirigeants, souvent de mèche avec les grandes banques. Donc des gens font d’énormes quantités d’argent de ces prétendues erreurs, et maintenant, on demande au peuple qui n’en a pas fait d’en payer le prix. C’est une constante dans le monde entier : nous l’avons vu en Amérique latine. Nous l’avons vu en Asie. Nous l’avons vu dans tellement d’endroits dans le monde.
– Cela m’amène directement à la question suivante : d’après mes observations, en Grèce au moins, la crise a été accompagnée par une montée de l’auto-accusation ou du dégoût de soi ; il y a ce sentiment en Grèce partagé par beaucoup de gens que le pays a échoué, que les gens ont échoué… Il n’y a quasiment plus de protestation en Grèce, et évidemment il y a une énorme fuite des cerveaux – beaucoup de gens quittent le pays. Cela vous semble-t-il familier lorsque l’on compare à d’autres pays dans lesquels vous avez une expérience personnelle ?
– Bien sûr, cela fait partie du jeu : convaincre les gens qu’ils ont tort, qu’ils sont inférieurs. La corporatocratie est incroyablement bonne là-dedans, par exemple la guerre au Vietnam, pour convaincre le monde que les Nord-Vietnamiens étaient mauvais ; aujourd’hui, ce sont les musulmans. C’est une politique antagoniste : nous sommes bons. Nous avons raison. Nous faisons tout juste. Vous avez tort. Et dans ce cas, toute cette énergie a été dirigée contre le peuple grec pour dire : «Vous êtes paresseux, vous n’avez pas fait pas ce qu’il fallait, vous n’avez pas mené les bonnes politiques», alors qu’en réalité, c’est contre la communauté financière, qui a encouragé la Grèce à prendre cette voie, qu’il faut porter une énorme montagne d’accusations. Et je voudrais dire qu’il se passe quelque chose de très semblable aux États-Unis, où les gens sont amenés à croire qu’ils étaient stupides parce que leurs maisons ont été saisies, qu’ils ont acheté les mauvaises maisons, qu’ils ont dépensé au-delà de leurs moyens.
Le fait est que leurs banquiers leur ont dit de le faire, et dans le monde entier, nous en sommes venus à faire confiance à des banquiers – ou nous avions l’habitude de le faire. Aux États-Unis, nous n’avons jamais cru qu’un banquier nous dirait d’acheter une maison à 300 000 dollars. Nous pensions que c’était dans l’intérêt des banques de ne pas la saisir. Mais cela a changé il y a quelques années, et les banquiers ont dit aux gens qui savaient ne pouvoir se permettre qu’une maison à 300 000 dollars d’en acheter une à 500 000 dollars.
«Serrez-vous la ceinture, dans quelques années, cette maison vaudra plus d’un million de dollars ; vous gagnerez beaucoup d’argent»… En fait, la valeur des maisons a baissé, le marché s’est effondré, les banques ont saisi ces maisons, les ont transformées et les ont revendues. Double coup dur. On a dit aux gens : «Vous avez été stupides, vous avez été cupides, pourquoi avez-vous acheté une maison si chère ?» Mais en réalité, ce sont les banquiers qui leur ont dit de le faire, et nous avons été éduqués à croire que nous pouvons faire confiance à nos banquiers. Quelque chose de très semblable à grande échelle est arrivé dans tellement de pays dans le monde, y compris en Grèce.
– En Grèce, les grands partis traditionnels sont, évidemment, majoritairement en faveur des dures mesures d’austérité qui ont été imposées, mais nous voyons aussi que les grands intérêts économiques et des médias les soutiennent massivement. Cela vous surprend-il au moins un peu ?
– Non, cela ne me surprend pas, et pourtant c’est ridicule, parce que l’austérité ne fonctionne pas. Nous l’avons prouvé encore et encore, et peut-être la plus grande preuve est l’inverse, aux États-Unis pendant la Grande dépression, lorsque le président Roosevelt a lancé toutes ces politiques pour remettre les gens au travail, pour injecter de l’argent dans l’économie. C’est cela qui fonctionne. Nous savons que l’austérité ne marche pas dans ces situations.
Nous devons aussi comprendre que, par exemple aux États-Unis, au cours des 40 dernières années, la classe moyenne a décliné en terme de pouvoir d’achat réel, tandis que la croissance économique a augmenté. En fait, c’est précisément ce qui est arrivé dans le monde entier. A l’échelle mondiale, la classe moyenne décline. Les grandes entreprises doivent reconnaître – elles ne l’ont pas encore fait, mais elles doivent le reconnaître – que cela ne sert les intérêts de personne à long terme, que la classe moyenne est le marché. Et si la classe moyenne continue à décliner, que ce soit en Grèce ou aux États-Unis, ou mondialement, ce sont les entreprises qui en paieront le prix pour finir ; elles n’auront plus de consommateurs. Henry Ford a dit un jour: «Je veux payer tous mes ouvriers suffisamment afin qu’ils puissent sortir et acheter des voitures Ford.» C’est une très bonne politique. C’est sage. Ces programmes d’austérité vont dans le sens contraire et c’est une politique stupide.
– Dans votre livre, écrit en 2004, vous avez exprimé l’espoir que l’euro servirait de contrepoids à l’hégémonie américaine mondiale, à l’hégémonie du dollar US. Vous étiez-vous jamais attendu à voir dans l’Union européenne ce que nous voyons aujourd’hui, avec l’austérité qui ne sévit pas seulement en Grèce, mais aussi en Espagne, au Portugal, en Irlande, en Italie et dans plusieurs autres pays ?
– Ce que je n’avais pas réalisé durant toute cette période est à quel point la corporatocratie ne veut pas d’Europe unie. Nous devons comprendre cela. Ils peuvent être assez satisfaits avec l’euro, avec une monnaie – ils sont satisfaits à un certain point qu’elle soit unique, de façon à ce que les marchés soient ouverts – mais ils ne veulent pas de règles et de régulations standardisées. Avouons-le, les grandes sociétés, la corporatocratie, tirent un avantage du fait que certains pays en Europe ont des lois fiscales beaucoup plus clémentes, certains ont des lois sociales et environnementales beaucoup plus indulgentes, et elles peuvent les monter les uns contre les autres.
Que se passerait-il pour les grandes sociétés si elles n’avaient pas leurs paradis fiscaux dans des endroits comme Malte ou ailleurs? Je pense que nous devons reconnaître ce que la corporatocratie a vu en premier, l’euro solide, une Union européenne qui semblait une très bonne chose ; mais lorsque celle-ci a évolué, ils ont aussi vu que ce qui allait arriver étaient ces lois sociales et environnementales et que les régulations seraient standardisées. Ils ne le voulaient pas, donc dans une certaine mesure, ce qui s’est passé en Europe est arrivé parce que la corporatocratie veut que l’Europe échoue, au moins à un certain niveau.
– Vous avez écrit sur les exemples de l’Équateur et d’autre pays, qui après l’effondrement des prix du pétrole à la fin des années 1980, se sont retrouvés avec des dettes énormes et ce qui a conduit, bien sûr, à des mesures d’austérité massives… Tout cela sonne de manière très semblable à ce que nous voyons aujourd’hui en Grèce. Comment les peuples de l’Équateur et d’autres pays qui se sont retrouvés dans des situations similaires ont-ils finalement résisté ?
– L’Équateur a élu un président assez remarquable, Rafael Correa, qui a un doctorat en économie d’une université états-unienne. Il comprend le système, et il a compris que l’Équateur acceptait de rembourser ses dettes lorsque j’étais un assassin économique et que le pays était dirigé par une junte militaire qui était sous le contrôle de la CIA et des États-Unis. Il a compris que la junte acceptait ces dettes immenses, et endettait profondément l’Équateur. Lorsque Rafael Correa a été démocratiquement élu, il a dit immédiatement : «Nous ne payerons pas ces dettes, le peuple ne les a pas approuvées ; peut-être le FMI devrait-il les payer, ou peut-être la junte, qui bien sûr avait disparu depuis longtemps – enfuie à Miami ou ailleurs – peut-être John Perkins et les autres tueurs à gage financiers devraient-ils payer les dettes, mais le peuple ne devrait pas les payer.»
Et depuis lors, il a renégocié et fait baisser les dettes, en disant: «Nous pourrions être disposés à en payer certaines.» C’était un geste très intelligent. Il reflétait différentes choses qui avaient été faites à différents moments dans différents endroits, comme le Brésil et l’Argentine et, plus récemment, en suivant le modèle de l’Islande, avec beaucoup de succès. Je dois dire que Correa a connu quelques véritables revers depuis lors… Lui, comme tant d’autres présidents, doit être conscient que si vous vous opposez trop fortement au système, si les assassins économiques ne sont pas contents, s’ils ne parviennent pas à leurs fins, alors les chacals arriveront et vous assassineront ou vous renverseront par un coup d’État. Il y a eu une tentative de coup d’État contre lui ; il y a eu un coup d’État réussi dans un pays pas très éloigné du sien, le Honduras, parce que ces présidents se sont dressés contre le système.
Nous devons prendre conscience que ces présidents sont dans des positions très très vulnérables; et à la fin, nous, les gens, nous devons les soutenir, parce que les dirigeants peuvent faire seulement un certain nombre de choses. Aujourd’hui, en de nombreux endroits, les dirigeants ne sont pas seulement vulnérables ; il n’est plus nécessaire d’utiliser une balle pour faire tomber un dirigeant. Un scandale – un scandale sexuel, un scandale de drogue – peut le faire. Nous avons vu ce qui est arrivé à Bill Clinton, à Strauss-Kahn au FMI ; nous avons vu cela se passer un grand nombre de fois. Ces dirigeants sont tout à faits conscients qu’ils sont dans des positions très vulnérables : s’ils s’opposent ou vont trop fermement à l’encontre du statu quo, ils seront éliminés, d’une manière ou d’une autre. Ils en sont conscients et il incombe aux peuples de se dresser vraiment pour nos propres droits.
Vous avez mentionné l’exemple récent de l’Islande… A part le référendum qui a eu lieu, quelles autres mesures le pays a-t-il adopté pour sortir de cette spirale de l’austérité et pour retourner à la croissance et à une perspective beaucoup plus positive pour le pays ?
– L’Islande a investi dans des programmes pour remettre les gens au travail et a aussi traîné en justice quelques-uns des banquiers qui ont causé les problèmes, ce qui a beaucoup amélioré la situation pour les gens, moralement parlant. Donc l’Islande a lancé certains programmes qui disent : «Non, nous n’irons pas dans l’austérité, nous ne rembourserons pas ces prêts ; nous mettrons de l’argent dans des mesures permettant aux gens de retourner travailler», et en fin de compte, c’est ce qui stimule l’économie, des gens qui travaillent. Si vous avez un taux de chômage élevé, comme la Grèce aujourd’hui, un chômage extrêmement élevé, le pays sera toujours en difficulté. Vous devez donc faire baisser le chômage, vous devez embaucher des gens. C’est si important que les gens puissent de nouveau travailler. Votre chômage atteint environ 28% ; il est stupéfiant et le revenu disponible a chuté de 40% et il va continuer à baisser si vous avez un taux de chômage élevé. Donc la chose importante pour une économie est de faire augmenter le taux d’emploi et, en retour, d’obtenir un revenu disponible tel que les gens investiront dans votre pays et dans des biens et des services.
– Pour conclure, quel message voudriez-vous partager avec le peuple grec, puisqu’ils continuent à expérimenter et à vivre les conséquences terribles des politiques d’austérité appliquées dans le pays ces trois dernières années ?
– Je m’appuierai sur l’histoire de la Grèce. Vous êtes un pays fier, fort, un pays de guerriers. Le mythe du guerrier vient en quelque sorte de la Grèce, tout comme la démocratie ! Et réaliser que le marché est une démocratie aujourd’hui, et comment nous dépensons notre argent et que nous exerçons ce droit en votant. La plupart des démocraties politiques sont corrompues, y compris celle des États-Unis. La démocratie ne travaille pas vraiment sur une base gouvernementale parce que les grandes sociétés s’en occupent. Mais elle travaille sur la base du marché. J’encouragerais le peuple grec à faire front : ne payez pas ces dettes, organisez vos propres référendums, refusez de les payer, descendez dans la rue et mettez-vous en grève.
Et donc je voudrais encourager le peuple grec à continuer à le faire. N’acceptez pas les critiques soutenant que c’est de votre faute, que vous êtes à blâmer, que vous avez mérité de subir l’austérité, l’austérité, l’austérité. Cela ne marche que pour les gens riches ; cela ne marche pas pour la personne moyenne de la classe moyenne. Reconstruisez cette classe moyenne ; ramenez l’emploi ; ramenez un revenu disponible pour les citoyens moyens en Grèce. Luttez pour cela, faites-le advenir ; défendez vos droits ; respectez votre Histoire de combattants et de leaders dans la démocratie, et montrez-le au monde !
Source : Zero Hedge / Le Saker francophone (trad)
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La dette, d’Afrique en Europe en passant par Athènes
Par Micky Zimmermann, le 10 juillet 2015
Il faisait bien sûr référence aux conséquences de la mise en œuvre des plans d’ajustement structurels (PAS) imposés par le FMI aux peuples d’Afrique. Porteurs de misère, de chaos et de barbarie, ces PAS étaient censés assurer le remboursement de prétendues dettes indument contractées par des gouvernements comprador manipulés par les grandes puissances impérialistes (Etats-Unis en tête). De nature purement comptable et spéculative, le «système de la dette» a été instauré par les institutions dites de la «gouvernance mondiale» avant tout comme un moyen politique coercitif de limiter, voire annihiler, les velléités d’indépendance et de souveraineté exprimées, après des siècles de joug colonial, par les nations africaines. Autrement dit, la dette c’est l’ingérence, la dette, c’est la tête de pont des multinationales et des marchés financiers pour faire main basse sur les matières premières, c’est la destruction des services publics, c’est des oukases en matière d’agriculture, c’est l’accompagnement de la misère par des ONG financées par la Banque mondiale, on parle alors «d’action humanitaire», c’est la violence, l’instrumentalisation par les Etats impérialistes de prétendues guerres ethniques, les milices armées, l’instabilité politique, l’esclavage, le pillage, les exodes et de faramineux profits sur les marchés boursiers.
Tout cela est su, reconnu et vérifié. Le système de la dette, avec toutes les spéculations qu’il entraîne, est entré de plain pied dans les mœurs barbares d’un régime en pleine crise de décomposition, et il n’est rien de dire que mon ami, le syndicaliste africain, avait raison, et que l’Afrique est désormais en Grèce, que la Grèce est le miroir du futur proche de l’ensemble des nations d’Europe et que les dirigeants (je dis bien: «les dirigeants») de toutes les organisations politiques et syndicales qui se réclament de la défense des intérêts des travailleurs et de la civilisation continuent de tromper la conscience très précise et clairvoyante de l’écrasante majorité des peuples en persistant à reconnaître, au lieu d’en appeler à la mobilisation pour les combattre, les institutions de l’impérialisme en crise (FMI, UE, BCE, OCDE, OMC, etc.), leur «légitimité» et celle des gouvernements qui en appliquent les plans.
Cependant, il n’y a pas de fatalité et les classes ouvrières d’Europe, dont certains obscurantistes prétendent qu’elles appartiendraient à la préhistoire du capitalisme, ne sont pas défaites (comme ce fut largement le cas dans les années 1930, notamment en Allemagne). Elles sont certes en difficulté, essuient des revers sociaux et démocratiques et paient au prix fort le «pragmatisme» aveugle et coupable de leurs dirigeants syndicaux qui, dans le sillage des directions socialistes, prennent fait et cause pour la défense et le maintien des institutions et des politiques ultraréactionnaires de l’Union européenne. D’aucuns, attachés à leurs privilèges et saisis de panique, souhaiteraient qu’elles tombent dans le piège qui leur est ainsi tendu et se laissent entraîner dans les rais de la chienlit fielleuse et opportuniste qui va de l’UDC à Aube Dorée en passant par le FN, la Ligue du Nord italienne, le FPÖ autrichien, etc. D’autres, à gauche, se drapant de radicalité (Syriza, Podemos, Front de Gauche, etc.), prennent la relève des directions socialistes là où elles ont été discréditées, en Grèce (PASOK) et dans une moindre mesure en Espagne (PSOE), pour promettre, juré craché, de réussir là où leurs prédécesseurs «socialistes» ont échoué, c’est-à-dire d’ouvrir la voie à une «Europe sociale» dans le cadre des traités, directives et institutions antisociales et antidémocratiques de l’UE. Encore un piège!
Le temps passe, la prochaine et gigantesque crise financière a déjà un pied dans la porte, les montagnes de liquidités qui cherchent à s’investir et dégager de nouveaux profits représentent plus de dix fois le PIB mondial, les valeurs boursières sont dans les limbes de cotations purement fantaisistes (on parle de valorisations boursière réagissant à des seuils psychologiques!) , les banques sont remplies, à ne plus savoir qu’en faire, de monnaie de singe, le marché des devises sombre dans l’anarchie spéculative, la Chine est en proie à un ralentissement exponentiel (et à l’émergence de mouvements sociaux croissants et imprévisibles), la croissance étatsunienne s’opère sans hausses salariales, nous vivons toujours sous le régime de la propriété privée des moyens de production, le salariat en est toujours le pilier et le coût de la force de travail demeure, en dernière analyse, la seule variable d’ajustement tangible propre à équilibrer l’édifice capitaliste qui s’enfonce dans ses contradictions et, comme disait Marx, creuse irrémédiablement sa tombe. Ça, c’est pour les bonnes nouvelles! Les mauvaises tiennent notamment au commentaire que fait le porte-parole du «très démocratique» capital français, « Le Figaro », pour qualifier le référendum grec du 5 juillet lorsqu’il dénonce «un coup d’Etat commis par des bolcheviks». C’est dire ce qu’en face ils seront prêts à opposer aux millions de travailleurs français, italiens, grecs, espagnols, portugais, mais également allemands (avec leurs salaires à 1 euro de l’heure) lorsque, débordant leurs directions vendues, ils se mettront en marche pour nationaliser les banques dont on voudra, une fois de plus, leur faire payer les faillites…
Seule certitude, la confrontation, celle qui ne se négocie pas dans les salons feutrés de Bruxelles, se prépare. Elle se prépare parce que nous sommes précisément en Europe, berceau du mouvement ouvrier organisé, berceau des conquêtes sociales et de la démocratie. Elle se prépare parce qu’au delà des commentaires journalistiques à la petite semaine, au delà de la morgue des commissaires européens, des propos revanchards, des menaces, des analyses plus ou moins avisées d’experts, de banquiers et d’économistes du rang, le cœur serré, des dizaines et des dizaines de millions d’hommes et de femmes, concernés, comme les grecs, par le démantèlement de leurs retraites, par les privatisations et la liquidation du secteur public, par l’austérité salariale, le chômage, la vie chère et des fins de mois de misère avaient, ce 5 juillet 2015, les yeux tournés vers Athènes pour se réjouir du OXI et dire, avec le peuple grec: «Dehors la Troïka, l’Union européenne, le FMI, les Draghi et les Juncker! Dehors la dictature des marchés financiers et les gouvernements à sa botte!».
Pour conclure, soyons raisonnablement visionnaire: la France est indéniablement l’un des principaux, sinon le principal pilier historique des institutions de la CEE (l’actuelle UE). En même temps, elle est le «maillon faible» du dispositif de Maastricht. La marge de manœuvre du gouvernement Vals-Macron-Hollande est ténue. Gouverner par décrets, à coups de 49-3, pour satisfaire les diktats de Bruxelles est pour le moins périlleux. Les divisions méticuleusement entretenues dans l’organigramme syndical de l’hexagone tendent à disparaître. La jonction CGT/CGT-FO a, c’est historique, été réalisée le 9 avril dernier (avec Solidaires et la FSU) pour l’organisation d’une journée nationale d’action (et de grève) qui a mobilisé plus de 300’000 salarié-e-s contre la Loi Macron et l’austérité. Comment ne pas en prendre la mesure? La direction de la CFDT, véritable agence de Matignon, se trouve marginalisée. Ce qui était possible en 2010 (avec le «syndicalisme rassemblé») pour conduire le mouvement dans l’impasse et offrir la contre-réforme des retraites à Sarkozy, et empêcher que son gouvernement ne tombe, ne l’est plus dans les mêmes conditions. Et puis, regardons les choses en face: le gouvernement et son président Hollande sont honnis, quant à l’Union européenne, souvenons-nous du référendum de 2005. De plus, la cure que la Commission Juncker entend faire avaler à la France n’est que très modérément moins brutale (toxique) que celle que la Troïka veut imposer à la Grèce. Quant à la Loi Macron, elle a beau avoir été décrétée, elle n’en demeure pas moins largement inapplicable. La moindre étincelle, une manifestation de masse qui dégénère, un acte de répression policière qui dérape, un syndicaliste tué sur un piquet de grève, un scandale financier de trop et c’est Mai 68 élevé à la puissance dix, les ouvriers devant, les étudiants derrière. L’atmosphère en France est électrique, la crise politique éclatante et la colère populaire totalement imprévisible. Il n’y a guère que les insipides journaux télévisés qui, par tous les moyens, tentent de le dissimuler. À la question: «à quoi voit-on qu’une situation peut devenir révolutionnaire?», Lénine répondait: «Quand en bas on ne peut plus vivre comme avant et qu’en haut on ne peut plus gouverner comme avant, cela signifie qu’on entre dans une période prérévolutionnaire». Comment ne pas s’en souvenir dans les circonstances qui, en Europe, et après le OXI grec à plus de 60%, sont celles de 2015?
Alors certes, il y a beaucoup à faire, et si l’Union libre des peuples et nations libres d’Europe est authentiquement possible, il faut savoir que ce ne le sera ni dans le cadre de Maastricht, ni dans celui des institutions de la CEE (UE), ni, pour ce qui concerne la France, dans celui de la 5ème République.
Source : La Méduse
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MAJ
Grèce: ces privatisations qui soulèvent des doutes
Par AWP, le 13 Juillet 2015 - Bilan
En constituant un fonds censé amasser jusqu'à 50 milliards d'euros via des privatisations, la Grèce et ses créanciers se montrent très ambitieux, voire irréalistes, au vu de l'échec rencontré par les précédents programmes de cession d'actifs publics.
Ce fut l'un des points les plus difficiles des négociations marathon à Bruxelles, et c'est sans doute l'un des passages les plus confus de l'accord péniblement trouvé lundi à l'aube entre la Grèce et ses partenaires européens.
Athènes s'engage à transférer à un "fonds indépendant" ses actifs "de valeur". Ce fonds doit ensuite les "monétiser", soit en les vendant, soit en les exploitant de manière la plus rentable possible. L'objectif est de collecter 50 milliards d'euros sur toute la durée du troisième prêt, compris entre 82 et 86 milliards d'euros, dont devrait bénéficier la Grèce si les négociations aboutissent.
La moitié de ces hypothétiques recettes de 50 milliards d'euros, qui représentent entre un cinquième et un quart du produit intérieur public grec, doivent aller à la recapitalisation des banques, 12,5 milliards d'euros sont destinés au désendettement et 12,5 milliards d'euros à des investissements.
S'il aura son siège en Grèce, et non au Luxembourg comme cela avait été un temps envisagé, au grand dam du gouvernement d'Alexis Tsipras, ce fonds sera néanmoins placé sous la supervision des institutions européennes.
Plusieurs incertitudes subsistent autour de ce projet.
Que doit-il advenir de l'agence chargée des privatisations déjà en place en Grèce? De combien de temps disposera ce pays pour trouver ces fameux 50 milliards d'euros ?
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que le montant est extrêmement ambitieux.
Les créanciers de la Grèce, qui est sous assistance financière internationale depuis 2010, réclament depuis le début des cessions d'actifs publics, mais à une moindre échelle. Aux termes du précédent plan d'aide, les ventes devaient rapporter quelque 23 milliards d'euros entre 2014 et 2022, soit entre deux et trois milliards d'euros par an.
Cent ans pour trouver 50 milliards
L'agence chargée des privatisations, Taiped, a vendu depuis 2011 pour 7,7 milliards d'euros d'actifs, mais n'a encaissé pour l'instant qu'un peu plus de trois milliards d'euros.
Le 26 juin dernier, dans une analyse remarquée sur la dette grecque, le Fonds monétaire international a lui-même douché les espoirs d'une manne susceptible de provenir de privatisations.
Le Fonds, l'un des créanciers de la Grèce, soulignait en particulier que la vente d'actifs bancaires publics était censée procurer une dizaine de milliards d'euros. Or, il est peu probable que les investisseurs se ruent sur des banques grecques plus exsangues chaque jour, qui croulent sous le poids des créances douteuses.
Le FMI estimait dans ce document que les recettes des privatisations dans les prochaines années ne dépasseraient pas 500 millions d'euros par an. A ce rythme, il faudrait donc une centaine d'années au fonds de privatisation pour atteindre son but.
"L'objectif en matière de privatisations semble extrêmement ambitieux pour une économie qui reste plongée dans la pire récession de son histoire récente", juge Diego Iscaro, analyste de la société IHS.
"On va brader les actifs grecs", renchérit Philippe Waechter, chef économiste de Natixis Asset Management.
Pour Charles Wyplosz, professeur à l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, la mise en place de cette structure est "extraordinairement intrusive".
"Que vont-ils faire ? Privatiser les monuments historiques ?" ironise-t-il.
Par ailleurs, si la Grèce a déjà bouclé ou engagé les privatisations les moins controversées, par exemple celle de la loterie nationale, des paris sportifs ou du gaz, certaines ventes s'avèrent beaucoup plus sensibles, en particulier celles des ports et aéroports, et celle d'une partie du parc immobilier public.
Le gouvernement dominé par la gauche radicale Syriza a par exemple provisoirement bloqué la privatisation du port du Pirée, avant de relancer le processus, mais en réduisant à 51% la part qui sera cédée par l'Etat.
L'Allemagne, pourtant très favorable à l'établissement de ce fonds de cantonnement, a elle-même fait l'expérience des difficultés que soulèvent des programmes massifs de cessions. La société créée pour vendre à marche forcée les actifs de l'ex-RDA, la "Treuhand", a laissé derrière elle une montagne de dettes, et un très fort ressentiment dans les Länder (Etats régionaux) de l'est.
Source : Bilan
Remarques :
Sans pour autant verser dans la théorie du complot. Et si ce programme ambitieux de privatisations avait pour but d'exploiter et de s'accaparer (de la part de transnationales) des richesses insoupçonnées en Grèce, ou soupçonnées seulement par certains. Richesses minières dont l'or, mais aussi le gaz et le pétrole.
Voir à ce sujet la page : Les richesses de la Grèce attisent la convoitise des marchés…
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