lundi 27 juillet 2015

Grèce, l'agneau sacrificiel



Grèce, l'agneau sacrificiel
Par Joseph Stiglitz, prix Nobel d'Economie, le 26 juillet 2015 - New York Times

Alors que la crise grecque franchit un nouveau palier, l'Allemagne, la Grèce et le triumvirat du FMI, de la BCE et de la Commission Européenne (désormais mieux connu sous le nom de Troïka) sont tous sérieusement critiqués. Beaucoup de choses sont certes à blâmer, mais nous ne devrions pas pour autant perdre de vue ce qui est réellement en train d'arriver. Depuis cinq ans, j'observe de près la tragédie grecque, qui me concerne à plusieurs égards. Après avoir  passé toute la semaine dernière à Athènes en conversation avec des citoyens ordinaires jeunes et âgés, ainsi qu'avec des officiels d'aujourd'hui et d'hier, j'en suis venu à penser qu'il s'agit de bien autre chose que de la Grèce et de l'euro.

Certaines des lois basiques exigées par la Troïka concernent les impôts, les dépenses et l'équilibre entre les deux, et également des règles et régulations affectant des marchés spécifiques. Ce qui est frappant dans le nouveau programme (appelé le "troisième mémorandum") est que sur les deux points il est dénué de sens pour la Grèce et pour ses créanciers. En prenant connaissance des détails, j'ai eu une impression de déjà vu. En tant qu'économiste en chef de la Banque Mondiale à la fin des années 1990, j'ai pu observer en Asie de l'Est les effets dévastateurs du programme imposé aux pays qui avaient demandé l'aide du FMI. Cela n'était pas seulement la conséquence de l'austérité, mais aussi des réformes prétendument structurelles, dans lesquelles le FMI trop souvent imposait des demandes qui privilégiaient certains intérêts  sur d'autres. Il y avait des centaines de conditions, quelques-unes petites, d'autres fortes, beaucoup non pertinentes, quelques bonnes, certaines très mauvaises, qui faisaient l'impasse sur les changements réellement nécessaires.

De retour en Indonésie en 1998, j'ai vu à quel point le FMI avait ruiné le système bancaire de ce pays. Je me souviens d'une photo de  Michel Camdessus, le Directeur Général du FMI à cette époque,  félicitant chaudement  le Président Suharto car l'Indonésie avait retrouvé sa souveraineté économique. Lors d'une rencontre à Kuala Lumpur en Décembre  1997, j'ai alerté sur le fait que le sang pourrait couler dans les six mois suivants. Les  émeutes ont éclaté cinq mois plus tard à Jakarta et ailleurs en Indonésie. A la fois avant et après la crise en Asie de l'est, et celles en Afrique et en Amérique latine (très récemment en Argentine), ces programmes ont échoué, aboutissant à des cycles de  récessions et de dépressions. J'avais pensé qu'on avait tiré la leçon de ces échecs, et j'ai été surpris de voir, il y a cinq ans, ce même programme rigide et inefficace imposé en Europe.

Que le programme soit ou non bien mis en œuvre, il conduit à des niveaux insoutenables de dette, comme ce fut le cas en Argentine: les macro-politiques exigées par la Troïka entraîneront la Grèce dans une dépression plus profonde. C'est pourquoi selon l'actuelle présidente directrice du FMI, Christine Lagarde, il est nécessaire de procéder à ce qu'on appelle par euphémisme la "restructuration de la dette", en fait d'une façon ou d'une autre, la suppression d'une partie significative de la dette. Le programme de la Troïka est donc incohérent: les Allemands disent qu'il ne doit y avoir aucune réduction de la dette et que  le FMI doit faire partie du programme. Mais le FMI ne peut pas participer à un programme où les niveaux de la dette sont insoutenables, or la dette de la Grèce est insoutenable.

L'austérité est largement responsable de  l'actuelle dépression grecque  — un énorme déclin des produits domestiques de 25% depuis 2008,  un taux de chômage de 25% et de 50% chez les jeunes. Mais le nouveau programme  accentue encore la pression: il pose un objectif de  3.5 % d'excédent primaire en 2018 (environ 1 % cette année). Or si les objectifs ne sont pas atteints - et ils ne le seront pas, vu le schéma du programme lui-même -,  des doses d'austérité seront automatiquement ajoutées. C'est une construction déstabilisatrice. Le  taux élevé  de chômage entraînera la baisse des salaires, mais la Troïka ne semble pas encore assez satisfaite de la chute du niveau de vie des Grecs. Voilà que le troisième mémorandum exige aussi la “modernisation” des conventions collectives, ce qui signifie affaiblir les syndicats et les remplacer par des négociations au niveau des entreprises.

Rien de tout cela n'a de sens du point de vue des créanciers. C'est comme une prison pour endettés  du 19ème siècle. À l'instar des personnes endettées emprisonnées qui ne pouvaient donc gagner des revenus pour rembourser leurs dettes, la dépression croissante de la Grèce la rendra de moins en moins capable de rembourser.

Des réformes structurelles sont nécessaires, comme elles l'étaient en Indonésie, mais  la plupart de celles qui sont exigées de la Grèce ne lui permettront pas d'affronter ses problèmes. La logique qui sous-tend nombre de ces réformes structurelles n'a pas été bien expliquée, ni au public grec ni aux économistes qui tentent de la comprendre. En l'absence d'explication, se développe en Grèce le sentiment que la Troïka défend des intérêts particuliers, dans et hors du pays,  pour obtenir ce qu'elle n'a pas obtenu par un processus plus démocratique.

Prenons le cas du lait. Les Grecs aiment leur lait frais produit localement et distribué rapidement. Mais les Allemands et les autres producteurs de lait européens voudraient que le  lait qu'ils vendent, transporté sur de longues distances et beaucoup moins frais, soit considéré comme aussi frais que le lait local. En 2014 la  Troïka a forcé la Grèce à enlever le label "frais" sur son lait vraiment frais  et à allonger la date limite de consommation. Maintenant on lui demande d'enlever la règle de cinq jours de date limite aussi pour le lait pasteurisé. Dans ces conditions, les gros producteurs de lait croient qu'ils vont pouvoir battre les petits producteurs de Grèce.

En théorie, les consommateurs grecs devraient bénéficier de prix plus bas, même s'ils pâtissent de produits de mauvaise qualité. En pratique, le nouveau marché de vente au détail est loin d'être compétitif, et tout semble  indiquer que les consommateurs ne bénéficient pas de prix plus bas. Ma propre recherche s'est focalisée sur l'importance de l'information et la façon dont les firmes tirent souvent avantage du manque d'information. C'est juste un autre exemple.

Un problème fondamental en  Grèce, à la fois dans sa politique et son économie, est le rôle joué par un  groupe de gens riches, appelés  les oligarques grecs, qui contrôlent des secteurs-clés, dont les banques et les médias. Ils ont opposé une forte résistance aux changements que George Papandreou, l'un des précédents premiers ministres, avait essayé d'introduire pour accroître la transparence et la conformité avec une structure d'impôt plus progressif. Les importantes réformes qui réduiraient les privilèges des oligarques grecs ne sont pas dans l'agenda — ce n'est pas une surprise car la Troïka a semblé, dans le passé,  être de leur côté.

Comme il est  rapidement devenu clair durant la crise que les banques grecques devraient être recapitalisées, il était sensé que le parlement vote ce qui était demandé au gouvernement grec. C'était nécessaire pour s'assurer que les prêts sous influence politique, y compris pour les médias oligarchiques, cesseraient. Quand de tels prêts sous influence  ont repris — même pour les sociétés de médias qui en termes strictement commerciaux n'auraient pas dû obtenir de prêts — la Troïka a fermé les yeux.  Elle n'a pas non plus bougé  quand des propositions ont été avancées pour faire reculer les importantes initiatives du gouvernement Papandreou sur la transparence et l'e-gouvernement, qui ont permis de fortement baisser les prix des médicaments et  d'affaiblir le népotisme.

Normalement, Le FMI alerte sur les dangers d'un taux d'imposition trop élevé. Pourtant en Grèce, la Troïka a insisté en faveur de taux élevés d'impôts même pour les bas salaires.  Tous les derniers gouvernements grecs ont reconnu qu'il était important d'améliorer les rentrées fiscales, mais  une politique fiscale erronée peut contribuer à détruire une économie. Dans une économie où le système financier ne fonctionne pas bien, où les petites et moyennes entreprises ne peuvent pas accéder au crédit, la Troïka exige que les firmes grecques, y compris les épiceries et petites boutiques, paient toutes leurs taxes d'avance, en début d'année, avant d'avoir gagné un revenu, avant même de savoir si elles vont en avoir un. Cette exigence est censée réduire l'évasion fiscale, mais dans l'état où se trouve la Grèce, elle détruit les petites entreprises  et accroît le ressentiment contre le gouvernement et la Troïka.

Cette exigence semble en désaccord avec une autre demande adressée à la Grèce: éliminer la retenue à la source transfrontalière (concernant l'argent envoyé de la Grèce aux investisseurs étrangers). De telles retenues à la source caractérisent pourtant les bons systèmes fiscaux dans des pays comme le Canada et représentent une partie importante des recettes fiscales. Apparemment s'il est important de s'assurer que les Grecs paient leurs impôts, il semble moins important de s'en assurer  pour les étrangers.

Il y a d'autres étrangetés dans le paquet de renflouement de la Troïka, notamment parce que chacun de ses membres a prescrit sa médecine favorite, ce qui peut donner lieu à de dangereuses interactions.

La bataille, cependant, ne concerne pas seulement la Grèce. Il ne s'agit pas juste d'argent, bien que certains en Europe et en Grèce aient  profité de la Troïka pour mettre en avant leurs propres intérêts  au détriment des citoyens grecs ordinaires et de l'économie de ce pays. C'est une chose que j'ai observée à plusieurs reprises  moi-même quand j'étais à la Banque Mondiale, particulièrement en Indonésie. Quand un pays est faible, il y a toutes sortes de façons de lui faire du mal.

Mais ces débats portent  en fait  sur des problèmes de pouvoir et d'idéologie. Nous le savons tous, il ne s'agit pas juste d'un débat académique entre la droite et la gauche. Certains points relèvent de la lutte politique: les conditions terribles imposées à l'aile gauche de Syriza devraient alerter chacun en Europe sur ce qui pourrait lui arriver. D'autres relèvent de la lutte économique: l'occasion d'imposer à la Grèce un cadre économique qui n'aurait pas été adopté d'une autre manière.

Je crois vraiment que les politiques imposées ne marcheront pas, qu'elles entraîneront la dépression sans fin, des niveaux intolérables de chômage et une inégalité toujours croissante. Mais je crois aussi fortement  en la démocratie  — que la bonne  façon  de faire, quel que soit le cadre  économique que l'on pense bon, est la persuasion, non la contrainte. L'évidence de la réflexion est tellement en contradiction avec ce qu'on inflige à la Grèce et à ce qu'on exige d'elle ! L'austérité entraîne une contraction économique; un capitalisme solidaire —antithèse de ce que la Troïka est en train de créer  — est la seule façon de créer de la prospérité partagée et durable.

Pour le moment, le gouvernement grec a capitulé. Peut-être, comme la demi décennie perdue est en train de devenir la décennie perdue,  comme la politique s'aggrave de plus en plus, comme s'impose l'évidence que ces politiques ont échoué, la Troïka retrouvera-t-elle ses esprits. La Grèce a besoin de restructuration de la dette, de réformes structurelles et d'objectifs raisonnables d'excédent primaire. Il est plus probable, cependant, que la Troïka fera ce qu'elle a fait ces cinq dernières années : blâmer la victime.

Source : New York Times / Monica M.. (trad.)

* * *

Grèce : Varoufakis s'explique sur son incroyable plan B
Le 27 juillet 2015 - La Tribune

L'ancien ministre grec des Finances aurait envisagé de pirater ses propres serveurs afin de créer un système bancaire parallèle, selon le quotidien grec Ekathimerini. Il aurait même eu un feu vert de principe d'Alexis Tsipras avant l'élection de Syriza. Dans un entretien accordé au journal The Telegraph, l'économiste et "ministre-éclair" s'explique.
(Article créé le 26/07/2015 à 14:29, mis à jour le 27/07/2015 à 11:10)

Yanis Varoufakis aurait eu un plan B pour le moins explosif. Il aurait en effet impliqué de pirater la plateforme de l'administration fiscale grecque dans le but de créer un système bancaire parallèle en cas de faillite. Ce plan figure dans la retranscription d'une conversation attribuée à Yanis Varoufakis, l'ex-ministre des Finances en Grèce et Norman Lamont, qui fut également en charge des Finances mais au Royaume-Uni, publiée ce dimanche par le quotidien Ekathimerini. Des responsables de hedge funds auraient également assisté à cette téléconférence qui aurait eu lieu le 16 juillet, soit une semaine après la démission de Yanis Varoufakis.

Feu vert de Tsipras

Selon ces propos rapportés, l'ancien ministre qui a démissionné après le référendum de juillet aurait notamment déclaré:

"Le Premier ministre, avant qu'il devienne Premier ministre, avant que nous (Syriza) ne gagnions l'élection en janvier, m'avait donné le feu vert pour imaginer un plan B."

Ce plan aurait consisté à créer un système permettant de transférer des fonds directement des contribuables aux organisations ou entreprises créancières de l'Etat en cas de tarissement des fonds voire de fermeture des banques. Il est notamment écrit dans cet article:

"Prenons par exemple le cas où l'Etat devrait un million d'euros à un laboratoire pharmaceutique pour l'achat de médicaments (...) Nous pouvions immédiatement créer un transfert numérique vers le compte de la compagnie grâce à son numéro fiscal et nous lui donnions un code pour l'utiliser comme un mécanisme de paiement parallèle pour n'importe quel versement (...) vers n'importe quel autre fichier fiscal à qui elle devrait de l'argent ou bien pour régler ses propres impôts à l'Etat. Cela aurait créé un système bancaire parallèle au moment où les banques étaient fermées à cause de l'action agressive de la Banque centrale européenne visant à nous étrangler."

Nouvelles drachmes

Ce système initialement libellé en euro aurait même pu être rapidement transformé afin d'utiliser les nouvelles "drachmes" en cas de "Grexit" effectif. Seulement, une fois aux commandes, l'ex-ministre aurait constaté que la direction générale des impôts étant régie de fait par un représentant de la Troïka (BCE, Commission européenne et FMI), il n'était pas possible de tester ce plan sans éveiller les soupçons. Yanis Varoufakis aurait alors envisagé de pirater son propre système fiscal. Il aurait consulté secrètement un ami expert en informatique et professeur à l'université américaine de Columbia à ce sujet.

"Vous ne devez pas répéter cela, c'est totalement entre nous", aurait demandé l'ancien ministre grec à ses interlocuteurs selon les documents de Ekatherimini. Si l'information venait à fuiter, "je nierais l'avoir dit", est-il encore attribué à l'ancien ministre.

Explications attendues outre-Manche

Un responsable du quotidien britannique The Telegraph indique ce dimanche avoir contacté le principal intéressé. Il écrit sur Twitter:

"Je viens de discuter avec Varoufakis de ces allégations. Kathim [le quotidien grec] ne lui a jamais parlé. Il s'expliquera dans le Telegraph"

Un deuxième plan?

De son côté, le site du quotidien grec signale que le parti d'opposition Nouvelle Démocratie organisera lundi une réunion extraordinaire pour évoquer ces révélations. L'agence Reuters ajoute que le centriste To Potami et les socialistes du Pasok feront de même.

Le sujet semble pris d'autant plus au sérieux dans la classe politique grecque qu'un autre programme de secours aurait été préparé, cette fois par l'ancien ministre de l'Energie, Panagiotis Lafazanis. Dans une interview à l'édition dominicale de RealNews Daily, ce dernier déclare avoir proposé de réquisitionner les fonds de la Banque centrale grecque en cas de Grexit. Il a toutefois nié une affirmation du Financial Times selon laquelle il envisageait même d'arrêter le gouverneur de cette institution, Yannis Stournaras, en cas de résistance de sa part.

1000 personnes pour un plan?

Malgré ce plan surprenant, c'est un tout autre scénario qui s'est finalement produit, avec une fermeture des banques suivie d'un référendum et finalement d'une capitulation de la part du Premier ministre, Alexis Tsipras. Des envoyés de la Troïka, de retour après des mois d'absence, doivent d'ailleurs démarrer leurs travaux à Athènes à partir de mardi 28 juillet.

Pourquoi ce plan B - s'il a réellement existé - n'a-t-il pas été mené à son terme ? Dans cet entretien restranscrit, Yanis Varoufakis, clame qu'il comptait sur une équipe composée d'un millier de personnes afin de le faire aboutir. Faute d'accord de la part du chef du gouvernement, il n'aurait pu réunir ces effectifs.

"Ils veulent me faire passer pour un escroc"

Comme prévu, c'est au Telegraph que Varoufakis a choisi de se confier dimanche en fin d'après-midi. S'il confirme les citations du quotidien Ekathimerini sur l'élaboration d'un plan B, il dénonce la manière dont les médias grecs ont manipulé ses propos, en particulier sur la question du retour à la drachme.

Dans un entretien accordé au quotidien britannique le Telegraph dimanche, il assure que certains médias grecs cherchent à le faire tomber :

"Ils veulent me faire passer pour un escroc et me faire tomber pour trahison. C'est une tentative d'annuler les cinq premiers mois de ce gouvernement et de les mettre dans la poubelle de l'Histoire".

Sur son compte Twitter, il ne cache pas non plus sa colère : "Alors comme ça, j'allais prendre en otage les numéros fiscaux des contribuables ?  Impressionné par l'imagination de mes diffamateurs".

 Et déplore des "accusations (qui) déforment totalement le but du système bancaire parallèle comme je l'avais imaginé. J'ai toujours été opposé à la sortie de l'euro parce que nous ignorons les forces obscures que cela pourrait faire déferler sur l'Europe".

 Au Telegraph, il confie que ce fameux système bancaire parallèle à l'étude était "très bien conçu":

"Rapidement il aurait été possible de l'étendre, en utilisant des applis sur smartphone, et il serait devenu un système parallèle opérationnel. Bien entendu, il aurait été émis en euros mais convertible en nouvelles drachmes".

L'ancien ministre explique que Alexis Tsipras, d'abord partant, a finalement reculé à la dernière minute :

"J'ai toujours dit à Tsipras que ce n'était pas une partie de plaisir mais que c'était le prix à payer pour la liberté", explique l'ancien ministre des Finances au journal britannique.

Le soir du 5 juillet, Tsipras a préféré renoncer ...

Le soir du 5 juillet, qui consacre le "Oxi" en Grèce, Varoufakis lui, aurait voulu se servir de la victoire écrasante du "non" du peuple grec pour mettre à profit son plan. Mais faute d'avoir obtenu le soutien de son Premier ministre, il a préféré renoncer à son plan, et à son poste :

"Mais quand le moment fatidique est arrivé, il s'est rendu compte que ce serait trop compliqué à mettre en place. Je ne sais pas exactement quand il est arrivé à cette conclusion mais je l'ai su explicitement le soir du référendum et c'est pourquoi j'ai présenté ma démission".

Source : La Tribune




* * *

Discours de Zoe Konstantopoulou au Parlement grec le 22 juillet 2015 : La soumission totale d’un pays démocratique à la volonté d’autres gouvernements ne constitue pas un accord

Je dois bien l’admettre, cette session parlementaire aura vu se multiplier des choix personnellement et politiquement douloureux.

En ma capacité de Présidente du Parlement, j’ai écrit au Président de la République grecque, M. Prokopis Pavlopoulos et au Premier Ministre Alexis Tsipras ( voir http://cadtm.org/Lettre-de-Zoe-Konstantopoulou-Le) pour leur faire remarquer qu’il est de ma responsabilité institutionnelle de souligner que les conditions dans lesquelles cette loi est présentée ( voir http://cadtm.org/Post-scriptum-Les-consequences-de) n’offre aucune garantie que la Constitution sera respectée, pas plus que le processus démocratique que doit favoriser le Parlement dans l’exercice du pouvoir législatif, pas plus qu’elle ne permet aux députés de voter en conscience. Nous nous trouvons dans une situation de chantage flagrant exercé par les gouvernements d’autres États membres de l’Union européenne sur ce gouvernement et sur les membres du parlement. En effet comme le reconnait le Ministre de la Justice que je respecte profondément comme il le sait, à cause des exigences d’autres Etats membres, le parlement ne peut pas amender le texte de cette loi qui constitue une intervention majeure dans le fonctionnement de la justice et dans l’exercice des droits fondamentaux des citoyens, d’une manière qui nie le fonctionnement de la démocratie grecque en tant qu’Etat de droit qui doit préserver la séparation des pouvoirs selon la Constitution ainsi que le principe de jugements équitables.

Actuellement, les ministres sont obligés de présenter des mesures législatives qu’ils désapprouvent (et la déclaration du Ministre de la Justice est révélatrice à cet égard), des mesures auxquelles ils sont en fait directement opposés, et les députés sont obligés de les voter alors qu’ils y sont également opposés, comme l’exprime clairement chacune des prises de position des députés appartenant aux deux familles politiques de la majorité.

Tout ceci se passe sous la menace d’une faillite désordonnée et révèle qu’en fait ces mesures qui sont une exigence préalable de gouvernements étrangers, constituent une tentative de mener à terme la dissolution de notre système, car elles prévoient une intervention majeure dans le troisième pouvoir indépendant, à savoir la justice. Ces mesures veulent miner la fonction judiciaire et supprimer des garanties fondamentales à un procès équitable et les droits fondamentaux des citoyens.

Je considère qu’il est de mon devoir institutionnel de réagir en tant que Présidente du Parlement et de demander à mes homologues de tous les parlements des Etats membres de l’Union européenne, ainsi que je l’ai déjà fait dans le passé et comme je l’ai fait dans ma lettre au Président du Parlement européen (voir http://cadtm.org/Courrier-de-Zoe-Konstantopoulou), et d’appeler à s’opposer à pareille dissolution.

De même dans ma lettre au Président et au Premier Ministre, qui sera reprise dans le compte-rendu, je leur demande d’informer leurs homologues des conditions de chantage dans lesquelles nous sommes amenés à voter.

Monsieur le Ministre, je m’adresse à vous en me référant aux fonctions que j’occupais lors de la législature précédente : le groupe parlementaire de SYRIZA et le Premier Ministre actuel, alors chef de l’opposition, m’avaient placée à la tête du groupe parlementaire pour la transparence, la justice et les droits humains. Précédemment, à ce titre, je vous ai félicité pour les projets de lois que vous avez présentés, et particulièrement pour votre projet de loi sur le système pénitentiaire. Aujourd’hui, en cette capacité, je vous dis qu’il est évident que personne dans le groupe parlementaire de SYRIZA ne peut soutenir les clauses de cette loi puisque pendant la législature précédente, le groupe parlementaire de SYRIZA s’est expressément et farouchement opposé à ces mêmes mesures, qui là, non sans ironie, nous sont présentées sous une forme quasi identique au projet de votre prédécesseur M. Athanassiou, et sont imposées avec une urgence proprement choquante par les créanciers afin de se débarrasser définitivement de la démocratie.

En effet, exactement comme ils ont essayé de transformer le NON du peuple grec en un OUI tant dans le communiqué du sommet de la zone euro que la loi présentée ici à nouveau en urgence le mercredi 15, ils essaient ici de transformer en OUI, 93,12% de NON lors du référendum organisé auprès des avocats en décembre 20141.

Ces démarches qui nient les résultats de deux référendums montrent clairement que pour les créanciers tout processus démocratique est vain, que la démocratie directe par laquelle se sont exprimés les citoyens ou les avocats n’a aucune pertinence. C’est là un message empoisonné pour les sociétés européennes, c’est un message dont la gauche et SYRIZA doivent empêcher la propagation.

Il est clair que l’objectif visé est l’anéantissement du gouvernement et du groupe parlementaire qui le soutient, par le chantage. Il est clair que ce qui est mis en cause est la démocratie dans notre pays. Ce qui nous est demandé, ce qui m’est demandé par les créanciers, c’est en fait de leur remettre un sceau qui dirait « Parlement grec » pour valider leurs diktats.

Il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, après la lutte acharnée menée en novembre 2012 par SYRIZA et la commission pour la transparence, la justice et les droits humains contre les 800 pages de manipulation antidémocratique que constituaient ces mesures, le gouvernement soit obligé par le chantage de présenter deux articles comprenant 977 pages, le premier contenant 1008 articles du Code de Procédure civile et l’autre 130 articles transposant une directive européenne, dont beaucoup couvrent deux à trois pages ; le résultat recherché est l’humiliation. Le gouvernement de gauche ne peut pas être obligé de présenter ces mesures urgentes, dans des délais intenables, alors qu’il les a dénoncées par le passé.

M. le Ministre, je sais qu’en m’adressant à vous, je frappe à une porte ouverte puisque vous avez combattu ces mesures, vous avez analysé les raisons qui font que ce code devait être retiré en 2014, et l’a d’ailleurs été, ce qui était une grande victoire non seulement pour les avocats qui s’étaient battus pour défendre les citoyens mais aussi pour les mouvements citoyens, pour toutes ces associations qui s’étaient mobilisées, et enfin pour le principal parti d’opposition de l’époque et pour l’opposition dans son ensemble.

C’est cette victoire qu’ils veulent transformer en défaite pour envoyer le message que nous devons légiférer sous l’égide de la peur. M. Juncker a dit sans vergogne : l’accord a été obtenu par la peur. Est-il possible que ceci soit jamais accepté et toléré dans une Union européenne qui reprend dans ses principes fondateurs la protection des droits des citoyens et de la démocratie ?

M. le Ministre, le NON des avocats en décembre 2014 voulait et veut toujours dire NON à des évictions en référé, NON à des mises en vente forcées, NON à des procès bidons sur papier qui court-circuitent les procédures d’audience, NON à la détérioration de la justice, qui est un pilier de la démocratie, il veut dire NON à la destruction des droits constitutionnels des citoyens.

Quand à l’été 2014, M. Hardouvelis a repris à son compte l’obligation imposée par la Troïka de compenser toute conséquence de décision judiciaire qui irait à l’encontre des clauses des protocoles d’accord, l’opposition d’alors, la commission pour la transparence, la justice et les droits et le département de la justice de SYRIZA ont été les premiers à proclamer que c’était intolérable, qu’une telle ingérence dans le fonctionnement judiciaire était inacceptable, et pourtant, c’est ce même projet qui nous est imposé sous le chantage. Il serait donc bon que les collègues et camarades, que je respecte sans exception, n’oublient pas leurs convictions et n’aillent pas parler d’accord. La coercition n’est pas un accord. Le chantage n’est pas un accord. La soumission totale d’un pays démocratique à la volonté d’autres gouvernements et d’autres pays n’est pas un accord.

Et nous ne devons pas oublier nos convictions parce qu’alors nous pourrions aussi bien tout oublier et en venir à parler de ces textes comme s’ils étaient à nous. Ils ne sont pas à nous, le contenu de cette loi, ce n’est pas le souhait et la volonté du gouvernement. C’est aussi manifeste, M. le Ministre, dans le fait que vous ayez créé une commission spéciale pour étudier un nouveau code de Procédure Civile.

Et ce n’est pas non plus le souhait des députés qui vont voter pour et font partie de groupes parlementaires qui soutiennent le gouvernement. Ils ne souhaitent pas appliquer ces mesures inhumaines, qui laissent les citoyens (surtout les emprunteurs) sans aucune défense face aux banques.

M. le Ministre, vous le savez, vous, mais peut-être les citoyens ne le savent-ils pas aussi bien, qu’à la tête de la commission qui a rédigé ce code se trouvait M. Chamilothoris, qui était responsable de l’odieuse loi 4055 sous le mémorandum de 2012, une loi qui a été dénoncée non seulement par des associations mais aussi par les avocats et des représentants de l’appareil judiciaire et que SYRIZA s’est engagé à faire abroger, vous le savez aussi que des membres de cette commission étaient des conseillers de banques privées. Il ne doit donc faire aucun doute que l’objectif est à nouveau de dépouiller les citoyens au profit des banques, de servir les banquiers au détriment des citoyens (voirhttp://cadtm.org/Post-scriptum-Les-consequences-de).

Nous ne devons pas permettre que cet objectif soit atteint, un objectif que vise précisément l’adoption aujourd’hui de ce Code de Procédure Civile et je voudrais ici vous demander à vous et à mes collègues avocats de vous exprimer franchement ; voter une loi n’est pas à prendre à la légère, ce n’est pas juste pour un temps, et ça n’a rien d’une plaisanterie. Il va s’agir d’un cadre législatif qui stipule que l’Etat grec cède le pas aux banques et passe après elles en cas de liquidation. Il va s’agir d’un cadre législatif qui stipule que les travailleurs cèdent le pas aux banques et passent après elles en cas de liquidation. Il ne suffit pas de dire que ce que nous votons maintenant nous ne l’appliquerons pas. Ils nous diront « Vous l’avez voté » et quelle que soit la position que nous occupons, nous savons que ce n’est que pour un temps.

Il s’agit d’une loi applicable à partir du 1er janvier 2016. Cela montre bien qu’il n’y a pas urgence et que nous pouvons prendre le temps de débats dans des conditions normales mais soulève également de grandes inquiétudes quant aux aspirations et aux capacités de nuire de ceux qui cherchent à renverser ce gouvernement et à humilier les forces politiques qui le soutiennent, dont l’objectif immédiat est de les discréditer aux yeux des citoyens.

Collègues, en tant que députée de SYRIZA je ne pourrai jamais voter cette loi ; en tant que responsable de la commission pour le contrôle du travail parlementaire sur des questions de justice, transparence et droits humains du groupe parlementaire de SYRIZA, un poste où pendant trois ans j’ai combattu les attaques des Protocoles d’accord contre la justice et les droits humains mais aussi l’orgie de corruption et d’intérêts privés inscrite dans les Protocoles, je ne pourrai jamais voter cette loi ; en tant qu’avocate, je ne pourrai jamais voter cette loi, et en tant que Présidente du parlement, je ne pourrai jamais rendre légales des procédures qui font du Parlement un élément décoratif, qui nient son rôle de garantie du citoyen, qui circonviennent la conscience de parlementaires et finalement se débarrassent de la démocratie. Je vous remercie pour votre attention.

Source :    CADTM (trad)


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