samedi 11 juillet 2015

La trahison de Tsipras ?

La trahison de Tsipras ?
Par Jacques Sapir, le 10 juillet 2015

Les propositions soumises par Alexis Tsipras et son gouvernement dans la nuit de jeudi à vendredi ont provoqué la stupeur. Elle reprennent largement, mais non totalement, les propositions formulées par l’Eurogroupe le 26 juin. Elles sont largement perçues dans l’opinion internationale comme une « capitulation » du gouvernement Tsipras. La réaction très positive des marchés financiers ce vendredi matin est, à cet égard, un signe important.

On sait par ailleurs qu’elles ont été en partie rédigées avec l’aide de hauts fonctionnaires français, même si cela est démenti par Bercy. Ces propositions résultent d’un intense travail de pressions tant sur la Grèce que sur l’Allemagne exercées par les Etats-Unis. La France a, ici, délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l’Allemagne. Le gouvernement français n’a pas eu nécessairement tort de choisir d’affronter l’Allemagne sur ce dossier. Mais, il s’est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En fait, ce que veut par dessus tout M. François Hollande c’est « sauver l’Euro ». Il risque de voir très rapidement tout le prix qu’il a payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, ces propositions, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien.

Les termes de la proposition grecque

Ces propositions sont donc proches de celles de l’Eurogroupe. On peut cependant noter certaines différences avec le texte du 26 juin, et en particulier la volonté de protéger les secteurs les plus fragiles de la société grecque : maintien du taux de TVA à 7% pour les produits de base, exemptions pour les îles les plus pauvres, maintien jusqu’en 2019 du système d’aide aux retraites les plus faibles. De ce point de vue, le gouvernement grec n’a effectivement pas cédé. De même, le gouvernement a inclus dans ce plan des mesures de luttes contre la fraude fiscale et la corruption, qui faisaient parties du programme initial de Syriza. Mais, il faut bien reconnaître qu’il s’est, pour le reste, largement aligné sur les demandes de l’Eurogroupe. Faut-il alors parler de capitulation comme le font certains ? La réponse est pourtant moins simple que ce qu’il paraît.

En effet, le gouvernement grec insiste sur trois points : un reprofilage de la dette (à partir de 2022) aboutissant à la reporter dans le temps de manière à la rendre viable, l’accès à 53 milliards sur trois ans, et le déblocage d’un plan d’investissement, dit « plan Juncker ». Mais, ce « plan » inclut largement des sommes prévues – mais non versées – par l’Union européenne au titre des fonds structurels. Surtout, le gouvernement grec insiste sur un engagement contraignant à l’ouverture de négociations sur la dette dès le mois d’octobre. Or, on rappelle que c’était justement l’une des choses qui avaient été refusées par l’Eurogroupe, conduisant à la rupture des négociations et à la décision d’Alexis Tsipras de convoquer un référendum.

De fait, les propositions transmises par le gouvernement grec, si elles font incontestablement un pas vers les créanciers, maintiennent une partie des exigences formulées précédemment. C’est pourquoi il est encore trop tôt de parler de capitulation. Une interprétation possible de ces propositions est qu’elles ont pour fonction de mettre l’Allemagne, et avec elle les autres pays partisans d’une expulsion de la Grèce de la zone Euro, au pied du mur. On sait que les Etats-Unis, inquiets des conséquences d’un « Grexit » sur l’avenir de la zone Euro, ont mis tout leur poids dans la balance pour amener Mme Merkel à des concessions importantes. Que l’Allemagne fasse preuve d’intransigeance et c’est elle qui portera la responsabilité du « Grexit ». Qu’elle se décide à céder, et elle ne pourra plus refuser au Portugal, à l’Espagne, voire à l’Italie, ce qu’elle a concédé à la Grèce. On peut alors considérer que ce plan est une nouvelle démonstration du sens tactique inné d’Alexis Tsipras. Mais, ces propositions présentent aussi un grave problème au gouvernement grec.

Le dilemme du gouvernement grec

Le problème auquel le gouvernement Tsipras est confronté aujourd’hui est double : politique et économique. Politiquement, vouloir faire comme si le référendum n’avait pas eu lieu, comme si le « non » n’avait pas été largement, et même massivement, majoritaire, ne sera pas possible sans dommages politiques importants. Le Ministre des finances démissionnaire, M. Yannis Varoufakis, a d’ailleurs critiqué des aspects de ces propositions. Plus profondément, ces propositions ne peuvent pas ne pas troubler non seulement les militants de Syriza, et en particulier la gauche de ce parti, mais aussi, et au-delà, l’ensemble des électeurs qui s’étaient mobilisés pour soutenir le gouvernement et Alexis Tsipras. Ce dernier prend donc le risque de provoquer une immense déception. Celle-ci le laisserait en réalité sans défense faces aux différentes manœuvres tant parlementaires qu’extra-parlementaires dont on peut imaginer que ses adversaires politiques ne se priveront pas. Or, la volonté des institutions européennes de provoquer un changement de gouvernement, ce qu’avait dit crûment le Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, n’a pas changé. Hier, jeudi, Jean-Claude Juncker recevait les dirigeants de la Nouvelle Démocratie (centre-droit) et de To Potami (centre-gauche). Privé d’un large soutien dans la société, ayant lourdement déçu l’aile gauche de son parti, aile gauche qui représente plus de 40% de Syriza, Tsipras sera désormais très vulnérable. Au minimum, il aura cassé la logique de mobilisation populaire qui s’était manifestée lors du référendum du 5 juillet et pendant la campagne. Il faut ici rappeler que les résultats de ce référendum ont montré une véritable mobilisation allant bien au-delà de l’électorat de Syriza et de l’ANEL, les deux partis du gouvernement. Cela aura, bien entendu des conséquences. Si les députés de la gauche de Syriza vont très probablement voter ces propositions au Parlement, il est néanmoins clair que les extrêmes, le KKE (les communistes néostaliniens) et le parti d’Extrême-Droite « Aube Dorée », vont pouvoir tirer profit de la déception que va susciter ces propositions.

Au-delà, la question de la viabilité de l’économie grecque reste posée, car ces propositions n’apportent aucune solution au problème de fond qui est posé. Certes, cette question de la viabilité sera posée dans des termes moins immédiatement dramatiques qu’aujourd’hui si un accord est conclu. La crise de liquidité pourra être jugulée sans recourir aux mesures radicales que l’on a évoquées dans ces carnet. Les banques, à nouveau alimentée par la BCE, pourront reprendre leurs opérations. Mais, rien ne sera réglé. Olivier Blanchard, l’ancien économiste en chef du Fond Monétaire International signale que les pronostics très négatifs réalisés par son organisation sont probablement en-deçà de la réalité. Après cinq années d’austérité qui l’ont saigné à blanc, l’économie grecque a désespérément besoin de souffler. Cela aurait pu passer par des investissements, une baisse de la pression fiscale, bref par moins d’austérité. Ce n’est pas le chemin vers lequel on se dirige. Cela aurait pu aussi passer par une sortie, et non une expulsion, hors de la zone Euro qui, en permettant à l’économie grecque de déprécier sa monnaie de -20% à -25%, lui aurait redonné sa compétitivité. On ne fera, à l’évidence, ni l’un ni l’autre. Dès lors, il faut s’interroger sur les conditions d’application des propositions soumises par la Grèce à ses créanciers. Même en admettant qu’un accord soit trouvé, la détérioration de la situation économique induite par l’action de la Banque Centrale Européenne, que M. Varoufakis a qualifiée de « terroriste », venant après cinq années d’austérité risque de rendre caduques ces propositions d’ici à quelques mois. Une chute des recettes de la TVA est aujourd’hui prévisible. Une nouvelle négociation sera donc nécessaire. En ce sens, ces propositions ne règlent rien.

L’Euro c’est l’austérité

Il faut, alors, s’interroger sur le sens profond de ces propositions. Si elles sont tactiquement défendables, elles correspondent très probablement à une erreur de stratégie. Alexis Tsipras a déclaré ce vendredi matin, devant le groupe parlementaire de Syriza, qu’il n’avait pas reçu mandat du peuple grec pour sortir de l’Euro. Le fait est aujourd’hui débattable, surtout après l’écrasante victoire du « non » au référendum. Il est clair que telle n’était pas l’intention initiale du gouvernement, et ne correspondait pas au programme sur lequel il avait été élu. Mais, on peut penser que mis devant l’alternative, refuser l’austérité ou refuser l’Euro, la population grecque est en train d’évoluer rapidement. En fait, on observe une radicalisation dans les positions de la population, ou du moins c’est ce qui était observée jusqu’à ces propositions. Les jours qui viennent indiqueront si cette radicalisation se poursuit ou si elle a été cassée par ce qu’a fait le gouvernement.

En réalité, ce que l’on perçoit de manière de plus en plus claire, et c’est d’ailleurs l’analyse qui est défendue par l’aile gauche de Syriza et un économiste comme Costas Lapavitsas[1], c’est que le cadre de l’Euro impose les politiques d’austérité. Si Tsipras a cru sincèrement qu’il pourrait changer cela, il doit reconnaître aujourd’hui qu’il a échoué. L’austérité restera la politique de la zone Euro. Il n’y aura pas « d’autre Euro », et cette leçon s’applique aussi à ceux qui, en France, défendent cette fadaise. Dès lors il faut poser clairement le problème d’une sortie de l’Euro, qu’il s’agisse d’ailleurs de la Grèce ou de nombreux autres pays.

[1] Voir son interview, http://therealnews.com/t2/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=14181
Source : RussEurope

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Grèce : Alexis Tsipras propose une capitulation aux créanciers
Par Romaric Godin, le 10 juillet 2015 - La Tribune

Le plan proposé au MES par la Grèce ce jeudi 9 juillet ressemble de près au projet du 26 juin. Une victoire posthume du “oui” au référendum qui devra être compensé par une restructuration de la dette.

Alexis Tsipras rend les armes. Ce jeudi 9 juillet à 21 heures, le gouvernement grec a remis au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) un plan de « réformes » détaillé afin d’obtenir un financement de 50 milliards d’euros sur trois ans.
Excédents à réviser ?

Globalement, ce plan (que l’on peut retrouver ici en intégralité) est assez proche du projet du 26 juin, version légèrement modifiée de celle du 25 juin présentée par les créanciers et rejetée par les électeurs grecs le 5 juillet. C’est donc un plan sévère, prévoyant un excédent primaire (avant service de la dette) de 1% en 2015, 2 % en 2016, 3 % en 2017 et 3,5 % en 2018. Mais Athènes précise qu’elle demande à réviser le « chemin » de ces excédents au regard des « récentes développements économiques. »

Les économies proposées

Pour parvenir à ces objectifs, il sera imposé un taux normal de TVA de 23 %, notamment sur les restaurants et un taux réduit de 13 % sur les hôtels, l’alimentation de base et l’énergie. La décote de 30 % dans les îles sera progressivement supprimée en partant des îles les plus riches. Si les objectifs sont atteints, elle sera maintenue dans les îles les plus pauvres. Une revue aura lieu fin 2016.

Concernant les retraites, la proposition grecque prévoit une réduction des dépenses de 0,25 % à 0,5 % du PIB en 2015 et de 1 % du PIB en 2016. L’âge de départ à la retraite sera de 67 ans en 2022. Le gouvernement demande que la suppression du complément de retraite pour les plus fragiles, l’EKAS soit reportée à fin 2019 au lieu de fin 2018. Mais sa suppression commencera immédiatement par les 20 % qui touchent le plus. La retraite complémentaire sera gelée jusqu’en 2021. Les cotisations santé des retraités seront portées de 4 % à 6 %.

Le programme prévoit par ailleurs des réformes ambitieuses (mais acceptée par le gouvernement depuis longtemps) de l’administration fiscale, notamment. Les réformes du marché du travail seront mise en place en accord avec les standards de l’OCDE qui sont acceptés par Athènes. Enfin, des hausses de taxes et d’impôts sont prévues : sur les sociétés (de 26 % à 28 %), sur les compagnies maritimes ou le luxe. Davantage de privatisations sont aussi proposés. Les dépenses militaires sont réduites de 100 millions d’euros en 2015 et de 200 millions d’euros en 2016. Moins que ce que demandaient les créanciers. En tout, les mesures s’élèvent à 13 milliards d’euros sur trois ans, soit en moyenne plus que les 8 milliards d’euros de la proposition de Syriza du 22 juin.

Victoire posthume du « oui » ?

Politiquement, la pilule sera difficile à faire accepter par Syriza, le parti au pouvoir. La Vouli se réunira pour voter le texte en procédure d’urgence (jadis honnie par Syriza) vendredi. Le texte proposé ressemble, il est vrai, à une victoire posthume du « oui » puisque le plan légèrement modifié du 25 juin est désormais proposé par Alexis Tsipras. Selon le Guardian, le premier ministre interpréterait ce « non » de dimanche avant tout comme le renouvellement de son mandat, qui le renforcerait dans sa capacité à prendre le « meilleur parti » pour le pays. Or, faute de liquidités, l’économie grecque se meurt rapidement. La situation s’aggrave de jour en jour. Et le premier ministre ne veut pas prendre le risque, ni l’initiative, d’un Grexit. Il doit donc faire des concessions importantes.

Ceci convaincra-t-il la gauche du parti, qui peut représenter 70 des 149 députés de Syriza ? C’est loin d’être sûr. Et déjà, selon Proto Thema, le ministre de l’Energie Panagiotis Lafanzanis, représentant de l’aile gauche, et le chef des Grecs Indépendants, Panos Kammenos, ont refusé de signer le projet de loi. Certes, pour le faire accepter, Alexis Tsipras disposera de quelques atouts : il n’y aurait pas de coupes dans les salaires et (presque pas) dans les retraites, ce qui préserve une importante « ligne rouge » du gouvernement hellénique. Par ailleurs, Alexis Tsipras pourrait tenter de négocier deux concessions importantes dimanche lors du sommet européen.

Un plan d’investissement

La première est un plan d’investissement.  Selon nos informations, Athènes demanderait que le « plan » de 35 milliards d’euros promis par Jean-Claude Juncker, qui n’est en réalité que le déblocage des fonds structurels et agricoles actuellement bloqués par la commission européenne, serait rapidement mis à disposition du pays afin de créer un « choc positif » pour compenser les effets des mesures d’austérité. Ce point est important, car même si ces fonds ne sont pas réellement nouveaux, leur injection rapide et massive offre une possibilité qui n’était pas incluse dans les précédents mémorandums. Mais l’effet macroéconomique de ces fonds et leur capacité à « compenser » les mesures prises sont loin d ‘être acquis.

Question de la dette

La seconde concession serait évidemment une restructuration de la dette à long-terme. Sans cette concession majeure, il semble impossible que Syriza ne se divise pas. Et il n’est pas sûr que le plan grec soit acceptable même pour Alexis Tsipras. Le texte déposé à la Vouli prévoit de rendre la dette “soutenable” après 2022, donc sur la partie due aux Etats européens. Reste à savoir si les créanciers accepteront d’évoquer le sujet. Ce jeudi 9 juillet, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a concédé qu’une restructuration était nécessaire, mais il a prévenu que, selon lui, les traités laissaient peu de marge de manœuvre.

Quelle majorité ?

Bref, il n’est pas certain que le parti suive Alexis Tsipras. La question est désormais de savoir ce qui se passera si ce texte n’est adopté qu’avec les voix des partis du centre et de droite, donc les partis du « oui. » Alexis Tsipras dissoudra-t-il la Vouli ou entrera-t-il en coalition avec ces partis pour former une « union nationale » ? Le premier cas risque de bloquer les négociations et de déclencher le Grexit. Le second serait une victoire politique complète pour Bruxelles et Berlin qui ont ce schéma en tête depuis plusieurs mois (sa première mention date d’avril dernier dans un article du Financial Times). Grâce à l’asphyxie financière du pays, les créanciers auront donc réussi à effacer le résultat politique du référendum du 5 juillet.

Menace du Grexit

Mais il n’est pas certain que ce texte soit accepté par les créanciers. Angela Merkel avait demandé des “efforts supplémentaires” lundi 6 juillet en précisant que le plan devait désormais être plus “dur” qu’avant le référendum. Mais avec une telle proposition qui s’apparente à une capitulation, Alexis Tsipras fait des concessions considérables qui ne sont acceptables que dans le cas d’une révision du stock de dettes. Si les créanciers veulent aussi éviter le Grexit, ils doivent donc désormais faire un geste sur le dossier de la dette. Que fera le premier ministre grec si ce plan ne s’accompagne pas d’un engagement sur la dette ? Nul ne le sait, mais la menace du Grexit n’a pas disparu.
Source : La Tribune

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TVA, retraites, fiscalité… La quasi-reddition de Tsipras devant les créanciers
Par Jean Bapstiste Naudet, le 10 juillet 2015 - L'Obs

Après un ultimatum et les ouvertures de ses créanciers sur la dette, Athènes accepte presque toutes leurs demandes. Décryptage.

Tout ça pour ça ? Après la glorieuse et dangereuse bataille du référendum, Athènes, triomphante, semble déposer les armes. Après avoir rejeté fin juin les propositions de ses créanciers européens, après avoir organisé un vote où le “non” à ces offres l’a emporté à 60%, frôlant la rupture avec ses partenaires de l’Union européenne de la zone euro, le gouvernement grec a fait, jeudi 9 juillet dans la soirée, des contre-propositions de “la dernière chance”. Et elles ressemblent fort à celles qu’il avait rejetées, plongeant alors l’Europe dans le drame.
Dans ce texte de 13 pages intitulé “Actions prioritaires et engagements” [ici en anglais], laGrèce s’engage, afin d’obtenir un financement de sa dette et 50 autres milliards d’euros sur trois ans, à adopter presque toutes les mesures proposées par les créanciers le 26 juin… et qu’Athènes avait alors refusées. Il est à craindre que ce document soit jugé comme “une capitulation” par le puissant courant de la gauche de Syriza, qui, menaçant déjà de ne pas adopter les dernières propositions des créanciers au Parlement, avait précipité le référendum.

Si le Premier ministre Alexis Tsipras a, en grande partie, cédé aux demandes de ses bailleurs de fonds, c’est qu’il était confronté à la perspective, d’ici dimanche, de la faillite et de la sortie de l’euro après un ultimatum des Européens. C’est aussi parce que les créanciers ont fait une ouverture majeure en promettant, – FMI en tête – la restructuration de la colossale dette grecque (plus de 320 milliards d’euros et plus de 170% du PIB) à l’origine de la crise.

Les nouvelles propositions grecques sont d’ailleurs liées au règlement de cette lancinante et fondamentale question de la dette, que les Européens tergiversent à régler. Si Tsipras a reculé, c’est parce qu’il conditionne aussi sa quasi-reddition à l’octroi par les Européens d’un plan de développement et de croissance de 35 milliards d’euros supplémentaires.

Alexis Tsipras n’a donc pas fait tout ça pour rien. Comme il le prévoyait, en demandant de voter “non” pour lui donner “une arme”, le référendum a renforcé sa main face aux créanciers.

TVA, retraites, fiscalité : tout y est

Les propositions grecques envoyées jeudi soir aux créanciers (UE, BCE et FMI) comprennent une hausse de la TVA ainsi que des réformes des retraites et de la fonction publique afin d’augmenter les recettes publiques, en échange d’une aide financière sur trois ans. Plus particulièrement, les nouvelles propositions acceptent “un système unifié des taux de la TVA à 23%, incluant aussi la restauration”, qui jusqu’ici était à 13%.

Mais pour les produits de base, l’électricité et les hôtels, Athènes souhaite que la TVA reste à 13% et à 6% pour les médicaments, livres et places de théâtre. La hausse de la TVA était la principale pomme de discorde entre Athènes et ses créanciers pendant ces derniers mois de longues négociations.

Le gouvernement accepte également la suppression des avantages fiscaux pour les îles (soit la réduction de 30% de la TVA appliquée depuis plusieurs années), à commencer par les îles les plus riches et touristiques, comme le souhaitaient les créanciers. Ce qui pourrait lui poser de sérieux problèmes avec ses alliés, les “Grecs indépendants” (droite souverainiste), qui lui assurent la majorité au Parlement où Syriza n’a que 149 députés sur 300.

Les alliés de Tsipras vont-ils le lâcher ?

Le chef de ce parti, Panos Kammenos, avait juré qu’il n’y aurait pas de hausse de la TVA sur les îles “de son vivant”, menaçant Syriza de rupture. Mais cette suppression a des allures de compromis peut-être acceptable. La décote de 30 % dans les îles sera progressivement supprimée en partant des îles les plus riches. Si les objectifs sont atteints, elle sera maintenue dans les îles les plus pauvres. Une revue aura lieu fin 2016.

Autre avancée du gouvernement de Syriza vers les Européens qui pourrait mettre en danger son étrange alliance anti-austérité avec le conservateur Panos Kammenos, ministre de la défense : la réduction des dépenses en matière militaire, de 300 millions d’euros d’ici à la fin 2016 (moins 100 millions d’euros en 2015 et 200 millions d’euros en 2016). C’est moins que ce que demandaient les créanciers (400 millions), mais plus que ce qu’exigeait Panos Kammenos qui avait fait du maintien du budget de son ministère “une ligne rouge”.

Autre concession qui devrait faire bondir l’aile gauche de Syriza, le gouvernement d’Alexis Tsipras accepte la relance des privatisations, de réduire la hausse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés de 26 à 28%, comme le voulait les Européens. Sur le dossier aussi ultra-sensible des retraites, Syriza propose un compromis, tout en acceptant l’essentiel des demandes des créanciers. L’âge de départ à la retraite sera relevé progressivement à 67 ans en 2022. Le gouvernement demande que la suppression du complément de retraite pour les plus fragiles, l’EKAS soit reportée à fin 2019 au lieu de fin 2018. Mais sa suppression commencera immédiatement par les 20 % qui touchent le plus. La retraite complémentaire sera gelée jusqu’en 2021. Les cotisations santé des retraités seront portées de 4 % à 6 %.

Abattre le “triangle de la corruption”

Enfin, alors que le parti de la gauche radicale grecque avait juré de s’attaquer à son ennemi juré, “le triangle de la corruption”, les oligarques aux tendances monopolistiques, il n’avait pas fait de propositions. Cette fois, le gouvernement de Syriza promet d’introduire “en collaboration avec l’OCDE, de nouvelles réformes pour anéantir les cartels dans le commerce de gros, le secteur du bâtiment, l’e-commerce, les médias”.

Les Européens, alliés objectifs de la gauche radicale grecque dans ce combat pour une économie de marché fonctionnelle et concurrentielle, avaient été déçus par ce manque. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, avait estimé dans une interview aux “Echos” fin juin qu’il fallait “lever les rigidités de l’économie grecque, les barrières tarifaires, les rentes qui entravent l’activité et pèsent sur le pouvoir d’achat de salariés à qui on a demandé un gros effort.”

L’exécutif grec n’a jamais mis ces questions au cœur des discussions”, avait-il regretté, “et cela a été une vraie déception de la part d’un gouvernement dont tout laissait à penser qu’il serait très engagé dans la lutte contre les rentes.”

Rien ne garantit que le plan grec, qui doit encore faire l’objet de négociations finales avant la fin du week-end, puisse réunir une majorité au Parlement. Déjà, selon Proto Thema, cité par “la Tribune”, le ministre de l’Energie Panagiotis Lafanzanis, représentant de l’aile gauche de Syriza, et le chef des Grecs Indépendants, Panos Kammenos, ont refusé de signer le projet de loi.

La fronde peut l’emporter, surtout si les créanciers ne prennent pas dans l’accord final d’engagements fermes et substantiels sur la réduction de la dette, qui pourraient séduire même les plus durs des députés de la majorité au pouvoir. Une fois de plus, balancé entre ses créanciers vexés et sa majorité rétive, Alexis Tsipras apparaît comme un funambule sur une corde raide, qui devra faire preuve de tous ses talents d’équilibriste pour ne pas tomber.
Source :  L’Obs





La « crise grecque », vue de Grèce
par Dimitris Konstantakopoulos, le 10 juillet 2015

Vu d’Athènes, la crise grecque n’a de grecque que le nom. Elle met en jeu des intérêts stratégiques qui dépassent largement les Balkans et agit comme un piège dans lequel les principaux dirigeants de l’Union sont tombés. Car si l’enjeu est géopolitique, les réactions de l’Allemagne et de ses alliés se retourneront contre eux et contre tous les Européens.


De gauche à droite : (1) Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand après avoir été plusieurs fois ministre de l’Intérieur. Il est connu pour son alignement sur Washington, sa dénonciation des alliances avec Moscou, son soutien à la guerre contre l’Irak et au camp de Guantánamo. (2) Angela Merkel, chancelière fédérale. Ancienne responsable de la propagande en RDA, elle rejoignit du jour au lendemain le gouvernement Köhl et reste sous surveillance de la CIA. (3) Otmar Issing, professeur d’économie. Il est à la fois conseiller de la banque Goldamn Sachs et administrateur de la Banque centrale européenne. Il a publié en 2012 un ouvrage en faveur d’une éjection des « PIIGS » (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne) hors de la zone euro.

« Nous ne mourrons pas pour Dantzig », disaient les Français il y a soixante-dix ans. « Nous ne paierons pas pour les Grecs », disent aujourd’hui les Allemands. Et si, entre temps, la force de l’argent a remplacé, en Europe, celle des armes, cela ne l’a pas rendue moins mortelle (ni même, en fin de compte, moins autodestructrice).

L’attaque dont la Grèce fait l’objet de la part de forces « géo-économiques » puissantes, à savoir celles du capital financier totalement libéré de tout contrôle, d’un Empire de l’Argent en gestation, a une importance énorme au niveau mondial qui dépasse de loin la dimension de ce petit pays. C’est la première d’une série de batailles, qui vont déterminer l’avenir des États et des pays européens, celui de l’idée d’une Europe unie, indépendante, sociale, celle de notre démocratie et de notre civilisation. 
La question à laquelle on essaie de répondre, en Grèce, est de savoir qui va payer la dette cumulée de l’économie mondiale, y compris celle due au sauvetage des grandes banques, en 2008.

Est-ce que ce sera la population des pays développés, au prix de la suppression des droits sociaux et démocratiques acquis durant trois siècles de lutte, autrement dit, de la civilisation européenne ? Ou bien les pays tiers ? Va-t-on la payer par la destruction de l’environnement ? Les banques vont-elles l’emporter sur les États, ou bien ces derniers l’emporteront-ils sur les banques ? 
L’Europe pourra-t-elle dominer de nouveau le monstre que constitue le capital financier totalement déréglé, en rétablissant une réglementation des flux de capitaux, dans le cadre d’un protectionnisme raisonnable et d’une politique de croissance, en contribuant à la construction d’un monde multipolaire, donnant ainsi un exemple d’ordre mondial ? Ou bien va-t-elle périr dans des conflits internes sans merci, en consolidant le rôle dominant, quoique vacillant aujourd’hui, des USA et demain peut-être, celui d’autres puissances, voire même de totalitarismes, au niveau mondial ou régional ?



La crise grecque


Les gouvernements européens et leur Union, qui ont dépensé des sommes colossales pour le sauvetage des banques, imposent à la Grèce de prendre des mesures qui constituent la plus grande régression dans l’histoire du pays, exceptée la période de l’occupation allemande de 1941-1944, tout en la poussant dans la plus importante récession qu’elle ait connue depuis des décennies, la privant de toute perspective de croissance pendant un temps indéterminé. Ce qui, d’ailleurs, risque de rendre impossible le remboursement de sa dette, c’est-à-dire risque de faire de la Grèce une Lehman Brothers dans la nouvelle phase de la crise mondiale commencée en 2008.
 Nous sommes arrivés à un point où la Banque centrale européenne prête aux banques à un taux de 1 %, afin que celles-ci prêtent à l’État grec au taux de 6 % ou 7 %. En même temps, les gouvernements européens refusent de consentir a l’édition des euro-obligations pouvant servir a la normalisation des taux payes par l’État grec.



L’Allemagne contre l’Europe


Il y a vingt ans, l’Allemagne, nouvellement réunifiée, atteignant sa pleine « majorité stratégique », « acheva », par sa première action, la Yugoslavie multinationale et fédérale, en imposant à ses partenaires la reconnaissance des différentes Républiques. Le résultat en a été tout d’abord une série de guerres qui ont semé la ruine et la mort dans les Balkans, sans résoudre pour autant aucun de leurs problèmes, puis la mort dans l’œuf de la politique étrangère et de Défense de l’UE et, enfin, le retour solennel des USA dans leur rôle de maître absolu du Sud-est européen.

Tout cela pourtant fera figure de simple délit, devant ce qui risque de se passer maintenant, comme conséquence de la courte vue de Berlin et de la manière dogmatique, extrêmement égoïste, dont elle défend les règles de Maastricht, disposée, semble-t-il, à sacrifier un ou plusieurs de ses partenaires, appartenant même au « noyau dur » de l’ UE, la zone euro, en les faisant plonger dans le désastre économique et social.
 Aujourd’hui, l’enjeu de la crise « grecque », de la crise « espagnole », « portugaise » ou d’une autre demain, n’est pas seulement la politique européenne commune, ni le sort des Balkans. C’est bien l’idée même de l’Europe unie qui risque de mourir, et sa monnaie commune avec elle, comme l’ont déjà noté les hommes politiques et les analystes économiques les plus pénétrants en Europe et au niveau international.

Si en 1990-91, la politique allemande avait établi le… rôle des USA en Europe du Sud-est, la politique allemande actuelle conduit à la consolidation de leur rôle hégémonique aujourd’hui ébranlé dans les affaires européennes, sinon mondiales. Tout en privant l’Europe de la possibilité de jouer, en s’appuyant sur ses idées et sa civilisation, un rôle d’avant-garde dans la refonte si nécessaire du système mondial.
 Des erreurs historiques si colossales ne sont pas sans précédent dans l’histoire allemande : aujourd’hui, Berlin surestime sa puissance économique, comme il avait surestimé sa puissance militaire dans les années 1910 et 1930, contribuant ainsi à la destruction de l’Europe et de l’Allemagne elle-même, lors des deux Guerres Mondiales.

L’établissement de la monnaie unique et le mode de fonctionnement de l’UE, ont profité surtout à l’Allemagne qui refuse pourtant d’ « ouvrir sa bourse » à ses partenaires en difficulté. Elle ne défend pas l’Europe ni à l’extérieur, contre les attaques des banques internationales dominées par les Anglo-Américains ni contre celles du capital financier, nommés par euphémisme « les marchés ». Elle ne la défend pas non plus à l’intérieur, non seulement parce qu’elle refuse d’assister un soi-disant partenaire, en l’occurrence la Grèce, mais aussi en l’insultant, par une campagne sadique et raciste des media allemands, au moment où elle affronte des difficultés vitales !

L’Allemagne et Maastricht


L’Allemagne a raison lorsqu’elle soutient que, en agissant de la sorte, elle défend les règles de Maastricht, qui interdisent toute sorte de solidarité et d’entraide entre les membres de l’UE et imposent, jusqu’à la fin des temps, une politique monétaire qui n’existe nulle part ailleurs au monde.

Ces règles correspondent aux intérêts allemands, du moins tels que les conçoivent les milieux dominants de Berlin, et, surtout, à ceux des banques et plus généralement des grands détenteurs du capital financier. C’est leurs profits que garantissent les règles de Maastricht, en association avec le régime de libéralisation totale des échanges de capitaux et de marchandises, qui interdisent explicitement ou implicitement aux Européens d’exercer une politique inflationniste, keynésienne, anticyclique, quand il le faut, mais aussi de se défendre contre l’antagonisme économique extérieur, de la part des USA ou de la Chine.


En soutenant cependant, à juste titre, que sa politique actuelle est dictée par le traité de Maastricht, qui doit être respecté comme l’Évangile, Berlin dévoile, malgré lui, le caractère monstrueux de l’actuel édifice européen. On n’a nullement besoin d’être économiste, le sens commun suffit, pour comprendre qu’aucune union d’aucune sorte de personnes, de peuples, d’États, ni de quoi que ce soit, ne peut avoir une vie bien longue, si elle est fondée sur… l’interdiction de solidarité entre ses composantes !

Les peuples de l’Europe n’ont pas consenti à l’idée de l’unification européenne pour … se ruiner ; ils y ont consenti pour acquérir davantage de sécurité et de prospérité. 
En disant à ses partenaires … d’aller se faire voir ailleurs, à la première difficulté, les dirigeants allemands délégitiment eux-mêmes, dans une grande mesure, aussi bien l’idée de l’Europe unie que celle de la monnaie unique, ainsi que leur propre ambition d’être à la tête de l’Europe. À quoi sert une Union qui a mobilisé tous ses moyens pour sauver les banques qui avaient provoqué la crise de 2008, et qui refuse de sauver un peuple européen menacé par ces mêmes banques renflouées au moyen de l’argent public ?

La seule raison pour laquelle les membres de la zone euro, qui sont touchés par la crise, y demeurent encore, est leur crainte des conséquences d’un retrait (et divers intérêts de leurs milieux dirigeants). Mais pour combien de temps encore cette raison sera-t-elle suffisante, surtout dans le cas d’une éventuelle aggravation de la crise économique, qui transformera de vastes zones européennes en une sorte d’Amérique latine ? De même qu’au XXe siècle, l’Allemagne paiera de nouveau, elle aussi, le prix de son égoïsme, politiquement, en minant son propre rôle et économiquement, en étouffant les acheteurs de ses produits. Mais elle risque de s’en rendre compte quand il sera trop tard pour réparer la situation.

La crise grecque comme crise de l’eurozone


Il est presque évident que la crise grecque n’a pas à voir uniquement ni même essentiellement avec les problèmes intérieurs assez importants du pays, la faiblesse de son État et de son système politique, source d’une vaste corruption. Ces problèmes, ainsi que le fait que la Grèce dépense des sommes colossales pour se défendre d’une Turquie négationniste, sont cependant des facteurs qui déterminent la forme, le moment d’apparition de cette crise et la capacité du pays à y faire face. Mais ils n’en constituent pas la cause, comme le prouve la crise en Espagne, au Portugal et ailleurs également. En Grèce, elle peut prendre l’aspect d’une crise de la dette publique, en Espagne de l’endettement privé, elle est cependant présente partout. Elle reflète l’incapacité de long terme des pays les plus faibles de l’Union à faire face, d’une part à une politique monétaire modelée sur les intérêts de l’Allemagne et des banques internationales, et d’autre part à la suppression de toute barrière de protection extérieure de la zone euro.

Le fonctionnement « intérieur » de la monnaie unique, faute de mécanismes compensatoires, conduit à un transfert permanent de plus-values du sud de l’Europe vers le nord. Le fonctionnement « extérieur » d’une zone euro qui s’est volontairement interdit toute protection contre la concurrence états-unienne et chinoise, toute politique industrielle et sociale, toute harmonisation fiscale conduit à la dégradation de la capacité européenne de production dans l’ensemble de l’Union, en commençant par les plus faibles. L’industrie grecque par exemple se délocalise de la Grèce du Nord vers les Balkans, les touristes désertent le pays d’une monnaie chère, l’euro, préférant le littoral turc.

Le problème va s’aggraver avec la fin, bientôt, des politiques de cohésion. Le problème structurel grec a certes accentué la situation et a amené la Grèce en plein milieu de la crise européenne, mais ce n’est pas lui qui l’a créé.
 L’Europe du Sud n’est pas la seule à faire face à ces problèmes. La France, un pays plus central et métropolitain, cœur politique de l’Europe, si l’Allemagne en constitue le cœur industriel, les a également recensés et doit les affronter. Ils sont à l’origine du rejet de la constitution européenne par le peuple français en 2005. Depuis lors, d’importants intellectuels français ont mis en évidence l’impasse vers laquelle se dirige la zone euro. Par exemple Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Bernard Cassen et ATTAC, Maurice Allais pour ne citer que quelques uns, soulignent qu’il est impossible qu’une Europe productive et sociale puisse survivre sans quelque forme de protectionnisme.

L’obstination dans les règles de la zone euro telles qu’elles se présentent actuellement mène au totalitarisme, dit Todd. L’Europe se dirige vers la catastrophe avec le système ultralibéral d’échanges et la suppression de la préférence communautaire par les autorités de Bruxelles.
 Jusqu’à présent, les idées de réforme de la zone euro ne pouvaient pas être appliquées, faute de volonté politique. Ce serait une tragédie pour le peuple grec si, a cause, entre autres, de la façon dont le système politique grec et une élite politique en pleine dégénérescence gère le pays, il était appelé à payer au prix de sa catastrophe l’énergie nécessaire à une réforme de l’euro, qui serait mise en place, si elle l’est un jour, trop tard pour que la Grèce puisse en profiter.

Économie et géopolitique


Pour ce qui est cependant de la dimension géopolitique du problème, les dirigeants allemands ne semblent pas avoir tiré les enseignements de leur propre histoire, c’est-à-dire se rappeler de leur incapacité, durant les décennies qui avaient précédé la Première Guerre mondiale, d’encaisser les profits attendus de leurs progrès scientifiques et technologiques. Le capitalisme-casino, engendré par le dérèglement de ces dernières décennies et auquel ils ont consenti de façon intéressée, caractérisée par l’absence totale de perspicacité stratégique, est un enfant anglo-américain. Aucun joueur, si bon et si fort qu’il soit, ne l’a jamais emporté sur le propriétaire du casino !
 On est en droit de se demander si quelque plan stratégique ne se cache pas derrière la crise déclenchée actuellement non seulement par rapport à la dette grecque, mais aussi contre l’euro, au moment même où ce dernier s’apprêtait à devenir une devise mondiale.

D’autant plus que, maintenant nous le savons, Goldman Sachs se trouvait derrière l’attaque contre la Grèce et l’euro.
 En se barricadant derrière le traité de Maastricht, dans une Europe-« dictature des banques », les Allemands ont certes profité de leur suprématie économique, mais ont en même temps permis que soit tendu un énorme piège potentiel, qui vient d’être activé, contre l’Europe unie. Il fallait, d’ailleurs, s’attendre à ce que les choses évoluent dans ce sens, quand on voit par exemple l’architecte de la politique monétaire européenne n’étant autre que l’homme de Goldman Sachs, Otmar Issing. Un, du reste, dans un vaste réseau d’ influence de cette banque en Europe.
On voit donc peut-être aujourd’hui se développer le plan stratégique qui intègre la géopolitique et la géo-économie dans l’architecture du traité de Maastricht.

La crise était inscrite dans le traité même avec deux aboutissements possibles : soit la transformation de l’Europe en une structure totalitaire assujettie, soit sa dissolution en ses composantes, ou en tout cas son maintien dans un état de déchirement dû à ses problèmes internes, qui l’empêche de gagner son autonomie vis-à-vis des USA et d’imposer des règles au capital financier mondial.
 La politique de Berlin semble être fondée sur l’espoir de tirer le meilleur profit dans le cadre de la mondialisation que s’il revendiquait pour le compte d’une Europe réformée d’être sur un pied d’égalité avec les USA, dans le cadre d’un monde multipolaire aux flux des capitaux et des marchandises règlementés. Justement parce qu’il a sans doute encore le souvenir de ses défaites, quand il avait recherché l’hégémonie européenne et mondiale. Mais, ceci faisant, il semble oublier que la mondialisation est dominée par le secteur financier et du crédit, et point par l’industrie qui constitue le point fort de l’Allemagne. Qui risque, en fin de compte, de se retrouver dans la même situation qu’elle avait connue vers la fin du « grand » siècle libéral, à la veille de la Première Guerre mondiale.

Les dirigeants allemands pensent peut-être qu’un « renvoi » ou un retrait forcé de la Grèce de la zone euro serait une solution qui, d’une part « servirait d’exemple » pour les autres membres de l’Union et aurait augmenté, d’autre part, l’homogénéité d’un noyau dur européen qui s’est trop « ramolli ». L’idée d’une « Europe à plusieurs vitesses » et de cercles homocentriques, telle que l’avait formulée Karl Lammers, reste très populaire en Allemagne. Seulement, les cercles risquent finalement de s’avérer hétérocentriques.

Il est évident que pour la Grèce, mais aussi pour d’autres membres de la zone euro, le problème se posera de lui-même et, à ce qui parait, plus tôt et non plus tard qu’on ne l’imagine. Rester dans la zone euro n’a un sens pour la Grèce et pour d’autres pays que si celle-ci est réformée très vite et en profondeur. Mais il n’est pas du tout certain qu’un ou plusieurs retraits aient pour l’Allemagne les avantages auxquels elle s’attendrait.


En persévérant dans cette politique, Berlin risque de plonger la zone euro et l’UE dans une crise très grave. Il mènera, en même temps, à une défaite stratégique majeure de l’Europe dans l’Est méditerranéen, contribuant ainsi à la réalisation de l’objectif stratégique central des USA dans la région, à savoir la constitution d’une zone d’influence américano-turque depuis la mer Adriatique jusqu’au Caucase et Chypre.

Une telle zone, dans l’optique de « l’occupation du centre » de « l’échiquier stratégique » selon Brzesinski, s’interposerait entre l’Europe et les hydrocarbures du Moyen Orient, entre la Russie et les « mers chaudes ». Elle participerait en plus à l’Union européenne. Elle serait, en d’autres termes, un des centres d’une Eurasie dominée par les USA, un outil qui servirait à la « paralysie stratégique » de l’Europe et une base de « containement » contre la Russie. On devrait savoir, en Europe, mais il est douteux que l’on veuille le savoir, depuis les fameux rapports de Wolfowitz et de Jeremia qui ont cristallisé la stratégie post-guerre froide des États-Unis, que l’objectif stratégique de Washington est le non avènement de forces antagonistes, et pour y parvenir elle applique des politiques propres à empêcher dès maintenant une telle éventualité, en « programmant » si possible des crises ou en mettant des obstacles à des collaborations et des alliances entre divers pôles du système international.

Dans un cas, l’Allemagne l’a bien compris, quand elle a décidé de construire le gazoduc North Stream, la liant directement avec la Russie, mais en général elle continue d’être stratégiquement aveugle.
Source : Réseau Voltaire

* * *

Une seule solution : la sortie de l’euro » (P. Sotiris) 
Par Sarah Halifa-Legrand, le 9 juillet 2015 - L'Obs

Philosophe et membre du parti Antarsya, la gauche anticapitaliste grecque, Panagiotis Sotiris défend l’idée d’une rupture avec la zone euro et l’Union européenne.

L’Obs – Comment avez-vous accueilli la victoire du non ?

Panagiotis Sotiris – C’est une immense expression de défiance face aux institutions créancières de la Grèce. Mais ce référendum ne doit pas être seulement un moment de dignité, il doit être le commencement de la rupture avec la zone euro. Une rupture difficile mais nécessaire pour retrouver un contrôle démocratique sur notre pays.

Le gouvernement grec doit cesser de croire en une négociation imaginaire et un compromis impossible. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’Union européenne fasse des concessions parce que le peuple grec a dit non. Tsipras a bien vu pendant ces cinq mois qu’on ne peut pas négocier avec elle. Car ce qu’elle veut, ce n’est pas seulement un remboursement – pourtant impossible – de la dette, c’est changer le modèle économique et social de la Grèce, l’ »améliorer » dans le sens néolibéral. Pour éviter l’humiliation de toute une société, je ne vois donc qu’une seule solution : la sortie de l’euro.

Vous ne croyez pas à la possibilité de transformer la zone euro de l’intérieur ?

– On peut imaginer une autre architecture de la zone euro, un fonctionnement différent des banques centrales européennes, une politique de redistribution qui corrigerait les inégalités régionales, une pensée qui abandonnerait le dogme de l’austérité. Le problème, ce n’est pas ce qu’on peut imaginer mais ce qu’on peut faire. Le fonctionnement actuel des institutions européennes rend impossible de tels changements.

Une unification monétaire nécessite une unification politique avec la création d’un Etat qui rééquilibre les disparités. Mais l’Union européenne n’est pas un Etat et ne peut donc pas avoir une monnaie unique comme le montre le fonctionnement de la zone euro, fondé sur le rôle prééminent de l’Allemagne. Voilà pourquoi je pense qu’il est vain de vouloir la réformer. Mais même si on pense que c’est possible, l’Union a besoin d’un choc pour changer. La sortie de la Grèce de l’euro peut être ce choc.

La Grèce se sacrifierait ?

– Non, car sortir de l’euro est sa seule chance de survie. Il est impossible de renverser les conséquences de cinq années d’austérité sans recouvrer notre souveraineté monétaire. C’est la seule voie pour pouvoir appliquer une politique économique qui rompe avec l’orthodoxie néolibérale des institutions et nous permette de sortir du cercle vicieux de la dette.

Vers une réaction en chaîne ?
Le coût social et économique d’une sortie de l’euro risque pourtant d’être encore pire…

– Ce n’est pas une décision facile. Mais rester dans l’euro, c’est se résigner à accepter la récession et la pauvreté. Il faut convaincre la population qu’un effort collectif temporaire sera nécessaire pour aller vers un meilleur futur. Nous sommes à un tournant de l’histoire. La crise a été un moment cathartique. Elle nous a fait réfléchir à tout ce qu’on a fait pendant des années. Car ce n’est pas seulement une question de monnaie. Il est nécessaire de repenser ce qu’on appelle la croissance, la production, la consommation. On doit réinventer des formes d’industrie, réduire notre dépendance en matière d’importations, ne pas tout miser sur le tourisme…

On va pouvoir expérimenter à partir des expériences de la crise : toutes les formes de solidarité et de réseaux parallèles sont des pistes pour organiser un nouveau modèle productif et social. C’est faisable. Des économistes ont étudié ce scénario de sortie de l’euro. Le passage par une monnaie parallèle jusqu’à l’adoption complète d’une devise nationale, un nouveau taux de change, une nationalisation du système bancaire… C’est un vaste chantier. Mieux vaut donc que l’on prépare nous-mêmes notre sortie plutôt que de se voir expulsés par les institutions européennes.

Mais la population dans son ensemble reste défavorable à une sortie de l’euro…

– Les Grecs ont montré qu’ils avaient plus de courage que ce que l’on pensait. Ils sont de plus en plus prêts à abandonner l’euro. Mais il est vrai qu’on ne pourra éviter une confrontation avec une partie de la société qui a profité du modèle européen. C’est d’ailleurs un des problèmes de Tsipras : il cherche à satisfaire tout le monde, ce qui est impossible.

La zone euro survivrait-elle à une sortie de la Grèce ?

– J’espère qu’un départ de la Grèce serait suivi d’une réaction en chaîne. Car le problème de la dette et de l’austérité se pose aussi ailleurs, en Espagne, en Italie, en France. Ce serait le début du démantèlement de l’euro, et, avec lui, de l’Union européenne, qui traverse déjà une crise profonde. Récupérer une souveraineté non seulement nationale mais aussi populaire, c’est la seule voie possible pour construire une Europe des solidarités.

Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand
Source : L'Obs

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