jeudi 24 mars 2016

Bruxelles, l’horreur



Bruxelles, l’horreur
Par Jacques Sapir, 23 mars 2016 - RussEurope 

Les tragiques attentats de Bruxelles du 22 mars nous emplissent d’horreur et de compassion pour les victimes. Mais ces attentats sont aussi porteurs d’une leçon importante. Ils nous rappellent l’importance des Etats dans la protection, qu’elle soit physique ou sociale, des citoyens. Ces attentats sont la confirmation que seuls les Etats, en se coordonnant et en coopérant, sont à même et sont légitimes à exercer cette protection, car ils sont, dans un régime démocratique, l’expression du peuple. L’Union européenne n’a ni la légitimité, ni même la capacité matérielle, d’assurer cette protection. C’est d’ailleurs le bilan qu’en tire Pierre Briançon dans un article posté sur le site politico.eu au 23 mars[1].

Si la légitimité de l’UE est ainsi attaquée, si elle est mise en cause de manière aussi évidente, c’est bien parce qu’elle a failli. Il faut en tirer les conclusions qui s’imposent. Ces attentats signent l’arrêt de mort de l’Union européenne.

Un échec social

Les institutions européennes, qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de celle de la Zone euro, ont été incapables de protéger les populations des pays concernés contre la crise économique qui s’est déclenchée en 2007. Ces institutions n’ont su que mettre en place un « cadre disciplinaire » qui a aggravé et empiré la situation. Cette crise financière constituait le type même de « choc exogène » que l’Union Economique et Monétaire (ce que l’on appelle la « Zone Euro »), était dans l’incapacité de gérer[2]. Mais cette crise provoqua la mise en œuvre d’un cadre disciplinaire inouï, fondé sur le déni de légitimité des pays membres, cadre qui s’est concrétisé dans un ensemble de cinq règlements et d’une directive approuvés octobre 2011 et appelé « Six-Pack »[3]. Les États doivent se doter d’un objectif à moyen terme (OMT) qui permet de garantir la viabilité des finances publiques et le retour à l’équilibre structurel des comptes publics (déficit structurel limité à 1 % du PIB). Les pays qui ont une dette qui dépasse 60 % du PIB feront l’objet d’un « procédure de déficit excessif » s’ils ne réduisent pas d’un vingtième par an (sur une moyenne de trois ans) l’écart entre leur taux d’endettement et la valeur de référence de 60 %. Si les pays qui sont en procédure de déficit excessif ne se conforment pas aux recommandations que le Conseil leur a adressées, le Conseil, sur recommandation de la Commission Européenne leur adressera des sanctions, sauf si une majorité qualifiée d’États s’y oppose, procédure nouvelle au sein de l’UE et que l’on appelle la règle de « majorité inversée »[4]. Au-delà de cette procédure, qui n’exige plus un vote « positif » pour l’adoption des sanctions, le « Six-Pack »contient toute une série de mesures extrêmement contraignantes dans le domaine macroéconomique. Ainsi, une procédure pour déséquilibre excessif pourrait désormais être lancée et des sanctions être prises à l’encontre des États sur une série d’indicateurs macroéconomiques qui inscrivent dans les textes les options néo-libérales de l’Union européenne[5].

Très clairement, l’UE s’est avérée incapable de garantir la sécurité sociale des populations. Elle est à l’origine de la loi « El Khomri » que défend actuellement le gouvernement français[6].

Un échec politique

Nous constatons aujourd’hui, dans le sang et les larmes, que les institutions européennes se sont avérées touts aussi incapables de défendre physiquement les populations. Les mesures de sécurité, qu’on les juge bonnes ou mauvaises par ailleurs, sont uniquement prises par les Etats. Mais, l’action délétère de l’Union européenne s’exerce en fait sur les conditions mêmes de fonctionnement de ces Etats. Si la Belgique a été la cible de ces attaques atroces, ce n’est malheureusement pas un hasard. L’Etat belge est en pleine phase de dissolution, et il l’est tant pour des raisons économiques et linguistiques que parce que ses dirigeants ont en réalité pleinement intégré le projet européiste.

Il y a une vérité importante dont il convient de se pénétrer : quand on ne sait plus ce qui fait un Etat, quand on ne sait plus ce qui fait un peuple, c’est à dire une communauté politique regroupée autour d’une culture politique commune et d’un projet commun, on ouvre la porte aux communautarismes, on transige avec eux, et l’on finit par pactiser avec l’islamisme.

Mais il y a une deuxième vérité tout aussi importante : quand des institutions sont incapables de garantir aujourd’hui la sécurité, qu’elle soit physique ou sociale, des populations il n’y a plus de légitimité dans ces institutions ; il n’y a plus que la violence nue, qui s’exerce d’ailleurs avant tout contre ces populations.

De ce point de vue, les attentats du mardi 22 mars ne sont que le versant politique et terroriste d’’un échec institutionnel grave que l’on a pu mesurer depuis des années dans le versant social. L’unité de ces deux versants doit constituer la base d’un mouvement profond exigeant de nos élites qu’elles assurent notre sécurité ou, si elles en sont incapables, qu’elles déguerpissent au plus vite pour laisser la place à ceux qui seront prêts, dans le respect des souverainetés et de la légitimité, à le faire à leur place.

[1] http://www.politico.eu/article/an-attack-on-european-legitimacy-terrorism-war-eu-skepticism/
[2] Sapir J. « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.
[3] Contre la Cour, « Gouvernance européenne, souverainetés et faillite démocratique », 5 septembre 2014, http://www.contrelacour.fr/gouvernance-europeenne-souverainetes-faillite-democratique/
[4] Voir Commission Européenne, 12 décembre 2011, « EU Economic governance « Six-Pack » enters into force », http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-11-898_en.htm
[5] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2011-0421&language=FR&ring=A7-2011-0178
[6] http://www.force-ouvriere.fr/bruxelles-fait-pression-pour-que-la-france-adopte-la-loi-travail

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Comment nous pouvons gagner la guerre contre le terrorisme
Par Marc Vandepitte, le 23 novembre 2015 - Investigaction (trad.)

Le terrorisme touche la société dans son âme, délibérément. C’est pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour fournir une riposte aux terroristes et les éliminer radicalement. A cet égard une approche anti-terroriste ne doit satisfaire qu’à un seul critère : elle doit être efficace, toucher le terrorisme en son coeur. On peut se demander si l’approche actuelle dans notre pays et en France est la réponse adéquate. On peut même se demander si nos dirigeants politiques sont disposés à mener la lutte à fond, c’est-à-dire jusqu’à la racine du mal. Car de très nombreux intérêts sont en jeu, et une approche en profondeur est en opposition avec le cours actuel de la politique en Europe occidentale.

Dans cet article nous irons d’abord à la recherche des causes plus profondes des attentats terroristes. Ensuite nous examinerons pourquoi l’approche actuelle est contreproductive. Enfin nous avancerons quelques propositions sur une approche en profondeur.

1. Le terreau nourricier

On ne combat pas une maladie en s’attaquant aux symptômes, mais bien en éliminant les causes ou le substrat. On a déjà beaucoup écrit sur ce terreau de culture. Il nous faut rechercher les causes des attentats terroristes passés tant à l’étranger que dans le pays. Si on combine la stratégie de la radicalisation djihadiste avec la haine vis-à-vis de la communauté musulmane et avec l’islamophobie, on obtient un cocktail explosif. Réexaminons les différents éléments.

A. Radicalisation (1) made in USA

L’invasion de l’Irak en 2003 a conduit à la faillite de l’état. Washington a opté pour la stratégie « diviser pour régner ». Les forces laïques ont été délibérément éliminées et les chiites ont été montés contre les sunnites. Le terrorisme contre la population sunnite a formé un terreau idéal pour les djihadistes. L’Arabie saoudite et le Qatar n’ont pas manqué d’offrir leurs services. C’est de cet ensemble de djihadistes extrémistes qu’est issu l’État islamique.

La profession de foi extrémiste de l’EI, de al-Qaeda et d’autres groupes terroristes islamistes n’est pas simplement tombée du ciel. Ils sont le produit d’une diffusion systématique sur une longue durée du wahabisme par l’Arabie saoudite. Le wahabisme est un courant ultraconservateur qui diffère peu du califat en matière de credo et de pratiques. Dans le passé l’Arabie saoudite a formé environ 45.000 cadres religieux à l’étranger.

Le pays finance des dizaines de chaînes satellitaires et des centaines de sites internet. Les Saoudiens ont investi à ce jour 87 milliards de dollars pour diffuser le wahabisme dans le monde entier, pour construire des mosquées et rémunérer des imams. Cela s’est fait et cela continue de se faire non seulement dans nos contrées mais aussi en Asie, en Afrique et bien sûr au Moyen-Orient (2). Il n’est pas exagéré de parler d’une wahabisation de l’islam.

Revenons au théâtre des opérations. En Syrie tout comme en Irak la carte confessionnelle a été tracée. L’Occident voulait depuis longtemps être quitte d’Assad. Dès 2006 divers groupes dissidents ont été financés par les Etats-Unis (3).

En 2009, deux ans avant le printemps arabe, il existait des plans britanniques pour une invasion de « rebelles » (4). Les USA ont soutenu non seulement des groupes modérés, mais ils ont aussi financé des djihadistes radicaux, qui allaient ultérieurement passer à des organisations terroristes comme al-Nusra et l’EI (5). En 2011 les manifestations non violentes ont rapidement dégénéré en guerre civile. Du côté des rebelles les djihadistes l’ont emporté grâce au soutien massif des Etats du Golfe, de la Turquie et de la Jordanie. Cet appui allait à des organisations terroristes comme al-Nusra et al-Qaeda (6).

En 2012 les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne organisèrent conjointement avec la Turquie et la Jordanie un camp d’entraînement pour les rebelles syriens en Jordanie. Une partie de ces rebelles se sont ralliés par après au califat. Une gaffe similaire a encore été reproduite en 2015.

En 2012 les autorités à Washington connaissaient déjà la création plausible d’un état islamique dans certaines parties de l’Irak et de Syrie. C’était en effet ce que souhaitaient les pays islamiques soutenant l’opposition anti-Assad. Un tel état affaiblirait fortement Assad et porterait un coup à la coalition entre la Syrie, l’Irak et l’Iran (7). Le gouvernement étatsunien savait parfaitement ce qu’il faisait. La suite de l’histoire, nous la connaissons.

B. Qui sème la haine et l’humiliation récoltera la radicalisation

Les musulmans sont de plus en plus les boucs émissaires de notre société. Ce groupe est systématiquement relégué, sur tous les plans possibles. Chômage, retard en matière d’enseignement et pauvreté les touchent disproportionnellement. Ils sont systématiquement discriminés dans la recherche d’un emploi ou d’un logement. Depuis le 11 septembre l’intolérance à l’égard de l’islam connaît une courbe montante, avec l’interdiction du voile comme combat d’avant-garde. L’agression publique augmente en parallèle avec les messages de haine sur Facebook, insultes crachées aux enfants, apostrophes en rue …

La police les contrôle avec une fréquence excessive et ils sont davantage criminalisés et internés que d’autres groupes (8). Ils se sentent de moins en moins les bienvenus (9) et sont de plus en plus confrontés à des partis politiques et à des médias qui attisent la haine à leur encontre. En outre cette haine est dirigée contre leur identité la plus profonde, à savoir leur religion.

Surtout chez les musulmans jeunes cela peut entraîner des problèmes existentiels. Ils n’ont quasi aucune perspective et ils vivent leur crise d’identité différemment de leurs parents. Oui, ils sont nés ici mais ils ne se sentent pas les bienvenus, même en faisant de leur mieux. Pour réussir à s’affirmer et à revendiquer leur place dans notre société, beaucoup se rabattent, logiquement, sur la culture et la foi. Elles au moins leur offrent un ancrage. Mais en retour cela renforce l’islamophobie ambiante et c’est ainsi que se crée une polarisation auto-renforcée.

Depuis 2008 les USA ou leurs alliés ont envahi ou bombardé huit pays : l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Somalie, la Libye, le Mali, l’Irak en la Syrie. Comme par hasard, tous des pays musulmans. Et n’oublions pas Gaza, qui, depuis 2008, a déjà été dévasté trois fois par des bombardements à grande échelle. Il ne faut pas énormément d’empathie pour imaginer combien tout cela interpelle une population déjà frustrée.

Il faut y ajouter un autre élément important, à savoir la wahabisation déjà évoquée de l’islam. Dans les pays occidentaux, jusqu’à présent, la foi musulmane n’a jamais obtenu une place à part entière. En Flandre par exemple, seule une mosquée sur dix est reconnue officiellement, et la communauté musulmane obtient des moyens financiers absolument insuffisants. Donc, pas étonnant que si peu d’imams parlent néerlandais. Pour vous donner une idée, le montant que l’Arabie saoudite investit dans le monde pour diffuser le wahabisme est 100.000 fois plus important que le subside public de la région flamande aux mosquées l’année dernière.

Dans le reste de l’Europe occidentale la situation n’est guère meilleure. L’Arabie saoudite en a profité pour faire la promotion de sa version de l’islam. Pas besoin de chercher bien loin pour découvrir la raison pour laquelle l’Arabie saoudite a les coudées si franches : la Belgique est le principal fournisseur de munitions et le deuxième fournisseur d’armes légères à l’Arabie saoudite. De 2008 à 2011 les pays de l’UE ont autorisé l’exportation d’armes en Arabie saoudite à concurrence de 17,3 milliards (dont 1,7 milliard pour la Belgique) d’euros. Le port d’Anvers prévoit un investissement de plusieurs milliards d’une firme saoudienne, dont un responsable a des liens avec al-Qaeda.

La conséquence de tout cela c’est que l’islam en Europe et en Belgique a un courant intégriste (10) puissant qui se diffuse via des chaînes satellitaires, des sites web, des livres, des organisations et un certain nombre de mosquées. C’est à partir de ce courant que des jeunes sont recrutés pour aller rejoindre l’EI.

2. Effet inversé

L’approche musclée des gouvernements français et belge vis-à-vis des attentats plaît sans doute à l’opinion publique, mais elle dénote une vision à court terme et elle ne fera qu’aggraver la situation sur le long terme. Nous distinguerons une fois encore la situation dans le pays et à l’étranger.

A. L’huile sur le feu

Après les attentats, la France a promptement expédié des bombardiers sur Raqqa, capitale de l’Etat islamique. « Nous sommes en guerre » a déclaré le président Hollande. Bizarre qu’il le remarque seulement aujourd’hui, car ces cinq dernières années les Français ont fait la guerre en Côte d’Ivoire, en Libye, en République Centrafricaine, en Irak et en Syrie. Quoi qu’il en soit, la question est de savoir si les bombardements présents et futurs en Irak et en Syrie sont une option avisée.

L’an dernier les bombardements contre l’État islamique n’ont pratiquement pas produit de résultats. En tout cas les seules attaques aériennes ne réussiront jamais. Une invasion (de troupes au sol) paraît du reste exclue et ferait d’ailleurs entièrement dégénérer la situation (11).

Les aventures passées en Afghanistan, Irak et Libye ont produit une débâcle absolue. Il est possible d’affaiblir le califat au moyen de drones et de bombes, mais du point de vue de la propagande on ferait exactement le jeu de l’état islamique. Les bombardement renforceront la conviction que l’Occident est le véritable ennemi du monde arabe.

Plus que jamais le califat pourra se targuer d’être le défenseur de l’islam contre les agresseurs étrangers et il renforcera ainsi son attractivité pour les musulmans fanatiques du monde entier. Sur le terrain et plus précisément en Irak, les sunnites seront encore plus nombreux à se joindre à l’État islamique. Bref, à terme les bombardements ne feront que profiter à l’Etat islamique.

B. Cercles vicieux et cadeaux du ciel

Dans un climat d’intégration ratée et d’islamophobie latente, des attentats comme ceux de Paris entraînent une recrudescence de la haine des musulmans dans de larges couches de la population. Les messages de haine à l’encontre des étrangers, et en particulier des musulmans, avaient déjà frôlé de nouveaux sommets au cours du récent afflux de réfugiés. Les événements du 13 novembre en rajoutent une fameuse louche. Si en plus les autorités envoient des signaux qui renforcent les réactions viscérales, comme passer au crible tous les imams ou contrôler l’enseignement à domicile de musulmans, alors on va perdre toute modération.

Et comme après Charlie Hebdo, la violence ne restera pas seulement verbale. On peut s’attendre à une violence physique accrue contre les symboles de l’islam et les musulmans. La population musulmane sera visée plus que jamais et devra s’endurcir encore pour s’affirmer. Le courant intégriste utilisera habilement ce contexte pour renforcer son influence et son impact, ce qui en retour favorisera la radicalisation et accroîtra encore l’islamophobie. Et la boucle sera bouclée.

 

Il y a un second cercle vicieux (en vue). Les attentats terroristes sont un don du ciel pour l’extrême-droite. La droite prospère au mieux dans un climat d’angoisse et de terreur. Un renforcement de la droite signifie le détricotage de l’État-providence allant de pair avec l’établissement d’un état policier – le second point étant une condition du premier. Aussi les récents attentats et l’appel à plus de mesures de sécurité profitent-ils beaucoup à l’actuel gouvernement de droite. Mais un dépérissement aggravé de l’État-providence touchera surtout les plus faibles de notre société et donc aussi les musulmans. Cela veut dire que leurs conditions de vie non seulement existentielles mais aussi matérielles seront encore davantage mises sous pression. L  a perspective d’une vie décente pour les jeunes musulmans sera encore plus réduite qu’auparavant, ce qui va enrichir le terreau de la radicalisation. Ici aussi, la boucle est bouclée.

 

Il y a une deuxième raison pour laquelle les attentats de Paris sont un cadeau du ciel à la droite : ils attisent le racisme. Le racisme détourne l’attention de la lutte socio-économique. L’ennemi, ce n’est plus le 1 % de richards qui accumulent des fortunes sur le dos de la population laborieuse, non, l’ennemi, ce sont les gens qui ont une couleur de peau, une culture ou une foi différente. Le racisme monte des segments de population les uns contre les autres et divise la population active. On tape sur ceux d’en bas plutôt que sur ceux d’en haut. C’est bien commode pour l’élite capitaliste. Ainsi elle reste hors d’atteinte et voit s’affaiblir le mouvement ouvrier.

La stratégie « diviser pour régner » a fait ses preuves. En Allemagne dans les années ’30 la population laborieuse a été enivrée par de fortes doses d’antisémitisme, et une fois qu’elle a été suffisamment étourdie, les syndicats ont été éliminés. Pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui, le piège est de se laisser entraîner par la hargne anti-musulmane. Pour les musulmans, c’est le repli sur soi et le risque de se retrouver isolés. Plus que jamais, l’unité est nécessaire.

3. Une approche anti-terroriste draconienne

Une approche anti-terroriste draconienne est indispensable. Elle doit aller en profondeur, c’est-à-dire atteindre les causes. Et comme les causes sont multiples, cette approche doit également être multiple. Nous en donnons ici quelques ébauches, en différenciant à nouveau le national et l’étranger.

A. Etranger

1*. Le califat et autres groupes djihadistes en Syrie et en Irak doivent immédiatement être asséchés financièrement. La première conséquence est que les pays d’où affluent les fonds destinés aux groupes terroristes seront également mis à sec : Arabie saoudite, Qatar, Koweit … Les sanctions des dix dernières années contre l’Iran indiquent que cela peut fonctionner. En second lieu, les livraisons d’armes à ces pays doivent cesser.

2*. Il faut miser au maximum sur une solution négociée, tant en Syrie qu’en Irak. Cela doit se faire sous les auspices de l’ONU. Des forces de maintien de la paix onusiennes devront superviser l’application et le respect des accords.

3*. L’intervention militaire occidentale doit cesser.

4*. Il faut enfin travailler sérieusement à résoudre la question palestinienne (12). Il faut prendre des sanctions économiques contre Israël jusqu’à ce qu’il ait respecté les résolutions onusiennes du passé.

B. Intérieur

1*. Tous les djihadistes potentiels et leur recruteurs doivent être immédiatement appréhendés. Dans un passé récent, les autorités fédérales ont empêché toute intervention contre certains individus radicalisés voire dangereux. C’est inconcevable.

2*. Les performances des services de renseignement doivent s’améliorer. Il faut parvenir à une meilleure collaboration entre ces différents services nationaux et à un contrôle plus ciblé des malfaiteurs potentiels, tout en garantissant le plus possible la vie privée et les droits de l’homme. Il ne s’agit pas d’un simple exercice d’équilibre : ce doit faire l’objet d’un débat sociétal approfondi.

3*. Tous les acteurs concernés doivent participer à la prévention de la radicalisation des jeunes : famille, maisons des jeunes, éducateurs de rue, enseignants et mosquées.

4*. Il faut créer des programmes de dé-radicalisation et de réintégration des personnes radicalisées. Actuellement, dans le cas de combattants revenus de Syrie, ces personnes sont soit internées (sans accompagnement psycho-social), ce qui augmente encore le risque de radicalisation, soit elles sont abandonnées à leur sort. . Un exemple de cette approche est le centre bruxellois « De Weg naar ».

5*. Le financement du wahabisme et d’autres courants religieux extrémistes doit être empêché par la contrainte. Inversement, il faut soutenir les projets innovateurs de musulmans jeunes ou moins jeunes qui étudient l’islam avec un esprit ouvert.

6*. Il faut une reconnaissance à part entière de l’islam, y compris par des moyens financiers suffisants. Une telle reconnaissance permettra aussi d’établir des normes qui devront être respectées.

7*. Il faut mettre en place une gestion de l’intégration qui soit sérieuse et digne de ce nom, ainsi qu’une gestion cohérente de la lutte contre la discrimination.

8*. Il faut établir un Plan Marshall pour éliminer l’exclusion sociale et la pauvreté. Cela implique notamment la création d’emplois, des investissements sérieux dans le logement social, la réduction de la fracture dans l’enseignement … Pour un pays aussi riche que la Belgique, réduire la norme de pauvreté ou du chômage à moins de 3 % (13) ne peut constituer un problème.

Voilà les premières ébauches visant à aborder les causes du problème. L’actuelle approche de style robocop des gouvernements belge et français ne fait que combattre les symptômes. A nous de contribuer à obtenir une approche plus approfondie.

Notes :
1. Le terme “radicalisation” est devenu usuel mais c’est une dénomination erronée. Etre radical signifie littéralement revenir aux racines et se comporter en conséquence. Pas de problème en soi. Ainsi “radical” est un terme qu’affectionne la responsable NVA Homans pour se définir. La NVA est un parti populiste de droite. “Radical n’est pas synonyme d’asocial” https://www.n-va.be/nieuws/radicaal... ; ou encore : https://www.n-va.be/persbericht/vla.... Le terme “fanatisme” convient mieux. Il connote davantage la foi aveugle et irrationnelle ainsi que l’intolérance à ceux qui pensent autrement. Mais le verbe “fanatiser” est moins utilisé que radicaliser.
2. cf Ali T., The Clash of Fundamentalisms. Crusades, Jihads and Modernity, Londres 2003, p. 323ss ; Bokhari K. & Senzai F., Political Islam in the Age of Democratization, New York 2013, p. 90ss ; Rashid A., Jihad. De opkomst van het moslimfundamentalisme in Centraal-Azië, Amsterdam 2002, p. 228ss.
3. . Bensaada A., Arabesque$. Enquête sur le rôle des États-Unis dans les révoltes arabes, Bruxelles 2015, p. 148ss ; ‘U.S. secretly backed Syrian opposition groups, cables released by WikiLeaks show’, https://www.washingtonpost.com/worl....
4. C’est ce qu’a révélé l’ex-Ministre des Afaires étrangères Roland Dumas. https://www.youtube.com/watch?v=HI2..., à partir de 27’35”.
5. Cela ressort notamment d’une interview d’Al Jazeera avec Michael Flynn, ancien directeur de l’U.S. Defense Intelligence Agency (DIA), http://www.aljazeera.com/programmes.... Voir également : http://www.dewereldmorgen.be/artike....
6. Joe Biden, vice-président des Etats-Unis déclarait à ce sujet : “Our allies in the region were our largest problem in Syria. The Turks were great friends, and I have a great relationship with Erdogan, [who] I just spent a lot of time with, [and] the Saudis, the Emirates, etcetera. What were they doing ? They were so determined to take down Assad, and essentially have a proxy Sunni-Shia war, what did they do ? They poured hundreds of millions of dollars and tens of tons of weapons into anyone who would fight against Assad – except that the people who were being supplied, [they] were al-Nusra, and al-Qaeda, and the extremist elements of jihadis who were coming from other parts of the world.” https://www.washingtonpost.com/news.... Voir aussi http://www.dewereldmorgen.be/artike....
7. Dans un memo on peut lire ce qui suit : “If the situation unravels there is the possibility of establishing a declared or undeclared Salafist principality in eastern Syria (Hadaka and Der Zor), and this is exactly what the supporting powers to the opposition want, in order to isolate the Syrian regime, which is considered the strategic depth of the Shia expansion (Iraq and Iran). … Isi could also declare an Islamic state through its union with other terrorist organizations in Iraq and Syria, which will create grave danger in regards to unifying Iraq and the protection of its territory.” http://www.judicialwatch.org/docume....
8. 60 % des détenus français sont musulmans alors que ce groupe ne constitue que 7% de la société. http://www.economist.com/news/brief....
9. 74 % des Français estiment ‘l’islam non conciliable’ avec la société française. Un même pourcentage d’Allemands a une attitude négative à l’égard de l’islam. Et 62% des Britanniques pensent que leur pays perdra son identité si davantage de musulmans y viennent. http://www.loonwatch.com/2013/01/eu... ; http://www.economist.com/news/brief....
10. Intégrisme signifie extrémisme religieux. La notion était initialement utilisée pour les courants réactionnaires au sein du catholicisme. Elle existe dans pratiquement toutes les religions.
11. En cas d’invasion par des troupes au sol on risque une confrontation directe entre l’Occident et ses alliés d’un côté, et la Russie, la Syrie et l’Iran de l’autre. Sans parler du Hezbollah et des rebelles kurdes. Une invasion commune des deux camps paraît exclue parce que les objectifs des différents acteurs divergent et sont parfois directement opposés. Les Etats du Golfe veulent d’une part éliminer Assad et affaiblir l’Iran et d’autre part renforcer al-Nusra et al-Qaeda. La Turquie le souhaite également, mais en plus elle veut en finir avec les rebelles kurdes en Syrie. L’Occident vise avant tout Assad et souhaite ne pas trop renforcer les milices islamistes. La Russie veut éradiquer tous les djihadistes et maintenir un régime pro-russe en Syrie. L’Iran et le Hezbollah veulent renforcer Assad et éliminer les djihadistes (sunnites).
12. Tant lors de l’attentat du 11 septembre qu’à Charlie Hebdo il est apparu que la question palestinienne est un motif important de radicalisation. Voir par exemple : ‘The way for Americans to take on the Islamic state is to end support for Jewish nationalism, http://mondoweiss.net/2015/11/ameri....
13. Cfr. Le critère de Maastricht relatif au déficit public.
Traduction du néerlandais : Anne Meert pour Investig’Action.

Lire aussi : Le wahhabisme est-il musulman ? / Une profession de foi contre le wahhabisme, ce «cancer de l'islam»

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Terrorisme : Michel Collon, journaliste belge, accuse et lance un appel (2015)

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Attentats suicides : ce que ces études anthropologiques en cours révèlent des mécanismes qui conduisent au sacrifice ultime
Par Béatrice Madiot, le 23 mars 2016 - Atlantico

Béatrice Madiot est psychosociologue, maître de conférences en psychologie sociale et membre du laboratoire CrcPo de l'UPJV, responsable du parcours M1-M2 Psychologie de l'insertion et de l'intervention sociales.

De nouvelles recherches dans le domaine de l'anthropologie démontrent que leur croyance religieuse n'est pas le premier moteur qui pousse les terroristes à sacrifier leur vie. De manière plus générale, les notions théoriques telles que la liberté, la démocratie, l'islam ou la royauté ne constituent pas à elles seules une motivation suffisante pour rentrer dans une logique sacrificielle. Dès lors, selon les travaux de l’Université du Texas, la déradicalisation d’individus relève presque de la mission impossible.

Atlantico : Si la religion n'est pas la cause première qui motive les terroristes à sacrifier leur vie, est-ce plutôt, comme le suggère de nouvelles et nombreuses études d'anthropologiques (voir ici), la pression du groupe ?

Béatrice Madiot : Les notions de groupes et de cause idéologique sont indissociables. D'une part, un groupe ne peut se former qu'autour d'une cause commune.
D'autre part, un individu n'ira que jusqu'à la logique sacrificielle que si il est soutenu et encadré par un groupe, alors que l'inverse n'est pas vrai, ou en tout cas extrêmement rare. Une personne sans soutien social et sans conviction, n'ira pas commettre un attentat suicide.

Néanmoins, il est intéressante de souligner qu'il existe différentes sortes de groupes. Les terroristes actuels font a priori partie de la catégorie de groupe qui s'apparentent en psychologie sociale à des "des groupes orthodoxes", c'est-à-dire des groupes qui établissent des règles de comportements acceptées par l'individu voire, dans les cas les plus poussés, les souhaitent.

C'est par exemple le cas des communautés d'Inuits qui vivent dans l'Arctique, où les conditions de vie sont très dures. La règle établie est que les anciens, quand il deviennent une charge pour la communauté, doivent abandonner le groupe et se laisser mourir seul, pour ne pas peser sur la communauté.

Suite à ce préambule, il est intéressant de rappeler la typologie établit par Durkheim sur les différentes formes de suicide. Il distingue le suicide "altruiste", "égoïste", "fataliste" et "anomique".

Le premier concerne des individus trop intégrés et qui ne supportent pas de faillir aux règles de leur groupe : les militaires de carrière, par exemple, se suicident plus que les civils. Les Inuits entrent dans la catégorie du suicide "altruiste", tout comme les terroristes de l'Etat Islamique.

Le suicide égoïste (que l'on appellerait plutôt aujourd'hui "individualiste") provient, lui, directement d'un défaut d'intégration, d'une perte de repères, d'un isolement (veufs, célibataires). Le suicide anomique (anomie = absence de normes), quant à lui, met en évidence certains dérèglements des sociétés modernes qui conduisent les individus à trop espérer et à ne plus être capables de contenir leurs désirs (comme par exemple certains industriels qui se sont enrichis trop vite...). Quant au suicide fataliste, il intervient quand les règles sociales réduisent les marges de manoeuvre des individus.

Au regard de ces analyses, il apparait bien que, comme le suggère les recherches des psychosociologues, la pression du groupe est un facteur déterminant dans la logique sacrificielle des terroristes d'aujourd'hui, même si bien sûr de multiples autres facteurs rentrent en jeux (la personnalité, le milieu social, l'entourage familial, etc).

Ces recherches expliquent aussi pourquoi les djihadistes peuvent venir de tous les milieux sociaux et de toutes les éducations religieuses : ce n'est pas l'islam en soi qui les attirent, c'est l'appartenance à un groupe.

De nouvelles recherches dans le domaine de l'anthropologie démontrent que leur croyance religieuse n'est pas le premier moteur qui pousse les terroristes à sacrifier leur vie. De manière plus générale, les notions théoriques telles que la liberté, la démocratie, l'islam ou la royauté ne constituent pas à elles seules une motivation suffisante pour rentrer dans une logique sacrificielle. Dès lors, selon les travaux de l’Université du Texas, la déradicalisation d’individus relève presque de la mission impossible.

Si la pression du groupe est essentielle dans l'accomplissement d'attentats suicides (au moins autant que la cause religieuse) qu'est-ce que cela implique en termes de "déradicalisation" des terroristes tombés entre les mains de la juste ?

Cela implique que, en terme de réhabilitation d'individus radicalisés, il faut raisonner en terme de groupe plutôt qu'en terme d'individu.

En effet, ce sont des organisations extrêmement fusionnelles, dans le sens ou elles sont composées d'individus qui veulent se ressembler jusqu'à pouvoir se confondre avec l'autre, être interchangeables en quelque sorte.
Donc si on veut déradicaliser un individu appartenant à un groupe terroriste, l'extraire du groupe peut en revenir pour lui à trahir son groupe, car en quelque sorte il se trahit lui-même, ce qui est trop violent pour être supporté.

Il faudrait dans l'idéal transférer un groupe d'individus prisonniers d'un système dans un autre système très structurant. Mais c'est malheureusement un processus très compliqué à mettre en place, d'où le débat insoluble qui concerne les prisons détenant des terroristes. Si on les laissent en groupe, ils ne vont pas se déradicaliser, car leur logique de groupe sera plus forte que jamais. Mais si on les isole sans rien leur proposer comme structure derrière, ils peuvent faire du prosélytisme, afin de reconstruire les repères communautaires qu'ils connaissent. Car, rappelons-le, un être humain est fait pour vivre en groupe. Sinon, il dépérit.

En terme de prévention, on raisonne déjà mieux en terme de groupe, car on essaye de repérer les liens entre les différents individus. Mais c'est très difficile, car ils font tout pour les cacher.

Les différentes recherches des psychosociologues démontrent que chaque être humain a potentiellement une dimension sacrificielle que l'intégration d'un groupe peut révéler. Êtes-vous d'accord avec cette hypothèse ?

Oui, tout à fait.

En fonction du contexte, la plupart d'entre nous pourrait devenir un terroriste ayant pour but ultime de commettre un attentat suicide.

C'est ce qu'a démontré l'expérience de Stanley Milgram, qui prouve que le comportement d'un individu peut changer presque de 0 à 100% en fonction du contexte dans lequel l'individu évolue.

Au début des années 1960, Stanley Milgram, chercheur à Yale, demande à des individus sélectionnés par petite annonce d'infliger des chocs électriques d'intensité croissante à d'autres individus (qui, eux, sont en réalité des acteurs, et ne reçoivent en fait pas de chocs) s'ils échouent à retenir des mots. Le tout sous la supervision d'un scientifique, et en leur faisant croire qu'ils participent à une étude sur l'influence de la punition sur l'apprentissage. Dans la variante la plus connue de l'expérience, 65% des individus allèrent jusqu'à la tension maximale, et potentiellement mortelle, de 450 V. L'expérience est devenue emblématique, résume la British Psychological Society, de la façon dont "des gens ordinaires peuvent causer une souffrance extraordinaire aux autres quand on le leur demande".


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