lundi 21 mars 2011

Gudō Wafu Nishijima


Très jeune, il découvre dans la pratique de l'athlétisme son premier aperçu de l'importance de l'équilibre intérieur. À 16 ans, il découvre le Shōbōgenzō de Dōgen, et s'étonne de ne pouvoir comprendre un livre pourtant écrit en japonais. En octobre 1940, à l'âge de 21 ans, il participe à une première retraite au temple de Daichūji sous la direction du maître zen Kodo Sawaki (1888-1965), dont il suivra les enseignements jusqu'à la mort de ce dernier.


Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Nishijima sort diplômé de l'école de droit de l'Université de Tokyo et entreprend une carrière dans les finances. Maître Sawaki décédé, il décide, suivant la tradition zen, de se trouver un maître d'apprentissage qui lui confèrerait l'ordination. Il choisit donc un de ses aînés, condisciple de son lycée de Shizuoka 14 ans auparavant, Zuigaku Renpō Niwa Zenji qui sera par la suite le supérieur général de l'école Sōtō et le soixante-dix septième abbé du monastère d'Eihei-ji. Quatre ans plus tard, Niwa lui transmit le shiho, le reconnaissant ainsi formellement comme un de ses successeurs. Nishijima poursuivit sa carrière professionnelle jusqu'en 1979.


Au cours des années 1960, Nishijima commença à donner régulièrement des conférences publiques sur le bouddhisme et la méditation zen. A partir des années 1980, il a donné des conférences en anglais et s'est ainsi attaché un certain nombre d'étudiants étrangers, dont l'américain Brad Warner. Une partie de ses étudiants se regroupent dans le Dogen Sangha. Notons aussi l'enseignant et auteur français Eric Rommeluère à qui Nishijima a voulu transmettre le shiho en 2001, considérant, sur la base de leurs échanges à propos du Shōbōgenzō, qu'il était un digne successeur de son Dharma.
À sa retraite, il reprend du service en rétablissant une entreprise de cosmétiques, Ida Ryōgokudō, qui pour le remercier, lui fournit un immeuble où établir un dojo, à Ichikawa, banlieue de Tōkyō. C'est de là que, pendant plusieurs années jusqu'à la fermeture du dojo en 2005, il poursuivra la diffusion de son enseignement, qui repose sur deux aspects essentiels: l'interprétation du Shōbōgenzō, et l'équilibre du système nerveux autonome, induit par la pratique de zazen.
Nishijima est l'auteur de plusieurs livres en japonais et en anglais. Son grand œuvre reste cependant sa traduction en 13 volumes, en japonais moderne du Kana Shōbōgenzō en 95 fascicules de maître Dōgen, avec ses commentaires. Sur la base de cette dernière, et en collaboration avec son élève anglais Mike Cross, il a également publié en anglais une version souvent considérée comme la plus exacte et fidèle qui soit de cet ouvrage. Depuis décembre 2005, il travaillait à une traduction anglaise de Versets fondamentaux de la Voie du Milieu de Nāgārjuna (Mūlamadhyamakakārikā).
Source du texte : wikipedia


Bibliographie (en français) :
- Face au vrai dragon, avec Jeffrey Bailey, traduction de Michel Proulx. Ed. Nanabhozo, 2006.
En ligne sur le site Dogensangha (format .doc) : 
- Cours 1 / 2 / 3 / 4
- Comprendre le Shobogenzo (de Dogen)
- Bouddhisme et action
- Bouddhisme japonais et restauration du Meiji



4. Contradictions à l’intérieur d’une phrase.
Dans Sansui Gyo, nous trouvons la phrase suivante :
“Un bouddha éternel a dit, ‘Les montagnes sont des montagnes. Les rivières sont des rivières.’ Ces mots ne signifient pas que les montagnes soient des ‘montagnes’; elle signifient que les montagnes sont des montagnes”.
Prise telle quelle, la phrase n’a aucun sens. Les montagnes ne sont pas des montagnes; elles sont des montagnes! La forme de la phrase semble contredire les règles de la logique. C’est là une affirmation inacceptable, selon les règles normales du raisonnement. Cependant, on peut trouver de nombreuses phrases similaires dans le Shôbôgenzô. Comment devons-nous les comprendre ? (...)

Comment alors expliquons-nous ces contradictions dans les enseignements de maître  Dôgen? En philosophie, nous ne pouvons aisément accepter quoi que ce soit sans explication. 
Après avoir lu à plusieurs reprises le Shôbôgenzô, J’ai commencé à me dire que maître Dôgen voyait les choses d’un point de vue différent de notre point de vue intellectuel accepté. De notre point de vue intellectuel habituel, on ne peut jamais admettre les contradictions logiques. Mais maître Dôgen semble en avoir deux : le point de vue normal, intellectuel, du philosophe, et un autre; celui qui observe les problèmes à partir de l’extérieur de l’aire intellectuelle. Là, savoir si la pensée philosophique devrait admettre l’existence d’un espace autre que l’aire intellectuelle en tant que point de départ d’un débat est peut-être le noeud du problème entre la philosophie bouddhique et le Shôbôgenzô.

Après avoir lu le Shôbôgenzô à de très nombreuses reprises, j’ai commencé à voir que, par son usage des contradictions, maître Dôgen indiquait un espace qui se trouvait en dehors de l’aire du débat intellectuel; il montrait l’existence en dehors de l’aire rationnelle et intellectuelle. Lorsque j’étais jeune, il m’était difficile de croire en un monde différent autant de celui de mes pensées et de celui de mes perceptions. Maître Dôgen parle du monde idéal de la théorie et du monde de la matière tel que nous le percevons. Mais il use de ces deux points de vue pour indiquer ou décrire le vrai monde, la réalité dans laquelle nous existons. Et après avoir lu le Shôbôgenzô, j’ai moi aussi commencé à voir que le monde dans lequel j’existe n’est ni le monde des idées ni celui des objets et des perceptions, mais quelque chose qui est différent des deux.

Ceci s’est révélé une surprise pour moi. depuis le début de ma vie, je vivais dans la réalité, mais je ne m’étais pas clairement rendu compte de ce fait, auparavant. Et je crois que ce fait assez simple est très important pour comprendre ce qu’enseigne le bouddhisme. On dit que lorsque le Bouddha Gautama était en train de pratiquer zazen, un matin, il a ressenti que les montagnes, les rivières, l’herbe et les arbres sont tous des bouddhas. C’est ce qu’on appelle en général l’éveil du Bouddha. Nous tendons à croire qu’après des années d’effort intense, son état a dû changer. Mais d’après mon expérience personnelle; j’ai commencé à voir qu’en fait, l’histoire de l’éveil du Bouddha Gautama ne signifie pas qu’il soit entré dans quelqu’état spécial, mais simplement qu’il a vu clairement pour la première fois la réalité de ce qu’il était en train de vivre.




Avec cette expérience, j’ai commencé à interpréter le Shôbôgenzô comme un livre qui décrit ou indique cette réalité. J’ai trouvé que si l’on prend le Shôbôgenzô comme un manuel pour la réalité, il devient totalement sensé, contradictions inclues. Si nous le prenons comme description d’un système intellectuel, nous ne pourrons jamais le comprendre. On peut dire que l’objet des écrits de maître Dôgen était une description de la réalité. mais on ne peut enfermer la réalité dans les mots. (...)

Quand j’ai eu lu le Shôbôgenzô et que je me suis familiarisé avec la pensée de maître Dôgen, j’ai trouvé une nouvelle interprétation des quatre nobles vérités. C’en est une qui nous permet de combiner notre explication intellectuelle et la réalité. J’ai découvert la méthode inégalée dont use maître Dôgen pour connecter la pensée philosophique et la réalité. J’ai appelé cette méthode la théorie des trois philosophies (idéalisme ou subjectivisme, matérialisme ou objectivisme, mélange des deux) et de la réalité unique. (...)


La philosophie de l’action
Je pense que la troisième phrase du GENJOKOAN est la définition par maître Dôgen d’une philosophie de la réalité. L’histoire de maître Choka Dorin citée précédemment nous rappelle que nous ne saisissons pas d’habitude la différence entre la capacité intellectuelles et l’action elle-même. Mais je pense que cette différence est cruciale : le Bouddha Gautama lui-même avait remarqué la nette différence entre ce que nous pensons qu’est la réalité et ce qu’une action est réellement. La philosophie bouddhiste est basée sur cette différence. Elle expose cette différence et, comme telle, est une philosophie complètement nouvelle. Je l’appelle la philosophie de l’action.

Au niveau de la vie quotidienne, nous voyons clairement que penser  à manger est complètement différent de l’expérience réelle de manger. Et le goût de la nourriture est séparé et différent de l’action de manger. Ceci est trés clair, mais nous manquons souvent à reconnaître des faits aussi simples. Ceci est d’une importance fondamentale pour comprendre clairement la philosophie bouddhiste.

Ainsi, l’action diffère de la pensée. Agir est différent de percevoir avec les sens. L’action n’existe pas sans la négation de la pensée. L’action n’existe pas sans la négation de la perception sensorielle — parce que l’action est en dehors de la sphère des pensées et des perceptions. En même temps, il n’est pas possible de construire une philosophie qui n’ait pas une base intellectuelle. Ainsi la philosophie de l’action est-elle de par sa propre nature une anomalie. Elle est basée sur la dénégation de l’intellect et de la perception sensorielle, mais elle repose sur les deux. C’est une véritable dialectique. C’est aussi une véritable contradiction. C’est la contradiction entre l’intellect et la réalité. Dans le domaine de l’intellect, on ne devrait jamais accepter des incohérences logiques, et on ne devrait jamais accepter l’opinion de certains selon laquelle la théorie bouddhiste est au delà de la logique. Aussi loin que l’explication intellectuelle puisse aller, on devrait maintenir des règles logiques strictes pour développer n’importe quelle structure théorique. Mais la philosophie de l’action pointe sur une chose qui est au-delà d’une image intellectuelle. C’est pourquoi il est si difficile de lui faire une place dans le système philosophique occidental. Mais son heure est venue : pour aller au delà des limites intellectuelles des philosophies existantes de notre civilisation, nous avons besoin d’une troisième philosophie.


La réalité
Ayant délimité les bases de notre nouveau point de vue philosophique, nous avons tendance à oublier que cette nouvelle philosophie n’est encore que ça. La philosophie de l’action ne peut jamais saisir l’ineffable nature de la réalité elle-même —  elle peut seulement montrer le chemin. Et la réalité que nous expérimentons tous est complètement différente de toutes les philosophies que nous pouvons élaborer. Il est impossible de la décrire totalement avec des mots. C’est pour ça que tant d’écrivains tentent de saisir la réalité avec des expressions symboliques et de la poésie.

Maître Dôgen dit dans la dernière phrase de ce paragraphe du Genjo Kôan, “Et même si tout ceci est vrai, les fleurs tombent bien que nous les aimions, et les mauvaises herbes poussent bien que nous les haïssions, et c’est tout.” Dans cette phrase, il tente d’exprimer l’ineffable nature de la réalité. 

L’usage d’expressions symboliques pour saisir la nature-même de la réalité est une étape que nous ne retrouvons pas de la même façon dans la pensée philosophique occidentale. C’est une étape au-delà de l’argumentation en trois phases, thèse, antithèse et synthèse. C’est une étape au-delà de la philosophie elle-même. Les explications de la réalité ne peuvent jamais être la réalité. C’est pourquoi j’appelle mon système philosophique en quatre parties : “trois philosophies et une réalité”. (...)



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