samedi 19 novembre 2016

Election de Trump, analyses et hypothèses.

MAJ de la page : Donald Trump





Élection de Trump, entretien avec Olivier Berruyer (Cercle des Volontaires, novembre 2016)
Co-auteur de : L'Euro est-il mort ? Ed. Le Rocher, 2016
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Etats-Unis : pourquoi Donald Trump mise tout sur la finance dérégulée
Par Romaric Godin, le 14 novembre 2016 - La Tribune


Donald Trump veut déréguler la finance. Une façon utile de faire de la croissance, mais un jeu dangereux.

En faisant de la dérégulation financière et de son complément les baisses d'impôts sa priorité, le nouveau président des Etats-Unis veut doper rapidement la croissance. Mais c'est un jeu risqué qui pourrait préparer la prochaine crise en oubliant de régler les questions essentielles des inégalités sociales et territoriales et de la baisse de la productivité.

Le président élu des Etats-Unis, Donald Trump, a donc désormais une priorité : la dérégulation bancaire. C'est du moins ce qu'il a affirmé vendredi 11 novembre dans un entretien au Wall Street Journal en évoquant des modifications substantielles à la loi Dodd-Frank, cette loi qui a établi des régulations en 2010 au secteur financier pour tirer les leçons de la crise de 2007-2008. Les valeurs bancaires ne s'y sont pas trompées et ont fortement progressé en Bourse depuis l'élection du milliardaire à la Maison Blanche le 8 novembre dernier.

Se réconcilier avec le parti Républicain

Il peut sembler pour le moins paradoxal que celui qui avait fustigé durant la campagne les liens entre Hillary Clinton et Wall Street devienne, à peine élu, le champion de la finance. Mais, en réalité, Donald Trump ne s'est jamais caché de vouloir en finir avec la régulation financière. En réalité, il n'a guère le choix. Elu du parti républicain, mais choisi de facto contre le parti républicain et sur un programme qui tranchait avec la majorité de ce parti, il va devoir construire dans les premiers mois de son mandat l'unité de ce parti afin de pouvoir compter sur la majorité du Congrès. Or, un des points essentiels de la paix avec le pouvoir législatif sera la question budgétaire. Si Donald Trump a pu, pour convaincre les populations fragilisées de la Rust Belt, tenir un message keynésien de relance, ce message ne reflète nullement le rapport de force au sein du parti républicain.

Un plan de relance très incertain

Donald Trump aura clairement du mal à financer par le déficit des dépenses publiques supplémentaires. Les seuls dérapages budgétaires que les Républicains accepteront seront ceux finançant les baisses d'impôts. Ce seront donc ces baisses d'impôts qui auront la priorité et, partant, les dépenses publiques seront nécessairement serrées. Le plan de relance des infrastructures de 1.000 milliards de dollars devra donc attendre. Le programme de Donald Trump ne s'en est jamais caché : ce programme doit être financé par les recettes supplémentaires récoltées par l'accélération des forages pétroliers et par la réduction fiscale accordée aux entreprises qui rapatrient leurs bénéfices aux Etats-Unis. Tout ceci incite à la prudence sur la réalité d'un tel plan qui, de surcroît, à l'image du fantomatique plan Juncker en Europe, doit s'appuyer sur l'investissement privé. Le plan de relance à la Trump promet donc d'être lent et pas forcément utile : dans ce type de plan, les investissements se concentrent sur les projets les plus rentables qui auraient pu être financées par l'argent privé.

Tout miser sur la croissance

L'impact sur la croissance de ce plan s'annonce donc faible, du moins en début de mandat. Or, Donald Trump a besoin de croissance pour remplir les caisses de l'Etat et asseoir son pouvoir sur le Congrès et dans l'opinion. Son modèle de ce point de vue doit être George Bush Junior, lui aussi élu en 2000 malgré une majorité relative de voix face à Al Gore, mais qui a gagné (dans le contexte très particulier néanmoins de l'après-11 septembre) une large popularité par la suite. Or, pour créer rapidement de la croissance, la formule utilisée pourrait être la même que dans les années 2000 : déréguler la finance. Donald Trump explique qu'en amendant la loi Dodd-Frank, il favorisera le crédit, notamment envers les plus fragiles. C'est exactement la logique qui a conduit à la crise des subprimes. Le crédit a été utilisé comme levier de croissance de substitution au creusement des inégalités.

Revenir à l'avant-crise

En baissant les impôts et en dérégulant la finance, Donald Trump espère revenir à l'avant-crise en termes de croissance. Les baisses d'impôts viendront alimenter encore les flux financiers et la spéculations et doper les bénéfices des banques.Son idée serait alors que les recettes issues de cette croissance portée par la finance viennent remplir les caisses de l'Etat fédéral pour financer le plan de relance des infrastructures. La logique est belle sur le papier et on comprend l'engouement des opérateurs boursiers qui rêvent tous d'un retour au printemps 2007, lorsque la bulle financière était à son apogée et qui correspond à leur âge d'or. Mais est-elle réaliste ? Rien n'est moins sûr. L'histoire montre que le développement tiré par le secteur financier ne réduit guère les inégalités, tant sociales que géographiques. Surtout, elle ne conduit guère à des investissements raisonnés, mais souvent au contraire à un sous-investissement dans le domaine productif. L'essor de la dérégulation financière dans les pays développés s'est accompagné d'un ralentissement de l'investissement et de la productivité.

La logique du parti Républicain plutôt que la régulation financière

Or, Donald Trump a aussi fait campagne sur le redressement de l'un et l'autre aux Etats-Unis. Il ne faut pas y compter : lorsque la finance est le moteur de la croissance, on évite tout ce qui peut la freiner, notamment ce qui pourrait favoriser l'investissement dans l'économie réelle. Les rendements financiers vont donc détourner l'épargne de l'investissement, comme avant 2007. Pendant la campagne, Donald Trump avait évoqué le retour du Glas-Steagall Act, cette loi, supprimée par Bill Clinton en 1999, qui interdisait la fusion des activités de banque d'investissement et de banque de détail. La logique était alors précisément de pouvoir diriger l'épargne vers l'économie réelle et non vers les produits spéculatifs. Ce projet semble devoir être enterré. On ne fait pas entrer dans son équipe la fine fleur de la banque d'investissement et on ne se donne pas comme priorité la dérégulation financière pour revenir au Glas-Steagall Act. Il s'agit plutôt de refaire de Wall Street le moteur de la croissance des Etats-Unis plutôt que de jouer sur la nature des flux financiers. Donald Trump choisit la facilité : doper la croissance à la finance dérégulée plutôt que de construire une vraie politique industrielle, sociale et territoriale. Mais cette facilité est aussi le reflet de ce qu'est le parti républicain : un parti qui reste marquée par la révolution conservatrice des années 1980 et qui, plus que jamais, veut réduire le rôle de l'Etat et imposer la logique du marché.

Un protectionnisme possible en comptant sur la finance ?

Dans cette politique économique, la question du protectionnisme se pose immédiatement. La force de la finance étasunienne repose avant tout sur le « recyclage » des excédents des pays gagnants de la mondialisation des échanges. Les Etats-Unis ne vivent plus au temps du monde de Bretton Woods où ils étaient le moteur financier du « monde libre » et où les bénéfices issues de son économie alimentait seule la machine financière. Désormais, pour prospérer, Wall Street, comme la City londonienne, a besoin d'une certaine liberté de circulation des capitaux. Or, cette liberté est l'envers de la liberté de circulation des biens. En misant sur la finance, Donald Trump ne pourra se permettre de vrai retour au protectionnisme. Etablir des droits de douane prohibitifs sur les produits chinois pourrait conduire à des représailles sur les investissements financiers chinois. Le président des Etats-Unis devrait donc se contenter alors de mesures symboliques sur quelques produits trop ouvertement subventionnés par Pékin et, peut-être, sur le gel des projets de traités de libre-échange. Mais tout retour en arrière semble impossible. Avant l'élection, les milieux d'affaires s'inquiétaient de ces tendances protectionnistes, mais la priorité donnée à la finance les rassure : c'est un gage de maintien de l'ouverture de l'économie.

Fuite en avant

Le choix de Donald Trump est donc celui d'une fuite en avant : tout miser sur la finance et les baisses d'impôts pour faire revenir la croissance d'avant-crise. Et pour dissimuler un protectionnisme très modéré, le nouveau président devrait tenter de séduire son électorat avec une politique agressive envers les immigrés illégaux. C'est pourquoi, dans sa première grande interview à CBS, il a évoqué l'expulsion rapide de « deux ou trois millions » d'immigrés illégaux « criminels ». La manœuvre fonctionnera-t-elle ? Difficile à dire, mais le monde de 2016 n'est pas celui de 2006. La croissance mondiale est faible, le secteur financier reste fragile et les attentes des électeurs sont fortes. Ne pas traiter la question centrale des inégalités et du sous-investissement chronique en misant tout sur la finance risque de conduire encore à une crise majeure.

Leçons pour l'Europe

Les premiers choix de Donald Trump sont très significatifs, y compris pour les Européens. Le mouvement anti-mondialisation mené par un courant xénophobe conservateur est souvent incapable de sortir d'une logique de dérégulation et de libéralisation qui, in fine, l'empêche de traiter les inégalités et de mettre en place une véritable stratégie d'investissement public. Autrement dit de mener réellement le changement qu'ils ont promis. Il ne leur reste alors plus pour « tenir leurs engagements » que l'action autoritaire et répressive, notamment sur les populations étrangères. Des actions qui, évidemment, ne règlent aucun problème économique.

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Michael Flynn, l’atout caché de Trump ?
Par Jacques Sapir, le 18 novembre 2016 - RussEurope

Le président élu des Etats-Unis, mais non encore entré en fonction, M. Donald Trump, semble avoir décidé de nommer conseiller à la Sécurité Nationale le Général Michael Flynn[1]. La personne de ce dernier attise les curiosités[2], mais aussi les remarques désobligeantes, d’une partie de la presse française et américaine. Un grand journal du soir le traite ainsi de « revanchard »[3]. Pourtant, Michael Flynn n’est pas le premier venu. Ancien directeur du renseignement militaire (la Defence Intelligence Agency) de 2012 à 2014, il est incontestablement l’un des esprits les plus vifs et les plus remarquables de l’armée américaine. Souvent présenté comme tenté par l’extrême-droite, en raison de ses violentes attaques contre Hillary Clinton, le personnage se révèle beaucoup plus complexe, et inclassable.


Michael Flynn fait partie de cette génération de militaires américains qui a fait ses expériences personnelles et militaires dans la lutte contre le terrorisme et dans un contexte largement dominé par la pensée Néoconservatrice qui domina aux Etats-Unis depuis la fin du mandat de Bill Clinton. Sa famille politique est le parti Démocrate. Cela peut sembler anecdotique, mais il convent de le relever car, à la différence de bien des officiers supérieurs de l’armée américaine, il ne vient pas d’un milieu Républicain.

Flynn est issu du corps des officiers de réserve de l’armée américaine, le ROTC, qui est bien souvent la seule solution pour quelqu’un d’origine modeste de faire des études universitaires. Il a fait une partie de sa carrière dans les forces spéciales, au Joint Special Operations Command, le JSOC, et il fut l’une des chevilles ouvrières de la transformation de ce commandement en l’une des plus efficaces machines de guerre des Etats-Unis. Il a travaillé sous les ordres du Général Stanley McChrystal dont le rôle fut décisif pour faire évoluer l’armée américaine en fonction des nouveaux défis posés par la mouvance terroriste. Michael Flynn s’est donc battu en Afghanistan et en Irak, dans des guerres qui ont été largement impopulaires aux Etats-Unis. Nommé dans le début des années 2000 à la tête de la division renseignement au JSOC, il fut à l’origine des percées en matière de renseignement qui résultèrent dans la mort de Abu Musab Zarqawi le responsable d’Al Qaeda en Irak. Il fut aussi, et cela n’est pas souvent cité, l’homme à qui on confia la tâche de réécrire le manuel d’interrogation des suspects à la suite du scandale des pratiques américaines dans la prison d’Abu Graib. En tant que tel, il a pu mesurer les effets délétères des tortures qui étaient couramment pratiquées dans cette prison. Michael Flynn a aussi participé à la remise en ordre du renseignement américain en Afghanistan, sous la direction de Stanley McChrystal.

Dans ses différentes fonctions, il a acquis la réputation d’un opérateur particulièrement intelligent, et surtout d’une personne qui a compris, bien avant les autres, que le renseignement important n’est pas en priorité celui dit « militaire », sur lequel la DIA et le JSOC avaient tendance à se focaliser, mais un renseignement de nature bien plus politique. Il faut alors se souvenir que le renseignement américain traversait une crise profonde, issue de la politique de George « W » Bush, qui avait décidé de démembrer le renseignement afin de faire prévaloir ses vues sur l’intervention en Irak. Cela avait conduit à des pertes de compétences importantes, tant à la CIA qu’à la DIA. Ces pertes ne sont pas étrangères aux problèmes rencontrés par les Etats-Unis en Irak en 2004-2005. La nomination de Michael Flynn, avec d’autres, fait partie de la reconstruction du renseignement à laquelle les Etats-Unis sont alors contraints. Colin Powell s’est élevé contre le soutien que Flynn a apporté, à partir de 2015, à Donald Trump. Mais il convient de rappeler que Colin Powell a une lourde responsabilité dans la politique menée par George « W » Bush, et dans sa politisation outrancière du renseignement.

Il est clair que ses supérieurs ont fait un bon choix avec Michael Flynn. L’amiral Mike Roger, qui était en 2014 le directeur de la NSA, l’a appelé le meilleur officier de renseignement de ces vingt dernières années. Derrière l’hyperbole, il y a incontestablement une réalité. D’ailleurs, il est rarissime qu’un officier issu des ROTC arrive au niveau hiérarchique atteint par Michael Flynn. Cela signe une compétence exceptionnelle. Et l’image que l’on peut avoir de Michael Flynn est effectivement celle d’un officier exceptionnellement doué. Mais, quand Stanley McChrystal, son chef, fut forcé de démissionner pour des raisons d’incompatibilité politique avec Barack Obama, cela laissa un goût amer à Michael Flynn. Cela fut très certainement le début d’un conflit qui devait le conduire à s’opposer non seulement au Président Obama mais encore à choisir de s’engager contre Hillary Clinton en soutenant Donald Trump.

Il faut ici souligner qu’il a publiquement accusé Hillary Clinton non seulement d’irresponsabilité dans la gestion de ses communications, mais encore d’avoir, par négligence ou à dessein, mis en danger la vie de l’ambassadeur américain en Libye lors du drame de Benghazi.

Michael Flynn fut nommé à la tête de la DIA en 2012, au début du second mandat du Président Obama, et ce alors que les Etats-Unis avaient fini par localiser et neutraliser Ben Laden. Obama escomptait alors que Flynn reprendrait à son compte le discours officiel de l’administration selon lequel la phase la plus aigüe du danger était passée. Mais, il n’en fut rien. A partir des informations en sa possession, Michael Flynn n’eut de cesse de tenter de mettre en garde l’administration Obama contre sa tendance de minorer le danger terroriste. Les conflits que cela provoqua, et qui allèrent grandissant, mais aussi le « style » de commandement de Michael Flynn, très influencé par son passé dans les forces spéciales et les conflits que cela provoqua au sein de la DIA, aboutirent à son départ en 2014. Dans une administration décidée à considérer – à tort ou à raison – la question du terrorisme comme réglée, la position de Flynn devenait insupportable. Le fait, aussi, que Flynn ne s’est jamais embarrassé avec les syllogismes du « politiquement correct », qu’il ait toujours appelé un chat un chat, n’ont pu qu’élargir le fossé entre les « politiques » de l’administration et les opérationnels.

L’amertume renouvelée que Flynn a pu concevoir à la suite de ces événements, mais aussi le fait que dans ses précédentes fonctions il avait pu mesurer, d’après lui, le comportement irresponsable d’Hillary Clinton à son poste de Secrétaire d’Etat, expliquent le basculement vers les républicains, et son soutien, dès l’automne 2015, à Donald Trump.

La relation que Flynn entretient avec l’idéologie néoconservatrice a certainement évolué au cours de sa carrière. De son origine politique, on peut penser qu’il y a un reste d’exceptionnalisme américain dans ses perceptions. Mais il est aussi clair qu’il y a eu une conversion au « réalisme » politique, conversion qui le pousse à vouloir faire de la Russie un allié, même conjoncturel, dans la lutte contre le terrorisme. Flynn a aussi construit une véritable pensée quant à la nature du terrorisme, et il fait le lien entre des situations conjoncturelles – comme celles qui peuvent exister en Libye, en Syrie et en Irak – et une idéologie structurée. Cette idéologie, à laquelle il fut confronté en Irak et en Afghanistan, lui semble structurer l’ensemble de la nébuleuse terroriste, dont il perçoit à travers le monde l’extension, en dépit de défaites locales. Le risque, ici, est de sombrer dans une eschatologie de la guerre. Il faut espérer que la dimension « réaliste » de sa pensée l’emporte. Très clairement, sa nomination comme conseiller à la Sécurité Nationale sera ressentie par une partie de l’armée comme de nature à venger ce qu’elle ressent comme les affronts dans le limogeage de certains généraux, Petraeus et McChrystal en particulier. Elle devrait aussi être interprétée comme une revanche contre les REMF[4] de Washington.

La probable nomination de Michael Flynn en fera l’un des pivots, du moins dans les relations internationales, de l’administration Trump. Son « réalisme », s’il se confirme, sera un changement bienvenu par rapport à la dimension très doctrinaire actuelle de la politique étrangère américaine.


Notes
[1] http://www.lefigaro.fr/international/2016/11/18/01003-20161118ARTFIG00021-trump-choisi-le-general-flynn-comme-conseiller-a-la-securite-nationale.php
[2] http://www.lecho.be/economie_politique/international_usa/Flynn_Sessions_Pompeo_l_equipe_autour_de_Trump_s_etoffe.9832560-3159.art?ckc=1&ts=1479483230
[3] http://www.lemonde.fr/international/article/2016/11/18/michael-flynn-un-revanchard-au-conseil-de-securite-national_5033172_3210.html
[4] Rear-Echelon Mother Fucker

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