Premier discours de Trump (9 novembre 2016)
"Nous serons juste, nous serons équitable, avec tous, avec toutes les nations, avec chacun nous chercherons des terrains d'entente, le partenariat plutôt que le conflit"
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Trump président
Par Jacques Sapir, le 9 novembre 2016 - RussEurope
La victoire de Donald Trump a secoué les Etats-Unis et surpris le monde. Elle traduit la montée d’une vague de colère des classes populaires contre ce que l’on appelle les « élites ». Elle signe une réaction historique contre la fracture sociale, mais aussi idéologique et culturelle, aux Etats-Unis qui a vu se développer une politique, mais aussi des médias « hors sol ». Ces mêmes médias qui ont mené une campagne hystérique en faveur d’Hillary Clinton sont aujourd’hui brutalement désavoués. Ils devraient en tirer les leçons ; il n’est pas sûr qu’ils le fassent.
Une victoire, une défaite, un regret
Il y a eu, et c’est évident, des relents racistes dans la campagne menée par Donald Trump, mais les observateurs qui s’y sont attachés et qui n’ont voulu voir que cela ont oublié l’essentiel : cette vague de fond qui montait depuis des mois contre la « finance », contre Wall Street. L’élection de Trump c’est, symboliquement, la victoire de la vie réelle sur la vie virtuelle. Cette élection témoigne aussi, en creux, de ce que le bilan de Barack Obama n’est pas aussi bon que ce que la presse veut bien nous en dire, et que l’économie américaine ne s’est toujours pas relevée de la crise de 2007-2009.
Cette vague, elle aurait pu prendre aussi une autre direction. Bernie Senders, le candidat malheureux de la primaire démocrate, l’incarnait aussi, à sa manière, et certainement de façon plus politique que Donald Trump. C’est la responsabilité historique de « l’establishment » démocrate, des caciques du parti qui n’ont pas hésité à manipuler cette primaire, qui ont outrancièrement avantagé Hillary Clinton, que d’avoir permis la victoire de Donald Trump. Retenons ici la leçon. La gauche peut vaincre quand elle renoue avec le peuple, jamais quand elle se fourvoie avec les financiers et les grands patrons, la caste journalistique et des artistes aussi changeants qu’inconstants. C’est l’un des enseignements de cette campagne et de cette élection, et il valide en partie la stratégie de Jean-Luc Mélenchon.
Mais, cette victoire et d’abord et avant tout la défaite d’Hillary Clinton. Elle est apparue comme la candidate de la finance ; ses liens avec les grandes banques d’affaires de Wall Street – dont Goldman Sachs – étaient notoires. Elle copinait avec les plus riches et les plus connus. Les liens financiers allaient au-delà, et le rôle de la Fondation Clinton restera à élucider, en particulier ses relations avec les dirigeants de certains pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar. Son comportement, ce mélange de négligence et d’arrogance dont elle a fait preuve dans l’affaire de ses courriels (le emailgate) a été rejeté par une majorité d’américains. Ses positions interventionnistes et aventuristes en politique étrangère ont aussi contribué à effrayer aussi une partie de l’opinion.
Les conséquences
L’élection de Donald Trump aura des conséquences importantes, que ce soit aux Etats-Unis mêmes ou dans les relations internationales. Il devra en un sens donner rapidement satisfaction à cette majorité d’américains qui a vu son niveau de vie baisser alors que celui d’une petite minorité explosait. Le vote des états de l’ancienne ceinture industrielle des Etats-Unis, ce que l’on appelle la « ceinture de la rouille » ou rustbelt est à cet égard typique du mouvement qui a porté Trump à la présidence. Il devra aussi reconstruire le parti républicain, dont une partie de l’élite s’est détournée de lui. Le fait que les républicains demeurent majoritaires au Congrès pourrait l’y aider. Mais, sa politique sera tiraillée entre l’aile la plus réactionnaire du parti et sa volonté de satisfaire ses électeurs, en lançant en particulier de grands programmes d’investissements publics. Il devra, symboliquement, réconcilier les américains avec eux-mêmes alors qu’ils sortent divisés de cette campagne qui a été vue par une grande majorité comme calamiteuse.
Mais, c’est bien dans les relations internationales que les conséquences de l’élection de Donald Trump vont progressivement marquer le plus grand changement. Le Président nouvellement élu n’a pas fait mystère de sa volonté d’améliorer les relations des Etats-Unis avec la Russie, de mettre fin à la sur-extension de l’appareil militaire américain, de revenir à une vision plus réaliste des échanges internationaux, loin des dogmes du libre-échange. L’heure ne sera plus aux grands traités internationaux, comme le TAFTA ou le CETA. Le protectionnisme est de retour, et il faudra le penser si l’on veut en tirer tous les avantages et mettre en œuvre ces « démondialisation » raisonnée que j’appelais de mes vœux et qui semble aujourd’hui inévitable. Acceptons-en donc l’augure, tout en comprenant que la politique d’un pays comme les Etats-Unis ne bascule pas en quelques jours ou en quelques semaines.
Mais, il est clair que l’élection de Donald Trump est porteuse d’espoir pour les relations avec la Russie, et que la posture de confrontation adoptée par Washington, que ce soit sur l’Ukraine ou sur la Syrie, ne sera pas maintenue. C’est aussi un point positif de cette élection. Souhaitons que cela soit aussi compris dans les pays européens qui ont – stupidement – décidé de maintenir les sanctions contre la Russie.
Les conséquences pour l’idéologie européiste
Plus généralement, cette élection rebat les cartes aussi pour l’Union européenne. Ce n’est pas par hasard si l’ancien Premier-ministre italien, Enrico Letta, dit qu’il s’agit de l’événement le plus important depuis la chute du mur de Berlin. Les élites européistes ont perdu un soutien décisif dans la présidence américaine[1], et cela se sent tant aux réactions de Juncker et Tusk, qu’à celles d’Angela Merkel ou de François Hollande. A l’inverse, les personnalités politiques qui contestent cet européisme, de Nigel Farage à Beppe Grillon, en passant par Marine le Pen, se réjouissent de cette victoire de Donald Trump.
Bien entendu, on tentera d’entonner le fameux couplet sur l’Europe fédérale, et l’on cherchera à ranimer les feux moribonds d’une intégration européenne. Mais, les divisions entre les Etats de l’UE ne disparaitront pas par enchantement. Les intérêts de ces Etats vont rester ce qu’ils sont, opposés à toute intégration. Il faudra donc bien, un jour où l’autre, en tirer les conséquences et revenir à cette politique des Nations qui n’exclut d’ailleurs pas la coopération et l’amitié entre ces dites Nations. A se refuser à cela, les dirigeants européistes prennent le risque d’aggraver la colère qui, elle aussi, bout dans l’Union européenne. Les dénis de démocratie ont été trop nombreux, trop systématiques. Ces dirigeants sont menacés de connaître, à leur échelle et dans leurs conditions, le sort d’Hillary Clinton.
Il est cependant peu probable qu’ils comprennent que nous avons changé d’époque, certes non du fait de cette élection présidentielle qui n’est qu’un élément de plus dans le changement, mais bien parce que nous vivons aujourd’hui, et depuis plus de dix ans, le grand retour des Nations. Rien n’est plus dramatique que quand des élites, qu’elles soient politiques ou culturelles, se cramponnent à une vision du monde que la réalité a dépassée et démentie. On peut, jusqu’à un certain point, vivre dans une bulle. Mais, à un moment donné, cette bulle éclate et il faut payer au prix fort ce monde d’illusions que l’on a construit.
[1] http://www.lastampa.it/2016/11/09/esteri/russia-e-destre-europee-esultano-lue-relazioni-transatlantiche-pi-difficili-KpVb6IQVQoRjaEBIeyH2fM/pagina.html
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Trump en tête : l’interview de Laure Mandeville qui annonçait l’ouragan
Le 7 octobre 2016 - Le Figaro
A l’occasion de la sortie de son livre «Qui est vraiment Donald Trump ?», Laure Mandeville avait répondu à nos questions. Elle expliquait pourquoi le candidat républicain pouvait emporter l’élection.
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La grande difficulté, avec Donald Trump, c’est qu’on est à la fois face à une caricature et face à un phénomène bien plus complexe. Une caricature d’abord, car tout chez lui, semble magnifié. L’appétit de pouvoir, l’ego, la grossièreté des manières, les obsessions, les tweets épidermiques, l’étalage voyant de son succès sur toutes les tours qu’il a construites et qui portent son nom. Donald Trump joue en réalité à merveille de son côté caricatural, il simplifie les choses, provoque, indigne, et cela marche parce que notre monde du 21e siècle se gargarise de ces simplifications outrancières, à l’heure de l’information immédiate et fragmentée. La machine médiatique est comme un ventre qui a toujours besoin de nouveaux scandales et Donald, le commercial, le sait mieux que personne, parce qu’il a créé et animé une émission de téléréalité pendant des années. Il sait que la politique américaine actuelle est un grand cirque, où celui qui crie le plus fort a souvent raison parce que c’est lui qui «fait le buzz».
Derrière l’image télévisuelle simplificatrice, se cache un homme intelligent, rusé et avisé, qui a géré un empire de milliards de dollars et employé des dizaines de milliers de personnes.
En même temps, ne voir que la caricature qu’il projette serait rater le phénomène Trump et l’histoire stupéfiante de son succès électoral. Derrière l’image télévisuelle simplificatrice, se cache un homme intelligent, rusé et avisé, qui a géré un empire de milliards de dollars et employé des dizaines de milliers de personnes. Ce n’est pas rien! Selon plusieurs proches du milliardaire que j’ai interrogés, Trump réfléchit de plus à une candidature présidentielle depuis des années, et il a su capter, au-delà de l’air du temps, la colère profonde qui traversait l’Amérique, puis l’exprimer et la chevaucher. Grâce à ses instincts politiques exceptionnels, il a vu ce que personne d’autre – à part peut-être le démocrate Bernie Sanders – n’avait su voir: le gigantesque ras le bol d’un pays en quête de protection contre les effets déstabilisants de la globalisation, de l’immigration massive et du terrorisme islamique; sa peur du déclin aussi. En ce sens, Donald Trump s’est dressé contre le modèle dominant plébiscité par les élites et a changé la nature du débat de la présidentielle. Il a remis à l’ordre du jour l’idée de protection du pays, en prétendant au rôle de shérif aux larges épaules face aux dangers d’un monde instable et dangereux.
En privé, le personnage de Donald Trump est plus nuancé, plus modéré, plus pragmatique, sait écouter les autres et ne choisit pas toujours l’option la plus extrême…
Cela révèle au minimum une personnalité sacrément indépendante, un côté indomptable qui explique sans doute l’admiration de ses partisans…Ils ont l’impression que cet homme explosif ne se laissera impressionner par rien ni personne. Beaucoup des gens qui le connaissent affirment d’ailleurs que Donald Trump a plusieurs visages: le personnage public, flashy, égotiste, excessif, qui ne veut jamais avouer ses faiblesses parce qu’il doit «vendre» sa marchandise, perpétuer le mythe, et un personnage privé plus nuancé, plus modéré et plus pragmatique, qui sait écouter les autres et ne choisit pas toujours l’option la plus extrême…Toute la difficulté et tout le mystère, pour l’observateur est de s’y retrouver entre ces différents Trump. C’est loin d’être facile, surtout dans le contexte de quasi hystérie qui règne dans l’élite médiatique et politique américaine, tout entière liguée contre lui. Il est parfois très difficile de discerner ce qui relève de l’analyse pertinente ou de la posture de combat anti-Trump. Dans le livre, je parle d’une expérience schizophrénique, tant le fossé est grand entre la perception des partisans de Trump et celle de ses adversaires. Au fond, Trump reste largement insaisissable, malgré les millions d’articles qui lui sont consacrés.
En quoi son enfance et la figure de son père éclairent-elles son parcours?
Donald Trump a toujours été un leader, mais aussi un rebelle, une forte tête, qui bombardait ses instituteurs de gommes et tirait les cheveux des filles même si c’était un bon élève.
Donald Trump a plusieurs fois raconté qu’il n’avait pas fondamentalement changé depuis le cours préparatoire. C’est dire si l’enfance compte pour cerner sa turbulente personnalité! Il a toujours été un leader, mais aussi un rebelle, une forte tête, qui bombardait ses instituteurs de gommes et tirait les cheveux des filles même si c’était un bon élève. A l’école élémentaire, le coin réservé au piquet, avait même été baptisé de ses initiales, DT, parce qu’il y séjournait souvent! A l’âge de 13 ans, son père décide même de l’envoyer à l’Académie militaire de New York pour le dresser, parce que, inspiré par West Side story, Donald a été pris en train de fomenter une descente avec sa bande dans Manhattan, avec des lames de rasoir!
Son frère Fred Junior a fini par mourir d’alcoolisme. Cela a beaucoup marqué Donald qui a décidé qu’il ne se laisserait jamais dominer et ne montrerait jamais ses faiblesses contrairement à son frère.
Cela vous donne une idée du profil psychologique du père Fred Trump, un homme intransigeant et autoritaire, qui a eu une influence décisive dans la formation de la personnalité de son fils. Fred s’était fait à la force du poignet, en amassant un capital de plusieurs millions de dollars grâce à la construction d’immeubles d’habitation pour les classes populaires à Brooklyn, et il a clairement fait de Donald son héritier, brisant et déshéritant en revanche le fils aîné, Fred Junior, un être charmeur, mais moins trempé et plus dilettante, qui avait eu le malheur de préférer être pilote de ligne que promoteur, et a fini par mourir d’alcoolisme. Cela a beaucoup marqué Donald qui a décidé qu’il ne se laisserait jamais dominer et ne montrerait jamais ses faiblesses contrairement à son frère. Fred Trump a élevé ses enfants dans la richesse – la famille vivait dans une grande maison à colonnades dans le quartier de Queens – mais aussi dans une éthique de dur labeur et de discipline, pas comme des gosses de riches, un modèle que Donald a d’ailleurs reproduit avec ses enfants. L’homme d’affaires raconte souvent que son paternel l‘a formé à «la survie», en lui recommandant d’«être un tueur» pour réussir.
On découvre en vous lisant qu’il existe depuis longtemps dans l’univers américain (succès de ses livres, téléréalité). Ses fans d’hier sont -ils ses électeurs d’aujourd’hui?
Savez-vous qu’à la fin des années 80, il fait déjà la couverture de Time Magazine comme l’homme le plus sexy d’Amérique ?
Les Américains connaissent Trump depuis le milieu des années 80, date à laquelle il a commencé à publier ses ouvrages à succès, tirés à des millions d’exemplaires, c’est-à-dire depuis 30 ans! «Le Donald» est un familier pour eux. Savez-vous qu’à la fin des années 80, il fait déjà la couverture de Time Magazine comme l’homme le plus sexy d’Amérique? A la même époque, il est cité dans des sondages comme l’une des personnes les plus populaires du pays, aux côtés des présidents toujours vivants, et du pape! Si on ajoute à cela, le gigantesque succès qu’il va avoir avec son émission de téléréalité L’Apprenti, qui à son zénith, a rassemblé près de 30 millions de téléspectateurs, on comprend l’énorme avantage de notoriété dont bénéficiait Trump sur la ligne de départ de la primaire républicaine.
Tout au long de la campagne des primaires, beaucoup de commentateurs ont annoncé sa victoire comme impossible: comment expliquer cette erreur de jugement?
Si Trump est à bien des égards exaspérant et inquiétant, il y a néanmoins quelque chose de pourri et d’endogame dans le royaume de Washington.
C’est vrai qu’à de rares exceptions près, les commentateurs n’ont pas vu venir le phénomène Trump, parce qu’il était «en dehors des clous», impensable selon leurs propres «grilles de lecture». Trop scandaleux et trop extrême, pensaient-ils. Il a fait exploser tant de codes en attaquant ses adversaires au dessous de la ceinture et s’emparant de sujets largement tabous, qu’ils ont cru que «le grossier personnage» ne durerait pas! Ils se sont dit que quelqu’un qui se contredisait autant ou disait autant de contre vérités, finirait par en subir les conséquences. Bref, ils ont vu en lui soit un clown soit un fasciste – sans réaliser que toutes les inexactitudes ou dérapages de Trump lui seraient pardonnés comme autant de péchés véniels, parce qu’il ose dire haut et fort ce que son électorat considère comme une vérité fondamentale: à savoir que l’Amérique doit faire respecter ses frontières parce qu’un pays sans frontières n’est plus un pays. Plus profondément, je pense que les élites des deux côtes ont raté le phénomène Trump (et le phénomène Sanders), parce qu’elles sont de plus en plus coupées du peuple et de ses préoccupations, qu’elles vivent entre elles, se cooptent entre elles, s’enrichissent entre elles, et défendent une version «du progrès» très post-moderne, détachée des préoccupations de nombreux Américains. Soyons clairs, si Trump est à bien des égards exaspérant et inquiétant, il y a néanmoins quelque chose de pourri et d’endogame dans le royaume de Washington. Le peuple se sent hors jeu.
Trump est l’homme du peuple contre les élites mais il vit comme un milliardaire. Comment parvient-il à dépasser cette contradiction criante?
C'est une vraie contradiction car Trump a profité abondamment du système qu'il dénonce. Il réussit à dépasser cette contradiction, parce qu'il ne le cache pas, au contraire: il fait de cette connaissance du système une force, en disant qu'il connaît si bien la manière dont les lobbys achètent les politiques qu'il est le seul à pouvoir à remédier à la chose. C'est évidemment un curieux argument, loin d'être totalement convaincant. Il me rappelle ce que faisaient certains oligarques russes, à l'époque Eltsine, quand ils se lançaient en politique et qu'ils disaient que personne ne pourrait les acheter puisqu'ils étaient riches! On a vu ce que cela a donné…Si les gens sont convaincus, c'est que Donald Trump sait connecter avec eux, leur faire comprendre qu'il est de leur côté. Ce statut de milliardaire du peuple est crédible parce qu'il ne s'est jamais senti membre de l'élite bien née, dont il aime se moquer en la taxant «d'élite du sperme chanceux». Cette dernière ne l'a d'ailleurs jamais vraiment accepté, lui le parvenu de Queens, venu de la banlieue, qui aime tout ce qui brille. Il ne faut pas oublier en revanche que Donald a grandi sur les chantiers de construction, où il accompagnait son père déjà tout petit, ce qui l'a mis au contact des classes populaires. Il parle exactement comme eux! Quand je me promenais à travers l'Amérique à la rencontre de ses électeurs, c'est toujours ce dont ils s'étonnaient. Ils disaient: «Donald parle comme nous, pense comme nous, est comme nous». Le fait qu'il soit riche, n'est pas un obstacle parce qu'on est en Amérique, pas en France. Les Américains aiment la richesse et le succès.
Alain Finkielkraut explique que Donald Trump est la Némésis (déesse de la vengeance) du politiquement correct? Le durcissement, notamment à l'université, du politiquement correct est-il la cause indirecte du succès de Trump?
Alain Finkelkraut a raison. L'un des atouts de Trump, pour ses partisans, c'est qu'il est politiquement incorrect dans un pays qui l'est devenu à l'excès. Sur l'islam radical (qu'Obama ne voulait même pas nommer comme une menace!), sur les maux de l'immigration illégale et maints autres sujets. Ses fans se disent notamment exaspérés par le tour pris par certains débats, comme celui sur les toilettes «neutres» que l'administration actuelle veut établir au nom du droit des «personnes au genre fluide» à «ne pas être offensés». Ils apprécient que Donald veuille rétablir l'expression de Joyeux Noël, de plus en plus bannie au profit de l'expression Joyeuses fêtes, au motif qu'il ne faut pas risquer de blesser certaines minorités religieuses non chrétiennes…Ils se demandent pourquoi les salles de classe des universités, lieu où la liberté d'expression est supposée sacro-sainte, sont désormais surveillées par une «police de la pensée» étudiante orwellienne, prête à demander des comptes aux professeurs chaque fois qu'un élève s'estime «offensé» dans son identité…Les fans de Trump sont exaspérés d'avoir vu le nom du club de football américain «Red Skins» soudainement banni du vocabulaire de plusieurs journaux, dont le Washington Post, (et remplacé par le mot R...avec trois points de suspension), au motif que certaines tribus indiennes jugeaient l'appellation raciste et insultante. (Le débat, qui avait mobilisé le Congrès, et l'administration Obama, a finalement été enterré après de longs mois, quand une enquête a révélé que l'écrasante majorité des tribus indiennes aimait finalement ce nom…). Dans ce contexte, Trump a été jugé«rafraîchissant» par ses soutiens, presque libérateur.
Le bouleversement qu'il incarne est-il, selon vous, circonstanciel et le fait de sa personnalité fantasque ou Trump cristallise-t-il un moment de basculement de l'histoire américaine?
Pour moi, le phénomène Trump est la rencontre d'un homme hors normes et d'un mouvement de rébellion populaire profond, qui dépasse de loin sa propre personne. C'est une lame de fond, anti globalisation et anti immigration illégale, qui traverse en réalité tout l'Occident. Trump surfe sur la même vague que les politiques britanniques qui ont soutenu le Brexit, ou que Marine Le Pen en France. La différence, c'est que Trump est une version américaine du phénomène, avec tout ce que cela implique de pragmatisme et d'attachement au capitalisme.
Sa ligne politique est-elle attrape-tout ou fondée sur une véritable vision politique?
Trump n'est pas un idéologue. Il a longtemps été démocrate avant d'être républicain et il transgresse les frontières politiques classiques des partis. Favorable à une forme de protectionnisme et une remise en cause des accords de commerce qui sont défavorables à son pays, il est à gauche sur les questions de libre échange, mais aussi sur la protection sociale des plus pauvres, qu'il veut renforcer, et sur les questions de société, sur lesquelles il affiche une vision libérale de New Yorkais, certainement pas un credo conservateur clair. De ce point de vue là, il est post reaganien. Mais Donald Trump est clairement à droite sur la question de l'immigration illégale et des frontières, et celle des impôts. Au fond, c'est à la fois un marchand et un nationaliste, qui se voit comme un pragmatique, dont le but sera de faire «des bons deals» pour son pays. Il n'est pas là pour changer le monde, contrairement à Obama. Ce qu'il veut, c'est remettre l'Amérique au premier plan, la protéger. Son instinct de politique étrangère est clairement du côté des réalistes et des prudents, car Trump juge que les Etats-Unis se sont laissé entrainer dans des aventures qui les ont affaiblis et n'ont pas réglé les crises. Il ne veut plus d'une Amérique jouant les gendarmes du monde. Mais vu sa tendance aux volte face et vu ce qu'il dit sur le rôle que devrait jouer l'Amérique pour venir à bout de la menace de l'islam radical, comme elle l'a fait avec le nazisme et le communisme, Donald Trump pourrait fort bien changer d'avis, et revenir à un credo plus interventionniste avec le temps. Ses instincts sont au repli, mais il reste largement imprévisible.
Faut il avoir peur de Donald Trump?
La question est évidemment légitime, vu la personnalité volcanique du personnage et certaines de ses prises de position, notamment en politique étrangère. De nombreuses questions se posent sur son caractère, ses foucades, son narcissisme et sa capacité à se contrôler, si importante chez le président de la première puissance du monde! Je ne suis pas pour autant convaincue par l'image de «Hitler», fasciste et raciste, qui lui a été accolée par la presse américaine. Hitler avait écrit Mein Kamp. Donald Trump, lui, a écrit «L ‘art du deal» et avait envisagé juste après la publication de ce premier livre, de se présenter à la présidence en prenant sur son ticket la vedette de télévision afro-américaine démocrate Oprah Winfrey, un élément qui ne colle pas avec l'image d'un raciste anti femmes! Ses enfants et nombre de ses collaborateurs affirment qu'il ne discrimine pas les gens en fonction de leur sexe ou de la couleur de leur peau, mais en fonction de leurs mérites, et que c'est pour cette même raison qu'il est capable de s'en prendre aux représentants du sexe faible ou des minorités avec une grande brutalité verbale, ne voyant pas la nécessité de prendre des gants.
Les questions les plus lourdes concernant Trump, sont selon moi plutôt liées à la manière dont il réagirait, s'il ne parvenait pas à tenir ses promesses, une fois à la Maison-Blanche. Tout président américain est confronté à la complexité de l'exercice du pouvoir dans un système démocratique extrêmement contraignant. Cet homme d'affaires habitué à diriger un empire immobilier pyramidal, dont il est le seul maître à bord, tenterait-il de contourner le système pour arriver à ses fins et prouver au peuple qu'il est bien le meilleur, en agissant dans une zone grise, avec l'aide des personnages sulfureux qui l'ont accompagné dans ses affaires? Et comment se comporterait-il avec ses adversaires politiques ou les représentants de la presse, vu la brutalité et l'acharnement dont il fait preuve envers ceux qui se mettent sur sa route? Hériterait-on d'un Berlusconi ou d'un Nixon puissance 1000? Autre interrogation, vu la fascination qu'exerce sur lui le régime autoritaire de Vladimir Poutine: serait-il prêt à sacrifier le droit international et l'indépendance de certains alliés européens, pour trouver un accord avec le patron du Kremlin sur les sujets lui tenant à cœur, notamment en Syrie? Bref, pourrait-il accepter une forme de Yalta bis, et remettre en cause le rôle de l'Amérique dans la défense de l'ordre libéral et démocratique de l'Occident et du monde depuis 1945? Autant de questions cruciales auxquelles Donald Trump a pour l'instant répondu avec plus de désinvolture que de clarté.
Trump peut-il emporter l'élection?
Les sondages restent proches et l'issue pleine d'un lourd suspense selon moi. J'utilise souvent l'image de la vague et de la digue. La vague, c'est Trump, l'homme de l'année parce qu'il est véritablement celui a défini cette élection, qu'il soit élu ou non d'ailleurs. Hillary elle, représente la digue du statu quo, défendue bec et ongles par les élites. La vague de colère sera-t-elle suffisamment puissante pour passer la digue? C'est toute la question. Comme l'a écrit l'excellente éditorialiste du Wall Street Journal Peggy Noonan, la réponse à cette interrogation dépendra de la force relative de deux sentiments: la colère éprouvée par le pays à l'endroit du système et des élites. Et la peur de l'inconnue que représente Trump. La colère aura-t-elle raison de la peur, ou vice versa?
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