mercredi 11 juillet 2018

Qui greffe quoi ?

MAJ de la page : Transhumanisme



Matière à penser avec René Frydman
La greffe de tête : un jour possible ? 07/07/2018
Avec Philippe Saint-Germain, auteur de La greffe de tête - Entre science et fiction, Ed. Liber, 2017

En 2015, le neurochirurgien italien Sergio Canavero a provoqué une onde de choc en promettant une première greffe de tête humaine avant la fin 2017. Mais ce n'était que la plus récente étape d'une vaste entreprise médicale et médiatique amorcée deux ans plus tôt par la publication d'un article controversé exposant le projet. Scientifiques, journalistes, bioéthiciens, théologiens, blogueurs, ont tenté d'en prendre la mesure. C'est dans ce labyrinthe que s'aventure cet essai. Tout en décrivant le projet d'une greffe de tête humaine, il en rappelle la préhistoire - littéraire et scientifique - et en approfondit les enjeux éthiques et philosophiques. Monstruosité ou exploit, il se déploie ainsi entre la science et la fiction, suivant en cela le docteur Canavero lui-même qui, à certains égards, ressemble au savant fou d'un étrange feuilleton. « Je ne me donnerai pas pour tâche de déterminer sa faisabilité ou son bien-fondé d'un point de vue éthique, et encore moins scientifique ; ces questions seront toujours abordées en tant qu'elles font partie de la vaste mosaïque des narrations entourant le projet d'une greffe de tête. » Une part non négligeable de l'intérêt que suscite ce projet tient à ce qu'il n'existe encore qu'en puissance, aussi bien pour les observateurs que pour ses concepteurs, qui peuvent dès lors librement promettre et prédire ce qui, un jour, pourrait être réalisé. Ce possible stimule l'imagination en dilatant l'espace disponible à la spéculation. Parler d'un projet qui n'est pas encore réalisé permet de le devancer, plutôt que de simplement le décrire après coup.
Quatrième de couverture


Bientôt une greffe de tête ? 
Le 3 janvier 2018 - Le Matin

Controversé, l’Italien Sergio Canavero affirme qu'une telle opération est possible. Un premier test aurait même eu lieu sur des cadavres. Interview.
Selon le neurologue turinois Sergio Canavero, le transfert de la tête ne durerait que «quelques secondes».

La perspective de la première greffe de tête a alimenté ces dernières années la réputation sulfureuse du neurologue turinois Sergio Canavero. L’opération aurait dû être effectuée sur le Russe Valery Spiridonov, cloué dans un fauteuil roulant à cause d’une dystrophie musculaire et volontaire pour qu’on greffe sa tête sur un corps sain décapité. Mais le trentenaire ne jouera pas les cobayes, le projet fou du spécialiste italien aurait pu être financé par la Chine à condition que le protocole médical soit expérimenté puis peaufiné dans les structures de l’ex-Empire du milieu, et avec une équipe locale.

Sergio Canavero a récemment affirmé qu’il avait réalisé une première intervention, située aux limites de l’éthique selon la communauté scientifique mondiale: il y a un an, sous la direction du professeur Xiaoping Ren, qui avait effectué la première greffe de main en 1999, l’opération aurait été tentée sur deux «patients zéros» décédés quelques heures auparavant, ce qui permettait de contourner le problème du processus de décomposition. Dans la revue scientifique américaine Surgical Neurology International, où ils ont publié les résultats de cette intervention, les deux spécialistes affirment par ailleurs qu’ils ont effectué d’autres opérations identiques depuis.

Le Russe Valery Spiridonov devait être le premier cobaye vivant. Pourquoi l’opération programmée pour décembre a-t-elle été annulée ?

La Chine s’occupe des Chinois, pas des Russes. Et puis il y a aussi un autre problème, à la fois psychologique et physique: Valery Spiridonov a le type slave, il faudrait trouver un donneur russe. On peut en trouver un, mais, visiblement, les Russes ne sont pas intéressés par le cas Valery Spiridonov. J’ai discuté avec lui, je lui ai dit qu’il pourrait marcher après l’intervention, courir je ne sais pas. Souvenons-nous toutefois des images tournées en Corée du Sud avec le chien qui gambadait comme un fou, et des rats aussi d’ailleurs.

Comment fonctionne la greffe de tête ?

En vérité, il s’agit d’une greffe de cerveau, une «anastomose méningo-cérébrale somatique» dans le langage médical. L’intervention effectuée par vingt chirurgiens, plus les paramédicaux et les techniciens, et dirigée par le chirurgien chinois Xiaoping Ren, a duré dix-huit heures. L’équipe a prélevé la tête d’un homme qui venait de mourir et l’a positionnée sur le corps d’un autre patient également à peine décédé, un système qui permet de contourner le processus de la décomposition. Les nerfs, les vaisseaux sanguins et la colonne vertébrale ont été connectés. Les organes comme le larynx et les nerfs phréniques n’ont pas été endommagés.

Comment a été conservée la tête avant la greffe ?

Si on réussissait à congeler la tête avant la mort, on arriverait à un taux de possibilité de réussite maximal. Mais les Chinois ne partagent pas mes idées sur l’hypothermie profonde. Selon la méthode chinoise, l’intervention se déroule sur deux jours. D’abord, on établit une connexion entre l’artère vertébrale et la carotide externe. Ensuite, on recoud et on réveille le patient. Dès qu’on trouve un donneur, on passe à la phase deux, celle de la greffe. Durant l’opération, le flux cérébral n’est jamais interrompu parce qu’on utilise une machine pour mélanger le sang du donneur et celui du receveur. Il n’y a donc pas de risque d’AVC. Le transfert de tête dure quelques secondes à peine. À partir du moment où le sang commence à circuler, il arrive dans le point de connexion et commence immédiatement à irriguer le tronc cérébral où se trouve le centre respiratoire. Après, on recoud. Le seul problème concernerait éventuellement le polygone de Willis (ndlr: système circulatoire qui permet l’apport de sang au système nerveux), qui est incomplet dans 50% des cas. Il faudrait donc d’abord faire une angiographie. Grâce au système de la connexion effectuée le premier jour sur le receveur, on évite le problème du cycle incomplet. Cette procédure mise au point par Xiaoping Ren est extraordinaire.

Combien de chances de survie pour le receveur ?

En l’état actuel, nous sommes arrivés à un niveau très élevé, plus de 90%.

D’autres transplantations ont-elles été effectuées depuis celle de l’an dernier en Chine ?

Il faudrait le demander aux Chinois. Beaucoup de tests ont été faits auparavant, notamment par des chirurgiens américains, mais l’an dernier c’était la première fois que l’on effectuait une greffe complète sur la base d’un protocole précis. Cette technique va bouleverser la médecine, l’histoire de l’humanité et la vie d’un certain nombre d’êtres humains atteints de graves pathologies. Il faudra du temps pour perfectionner le protocole, souvenons-nous de la première greffe de cœur, on a hurlé que c’était impossible. Et puis le temps a passé, et regardez combien de vies ont été sauvées grâce aux transplantations de plus en plus minutieuses. Pour le cerveau, il y aura une évolution, c’est normal. Pour en revenir aux greffes de ce type, je suis fasciné par les travaux du professeur Michael Levin, de l’Université Tufts de Boston, qui veut régénérer des parties de notre corps en modifiant des parties électriques, c’est génial. On parle d’avatars, de transplanter un cerveau dans un cyber. Mais tout cela ne fait pas scandale, contrairement à mon projet, qui fait réagir tout le monde. On me traite de fou.

Certains spécialistes ont déjà soulevé les questions liées à l’éthique. Par exemple, que se passera-t-il si le receveur a un enfant ? Celui-ci aurait une identité multiple…

Il va falloir éviter les dérapages. Certaines sociétés pourraient être tentées de sauver des personnalités. Imaginons un nouvel Albert Einstein, on pourrait décider de greffer sa tête sur un autre corps pour l’empêcher de mourir. Il faut absolument établir des règles avant que le procédé ne tombe entre les mains de médecins peu scrupuleux sur le plan éthique. (Le Matin)

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