MAJ de la page : Suisse : La démocratie directe face à une épreuve décisive (Votation du 25 novembre 2018)
L’autodétermination: un droit humain
Par Erika Vögeli, le 15 novembre 2018 - Horizons et débats
L’argumentation contre l’«Initiative pour l’autodétermination» a atteint – une fois de plus avant un vote populaire – un manque d’objectivité indescriptible et alarmant. Les opposants à l’initiative parlent du naufrage de la Suisse, de son «renfermement sur soi» et de son «isolement» dans les domaines économiques, de la perte de la sécurité juridique et même de notre chute morale dans le domaine des droits de l’homme. Etant donné que l’initiative a été lancée par l’UDC, l’argument qu’«elle émane de l’UDC» semble suffire chez de nombreuses personnes pour leur faire perdre toute autonomie dans leurs réflexions.
Il ne s’agit visiblement plus d’avancer des arguments factuels, mais de créer une atmosphère négative chez les électeurs à l’aide d’arguments arbitrairement gonflés. C’est une véritable menace pour la démocratie. Car celle-ci ne peut fonctionner honnêtement que si toutes les bases pour la prise de décisions sont disponibles et objectivement correctes. Les menaces et les scénarios de déclin économique n’en font pas partie. Pour commencer, mentionnons encore une autre réflexion: la Suisse existait déjà avant 2012. Il est connu que cette initiative populaire a été motivée par une décision du Tribunal fédéral de 2012, qui a bouleversé le principe de la primauté de la Constitution fédérale sur le droit international, précédemment observé et que l’initiative vise à récupérer. Six ans en arrière, notre pays ne se portait pas si mal et l’économie était également en assez bonne santé.
Le droit international – de quoi s’agit-il ?
L’initiative demande que la Constitution fédérale suisse prime sur le droit international non contraignant. L’interdiction de la violence et de la torture, les dispositions du droit international humanitaire et les droits procéduraux ne sont donc pas affectés par cette initiative. La majorité des accords internationaux, cependant, sont des accords qui n’ont rien à voir avec ces dispositions fondamentales: il s’agit notamment d’accords diplomatiques, d’accords techniques et autres. Mais aussi de contrats de plus grande envergure concernant les relations commerciales. Ils sont conclus par le «Conseil fédéral, les départements, les groupes ou les offices fédéraux», comme le Conseil fédéral l’explique à l’intention de l’Assemblée fédérale dans son «Rapport sur les traités internationaux conclus en 2016». Il énumère un total de 526 accords internationaux de ce type pour 2015 et 461 accords pour 2016. En outre, 346 amendements sont mentionnés pour 2015 et 352 pour l’année suivante (cf. BBI 2017, p. 4594s.). Puis, il existe d’autres accords que le Conseil fédéral n’est pas tenu d’énumérer, car ils sont soumis à la ratification du Parlement et lui sont donc connus.
Affirmer que de tels accords devraient primer sur la Constitution fédérale n’est guère compréhensible. Le fait que les offices fédéraux et le Conseil fédéral veuillent s’octroyer un droit constitutionnel – en contradiction avec la séparation des pouvoirs – sans le soumettre au pouvoir législatif et au peuple souverain va à l’encontre de toute conception démocratique fondamentale.
L’épouvantail de l’«isolement»
Dans d’autres pays également, il va de soi que leur propre Constitution prime sur le droit international. Dans la plupart des pays, les accords internationaux doivent d’abord être transposés en droit national et restent, à ce titre, subordonnés à la Constitution primant toujours les lois nationales.
Le «Rapport complémentaire du Conseil fédéral à son rapport du 5 mars 2010 sur les relations entre le droit international et le droit national du 30 mars 2011» indique également que le Conseil fédéral assume la primauté du droit constitutionnel plus récent, c’est-à-dire des modifications à la Constitution fédérale, par exemple par une initiative populaire, et le justifie «par l’article 190 Cst. qui empêche les tribunaux de substituer leur propre pondération des intérêts à celle du législateur. Si les décisions du législateur sont déjà contraignantes pour les tribunaux, cela doit s’appliquer d’autant plus aux décisions du législateur constitutionnel, qui sont encore mieux légitimées démocratiquement.» (www.admin.ch/opc/de/federal-gazette/2011/3613.pdf (BBI p. 3658)
Katharina Fontana, juriste avec de nombreuses années d’expérience en tant que correspondante au Tribunal fédéral de la «Neue Zürcher Zeitung», aujourd’hui à la Weltwoche, le souligne également: En 2012, l’Office fédéral de la Justice avait encore déclaré: «Lors de conflits entre une nouvelle disposition constitutionnelle et le droit international, ‹la disposition constitutionnelle la plus récente prime, selon le Conseil fédéral›, écrit l’Office. Et de continuer: ‹Cela signifie que […] les obligations contradictoires en vertu du droit international doivent être renégociées chaque fois que cela est possible ou, si nécessaire, résiliées.› C’est exactement ce que l’initiative pour l’autodétermination exige et ce qui a longtemps été considéré comme l’opinion dominante.» (Fontana, Katharina, «Nachhilfe vom Amtsdirektor» Weltwoche du 26/9/18)
Comme l’écrit le Conseil fédéral lui-même en 2011, il n’est pas acceptable que le fondement de notre coexistence étatique soit déterminé par quelques juges individuels. Les juges sont fondamentalement liés par la loi – ils doivent veiller à ce qu’elle soit respectée. La législation, notamment au niveau constitutionnel, est soumise à un autre pouvoir.
Ce que l’initiative pour l’autodétermination exige était donc une pratique naturelle jusqu’en 2012 en Suisse. C’est alors que cinq juges du Tribunal fédéral ont renversé l’ordre en vigueur jusque-là, à la majorité d’une voix – trois contre deux (cf. article de René Roca ci-dessous).
L’argumentation des opposants ne repose visiblement que sur des propos alarmistes, car tout le monde connaît la réalité: la Suisse n’a jusqu’ici jamais été ni isolée du droit international, ni menacée économiquement, ni évitée en raison de l’insécurité juridique. Bien au contraire.
Cependant, il va de soi que les traités internationaux peuvent toujours être reconsidérés. Le monde se développe, les problèmes changent, les solutions doivent s’adapter en conséquence.
Droits de l’homme: La Constitution fédérale garantit davantage que la CEDH
Les droits de l’homme ne sont pas affectés par cette initiative, car les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sont entièrement contenues dans la Constitution fédérale. Luzius Theiler (GPB-DA), un politicien vert de longue date, écrit dans l’Europa-Magazin, publication se considérant critique à l’égard de l’UE, écologique et sociale: «D’ailleurs, c’est un fait avéré que non seulement tous les principes de la CEDH sont également inclus dans le catalogue des droits fondamentaux de la Constitution fédérale suisse, mais que la Constitution va au-delà dans certains points importants». (Theiler, Luzius. «Die Schweiz und das Völkerrecht». Europa-Magazin du 9/10/17)
C’est aussi un fait que les droits de l’homme fondamentaux – tels que la participation sur un pied d’égalité aux décisions concernant le vivre-ensemble touchant directement chaque personne – ont été réalisés au mieux, notamment du fait de la démocratie directe en Suisse. C’est précisément cette liberté qui est essentielle à la dignité humaine.
Ce droit justifie également la décision de la majorité. Le fait que les majorités peuvent aussi avoir tort n’est pas un argument contre cela. «En tant qu’argument contre les décisions prises à la majorité, cette objection n’a de sens que si l’on est d’avis qu’il existe une minorité qui ne peut se tromper. C’est évidemment absurde. […] Les décisions à la majorité sont tout simplement le résultat du droit humain à une participation d’égal à égal aux processus décisionnels. Les décisions à la majorité tiennent compte de l’opinion d’un plus grand nombre de personnes que les décisions des minorités.» (Ruppen, Paul. «Demokratie und internationale Rechtsordnung». Europa-Magazin du 9/10/17) Avec la démocratie directe et la primauté de la Constitution sur tout autre texte, la population a néanmoins la possibilité de s’activer et de corriger d’éventuels développements indésirables. L’abolition de cette mesure corrective ne peut être dans l’intérêt public.
L’épouvantail de l’insécurité juridique
Ce sont avant tout les représentants de certains intérêts économiques – en aucun cas de l’«économie» en entier, comprenant également de nombreuses entreprises locales telles les PME, etc. – qui font valoir haut et fort le risque d’une insécurité juridique dans le commerce international. Cela nuirait aux entreprises suisses voulant planifier à long terme et ne pouvant plus garantir le respect des traités internationaux suite à l’adoption de l’initiative. On a même mis en garde contre l’obligation de renégocier quelque 600 accords. Suite aux questions concrètes d’un journaliste, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a finalement évoqué, lors d’une interview, le moratoire sur le génie génétique, qui serait incompatible avec les règles de l’OMC (cf. «Basler-Zeitung» du 2/10/18). – Le moratoire est soutenu par de larges couches de la population, il est en vigueur depuis 2005 et vient d’être reconduit en 2017 (!).
Il s’agit donc d’une indication claire de ce qui est réellement en jeu. Le libre-échange à tout prix ne peut être la devise. Du point de vue du bien-être public, il y a de bonnes raisons de restreindre le commerce international. Il s’agit d’ailleurs d’une préoccupation qui n’est pas du tout spécifique à l’UDC. Paul Ruppen, président du «Forum pour la démocratie directe», cité plus haut, poursuit: «La plupart des opposants à l’initiative se préoccupent moins des droits de l’homme que de la possibilité de mener leurs activités à l’échelle internationale aussi librement que possible sans devoir se soumettre aux influences démocratiques et de pouvoir élaborer les règles internationales correspondantes selon leurs propres intérêts sans trop d’entraves démocratiques».
Ces préoccupations ne viennent pas seulement de la «gauche», elles sont également partagées par des libéraux et des personnalités de l’économie telles que Rolf Dörig, président de l’Association suisse d’assurances (ASA) et président des conseils d’administration du groupe Adecco et de Swiss Life. Dans la «Neue Zürcher Zeitung», par exemple, il a exprimé en 2002 l’opinion qu’il y a «beaucoup, voire trop de chefs d’entreprise»: «La globalisation incontrôlée, le marché néolibéral et la concurrence sont leurs seules maximes valables pour atteindre leurs objectifs souhaités.»
Et dans un texte basé sur un discours prononcé lors de la conférence des ambassadeurs du DFAE le 2 mai 2018, il a mis en garde à propos d’un accord-cadre: «Il ne s’agit pas seulement de l’économie et de l’accès aux marchés, mais de notre société et donc du fondement de notre pays. Il en va des valeurs fondamentales telles que la liberté, l’indépendance, la démocratie directe et le fédéralisme. Dans ces zones sensibles, nous n’avons pas seulement quelques fines lignes rouges, mais des lignes de sécurité doubles en rouge. […] Nous savons tous que dans notre nation née d’une volonté politique commune, nous jouissons de deux avantages: plus de liberté personnelle et plus de participation politique et d’autodétermination.» (cf. tribune dans la «Neue Zürcher Zeitung» du 18/5/18)
La tendance à limiter l’influence des citoyens des Etats et à restreindre les droits démocratiques fondamentaux pour mieux contrôler le pouvoir financier des sociétés transnationales et de l’«industrie» financière est une évolution allant dans la mauvaise direction. L’économie doit servir la population et non pas la maximisation des profits d’un petit nombre de personnes. Elle ne doit pas non plus utiliser son pouvoir financier pour diriger et influencer les votes des citoyens. Le fait qu’économie suisse distribue actuellement 2,2 millions de journaux en vue des votations dans toute la Suisse, donc dans pratiquement tous les ménages, n’est certes pas illégal. Toutefois, cela illustre quels intérêts sont concernés par ces votations. Cependant, en fin de compte, il est également clair que pour la grande majorité de l’économie suisse, l’initiative pour l’autodétermination ne pose guère de problèmes sérieux.
Contrairement à toutes les objections formulées contre cette initiative, il est avéré que la réalisation de l’autodétermination au sein de notre communauté correspond le mieux au respect des droits de l’homme fondamentaux et de la dignité humaine. Et c’est précisément la raison pour laquelle la démocratie directe a donné à notre pays un degré de paix intérieure et de sécurité juridique que beaucoup nous envient. Prenons-en soin.
Erika Vögeli
Malgré notre compréhension pour les soucis que se fait une partie de l’économie suisse, il est évident que le développement des dernières années et des décennies précédentes va dans une direction qui est ni bénéfique à la vie, ni compatible avec le bien commun. Le Rapport 2018 sur la répartition publié par l’Union syndicale suisse (USS) suffit à vous interpeller: est-ce véritablement la voie que nous désirons pour la Suisse? On y trouve, par exemple, une liste du développement des fortunes dans notre pays au cours des dernières années. Malheureusement, la Suisse suit la tendance mondiale de la concentration de la richesse en toujours moins de mains. Selon ce rapport, en 2014, 1% des contribuables les plus riches en Suisse disposait de 41,9% des actifs nets privés. Dix ans plus tôt, ce chiffre s’élevait à environ 35%. Le développement ne devrait-il pas plutôt aller dans le sens inverse?
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