Mu |
Un moine demanda à Joshu :
- Un chien a-t-il la nature de Bouddha ?
- Mu ! répondit Joshu.
Initialement la réponse n'a pas été Mu (qui est du japonais) mais Wu (en chinois), puisque Joshu (778-897) a été un grand maître du Chan. On raconte qu'à l'âge de 17 ans il fit une première expérience de l'éveil :
"Soudain, j'ai été ruiné et sans abri".
Ce koan du chien de Joshu est celui qui ouvre "La Passe sans porte" (Wumenguan ou Mumunkan), de Wumen Huikai, un recueil fameux paru au 13e siècle en Chine.
Eléments d'analyse :
A la question du moine on s'attend à une réponse par oui ou par non :
- oui, un chien à la nature de Bouddha ou bien,
- non, un chien n'a pas la nature de Bouddha.
Ou encore :
- je ne sais pas (ce qui est aussi une réponse sensée bien que décevante).
Or Joshu ne répond pas, non pas en gardant le silence (comme c'est parfois le cas, voir par exemple ici) mais, en disant simplement : Mu !
Comment comprendre cette non-réponse, cette réponse inattendue ou paradoxale ?
Autrement dit :
- Qu'est-ce que Mu ?
La question seule est elle-même un koan.
* * * * * * * * * * * *
Dans l'hypothèse où un chien aurait la nature de Bouddha, pourquoi pas une vache ? Alors laissons leur la parole :
Hmm... Pas vraiment concluant, la première tentative est peut-être la plus réussie, les suivantes ressemblent plus à des Meuh... qu'à des Mu !
Quoiqu'il en soit, suffit-il de répéter une réponse pour la comprendre ?
- Qu'est-ce que Mu ?
- Mu.
Sans doute pas, alors poursuivons.
* (voir note en bas de page).
* * * * * * * * * * * *
Mu n'est pas l'équivalent d'un Meuh (ou autre Bang, Zip, Shebam, Pow, Blop, Wizz...). Ce n'est pas une onomatopée. Le caractère a bien une signification : "il est typiquement utilisé comme préfixe pour exprimer la notion d'absence". (On le traduit parfois de manière approximative par "sans").
Dans la langue française nous avons plusieurs préfixe de négation (dé, dis, dés, mal, més, mé, il, im, in, ir). Par exemple, avec "in" : in-sensible (qui n'est pas sensible), in-connu (qui n'est pas connu), in-habituel (qui n'est pas habituel), ...
En pensant au Mu japonais comme à un "in" on aperçoit mieux l'anomalie de la réponse. Non seulement ce n'est pas la réponse attendue mais qui plus est, ce n'est pas même un mot : juste un préfixe qui ne précède rien.
** (voir la note en bas de page).
A ce stade nous ne pouvons pas encore dire ce qu'est Mu (en tant que réponse au koan) mais bien ce qu'il n'est pas :
1) Mu n'est pas une onomatopée, ce n'est pas un "Meuh..."
2) Mu n'est pas une réponse négative, ce n'est pas un "Non".
En optant pour l'onomatopée on ne voit que l'anomalie de la réponse et pour la négation, que la valeur négative du préfixe.
Hypothèse :
Dans le cadre du koan, Mu a bien une valeur de négation mais qui est pour le moins inhabituelle ou paradoxale. Car la négation ne porte pas sur le sujet de la question, en disant Mu, on ne dit pas que le chien n'a pas la nature de bouddha.
Comprendre Mu c'est alors comprendre la valeur ou la portée de cette négation.
Et si la négation portait sur le sens de la question ?
On peut nier que la question fasse sens ou encore que la question soit bien formulée. C'est ainsi que Mu est encore utilisé aujourd'hui :
Selon le « Jargon File », un glossaire du jargon et de la culture des hackers, Mu est considéré par les discordiens comme la réponse aux questions qui comportent des présuppositions erronées. (...)
La question « Avez-vous arrêté de battre votre femme ? » présuppose que l'interlocuteur battait sa femme. La langue française ne prévoit pas de réponse simple dans le cas contraire. Ainsi, si l'interlocuteur ne battait pas sa femme, ou encore s'il n'a pas de femme, les deux réponses standards à ce qui semble une question fermée, « oui » et « non », sont inappropriées :
« oui » implique qu'il a une femme et qu'il la battait,
« non » implique qu'il a une femme, qu'il la battait et qu'il continue de le faire.
C'est pourquoi des discordiens proposèrent de choisir mu comme la réponse adaptée signifiant par convention : « On ne peut correctement répondre à votre question car elle se fonde sur des présuppositions erronées. »
Source du passage : wikipedia (Mu) / wikipedia (discordianisme)
Dans le koan du chien de Joshu la question semble bien formulée mais est-ce le cas ? En répondant oui ou non, quelles sont les présupposés ?
Accepter la question sous-entend que la nature de Bouddha est quelque chose que le chien peut avoir ou ne pas avoir. Non pas que cet animal ne puisse posséder telle ou telle qualité (il peut être grand, petit, etc.), mais qu'en est-il de la nature de Bouddha ? Est-ce quelque chose que l'on peut obtenir (à la naissance ou plus tard) ? Si ce n'est pas le cas la réponse sera la même pour un autre animal, l'homme par exemple :
- Un homme a-t-il la nature de bouddha ?
- Mu
Contrairement au premier, dans le second koan Mu n'est pas une réponse mais l'objet de la question : Qu'est-ce que Mu ?
On peut néanmoins garder l'idée générale : la présence de Mu (qu'importe sa place) va remettre en cause la question elle-même. Quelle est ou quelles sont alors les présupposés ? On présuppose tout simplement que Mu est un objet dont on peut chercher et trouver une définition.
Mais n'est-ce pas en l'ayant défini préalablement comme un préfixe négatif, puis comme ce qui dénonce des présupposés dans la question, que l'on a été amené à découvrir que Mu ne peut avoir de définition ? Doit-on alors rebrousser chemin (ou faire un pas supplémentaire et dans quelle direction) ?
Qu'importe, l'analyse d'un koan ne sera jamais qu'une indication. La résolution est d'abord de nature non conceptuelle. En l’occurrence, peut-être consiste-t-elle à voir que "la nature de Bouddha" n'est qu'une expression lorsqu'on l'associe à d'autres mots et que Mu n'est pas quelque chose que l'on peut saisir par la pensée, définir et caractériser. Et pour le voir, peut-être est-il nécessaire de changer de point de vue ou d'opter pour une absence de point de vue.
Et cette absence est peut-être Mu.
Dans le cadre du koan, Mu a bien une valeur de négation mais qui est pour le moins inhabituelle ou paradoxale. Car la négation ne porte pas sur le sujet de la question, en disant Mu, on ne dit pas que le chien n'a pas la nature de bouddha.
Comprendre Mu c'est alors comprendre la valeur ou la portée de cette négation.
Et si la négation portait sur le sens de la question ?
On peut nier que la question fasse sens ou encore que la question soit bien formulée. C'est ainsi que Mu est encore utilisé aujourd'hui :
Selon le « Jargon File », un glossaire du jargon et de la culture des hackers, Mu est considéré par les discordiens comme la réponse aux questions qui comportent des présuppositions erronées. (...)
La question « Avez-vous arrêté de battre votre femme ? » présuppose que l'interlocuteur battait sa femme. La langue française ne prévoit pas de réponse simple dans le cas contraire. Ainsi, si l'interlocuteur ne battait pas sa femme, ou encore s'il n'a pas de femme, les deux réponses standards à ce qui semble une question fermée, « oui » et « non », sont inappropriées :
« oui » implique qu'il a une femme et qu'il la battait,
« non » implique qu'il a une femme, qu'il la battait et qu'il continue de le faire.
C'est pourquoi des discordiens proposèrent de choisir mu comme la réponse adaptée signifiant par convention : « On ne peut correctement répondre à votre question car elle se fonde sur des présuppositions erronées. »
Source du passage : wikipedia (Mu) / wikipedia (discordianisme)
Dans le koan du chien de Joshu la question semble bien formulée mais est-ce le cas ? En répondant oui ou non, quelles sont les présupposés ?
Accepter la question sous-entend que la nature de Bouddha est quelque chose que le chien peut avoir ou ne pas avoir. Non pas que cet animal ne puisse posséder telle ou telle qualité (il peut être grand, petit, etc.), mais qu'en est-il de la nature de Bouddha ? Est-ce quelque chose que l'on peut obtenir (à la naissance ou plus tard) ? Si ce n'est pas le cas la réponse sera la même pour un autre animal, l'homme par exemple :
- Un homme a-t-il la nature de bouddha ?
- Mu
Contrairement au premier, dans le second koan Mu n'est pas une réponse mais l'objet de la question : Qu'est-ce que Mu ?
On peut néanmoins garder l'idée générale : la présence de Mu (qu'importe sa place) va remettre en cause la question elle-même. Quelle est ou quelles sont alors les présupposés ? On présuppose tout simplement que Mu est un objet dont on peut chercher et trouver une définition.
Mais n'est-ce pas en l'ayant défini préalablement comme un préfixe négatif, puis comme ce qui dénonce des présupposés dans la question, que l'on a été amené à découvrir que Mu ne peut avoir de définition ? Doit-on alors rebrousser chemin (ou faire un pas supplémentaire et dans quelle direction) ?
Qu'importe, l'analyse d'un koan ne sera jamais qu'une indication. La résolution est d'abord de nature non conceptuelle. En l’occurrence, peut-être consiste-t-elle à voir que "la nature de Bouddha" n'est qu'une expression lorsqu'on l'associe à d'autres mots et que Mu n'est pas quelque chose que l'on peut saisir par la pensée, définir et caractériser. Et pour le voir, peut-être est-il nécessaire de changer de point de vue ou d'opter pour une absence de point de vue.
Et cette absence est peut-être Mu.
(*) Si en japonais Mu peut se rapprocher du beuglement d'une vache, en chinois Wu fait penser à l'aboiement d'un chien. (Pour ne pas perdre l'idée, il faudrait alors parler du koan de la vache de Joshu).
(**) En chinois Wu peut aussi être un caractère indépendant pour signifier l'absence, on le traduit alors par le mot rien (ou vide).
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