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samedi 26 mars 2011

Mu ou Wu


Mu


Un moine demanda à Joshu :
- Un chien a-t-il la nature de Bouddha ?
- Mu ! répondit Joshu.


Initialement la réponse n'a pas été Mu (qui est du japonais) mais Wu (en chinois), puisque Joshu (778-897) a été un grand maître du Chan. On raconte qu'à l'âge de 17 ans il fit une première expérience de l'éveil : 
"Soudain, j'ai été ruiné et sans abri".
Ce koan du chien de Joshu est celui qui ouvre "La Passe sans porte" (Wumenguan ou Mumunkan), de Wumen Huikai, un recueil fameux paru au 13e siècle en Chine.

Eléments d'analyse :

A la question du moine on s'attend à une réponse par oui ou par non :
- oui, un chien à la nature de Bouddha ou bien,
- non, un chien n'a pas la nature de Bouddha.
Ou encore :
- je ne sais pas (ce qui est aussi une réponse sensée bien que décevante).
Or Joshu ne répond pas, non pas en gardant le silence (comme c'est parfois le cas, voir par exemple ici) mais, en disant simplement : Mu !
Comment comprendre cette non-réponse, cette réponse inattendue ou paradoxale ?

Autrement dit :

- Qu'est-ce que Mu ?
La question seule est elle-même un koan.


* * * * * * * * * * * *


Dans l'hypothèse où un chien aurait la nature de Bouddha, pourquoi pas une vache ? Alors laissons leur la parole : 




Hmm... Pas vraiment concluant, la première tentative est peut-être la plus réussie, les suivantes ressemblent plus à des Meuh... qu'à des Mu !
Quoiqu'il en soit, suffit-il de répéter une réponse pour la comprendre ?
- Qu'est-ce que Mu ?
- Mu.
 Sans doute pas, alors poursuivons.
* (voir note en bas de page). 

* * * * * * * * * * * *


Mu n'est pas l'équivalent d'un Meuh (ou autre Bang, Zip, Shebam, Pow, Blop, Wizz...). Ce n'est pas une onomatopée. Le caractère a bien une signification : "il est typiquement utilisé comme préfixe pour exprimer la notion d'absence". (On le traduit parfois de manière approximative par "sans").


Dans la langue française nous avons plusieurs préfixe de négation (dé, dis, dés, mal, més, mé, il, im, in, ir). Par
 exemple, avec "in" : in-sensible (qui n'est pas sensible), in-connu (qui n'est pas connu), in-habituel (qui n'est pas habituel), ...

En pensant au Mu japonais comme à un "in" on aperçoit mieux l'anomalie de la réponse. Non seulement ce n'est pas la réponse attendue mais qui plus est, ce n'est pas même un mot : juste un préfixe qui ne précède rien. 
** (voir la note en bas de page). 

A ce stade nous ne pouvons pas encore dire ce qu'est Mu (en tant que réponse au koan) mais bien ce qu'il n'est pas :

1) Mu n'est pas une onomatopée, ce n'est pas un "Meuh..."
2) Mu n'est pas une réponse négative, ce n'est pas un "Non".
En optant pour l'onomatopée on ne voit que l'anomalie de la réponse et pour la négation, que la valeur négative du préfixe.


Hypothèse :
Dans le cadre du koan, Mu a bien une valeur de négation mais qui est pour le moins inhabituelle ou paradoxale. Car la négation ne porte pas sur le sujet de la question, en disant Mu, on ne dit pas que le chien n'a pas la nature de bouddha.
Comprendre Mu c'est alors comprendre la valeur ou la portée de cette négation.

Et si la négation portait sur le sens de la question ? 

On peut nier que la question fasse sens ou encore que la question soit bien formulée. C'est ainsi que Mu est encore utilisé aujourd'hui :

Selon le « Jargon File », un glossaire du jargon et de la culture des hackers, Mu est considéré par les discordiens comme la réponse aux questions qui comportent des présuppositions erronées. (...)

La question « Avez-vous arrêté de battre votre femme ? » présuppose que l'interlocuteur battait sa femme. La langue française ne prévoit pas de réponse simple dans le cas contraire. Ainsi, si l'interlocuteur ne battait pas sa femme, ou encore s'il n'a pas de femme, les deux réponses standards à ce qui semble une question fermée, « oui » et « non », sont inappropriées :
« oui » implique qu'il a une femme et qu'il la battait,
« non » implique qu'il a une femme, qu'il la battait et qu'il continue de le faire.
C'est pourquoi des discordiens proposèrent de choisir mu comme la réponse adaptée signifiant par convention : « On ne peut correctement répondre à votre question car elle se fonde sur des présuppositions erronées. »
Source du passage : wikipedia (Mu) / wikipedia (discordianisme)

Dans le koan du chien de Joshu la question semble bien formulée mais est-ce le cas ? En répondant oui ou non, quelles sont les présupposés ?

Accepter la question sous-entend que la nature de Bouddha est quelque chose que le chien peut avoir ou ne pas avoir. Non pas que cet animal ne puisse posséder telle ou telle qualité (il peut être grand, petit, etc.), mais qu'en est-il de la nature de Bouddha ? Est-ce quelque chose que l'on peut obtenir (à la naissance ou plus tard) ? Si ce n'est pas le cas la réponse sera la même pour un autre animal, l'homme par exemple : 
- Un homme a-t-il la nature de bouddha ?
- Mu

Contrairement au premier, dans le second koan Mu n'est pas une réponse mais l'objet de la question : Qu'est-ce que Mu ?

On peut néanmoins garder l'idée générale : la présence de Mu (qu'importe sa place) va remettre en cause la question elle-même. Quelle est ou quelles sont alors les présupposés ? On présuppose tout simplement que Mu est un objet dont on peut chercher et trouver une définition.

Mais n'est-ce pas en l'ayant défini préalablement comme un préfixe négatif, puis comme ce qui dénonce des présupposés dans la question, que l'on a été amené à découvrir que Mu ne peut avoir de définition ? Doit-on alors rebrousser chemin (ou faire un pas supplémentaire et dans quelle direction) ?


Qu'importe, l'analyse d'un koan ne sera jamais qu'une indication. 
La résolution est d'abord de nature non conceptuelle. En l’occurrence, peut-être consiste-t-elle à voir que "la nature de Bouddha" n'est qu'une expression lorsqu'on l'associe à d'autres mots et que Mu n'est pas quelque chose que l'on peut saisir par la pensée, définir et caractériser. Et pour le voir, peut-être est-il nécessaire de changer de point de vue ou d'opter pour une absence de point de vue.


Et cette absence est peut-être Mu.




(*) Si en japonais Mu peut se rapprocher du beuglement d'une vache, en chinois Wu fait penser à l'aboiement d'un chien. (Pour ne pas perdre l'idée, il faudrait alors parler du koan de la vache de Joshu). 
(**) En chinois Wu peut aussi être un caractère indépendant pour signifier l'absence, on le traduit alors par le mot rien (ou vide). 


   

mardi 14 septembre 2010

La demande du philosophe



- Sans mot et sans absence de mots, peux-tu me dire la vérité ?
Le Bouddha garda le silence.
Alors le philosophe s'inclina respectueusement et remercia le Bouddha :
- Par ta compassion j'ai dissipé mes illusions et j'ai atteint la vraie voie.
Plus tard, Ananda demanda au Bouddha ce que le philosophe avait atteint. Le Bouddha répondit :
- La seule ombre d'un fouet fait galoper un bon cheval.
Ekai, extrait du Wu Men Kuan (la barrière sans porte), écrit par ses disciples,  XIIIe siècle. 


Suivant l'analyse que l'on en fait ce koan, sous forme de dialogue, sera absurde ou ne le sera pas. 


Première analyse : le koan est un pur non sens. 

     La phrase du philosophe est absurde à plus d'un titre. 
"Sans mots (...) peux-tu me dire (...)"
Dire consiste à aligner une suite de mots, demander de dire quelque chose (ou de produire du sens) avec une absence de mots ne veut strictement rien dire. 
"Sans mots et sans absence de mots (...)"
"Sans absence de mots" équivaut à "avec des mots". Comment peut-on à la fois proférer des mots et ne pas les proférer ? C'est absurde. 
     Le Bouddha ne respecte pas la demande du philosophe puisqu'il ne prononce aucune parole - mais il ne l'aurait pas non plus respectée s'il en avait prononcé.  Bien que le Bouddha viole l'interdiction du philosophe, le philosophe est satisfait de la non réponse. Il qualifie même celle-ci de compassion et affirme avoir dissipé ses illusions et atteint la vraie voie. C'est insensé.
     Seconde demande mais cette fois-ci de la part du disciple Ananda, à nouveau le Bouddha ne répond pas correctement, il ne fait que citer un proverbe qui semble ne rien à voir avec la situation. A quoi correspond la métaphore ? Qu'elle est l'ombre, le fouet, le galop et le cheval ? Le mental est souvent comparé à un cheval, est-ce alors le mental du philosophe qui part au galop ? C'est incompréhensible. 


Seconde analyse : le koan fait sens. 

     "Sans mots et sans absence de mots" pointe vers un dépassement du langage et des concepts. La vérité dont il s'agit n'est pas une adéquation entre une proposition et un fait, elle n'est rien d'autre que la réalité ou la connaissance de cette réalité. Le silence du Bouddha est une présence qui lui montre directement cette vérité/réalité. Le philosophe le comprend, c'est pourquoi il remercie le Bouddha de sa compassion, son ignorance est dissipée (concernant sa propre non réalisation), désormais il partage l'état du Bouddha. 

     L'analogie montre que le philosophe (le bon cheval) est d'une nature suffisamment douée pour comprendre le silence du Bouddha (l'ombre d'un fouet), dissiper ses illusions et atteindre la voie (le galop). 





Une seule main



- Quel est le bruit d'une seule main qui applaudit ? 
Ekai, extrait du Wu Men Kuan (la barrière sans porte), écrit par ses disciples,  XIIIe siècle. 

La réponse à ce koan n'est pas : un léger frémissement de l'air, car la question est absurde. Par définition, applaudir c'est frapper dans ses deux mains. 
Ce n'est pas non plus : la moitié du son entendu (en frappant dans ses deux mains), car le son ne résulte pas d'une addition entre le son de la main droite et celui de la main gauche mais de leur rencontre. Il ne semble donc pas y avoir de réponse logique. 
Sans pouvoir se saisir du moindre objet (le non sens n'est pas un objet pour la pensée) la pensée peut prendre son envol. 

Le sens de ce koan réside peut-être dans une analogie. Pour produire un son il faut deux mains et deux mains qui frappent l'une dans l'autre, de la même manière (....). Par exemple, (...) de la même manière pour atteindre le satori il faut unir les contraires (comme les aspects féminin et masculin). 


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