D'abord disciple d'Edmund Husserl et de la phénoménologie, il s'achemine rapidement vers la question de l'être et son étude, l'ontologie. Après ce qu'il appelle lui-même le « tournant » de sa pensée (années 1930), il s'intéresse tout particulièrement aux présocratiques, à la poésie De Hölderlin ainsi qu'à Kant et Nietzsche pour mettre en oeuvre ce qu'il a appelé lui même un nouveau commencement de pensée .
Auteur prolifique de nombreuses conférences, de livres et de cours, et notamment de deux œuvres majeures Être et Temps (Sein und Zeit) et les Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis) Heidegger est considéré comme l'un des philosophes les plus marquants du XXe siècle : sa démarche a notamment influencé la philosophie existentialiste, la phénoménologie ultérieure, la philosophie postmoderne, l'herméneutique allemande, ainsi que d'autres sciences humaines comme la théologie et la psychanalyse. C'est particulièrement en France que son influence a été considérable, notamment par l'intermédiaire de Jean-Paul Sartre, Jean Beaufret et d'Emmanuel Levinas.
Source (et suite) du texte : wikipedia
Bibliographie (en français) :
- Traîté des catégories et de la signification chez Duns Scot, Ed. Gallimard, 1970.
- Schelling. Le Traité de 1809 sur la liberté humaine, Ed. Gallimard, 1980.
- Le Sophiste, (1924), Ed. Gallimard, 2001
Les conférences de Cassel (1925). précédées de la Correspondance Dilthey-Husserl (1911), Ed. Vrin, 2003
- Être et Temps, (1927), Ed. Gallimard, 1964, 1986
- "Qu'est-ce que la métaphysique ?", (1929), repris in Questions I, Ed. Gallimard, 1968.
- Kant et le problème de la métaphysique, (1929), Ed. Gallimard, 1953.
- Aristote, Métaphysique 1-3, (1931), Ed. Gallimard, 1991
- De l'essence de la vérité : approche de l'allégorie de la caverne et du Théétète de Platon (1931-1932), Ed. Gallimard, 2001
- La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, (1934), Ed. Gallimard, 2008
- Introduction à la métaphysique, (1935), Ed. Gallimard, 1967.
- L’Origine de l’œuvre d’art (1935), Ed. Authentica, 1987.
- Interprétation de la Deuxième considération intempestive de Nietzsche, (1938-1939), Ed. Gallimard, 2009
- Qu'est-ce qu'une chose ?, (1935-1936), Ed. Gallimard, 1971.
Nietzsche, (1936-1946), Ed. Gallimard, 1971.
- Concepts fondamentaux, (1941), Ed. Gallimard, 1985.
- Hegel : la négativité, éclaircissement de l'Introduction à la Phénoménologie de l'esprit de Hegel, (1938-1942), Ed. Gallimard, 2007
- Parménide, (1942-3), Ed. Gallimard, 2011.
- Approche de Hölderlin, (1944-71), Ed. Gallimard, 1962, 1973.
- La dévastation et l'attente : entretien sur le chemin de campagne, (1945), Ed. Gallimard, 2006.
- Lettre sur l'humanisme, (1947), Ed. Aubier, 1957.
- Chemins qui ne mènent nulle part, (1950), Ed. Gallimard, 1962.
- Qu'appelle-t-on penser ?, (1951), Ed. PUF, 1959.
- La question de la technique, (1953), in Essais et conférences, Ed. Gallimard, 1958.
- Acheminement vers la parole, (1953-59), Ed. Gallimard, 1976.
- Essais et conférences, (1954), Ed. Gallimard, 1958.
- Le Principe de raison, (1957), Ed. Gallimard, 1962.
- La Fin de la philosophie et la tâche de la pensée, (1964) in Kierkegaard vivant, Ed. Gallimard, 1966.
- Héraclite, (1966-1967), Ed. Gallimard, 1973.
- Séminaires de Zurich, Paris, Ed. Gallimard, 2010.
- Martin Heidegger , Ontologie Herméneutique de la factivité , Ed.Gallimard,,2012
Etudes (choix) :
Fabrice Midal, Conférence de Tokyo : Martin Heidegger et la pensée bouddhique, Ed. du Cerf, 2012.
Francois Fédier, L'humanisme en question : Pour aborder la lecture de la Lettre sur l'humanisme de Martin Heidegger, Ed. du Cerf, 2012 / Entendre Heidegger : Et autres exercices d'écoute, Ed. Le grand souffle, 2008.
En ligne :
- Etre et temps (1927), trad. Emmanuel Martineau, 1985 : PDF
- Qu'est-ce que la métaphysique (1929), trad. Roger Munier : PDF
- Lettre sur l'humanisme (1947) : scribd
- De l'origine de l'oeuvre d'art : scribd
Entendre Heidegger lire Holderlin : pileface
Fabrice Midal (Conférence vidéo) : Heidegger et la médiation : Philosophie TV / Martin Heidegger et la pensée bouddhique : Philosophie TV
François Fédier : Lettres sur l'humanisme de Martin Heidegger : Philosophie TV / Martin Heidegger, L'art et l'espace : Philosophie TV
Nous parvenons peut-être à présent à voir certaines choses avec davantage de clarté. L'ouvert qui règne dans l'essence de l'ἀλήθεια [alètheia, vérité] est difficile à saisir du regard, non seulement parce qu'il est au plus proche de nous, mais parce que seul il éclaircit et ainsi octroie toute proximité, le plus proche aussi bien que le lointain.
Mais cette difficulté à saisir l'ouvert est seulement le signe du fait que ce qui cherche ici à s’offrir à notre regard essentiel peut aussi bien être privé, par nous, de sa venue, parce qu'il nous manque encore d'être accordé à ce qui, en tant que l'être lui-même, s'est toujours déjà octroyé à nous et ainsi, en même temps, toujours à nouveau se retire, sans que nous pressentions même cet événement.
Non seulement, nous pouvons peut être maintenant méditer et retenir cette chose unique et simple, à savoir que l'ἀλήθεια est l'être qui perce du regard dans l'ouvert - l'ouvert pour le hors-retrait de tout apparaître - qu'il éclaircit lui-même et en tant que tel. Comment ce dont l'essence est telle pourrait-il n'être qu'un simple "concept" ? L'ensemble de la méditation qui précède n'avait d'autre visée que de parvenir, par une expérience pensante, à cette question et à cet étonnement.
L'ἀλήθεια est θεια est déesse. Mais elle l'est seulement pour les Grecs et, chez eux même, pour quelques-uns seulement de leurs penseurs. La vérité - pour les Grecs, une déesse au sens grec - sans doute.
Mais qu'est l'essence de la vérité pour nous ? Nous ne le savons pas, car nous ne sommes au clair ni avec l'essence de la vérité ni avec nous-même, et ne savons pas qui nous sommes. Peut-être cette double ignorance, de la vérité et de nous-mêmes, n'est-elle qu'une seule et même ignorance. Mais il est bon déjà d'avoir le savoir de cette ignorance, à l'égard de l'être lui-même, qui appelle la révérence de la pensée. La pensée n'est pas un savoir, mais plus essentielle peut-être que le savoir, car plus proche de l'être, dans cette proximité que recèle le lointain. De l'essence de la vérité, nous n'avons aucun savoir. Aussi est-il nécessaire que nous questionnions à son sujet et nous heurtions à cette question, de sorte que nous éprouvions ainsi la condition minimale qui doit être remplie, si nous nous disposons à reconnaître à l'essence de la vérité la dignité d'une question. La condition est que nous devenions nous-mêmes pensants.
La méditation que nous avons tentée conduit notre regard à prendre en vue une chose. A savoir que nous ne pouvons penser l'essence de la vérité que si nous nous avançons jusqu'au confins de l'étant en son tout. (...)
La question revient à nouveau : qu'est pour nous l'essence de la vérité ? Ce cours n'avait d'autre intention que de renvoyer au domaine à partir duquel la parole de Parménide parle.
L'indication offerte par le renvoi à ce domaine pointa en direction de ce vers quoi s'achemine le penseur initial. A savoir la demeure de la déesse ἀλήθεια. C'est seulement que le parcours proprement dit de l'expérience du penseur reçoit lui-même sa direction. La demeure de la déesse est le premier lieu d'arrivée sur le chemin de la pensée. Cette même demeure est le point de départ du parcours de la pensée, qui porte et accorde tous les rapports à l'étant. L'essence de cette demeure est de part en part déterminée par la déesse. Qu'elle l'habite est ce qui seul fait de cette demeure la demeure qu'elle est. Et dans cette habitation s'accomplit l'"essence" de la déesse Celle-ci est la clarté qui perce du regard et vient se donner et ainsi habiter dans ce qui est privé de clarté. L'ἀλήθεια est le décèlement abritant en soi toute émergence et toute apparition et disparition. L'ἀλήθεια est l'essence du vrai : la vérité. Celle-ci règne sur tout ce qui déploie son être et est l'essence même de toute "essence" : l'essentialité.
En faire l'épreuve est la destination du penseur qui pense de façon initiale. Sa pensée, dans l'essentialité, sait l'essence de la vérité (non seulement l’essence du vrai), en tant que vérité de l'essence.
En tant qu'essence de l'émergence, l'ἀλήθεια est le commencement lui-même. Le voyage vers la demeure de la déesse est la pensée qui se dirige vers le commencement. (...)
Extrait de : Parménide (deuxième partie, § 9 - 1942-3).
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Voir aussi la page : Proème du Poème
L'élaboration de la question portant sur le rien doit nous mettre dans la situation à partir de laquelle la réponse à lui donner devient possible ou, au contraire, se déclare l'impossibilité de la réponse. Le rien est concédé. La science, avec une indifférence supérieure à son endroit, le relègue comme ce qu'« il n'y a pas ».
Nous tenterons pourtant de questionner sur le rien. Qu'est-ce que le rien ? La première approche de cette question a déjà quelque chose d'insolite. En questionnant ainsi, nous posons au préalable le rien comme quelque chose qui, de quelque manière, « est » - comme un étant. Or c'est justement de quoi il diffère du tout au tout. Questionner sur le rien - ce qu'il est et comment il est, le rien - inverse en son contraire ce sur quoi l'on questionne. La question s'ôte à elle-même son propre objet.
En foi de quoi, toute réponse à cette question est, dès le départ, impossible. Car elle s'articule nécessairement en cette forme : le rien « est » ceci et cela. Question et réponse sont, au regard du rien, en elles-mêmes pareillement à contresens. Ainsi, nul besoin même du refus opposé par la science. La règle fondamentale et communément reçue de la pensée en général, le principe de contradiction à éviter, la « logique » universelle, réduisent cette question à néant. Car la pensée, qui est toujours essentiellement pensée de quelque chose, devrait, comme pensée du rien, contrevenir à sa propre essence.
Comme il nous est donc interdit de faire du rien en général un objet, nous sommes déjà au bout de notre interrogation sur le rien - à supposer que, dans cette question, la « logique » soit plus haute instance, l'entendement (le moyen) et la pensée (le chemin), pour saisir originellement le rien et décider de son possible dévoilement.
Mais serait-il permis de toucher à la souveraineté de la « logique » ? Se pourrait-il que l'entendement ne soit pas, dans cette question portant sur le rien, réellement souverain ? Avec son aide, nous ne pouvons guère, d'une façon générale, que déterminer le rien et le poser tout au plus comme un problème qui se détruit lui-même. Car le rien est la négation de la totalité de l'étant, l'absolument non-étant… Mais parlant ainsi, nous rangeons le rien sous la détermination plus haute de ce qui est soumis à négation et, par là, de ce qui est nié. Or la négation est, selon la doctrine régnante et jamais contestée de la « logique », un acte spécifique de l'entendement. Comment, dès lors, pouvons-nous prétendre, dans la question portant sur le rien et même dans celle de savoir s'il peut être questionné, congédier l'entendement ? Pourtant, ce que nous présupposons là est-il si assuré ? Le ne-pas, l'être-nié et ainsi la négation représentent-ils la détermination plus haute sous laquelle le rien, comme une espèce particulière de ce qui est nié, vient se ranger ? N'y a-t-il le rien que parce qu'il y a le ne-pas, c'est-à-dire la négation ? Ou est-ce l'inverse ? N'y a-t-il la négation et le ne-pas que parce qu'il y a le rien ? C'est ce qui n'est pas décidé, n'est pas même encore érigé expressément en question. Nous affirmons : le rien est plus originel que le ne-pas et la négation.
Si cette thèse est fondée, alors la possibilité de la négation comme acte de l'entendement, et par-là l'entendement lui-même, dépendent en quelque façon du rien. Comment l'entendement pourrait-il donc prétendre décider de celui-ci ? L'apparent contresens des question et réponse concernant le rien ne repose-t-il finalement que sur un entêtement aveugle de l'entendement pris de vertige ?
Mais si nous ne nous laissons pas démonter par l'impossibilité formelle de la question portant sur le rien et posons néanmoins, à son encontre, la question, il nous faut au moins satisfaire à ce qui demeure comme exigence fondamentale pour la possible conduite jusqu'à son terme de toute question. Si le rien, quoi qu'il en soit de lui, doit être soumis à question — le rien lui-même — il faut d'abord qu'il soit donné. Il faut que nous puissions le rencontrer.
Où chercherons-nous le rien ? Comment trouverons-nous le rien ? Ne devons-nous pas, pour trouver quelque chose, d'une façon générale déjà savoir que ce quelque chose est là ? En effet. L'homme n'est d'abord et le plus souvent en état de chercher que s'il a anticipé la mise à disposition de ce qui est cherché. Or ici, c'est le rien qui est cherché. Y a-t-il finalement, une recherche sans cette anticipation, une recherche qui revienne à purement trouver ? Quoi qu'il en puisse être, nous connaissons le rien, même si ce n'est que comme ce dont quotidiennement nous parlons sans y prendre garde. Ce rien vulgaire, rendu comme incolore sous la pâle évidence de ce qui va de soi, qui rôde ainsi, inaperçu, dans nos propos vides, nous pouvons même, sans hésiter, le ranger sous une « définition » : Le rien est la négation intégrale de la totalité de l'étant. Cette caractéristique du rien ne pointerait-elle pas, finalement, dans la direction à partir de laquelle seule il peut nous rencontrer ?
La totalité de l'étant doit d'abord être donnée pour pouvoir, comme telle absolument, tomber sous le coup de la négation, en laquelle le rien lui-même aurait alors à se montrer.
Seulement, même si l'on fait abstraction de la nature problématique du rapport entre la négation et le rien, comment pourrons-nous - comme être finis - rendre accessible en soi en même temps qu'à nous-mêmes l'ensemble de l'étant dans sa totalité ? Tout au plus pouvons-nous imaginer l'ensemble de l'étant dans l'« idée », nier en pensée cet imaginaire et le « penser » comme nié. Sur cette voie, nous atteignons sans doute le concept formel du rien imaginé, mais jamais le rien lui-même. Or le rien n'est rien et entre le rien imaginé et le rien « en propre », il ne peut y avoir de différence, s'il est vrai que le rien représente la totale indifférenciation. Le rien lui-même « en propre » - ne serait-ce pas toutefois de nouveau ce concept masqué mais à contresens, d'un rien étant ? C'est la dernière fois que les objections de l'entendement arrêteront notre recherche, dont la légitimité ne peut être établie que par une épreuve fondamentale du rien.
Extrait de : Qu'est-ce que la métaphysique (1929), épuisé
Source du texte : pileface
D’après la toile de Van Gogh, nous ne pouvons même pas établir où se trouvent ces souliers. Autour de
cette paire de souliers de paysan, il n’y a rigoureusement rien où ils puissent prendre place : rien qu’un espace vague. Même pas une motte de terre provenant du champ ou du sentier, ce qui pourrait au moins indiquer leur usage. Une paire de souliers de paysan, et rien de plus. Et pourtant...
Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opiniâtre foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. A travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal. A travers ce produit repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silencieuse de survivre à nouveau au besoin, l’angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace. Ce produit appartient à la terre, et il est à l’abri dans le monde de la paysanne. Au sein de cette appartenance protégée, le produit repose en lui-même.
Tout cela, peut-être que nous ne le lisons que sur les souliers du tableau. La paysanne, par contre, porte
tout simplement les souliers. Mais ce « tout simplement est-il si simple ? (...)
Que se passe-t-il ici ? Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans l’œuvre ? La toile de Van Gogh est l’ouverture de ce que le produit, la paire de souliers de paysan, est en vérité. Cet étant fait apparition dans l’éclosion de son être. L’éclosion de l’étant, les Grecs la nommaient ἀλήθεια. Nous autres, nous disons vérité, en ne pensant surtout pas trop ce mot. Dans l’œuvre, s’il y advient une ouverture de l’étant (concernant ce qu’il est et comment il est), c’est l’avènement de la vérité qui est à l’œuvre. Dans l’œuvre d’art, la vérité de l’étant s’est mise en oeuvre. « Mettre » signifie ici instituer. Un étant, une paire de souliers de paysan vient dans l’œuvre à l’instance dans le clair de son être. L’être de l’étant vient à la constance de son rayonnement. L’essence de l’art serait donc : le se mettre en œuvre de la vérité de l’étant.
Extrait de : L’Origine de l’œuvre d’art (1935), épuisé.
Source du texte : burmat
Ben, rien de rien
Nous tenterons pourtant de questionner sur le rien. Qu'est-ce que le rien ? La première approche de cette question a déjà quelque chose d'insolite. En questionnant ainsi, nous posons au préalable le rien comme quelque chose qui, de quelque manière, « est » - comme un étant. Or c'est justement de quoi il diffère du tout au tout. Questionner sur le rien - ce qu'il est et comment il est, le rien - inverse en son contraire ce sur quoi l'on questionne. La question s'ôte à elle-même son propre objet.
En foi de quoi, toute réponse à cette question est, dès le départ, impossible. Car elle s'articule nécessairement en cette forme : le rien « est » ceci et cela. Question et réponse sont, au regard du rien, en elles-mêmes pareillement à contresens. Ainsi, nul besoin même du refus opposé par la science. La règle fondamentale et communément reçue de la pensée en général, le principe de contradiction à éviter, la « logique » universelle, réduisent cette question à néant. Car la pensée, qui est toujours essentiellement pensée de quelque chose, devrait, comme pensée du rien, contrevenir à sa propre essence.
Comme il nous est donc interdit de faire du rien en général un objet, nous sommes déjà au bout de notre interrogation sur le rien - à supposer que, dans cette question, la « logique » soit plus haute instance, l'entendement (le moyen) et la pensée (le chemin), pour saisir originellement le rien et décider de son possible dévoilement.
Mais serait-il permis de toucher à la souveraineté de la « logique » ? Se pourrait-il que l'entendement ne soit pas, dans cette question portant sur le rien, réellement souverain ? Avec son aide, nous ne pouvons guère, d'une façon générale, que déterminer le rien et le poser tout au plus comme un problème qui se détruit lui-même. Car le rien est la négation de la totalité de l'étant, l'absolument non-étant… Mais parlant ainsi, nous rangeons le rien sous la détermination plus haute de ce qui est soumis à négation et, par là, de ce qui est nié. Or la négation est, selon la doctrine régnante et jamais contestée de la « logique », un acte spécifique de l'entendement. Comment, dès lors, pouvons-nous prétendre, dans la question portant sur le rien et même dans celle de savoir s'il peut être questionné, congédier l'entendement ? Pourtant, ce que nous présupposons là est-il si assuré ? Le ne-pas, l'être-nié et ainsi la négation représentent-ils la détermination plus haute sous laquelle le rien, comme une espèce particulière de ce qui est nié, vient se ranger ? N'y a-t-il le rien que parce qu'il y a le ne-pas, c'est-à-dire la négation ? Ou est-ce l'inverse ? N'y a-t-il la négation et le ne-pas que parce qu'il y a le rien ? C'est ce qui n'est pas décidé, n'est pas même encore érigé expressément en question. Nous affirmons : le rien est plus originel que le ne-pas et la négation.
Si cette thèse est fondée, alors la possibilité de la négation comme acte de l'entendement, et par-là l'entendement lui-même, dépendent en quelque façon du rien. Comment l'entendement pourrait-il donc prétendre décider de celui-ci ? L'apparent contresens des question et réponse concernant le rien ne repose-t-il finalement que sur un entêtement aveugle de l'entendement pris de vertige ?
Mais si nous ne nous laissons pas démonter par l'impossibilité formelle de la question portant sur le rien et posons néanmoins, à son encontre, la question, il nous faut au moins satisfaire à ce qui demeure comme exigence fondamentale pour la possible conduite jusqu'à son terme de toute question. Si le rien, quoi qu'il en soit de lui, doit être soumis à question — le rien lui-même — il faut d'abord qu'il soit donné. Il faut que nous puissions le rencontrer.
Où chercherons-nous le rien ? Comment trouverons-nous le rien ? Ne devons-nous pas, pour trouver quelque chose, d'une façon générale déjà savoir que ce quelque chose est là ? En effet. L'homme n'est d'abord et le plus souvent en état de chercher que s'il a anticipé la mise à disposition de ce qui est cherché. Or ici, c'est le rien qui est cherché. Y a-t-il finalement, une recherche sans cette anticipation, une recherche qui revienne à purement trouver ? Quoi qu'il en puisse être, nous connaissons le rien, même si ce n'est que comme ce dont quotidiennement nous parlons sans y prendre garde. Ce rien vulgaire, rendu comme incolore sous la pâle évidence de ce qui va de soi, qui rôde ainsi, inaperçu, dans nos propos vides, nous pouvons même, sans hésiter, le ranger sous une « définition » : Le rien est la négation intégrale de la totalité de l'étant. Cette caractéristique du rien ne pointerait-elle pas, finalement, dans la direction à partir de laquelle seule il peut nous rencontrer ?
La totalité de l'étant doit d'abord être donnée pour pouvoir, comme telle absolument, tomber sous le coup de la négation, en laquelle le rien lui-même aurait alors à se montrer.
Seulement, même si l'on fait abstraction de la nature problématique du rapport entre la négation et le rien, comment pourrons-nous - comme être finis - rendre accessible en soi en même temps qu'à nous-mêmes l'ensemble de l'étant dans sa totalité ? Tout au plus pouvons-nous imaginer l'ensemble de l'étant dans l'« idée », nier en pensée cet imaginaire et le « penser » comme nié. Sur cette voie, nous atteignons sans doute le concept formel du rien imaginé, mais jamais le rien lui-même. Or le rien n'est rien et entre le rien imaginé et le rien « en propre », il ne peut y avoir de différence, s'il est vrai que le rien représente la totale indifférenciation. Le rien lui-même « en propre » - ne serait-ce pas toutefois de nouveau ce concept masqué mais à contresens, d'un rien étant ? C'est la dernière fois que les objections de l'entendement arrêteront notre recherche, dont la légitimité ne peut être établie que par une épreuve fondamentale du rien.
Extrait de : Qu'est-ce que la métaphysique (1929), épuisé
Source du texte : pileface
Vincent Van Gogh, Souliers (1886)
cette paire de souliers de paysan, il n’y a rigoureusement rien où ils puissent prendre place : rien qu’un espace vague. Même pas une motte de terre provenant du champ ou du sentier, ce qui pourrait au moins indiquer leur usage. Une paire de souliers de paysan, et rien de plus. Et pourtant...
Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opiniâtre foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. A travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal. A travers ce produit repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silencieuse de survivre à nouveau au besoin, l’angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace. Ce produit appartient à la terre, et il est à l’abri dans le monde de la paysanne. Au sein de cette appartenance protégée, le produit repose en lui-même.
Tout cela, peut-être que nous ne le lisons que sur les souliers du tableau. La paysanne, par contre, porte
tout simplement les souliers. Mais ce « tout simplement est-il si simple ? (...)
Que se passe-t-il ici ? Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans l’œuvre ? La toile de Van Gogh est l’ouverture de ce que le produit, la paire de souliers de paysan, est en vérité. Cet étant fait apparition dans l’éclosion de son être. L’éclosion de l’étant, les Grecs la nommaient ἀλήθεια. Nous autres, nous disons vérité, en ne pensant surtout pas trop ce mot. Dans l’œuvre, s’il y advient une ouverture de l’étant (concernant ce qu’il est et comment il est), c’est l’avènement de la vérité qui est à l’œuvre. Dans l’œuvre d’art, la vérité de l’étant s’est mise en oeuvre. « Mettre » signifie ici instituer. Un étant, une paire de souliers de paysan vient dans l’œuvre à l’instance dans le clair de son être. L’être de l’étant vient à la constance de son rayonnement. L’essence de l’art serait donc : le se mettre en œuvre de la vérité de l’étant.
Extrait de : L’Origine de l’œuvre d’art (1935), épuisé.
Source du texte : burmat
Comprendre avec Martin Heidegger (interview par la TV allemande).
"L'idée qui est au fondement de ma pensée est précisément que l'Etre, ou le pouvoir de manifestation de l'Etre, a besoin de l'homme, et que, inversement l'homme n'est homme que dans la mesure ou il est une manifestation de l'Etre".
Suite : 2 / 3, / 4 / 5 / 6 / 7
"Une Vie, Une Oeuvre" du 10 déc. 2006 - Martin Heidegger (1889 - 1976), pensée du divin et poésie par Fabrice Midal
L'essai et la revue du jour par Jacques Munier, Martin Heidegger et la pensée bouddhique
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Radio Libre "La pensée de Martin Heidegger aujourd'hui" par François Noudelmann
Enregistré le 23 novembre 2002 à la BNF
Les Nouveaux chemins de la connaissance par Raphael Enthoven (05.2011.)
Etre et temps 1/5 Dasein, authenticité, déchéance,
2/ 5 : L'être pour la mort
3/5 : La temporalité
4/ 5 : Le souci et le care
5/5 : La vérité comme dévoilement
Les Nouveaux chemins de la connaissance par Raphael Enthoven,
Préhistoire de la pensée 5/5 : Heidegger, une lecture moderne des présocratiques (12.11.2010.)
Les philosophes amoureux par Raphael Enthoven
Heidegger et Hannah Arendt (04.08.2012.)
Les Nouveaux chemins de la connaissance par Adèle Van Reeth (22.11.2011.)
L'inquiétante étrangeté de l'ordinaire 2/4 : Jeau-Paul Sartre et Martin Heidegger
Les Nouveaux chemins de la connaissance par Adèle Van Reeth (15.04.2013.)
Objets trouvés 1/4 : Qu'est-ce qu'une chose ? De Martin Heidegger
La Nuit rêvée de Barbarin Cassin (29.04.2012.)
141:10 Hommage à Martin Heidegger, pour ses 75 ans par René Farabet
Etre et temps, trad. Emmanuel Martineau
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