jeudi 18 juillet 2013

Roger Godel




Roger Godel (né en 1898 et mort en 1961), est un médecin cardiologue, un philosophe et spiritualiste français.
Médecin en Égypte dans les années 1950 et au Liban, son intérêt pour les philosophies orientales et grecque l'a incité à tenter une réconciliation originale entre la pensée indienne et celles de Socrate et Platon. Cet auteur a donné lieu à un ouvrage d'hommage collectif, Roger Godel : de l'humanisme à l'humain, publié aux Belles Lettres en 1963. En Inde, il recueillit l'enseignement et la sagesse millénaire indienne auprès de Ramana Maharshi et de Krishna Menon.
Source (et suite) du texte : wikipedia


Bibliographie :
- Recherche d'une foi suivi de Figures et images sur la jeunesse de Platon, Éd. Les Belles Lettres, 1940.
- Cité et univers de Platon, Ed. Les Belles Lettres, 1940
- Les Portes d'Ishtar, Institut Français d'Archéologie Orientale, 1945.
- Essais sur l'expérience libératrice, Ed. Gallimard, 1952,  rééd. Almora, 2008.
- Une Grèce Secrète, Éd. Les Belles Lettres, 1960.
- Un compagnon de Socrate, Éd. Les Belles Lettres, 1952, rééd. Flammarion, 1992.
- Socrate et le Sage Indien suivi de Socrate et Diotime, Terre de Socrate, Platon à Héliopolis d'Egypte,  Éd. Les Belles Lettres, 1976
Etudes :
Collectif, Roger Godel, de l'humanisme à l'humain, Ed. Les Belles Lettres, 1963
Voir aussi la page : L'expérience du numineux en montagne


A. — Avant ton départ je souhaiterais t’engager à développer encore une fois ce que tu entends par : le corps est une image mentale, et, deuxièmement, les conséquences que cette donnée implique.

Le Docteur. — Que le corps soit une image mentale, c’est une évidence que nous avons à tout instant, et que, pourtant, nous manquons de réaliser, nous manquons de reconnaître, pourquoi ? parce que, de notre corps, nous avons une expérience par le toucher, une expérience par la vue, une expérience par la douleur que nous lui attribuons — les douleurs dont nous prétendons du moins qu’il est l’origine —, et il est pour nous une constante sollicitation, de telle sorte que cet ensemble — cette imagerie, pouvons-nous dire, cette construction de l’esprit — nous revêt comme s’il était attaché à nous par des liens indissolubles.

A. - Qu’est-ce que tu entends par là ? Que cette image ne repose sur absolument rien de physique ?

Le Docteur. — Ce que nous appelons physique est une idée, un concept. Nous faisons du physique ou du moral une idée purement mentale, uniquement mentale. Nous disons : ceci est physique, ceci est moral. C’est une façon de définir les choses, c’est une façon de définir un phénomène. Cette définition, elle, n’est donc que mentale, elle s’applique à des choses que nous avons le tort d’appeler des réalités ; mais là encore, quand nous attribuons la réalité à l’état physique, matériel, c’est une affirmation d’expérience, une affirmation purement empirique, et discutable, contestable, qui n’appartient qu’à nous. Non ?

A. — Oui… Mais il m’est difficile de comprendre que si j’ai une douleur, je l’ai inventée…

Le Docteur. — Ah mais je n’ai jamais dit qu’une douleur était inventée, je n’ai jamais dit que le corps était inventé. Il donne lieu à des effets manifestés dans un champ de conscience qui est le nôtre, mais si tu sépares cette imagerie ou cet ensemble de représentations du champ de conscience dont tu es toi-même la projection, que reste-t-il ? Un corps qui ne serait pas construit sur un modèle de ta représentation, que serait-il ?

A. — Il ne serait rien, ni moi non plus…

Le Docteur. — Mais non, il ne serait rien, ni toi non plus, c’est exactement cela. S’il n’est rien, toi, telle que tu te considères telle que tu prends conscience de toi-même, tu cesses aussi d’avoir un sens. Donc, l’imagerie et l’idée que tu te fais de toi-même sont solidaires — une seule et même chose…
J’ai un corps, si ce corps disparaît, je ne suis rien, c’est bien une identification avec le corps. Or, ce corps est-il autre chose que l’ensemble des constatations que tu peux faire ?..

A. — Il est mon moyen de communication avec le monde extérieur.

Le Docteur. — Il n’est jamais qu’un moyen de communication avec toi-même.

A. — …et avec le monde extérieur.

Le Docteur — …avec le monde que tu appelles extérieur.

A. — …et qui est ?

Le Docteur. — …qui est, mais qui n’est pas extérieur — qui est extérieur à cette imagerie du corps. Mais est-il extérieur à toi-même ce monde ? Puisqu’il se présente à toi, comment peut-il être extérieur à toi ? Il est extérieur à ton corps, pas à toi. Il est hors de ton corps, c’est incontestable, cette table n’est pas dans ton corps, Marguerite n’est pas dans ton corps, elle est distincte de ton corps, mais est-elle hors de ton champ de conscience ? Hors de ta conscience ? Si elle était hors de ta conscience, tu ne pourrais pas l’atteindre ni par des paroles, ni même par le sentiment d’une présence. Dès qu’un corps ou une chose pénètrent dans ton champ de conscience, cela en fait partie intégrante. Rien n’est hors de ta conscience qui soit concevable, représentable ou imaginable.

A. — …et en mon absence ?

Le Docteur. — Tu postules des présences en ton absence, tu dis : ah je m’en vais et je laisse des gens à tel endroit. C’est une idée que tu te fais, c’est aussi une représentation que tu te donnes. Tu imagines des personnes, tu les situes, par tes souvenirs, tu les situes par ton évocation de leurs silhouettes, de leurs formes et de leurs occupations, tu les situes quelque part dans un cadre qui t’est familier, c’est encore quelque chose que tu évoques.

A. — Mais tu es aussi témoin de mes propres évocations…

Le Docteur. — Je suis témoin seulement de ce que j’affirme, de ce que je déclare. Je ne peux pas être témoin en ton lieu et place, je ne peux pas être témoin pour toi, tu récuserais mon témoignage. Comment puis-je me situer là où tu te situes toi-même ? Comment puis-je te voir telle que tu te vois ?

A. — Nous sommes cependant deux à témoigner des mêmes objets.

Le Docteur. — Mais non, nous nous mettons d’accord pour donner un même nom à des objets, ou pour les décrire de façon similaire. En fait, nous ne pourrons jamais confronter nos expériences ; elles nous sont intérieures, elles ne peuvent pas être confrontées. Il faudrait que je sois simultanément toi et moi pour pouvoir dire : ah, ce que Alice voit bleu, moi je le vois bleu, comment puis-je me situer là où tu te situes, avoir le même spectacle sans être toi-même ? Si cela était possible, c’est que je suis toi, je suis réellement toi, et la vision que tu as, sera la mienne. Si j’aime le bleu et que tu n’aimes pas le bleu, il est certain que tu ne vois pas la couleur de la même façon que moi, parce qu’elle n’est pas simplement une sensation, elle est aussi une adhésion ou un refus. Elle ne peut pas être exactement semblable…

A. — Et cependant quelque chose la rend possiblement compréhensible à toi et à moi…

Le Docteur. — Ce quelque chose résulte uniquement de notre accord, c’est-à-dire d’une convention entre nous. Cette chaise porte une couleur bleue, elle est de couleur bleue, et tu acquiesces, parce que chaque fois que tu as signalé sur un objet la couleur bleue, j’ai pris conscience d’une couleur qui, pour moi, était ce qu’elle est et qui correspondait à ton bleu.

A. — Oui, mais il y a un phénomène qu’il soit ou ne soit pas bleu, et qui est interprété bleu, et un phénomène qui me fait dire bleu et qui te fait dire bleu, d’accord.

Le Docteur. — Et alors? Qu’est-ce que prouve ce phénomène ?

A. — …indépendant de moi personnellement, puisque tu es devant moi, témoin de ce phénomène, et que tu le traduis comme moi — par accord, d’accord…

Le Docteur. — Un accord verbal, et d’ailleurs purement verbal. Cet accord témoigne simplement d’une constance dans les affirmations, c’est tout. Elles ne prouvent rien de plus, elles ne prouvent pas que le bleu soit bleu. Elles prouvent que nous sommes d’accord pour donner le nom et la qualité de bleu à telle expérience empirique, et que par conséquent une similitude dans les constitutions se révèle.

A. — Mais elle est humaine, non ?

Le Docteur. — Qu’est-ce que c’est que l’humain ?

A. — …elle est propre à l’humain cette expérience… il y a donc…

Le Docteur. — …encore un mot, encore un concept, l’humain. L’humain, qu’est-ce que c’est l’humain ?
(...)
La Jonchère, le 14 mai 1960.
Source (et suite) du texte : 3e millénaire / autres articles

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