mardi 14 septembre 2010

La demande du philosophe



- Sans mot et sans absence de mots, peux-tu me dire la vérité ?
Le Bouddha garda le silence.
Alors le philosophe s'inclina respectueusement et remercia le Bouddha :
- Par ta compassion j'ai dissipé mes illusions et j'ai atteint la vraie voie.
Plus tard, Ananda demanda au Bouddha ce que le philosophe avait atteint. Le Bouddha répondit :
- La seule ombre d'un fouet fait galoper un bon cheval.
Ekai, extrait du Wu Men Kuan (la barrière sans porte), écrit par ses disciples,  XIIIe siècle. 


Suivant l'analyse que l'on en fait ce koan, sous forme de dialogue, sera absurde ou ne le sera pas. 


Première analyse : le koan est un pur non sens. 

     La phrase du philosophe est absurde à plus d'un titre. 
"Sans mots (...) peux-tu me dire (...)"
Dire consiste à aligner une suite de mots, demander de dire quelque chose (ou de produire du sens) avec une absence de mots ne veut strictement rien dire. 
"Sans mots et sans absence de mots (...)"
"Sans absence de mots" équivaut à "avec des mots". Comment peut-on à la fois proférer des mots et ne pas les proférer ? C'est absurde. 
     Le Bouddha ne respecte pas la demande du philosophe puisqu'il ne prononce aucune parole - mais il ne l'aurait pas non plus respectée s'il en avait prononcé.  Bien que le Bouddha viole l'interdiction du philosophe, le philosophe est satisfait de la non réponse. Il qualifie même celle-ci de compassion et affirme avoir dissipé ses illusions et atteint la vraie voie. C'est insensé.
     Seconde demande mais cette fois-ci de la part du disciple Ananda, à nouveau le Bouddha ne répond pas correctement, il ne fait que citer un proverbe qui semble ne rien à voir avec la situation. A quoi correspond la métaphore ? Qu'elle est l'ombre, le fouet, le galop et le cheval ? Le mental est souvent comparé à un cheval, est-ce alors le mental du philosophe qui part au galop ? C'est incompréhensible. 


Seconde analyse : le koan fait sens. 

     "Sans mots et sans absence de mots" pointe vers un dépassement du langage et des concepts. La vérité dont il s'agit n'est pas une adéquation entre une proposition et un fait, elle n'est rien d'autre que la réalité ou la connaissance de cette réalité. Le silence du Bouddha est une présence qui lui montre directement cette vérité/réalité. Le philosophe le comprend, c'est pourquoi il remercie le Bouddha de sa compassion, son ignorance est dissipée (concernant sa propre non réalisation), désormais il partage l'état du Bouddha. 

     L'analogie montre que le philosophe (le bon cheval) est d'une nature suffisamment douée pour comprendre le silence du Bouddha (l'ombre d'un fouet), dissiper ses illusions et atteindre la voie (le galop). 





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