Smedley Butler et le racket de la guerre
Par Sheldon Richman, le 10 février 2015
De 1898 à 1931, Smedley Darlington Butler à été membre du Corps des marines états-unien. Au moment de prendre sa retraite, il avait atteint le grade le plus élevé de ce Corps d’armée existant à l’époque, major général; et jusqu’au moment de sa mort, en 1940 à 58 ans, il avait obtenu plus de décorations que tout autre Marine, dont deux médailles d’honneur. Durant ses années de service, il avait été envoyé aux Philippines (au moment du soulèvement contre l’occupation états-unienne), en Chine, en France (durant la Première Guerre mondiale), au Mexique, en Amérique Centrale et à Haïti.
Connaissant ce curriculum vitae, Butler avait probablement choqué un grand nombre de gens en 1935 (alors que se profilait la Seconde Guerre mondiale), en écrivant dans le magazine Common Sense :
«J’ai effectué 33 ans et 4 mois de service actif et, durant cette période, j’ai passé la plupart de mon temps comme gros bras pour le monde des affaires, pour Wall Street, et pour les banquiers. En bref, j’étais un racketteur, un gangster au service du capitalisme. J’ai aidé à sécuriser le Mexique, plus particulièrement la ville de Tampico, au profit des groupes pétroliers américains en 1914. J’ai aidé à faire de Haïti et de Cuba un endroit convenable pour que les hommes de la National City Bank puissent y faire des profits. J’ai aidé au viol d’une demi-douzaine de républiques d’Amérique centrale au bénéfice de Wall Street. J’ai aidé à purifier le Nicaragua au profit de la banque américaine Brown Brothers de 1902 à 1912. J’ai apporté la lumière en République dominicaine au profit des entreprises sucrières américaines en 1916. J’ai livré le Honduras aux entreprises fruitières américaines en 1903. En Chine, en 1927, j’ai aidé à ce que l’entreprise Standard Oil fasse ses affaires en paix.
Quand je repense à tout ça, je pourrais donner quelques conseils à Al Capone. Le mieux qu’Al Capone pouvait faire, c’était de racketter trois quartiers. Moi, j’agissais sur trois continents.»
La même année, il a publié un livre bref, qui a fait sa célébrité, intitulé La guerre est un racket. Butler ouvrait son livre avec ces mots:
La guerre est un racket. Il en a toujours été ainsi.
C’est peut-être la forme de racket la plus ancienne, de loin la plus rentable, sûrement la plus vicieuse. Elle est la seule d’envergure internationale. Elle est la seul dans laquelle les profits sont comptés en dollars et les pertes en vies humaines.
Il continuait en disant: «Pendant de longues années, en tant que soldat, j’ai eu la suspicion que la guerre était un racket; ce n’est qu’après que je sois revenu à la vie civile que je l’ai pleinement réalisé. Maintenant que je vois les nuages de la guerre internationale se rassembler, comme cela se passe aujourd’hui, je dois l’affronter et parler haut et fort».
Payer le prix
Butler continuait en décrivant ceux qui supportent les coûts de la guerre – les hommes qui meurent ou retournent chez eux avec des vies brisées, et les contribuables; mais qui en profite? Les sociétés qui vendent des biens et des services à l’armée. (Le terme complexe militaro-industriel ne s’imposera pas avant 1961, lorsque Georges Dwight Eisenhower l’a utilisé lors de son discours d’adieu. Voir le livre de Nick Turse, The Complex : How the Military Invades Our Daily Lives (Le Complexe : Comment l’armée envahit notre vie quotidienne.)
Écrivant au milieu des années 1930, Butler avait prévu une guerre des États-Unis contre le Japon afin de protéger le commerce avec la Chine et les investissements dans les Philippines, et il avait déclaré que cela n’aurait aucun sens pour l’États-unien moyen:
Nous serions tous attisés pour haïr le Japon et aller en guerre, une guerre qui pourrait nous coûter des dizaines de milliards de dollars, des centaines de milliers de vies d’États-uniens et beaucoup d’autres centaines de milliers d’hommes mentalement dérangés et blessés physiquement.
Bien sur, pour compenser cette perte, il y aurait un profit, des fortunes seraient faites. Des millions et des millions de dollars seraient empilés. Par un petit nombre. Des fabricants de munitions. Des banquiers, des constructeurs navals. Des industriels. Les fabricants de viande en boite. Les spéculateurs. Ils se porteraient à merveille…
Mais en quoi cela profite-t-il à ceux qui sont tués ? En quoi cela profite-t-il à leurs mères et leurs sœurs, leurs épouses et leur dulcinées? En quoi cela profite-t-il à leurs enfants ?
A qui cela profite-t-il si ce n’est à un tout petit nombre de gens pour qui la guerre signifie d’immenses profits ?
Considérant que, « jusqu’en 1898 (et la guerre hispano-états-unienne) nous ne possédions pas un bout de territoire à l’extérieur de la masse continentale nord-américaine», il observait qu’après être devenue une puissance mondiale expansionniste, la dette du gouvernement avait été multipliée par 25 et que «nous oublions l’avertissement de Georges Washington au sujet des alliances entremêlées. Nous sommes partis en guerre. Nous avons acquis des territoires à l’extérieur».
Il aurait été bien moins coûteux (pour ne pas dire plus sûr) à l’ États-unien moyen, qui paie la facture, qu’il reste éloigné des entremêlements étrangers. Pour un tout petit nombre, ce racket, comme la contrebande et d’autres rackets du monde souterrain, rapporte de jolis profits, mais le coût de l’opération est toujours transféré au peuple, qui n’en tire aucun profit.
Butler détaillait les immenses profits des sociétés qui avaient vendu des biens au gouvernement durant les dernières guerres et interventions, et les banques qui avaient créé l’argent pour les bons du Trésor du gouvernement.
Les profits habituels du monde des affaires aux États-Unis sont de l’ordre de six, huit, dix, parfois douze pour cent. Mais les profits réalisés en temps de guerre – ah ! C’est une autre affaire – vingt, soixante, cent, trois cents et même jusqu’à mille huit pour cent. Les cieux sont la limite. Tout ce trafique rapporte. Oncle Sam à les moyens. Servons-nous en.
Bien sûr, en temps de guerre, on n’amène pas la chose de façon aussi crue. On la revêt de patriotisme, d’amour du pays et de nous devons tous nous serrez les coudes et œuvrer ensemble, mais les profits grimpent, s’élèvent, s’envolent et son tranquillement empochés.
Et qui passe à la caisse ? «Nous les payons tous, avec les impôts… Mais les soldats paient la part la plus importante de la facture.»
Sa description des conditions à l’hôpital pour vétérans me rappelle ce que l’on peut entendre aujourd’hui à propos du système de santé délabré de ces derniers. Butler exprimait son indignation quant à la façon dont les membres des forces armées sont essentiellement trompés pour aller à la guerre pour un salaire de misère.
On a dessiné des idéaux magnifiques pour les gars qui ont été envoyés se faire tuer. Il s’agissait d’une guerre pour mettre fin à toutes les guerres. Il s’agissait de la guerre pour rendre le monde plus sûr pour la démocratie. Personne ne leur a dit, alors qu’ils s’en allaient, que leur départ et leur mort signifieraient d’énormes profits réalisés grâce à la guerre. Personne n’a dit à ces soldats états-uniens qu’ils pourraient être abattus par des balles fabriquées par leurs propres frères à la maison. Personne ne leur à dit que les navires sur lesquels ils allaient traverser l’océan pourrait être torpillés par des sous-marins construits aux États-Unis. Tout ce qu’on leur a dit est que se serait une aventure glorieuse.
Ainsi, après les avoir gavé de patriotisme, il a été décidé de les aider à payer pour la guerre. On leur a donc donné un salaire astronomique de 30$ par mois.
Faire en sorte que la guerre soit moins probable
Butler avait proposé des façons de faire pour que la guerre soit moins probable. Contrairement à d’autres personnes, il ne croyait pas trop aux conférences de désarmement ou à d’autres choses comme celle-ci. Il proposait plutôt trois mesures :
1.– Récupérer le profit fait sur la guerre en enrôlant le capital, l’industrie et le la main d’œuvre;
2.– Soumettre la question de savoir si l’on entre dans une guerre à un vote n’impliquant que ceux qui seraient appelés à se battre et à mourir;
3.– S’assurer que nos forces militaires ne soient que défensives.
Il est peu probable que ces mesures soient jamais adoptées par le Congrès ou signées par un Président. Et, bien entendu, la conscription est moralement inacceptable même si l’idée d’enrôler les profiteurs de guerre est assez séduisante. Mais le cœur de Butler était placé au bon endroit. Il était conscient de ce que son programme n’aurait aucun succès : «Je n’ai pas la folie de croire que la guerre soit une chose du passé.»
Pourtant, il a formalisé en 1936 son opposition à la guerre dans sa proposition constitutionnelle d’un amendement pour la Paix . Il comprenait trois dispositions :
– Interdiction pour les membres des forces armées terrestres de sortir de l’intérieur des limites continentales des États-Unis et de la zone du canal de Panama.
– Les vaisseaux de la marine états-unienne, ou toutes autres branches du service armé, sont par conséquent interdits de naviguer, pour quelque raison que se soit, à plus de cinq cent miles de nos côtes, sauf pour des missions de charité.
– Les avions de l’armée, de la Marine ou du Corps de marines sont par conséquent interdits de vol, pour quelque raison que se soit, à plus de sept cents cinquante miles au-delà des côtes états-uniennes.
Dans un article publié dans le journal Woman’s Home Companion de septembre 1936, il avait développé son point de vu sur l’amendement et sa philosophie.
Dire que plus les choses changent, plus elles restent les mêmes est bien entendu un cliché, mais en lisant Butler aujourd’hui, qui peut ne pas y penser ? Alors que nous voyons Barack Obama réintroduire l’armée états-unienne de façon unilatérale et illégale dans le désastre irakien auquel elle à contribué et s’engager plus profondément dans la violence en Syrie, nous pourrions tous nous joindre à la déclaration par laquelle Butler termine son livre :
AU DIABLE LA GUERRE !
Post scriptum. Butler à publiquement affirmé en 1934 avoir été approché par un groupe d’hommes d’affaires pour conduire un demi-million de vétérans de la guerre (1914-18, NdT) dans le but de mener un coup d’État contre Franklin. D. Roosevelt, destiné à établir une dictature fasciste. Cet épisode est connu comme le Business Plot (le complot du monde des affaires, NdT). Un comité spécial avait été mis en place par la Chambre des députés états-unienne, il avait entendu Butler, d’autres personnes, et il est rapporté qu’ils avaient émis un document contenant une confirmation. Le supposé complot a été le sujet d’au moins un livre, The Plot to Seize the White House (Le complot pour prendre la Maison- Blanche, NdT) et de nombreux articles.
Sheldon Richman
Sheldon Richman est le vice président de la Future of Freedom Foundation et l’éditeur du journal mensuel de la FFF, Futur de la Liberté. Durant quinze ans, il a édité le Freeman, publié par la Fondation pour l’éducation économique à Irvington, New York. Il est l’auteur du livre primé de la FFF, Separating School & State : How to Liberate America’s Families (Séparer l’école de l’état: Comment libérer les familles états-unienne, NdT) ; http://fff.org/
Les lecteurs pourront voir un extrait de l’allocution filmée où Smedley Butler dénonçait le complot supposé, ourdi contre les Etats-Unis par les grands banquiers de Wall Street (en anglais)
Source : Information Clearing House / Le Saker Francophone (trad)
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