Interview de Charles Gaves, "Il n'y a plus de liberté de la presse" (Planetes360, novembre 2016)
"L'appareil médiatique était censé être un contre-pouvoir, on appelait ça le quatrième pouvoir, législatif, exécutif, judiciaire, et la presse. Aujourd'hui ces grands médias sont tous vendus à d'énormes groupes internationaux, les journalistes n'y ont plus aucune autonomie et disent ce qu'on leur dit de dire, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de liberté de la presse."
A propos de son dernier livre :
Sire, surtout ne faites rien ! Vous nous avez assez aidés, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, 2016
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La presse mainstream de plus en plus décriée.
Par Lilian Held-Kawham, le 16 novembre 2016 - LHK
La Pravda, un titre propagandiste sous contrôle de l’Etat. Un prototype de la presse dont personne ne veut !
La défiance est toujours plus grande vis-à-vis de deux groupes d’acteurs de la vie politique et publique: les sondeurs et les journalistes mainstream.
Si nous pouvons tourner le dos aux sondeurs et les ignorer, le gouffre béant qui grandit de jour en jour entre les journalistes des principaux médias et le public est autrement plus gênant.
Bien sûr que nous parlons souvent ici des médias comme outil au service de la démocratie et qu’un peuple mal informé ne peut exercer ses droits démocratiques dans des conditions convenables. A contrario, un peuple bien informé est un danger pour une oligarchie qui s’est appropriée le pouvoir indûment.
C’est pourquoi, les régimes totalitaires ont toujours muselé et contrôlé la presse. La Turquie offre un exemple édifiant de la mise sous tutelle d’une presse qui prétendait à un minimum de libertés.
En Occident, la presse est toujours plus bridée par le parti d’investisseurs dont les intérêts sont ailleurs que dans le métier du journalisme. Et ces oligarques des temps modernes investissent des sommes folles dans des titres, véritables gouffres financiers. Pourquoi? Mais pour tout simplement continuer à bénéficier des avantages et de la complaisance du système.
Et voilà, nos journalistes hier populaires qui se retrouvent piégés entre leur métier d’informer et la menace implicite ou explicite s’ils devaient aller à l’encontre des intérêts de ceux qui paient leurs salaires.
Ainsi, lors d’échéances électorales ou référendaires, nous assistons toujours plus à des partis pris lourds pour un candidat ou un autre, pour ou contre un sujet de votation, pour amplifier des informations bénignes (pour ne pas dire inintéressantes) ou pour taire des situations graves (la persécution des Chrétiens d’Orient en est un exemple parmi bien d’autres).
Le journaliste grand public qui devrait se contenter d’analyser le plus objectivement possible les situations et le restituer sans y mettre ses émotions, préférences, ou tout autre élément subjectif, devient ridicule quand il est démenti par une vidéo ou une information sourcée qui fait le tour du net. Et alors on perd la dernière estime quand on découvre dans certains pays les accointances entre les stars des médias, le monde politique et celui de la haute finance.
C’est pour cela que les finances des médias sont plombées.
Reste Internet dont le succès ne se dément pas et qui fonctionne en contrepoids d’une certaine presse devenue trop complaisante avec ce qui est appelé toujours plus l’élite. Et même s’il y a à boire et à manger sur le net, celui-ci détrônera toujours plus les médias mainstream. C’est fatal! D’ailleurs, avec un peu d’expérience on finit par repérer des sites professionnels où les informations sont sourcées clairement. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas et ces sites peuvent finir par drainer bien plus de visiteurs que la presse officielle.
Cette tendance ne pourra que progresser si nos médias préférés continuent à inviter comme guest stars des « experts » dont les pronostics sont constamment faux et que les gens ne supportent plus de voir, de lire ou d’entendre. Cet entre-soi est devenu littéralement insupportable pour bon nombre des citoyens.
Bref, la presse devra se réinventer et retrouver son sens de l’analyse, de l’investigation et des interviews sans concession faute de quoi, elle va disparaître et ses propriétaires ne manqueront pas d’engager ceux qui se seront fait un nom sur le net.
Je vous invite à découvrir cette vidéo de C Gave [haut de page] et un extrait de l’interview de Brice Couturier [interview intégral ci-dessous] qui revient sur la claque que l’électeur américain a donné aux médias officiels.
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L'Invité des Matins (2ème partie) par Guillaume Erner
Accusés médias, levez-vous ! (le 17 novembre 2016)
avec Brice Couturier : Chroniqueur à France Culture, "le Tour du monde des idées", du lundi au vendredi à 11h53
Pierre Haski : cofondateur de Rue89
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«Donald Trump a mis une claque au Parti des médias»
Inerview de Brice Couturier, journaliste, écrivain, par Alex Devecchio, le 16 novembre 2016 - Le Figaro
La victoire de Donald Trump a surpris l'écrasante majorité des «experts» et des médias ainsi que la classe dirigeante. Comment expliquez-vous une telle cécité?
Quelle claque! Plus de 200 journaux américains avaient soutenu Hillary Clinton. Tous ceux qui comptent, des plus élitistes, comme le New York Times, le Washington Post ou le Wall Street Journal, jusqu'aux plus populaires, tels que USA Today, théoriquement non-partisan, voire même le Daily News. En face, 6 seulement soutenaient le candidat qui allait, finalement, l'emporter. Des titres de très peu d'importance, d'ailleurs. Ce que cela prouve? Que le monde des médias américains, pourtant soumis, bien davantage que chez nous, à la loi du marché et aux suffrages de l'opinion, est déconnecté des aspirations de la majorité de la population. Entre les élites supposées et les classes moyennes et populaires, ce n'est plus un fossé, c'est un abîme qui s'est creusé. Pourquoi? Parce que, d'une manière générale, dans nos démocraties, le monde que décrit la sphère politico-médiatique n'est pas celui dans lequel ont l'impression de vivre la majorité des gens. Alors, forcément, ça les énerve. Et ils ont de plus en plus tendance à voter contre ce que leur recommande le prêchi-prêcha médiatique.
Vous êtes de ceux que cela réjouit?
On aurait envie de battre des mains devant cette déconvenue méritée… si le résultat n'était pas l'arrivée à la tête de la plus puissante démocratie libérale du monde d'un personnage aussi manifestement inapte à la fonction présidentielle. Alors, on peut féliciter le New York Times d'avoir publié une tribune dans laquelle ce grand quotidien reconnaissait s'être planté, avoir méconnu la réalité sociale du pays, être passé à côté d'un évènement de portée historique. On attend encore le même genre de confession de la part des médias français. Pensez que certains en sont encore à mettre en cause le «plafond de verre» qui empêcherait une femme de devenir présidente des Etats-Unis! Comme si un pays qui a été capable d'élire à deux reprises un président noir - alors que ceux-ci ne représentent que 12 % de la population -, ne pourrait pas élire une femme - alors qu'elles sont plus nombreuses à voter que les hommes.
Dans les colonnes de FigaroVox, vous déclariez «le parti des médias et l'intelligentsia méprisent la réalité.». Ont-ils méprisé Donald Trump et ses électeurs?
Ah oui! Que n'a-t-on pas entendu sur ces «petits blancs», forcément racistes ; sur ces ploucs non diplômés de l'Université, et incapables, de ce fait, de s'élever à l'altitude proprement himalayesque où évoluent les grands esprits qui peuplent les départements des «post-colonial studies»! Y compris, chez nous, en France, où l'antiaméricanisme des élites s'alimente, depuis toujours, à un mépris culturel du «red-neck», amateur de country-music, du crétin des Appalaches, plus ou moins dégénéré. Hillary Clinton a commis une fameuse gaffe, en déclarant que les électeurs de Trump étaient deplorable (lamentables, pitoyables). C'est cette arrogance qui a été ressentie comme insupportable. Même chose, ici, en France. L'élite ignore tout du pays profond. Comment le connaîtrait-elle? Pensez que les médias nous ont présenté les Nuits Debout comme l'amorce d'un mouvement social de fond qui s'apprêtait à révolutionner le pays! Tandis que les spécialistes en sciences sociales nous vantent «l'intersectionnalité des luttes», ou le «féminisme islamiste»! On est bien avancés. Ceux qui essaient de comprendre ce qui se passe, comme Christophe Guilluy, se font traiter de suppôts du Front national! Laurent Davezies, Eric Dupin, ou encore Jean-Pierre Le Goff, pour ne prendre que ces trois-là, ne sont pas lus par les politiques. Ils auraient pourtant beaucoup à y apprendre.
Est-ce la fin du «politiquement correct» inventé au Etats-Unis?
Ah! Ce serait trop beau! Mais une chose est sûre: Hillary Clinton s'est pris les pieds dans le tapis de l'appel au vote «genré» et «racialisé». Durant toute sa campagne, elle en a appelé au vote des femmes, comme s'il lui était acquis par droit naturel. Seulement 54 % des électrices l'ont finalement choisie. Malgré tous les témoignages accablants sur le sexisme de Trump. Elle a aussi semblé considérer que vote des Noirs et des Hispaniques lui revenait d'office. Elle a pratiqué, comme jamais auparavant dans une présidentielle, la «politique des identités» à laquelle s'est converti le Parti démocrate. Mais, d'une part, ces électeurs n'ont pas apprécié d'être considérés comme acquis: 29 % des Latinos ont voté Trump, soit deux points de plus que pour Mitt Romney en 2012. Et d'autre part, Clinton a provoqué, par contre-coup, un réflexe de «victimisation» au sein de la classe ouvrière blanche. Car le grand paradoxe des politiques identitaires, c'est de flatter toutes les minorités sauf une. On répète aux petits blancs qu'ils sont en train de perdre la majorité et qu'en plus, ils sont des ratés, sans recours possible à l'affirmative action. Comment s'étonner qu'ils se constituent en minorité agissante, comme les autres? Avec discipline de vote et lobbying à la clé. Obama avait essayé d'engager les États-Unis dans la voie d'une politique post-raciale. Clinton a dilapidé cet héritage. Ça laissera des traces.
Dans une chronique de France culture, vous mettiez en lumière la fracture politique et sociale des Etats-Unis…
C'est comme s'ils étaient au bord d'une nouvelle Guerre de Sécession! Et cette campagne électorale n'aura rien arrangé. Le fossé entre démocrates et républicains s'est creusé. Fini, le temps où l'électorat des deux partis se recoupait, au centre. Ensuite, il y a la fracture sociale entre l'Amérique des diplômés et celle des laissés-pour-compte. Entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. La tradition consistait, pour le parti vaincu aux présidentielles, à participer à l'élaboration des politiques en négociant à partir de ses positions au Congrès. Sous Obama, le système a été bloqué. «Congressional gridlock». Blocage par le Congrès. La plupart des grands projets d'Obama ont été ainsi enrayés ; que ce soit la Banque d'investissement dans les infrastructures ou l'idée d'un impôt négatif pour les travailleurs pauvres. Cette fois, les Républicains tiennent la présidence, la Chambre des Représentants, le Sénat et 33 sièges de gouverneurs sur 50. Sans compter, la majorité conservatrice de la Cour Suprême. On peut redouter que cela crée une frustration terrible chez les démocrates et leurs partisans.
La France n'est-elle pas tout aussi fracturée? Un phénomène Trump est-il possible en France?
Je ne sais pas. D'abord, Trump n'a pas d'équivalent en France. Un pro de la télé qui séduit l'électorat parce qu'il se vante de n'être pas un politique. Un provocateur, qui se sert de son inexpérience, voire de son incompétence, pour se faire élire par un électorat qui a pris la classe politique en haine, nous n'avons pas ce profil… Ou alors Cyril Hanouna, bien davantage qu'Eric Zemmour, auquel certains ont songé. Marine Le Pen s'y voit déjà. Mais paradoxalement, son entreprise de dédiabolisation du Front national la dessert dans ce registre. Elle cherche à apparaître comme une politicienne comme les autres. Son père, lui, savait mettre les rieurs de son côté en faisant le singe. La voie choisie par Trump a été précisément de ne pas jouer le jeu politique traditionnel, d'en transgresser toutes les règles, de s'en moquer ouvertement, en prenant les spectateurs à témoin, de manière à les rendre complices. C'est un truc de one-man show. Ca demande du métier!
Trump est isolationniste en matière de politique étrangère et protectionniste en matière économique. Sa victoire est-elle le résultat du double échec du «néoconservatisme» et du «néolibéralisme»?
Ah oui, voir en Donald Trump l'incarnation du néo-libéralisme, comme l'a fait, par exemple, François Cusset dans Libération, c'est du dernier comique. Une partie des intellectuels de gauche est bien embêtée: Trump est un altermondialiste doublé d'un keynésien! Il entend renégocier tous les traités de libre-échange déjà signés comme l'ALENA et refuser tous ceux qui ne le sont pas encore, comme le TTIP. Il est violemment hostile à l'OTAN, qu'il considère comme «dépassé» et laisse entendre que les alliés des Américains n'ont qu'à se débrouiller tout seuls. Son programme de grands travaux de type New Deal, il l'a chiffré à 550 milliards de dollars, ce qui est proprement astronomique. Nos intellectuels de gauche n'aiment pas tout ce qui, dans le programme de Trump, le rapproche de la gauche la plus traditionnelle.
Vous avez soutenu ce double mouvement. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il plus?
C'est vrai. Je continue à penser que notre monde est bien plus dangereux depuis que le shérif américain est devenu réticent - avec Obama. Voyez la Syrie. Et je crains qu'il ne devienne encore plus dangereux avec, à la Maison Blanche, un isolationniste qui considère que la planète peut bien sombrer dans le chaos, pourvu que les Etats-Unis soient protégés par deux océans et une grande muraille. Quant à la mondialisation, si elle est désormais refusée par des majorités, c'est parce qu'on lui fait porter le chapeau de deux autres phénomènes: les révolutions combinées du numérique et de la robotique - qui vont remplacer les emplois salariés par l'uberisation du travail, et l'immigration de masse, qui menace les modes de vie locaux et les unités nationales. Les peuples réclament des frontières derrière lesquelles ils pensent trouver les protections auxquelles ils étaient habitués. Je ne crois pas que cela puisse fonctionner comme dans les années 50… En outre, la démondialisation qui se profile, en effet, va plomber la croissance. Vous verrez.
L'élection de Trump après la victoire du Brexit marque-t-elle le début d'une nouvelle ère qui serait celle de «la fin de la fin de l'Histoire» et du retour des nations?
-Oui, peut-être. Mais j'y vois plutôt la poursuite d'un processus de prise du pouvoir par des populistes. Il y a eu les phénomènes Poutine, Erdogan, Orban, Xi Linping, et maintenant Trump: un nouveau type de dirigeants nationalistes et autoritaires, qui considèrent le reste du monde comme globalement hostile. Et au milieu de cette mêlée, notre pauvre petite Union européenne, incapable de décider quoi que ce soit, sans parler de se défendre. Ca nous promet des lendemains qui déchantent…
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