mercredi 16 novembre 2016

Vers un monde multipolaire ?



Les Chroniques de Jacques Sapir avec Philippe Bechade et Cyril Collet, Donald Trump : protectionnisme ou libre-échange ? (Sputnik, 15 novembre 2016)

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Lire aussi (lien externe) : Trump et Poutine pour une "normalisation" des relations entre la Russie et les États-Unis, le 14 novembre 2016 - Europe 1


La victoire de Donald Trump 
Par Alexandre Douguine, e 10 novembre 2016 - Katehon / Le Saker francophone (trad.)

Ces jours-ci, il n’est guère possible d’aborder autre chose que l’étonnante victoire de Donald Trump et la défaite écrasante de la protégée du globalisme, Hillary Clinton, aux élections américaines. Cet événement est si important pour l’ordre mondial, qu’il peut être analysé de différents côtés. Tout est si saturé de significations différentes, que vous ne savez pas par quoi commencer…

L’ascension de Trump marque d’abord et avant tout la fin décisive du monde unipolaire. Trump a directement rejeté l’hégémonie américaine sous sa forme douce, celle que le Council On Foreign Relations (CFR)  promeut, et sous sa forme dure, comme le demandent les néoconservateurs. Lors de ces élections, les deux principaux think tanks américains se sont ralliés à la candidature de Clinton et se sont effondrés.

Cela signifie que le monde unipolaire est liquidé, non seulement sous la pression d’autres pays, mais de l’intérieur de l’Amérique elle-même. Les peuples et les États du monde peuvent enfin respirer profondément. L’expansion du mondialisme a été stoppée au centre même de la mondialisation. Le nouveau monde multipolaire signifie que les États-Unis deviendront désormais l’un des pôles de l’ordre mondial, puissant et important, mais pas le seul, et surtout sans aucune prétention à être exceptionnel.

Poutine, à l’avant-garde de la lutte pour la multipolarité, a mené à cela. Le 8 novembre 2016 a été une victoire très importante pour la Russie et pour lui personnellement. Il n’y a pas d’alternative à l’ordre multipolaire, et maintenant nous pouvons enfin créer l’architecture de ce nouvel ordre mondial – non par la guerre, mais par la paix. Trump a apporté cela avec lui.

La victoire de Trump montre qu’il y a deux Amériques aujourd’hui, ou plutôt, deux versions des États-Unis : l’Amérique de Clinton et l’Amérique de Trump. L’Amérique de Trump est traditionnelle et conservatrice, saine et digne de respect. Cette Amérique a dit un non retentissant au mondialisme et à l’expansion de l’idéologie libérale. C’est la véritable Amérique, l’Amérique du réalisme, qui a choisi son président et qui n’a pas succombé à la propagande des médias libéraux mondialistes. Cela signifie plus que simplement une faillite complète pour presque tous les grands réseaux et grandes sociétés d’information, à part le Los Angeles Times qui, contre tous les autres, a prédit avec confiance la victoire de Trump. Cela signifie l’émergence d’une nouvelle sphère d’information, dont le symbole est Infowars d’Alex Jones, qui est devenu la source la plus puissante de l’information véritable aux États-Unis et dont le public a rapidement augmenté à 20 millions en quelques jours, en contournant les canaux d’information à gros budget. Ce n’est pas seulement le pouvoir de la croyance, c’est le pouvoir de la vérité.

En insistant sur le fait que la vérité importe, Alex Jones exprime la position de l’Amérique réelle, celle de l’Amérique qui a reconnu son représentant parfait dans Trump. Plus de la moitié de la population américaine croit seulement en elle-même, et non pas à la propagande globaliste libérale mensongère des élites transnationales. C’est une excellente nouvelle. Le dialogue peut avoir lieu avec ce genre d’Amérique. Une autre Amérique est sortie de l’ombre, dont les sources d’information symboliques sont maintenant The Los Angeles Times et la télévision Internet d’Infowars.

Alex Jones l’affirme clairement : la victoire de Trump est le début d’une révolution américaine. Les gens renversent l’élite transnationale. C’est l’aube d’une lutte de libération nationale. Les réseaux du gouvernement mondial ont relâché leur emprise sur la gorge américaine et dorénavant, l’Amérique sera dans la même position que tous les autres États engagés dans la même lutte des peuples, des cultures et des traditions, contre la secte libérale maniaque des globalistes. Aujourd’hui, nous sommes tous solidaires du peuple américain.

Après ces élections, nous devrions abandonner l’anti-américanisme simpliste, ce qui était tout à fait approprié lorsque les États-Unis étaient gouvernés par les globalistes, mais est maintenant déplacé. Si l’Amérique, comme Trump l’a promis, se concentre sur ses problèmes internes et laisse l’humanité tranquille, il n’y a plus de raison de la haïr.

Après tout, ce n’est pas l’Amérique, mais ses élites agressives qui ont imposé à l’humanité des valeurs antinaturelles, répulsives et destructrices, et subjugué les États, semé la terreur et le chaos sous le couvert de la démocratie, versant des océans de sang et envahissant des États souverains. Trump n’appartient pas à ces élites. Il n’est pas l’un d’entre elles. Cela signifie qu’il soutiendra d’autres valeurs – conservatrices, américaines et chrétiennes. Sa politique envers le reste du monde sera différente.

Les libéraux européens ont perdu leur boussole. Lorsqu’ils appelleront piteusement Washington pour demander où et quand le prochain défilé gay devrait avoir lieu, Merkel ou Hollande obtiendront maintenant une réponse rustique et rude, à l’américaine : «Va au diable.»

Les réseaux mondialistes d’innombrables ONG et agents étrangers en Russie perdront encore plus de soutien. S’ils veulent aider l’Amérique de Trump, alors ils peuvent aller aux États-Unis et travailler sans relâche. On ne consacrera plus de fonds à la lutte contre les autres cultures et traditions. Contrairement à Clinton, Trump ne considère pas les LGBT, le féminisme et le postmodernisme comme les derniers mots du progrès, mais comme une maladie. Le meilleur qu’ils peuvent encore espérer de l’Amérique maintenant, est le traitement de leurs perversions. La Fondation Soros, une organisation déjà interdite en Russie, sera apparemment dans un proche avenir reconnue comme extrémiste aux États-Unis. Tout cela, et bien plus encore, est le travail de Donald Trump.

Certains rétorquent que nous surestimons Trump. Hier, ils se sont moqués de nous quand nous avons prédit sa victoire. Aujourd’hui, notre temps est venu. C’est une fenêtre d’opportunité, elle est ouverte. Si nous ne l’utilisons pas maintenant, alors nous n’aurons que nous-mêmes à blâmer.

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 "La question du racisme doit être posée sans illusion mais le discours qui vise à dire que le vote Trump est le vote des petits blancs racistes n'est pas seulement absurde, c'est juste le contraire"
Par Emmanuel Todd, le 15 novembre 2016 - Atlantico

Après le Brexit, après Donald Trump, quelles sont les leçons à tirer, pour la France et l'Europe, de ce qui s'apparente de plus en plus à un mouvement de fond ? Comment jugez-vous la réaction officielle de François Hollande ?

Quand on me parle de François Hollande, je hausse les épaules. Ma seule demande, en ce qui le concerne, c'est qu'il rembourse ses frais de coiffeur à la République. Il est nul, au bord d’une rupture psychique avec le réel, mais il est injustement devenu le bouc émissaire de la médiocrité de la classe politico médiatique française. Aucun des candidats du système ne fera autre chose que la politique de Hollande : rester dans l'euro et dans le libre-échange. Avec les mêmes conséquences désintégratrices pour la société française, et la même montée de violence qui en résulte.

Mais ce serait pourtant pour les "élites" françaises le moment d’être lucides et de ne pas refaire en 2017 l’erreur de 1981 : agir à contre temps des pays dominants et leaders, anglo-saxons.

Regardez. La révolution néolibérale démarre avec Thatcher en 1979 et Reagan en 1980 ; en 1981 la France de Mitterrand opère un contretemps exceptionnel. Alors que le virage néolibéral commence, la France amorce un virage soviétique. Elle nationalise. Tout cela pour aboutir, dès 1983, à un retournement mal maitrisé, qui se croit néolibéral mais qui n’est en fait qu’austéritaire. Nos hauts-fonctionnaires naïfs vont finir par concevoir l'euro en le pensant libéral alors qu'il s'agit en fait d'une construction typiquement étatique, presque soviétique dans son désir de domination par en haut de la société.

2017 sera peut-être l'occasion, pour la France, de faire la même erreur, mais à l'envers. Après le Brexit, et Donald Trump, les Anglo-saxons bougent dans le sens de la reconstruction nationale et s’éloignent de l’idéal de la globalisation. Nos candidats de droite, dont l’un sera président, font assaut de néolibéralisme. Tous sont des libre-échangistes bêtas. L’un d’entre eux sera peut-être un nouveau Mitterrand, agissant à contretemps sur la scène mondiale.

Vous faites l’impasse sur le Front national

En France, on peut avoir le sentiment que le Front national est le parti trumpien. Mais il y une différence de fond : aux Etats Unis, au Royaume Uni, la dissidence est venue de l'intérieur même du système : Boris Johnson, Donald Trump sont des gens du système. De son côté, la France n'a trouvé, pour défendre ces idées, que des parias d'extrême droite structurellement marginalisés. Leurs chances de succès restent faibles parce qu’il y a dans chaque peuple une forme de légitimisme, le besoin, pour changer démocratiquement les règles, qu’une fraction au moins des classes dirigeantes accepte de le représenter. En France, ce chemin semble pour le moment bien bouché. Nos classes dirigeantes ne cultivent ni l’originalité ni la souplesse. C’est inquiétant. Le modèle français, ce n'est pas le modèle d'une élite qui lâche lorsqu'il est encore temps, c'est celui d’une élite qui se fait couper la tête. Sur cette base, quand même, je lance par civisme un appel à la droite française : il n’y aurait pas chez vous quelques types audacieux et créatifs disposés à nous éviter des affrontements brutaux ?

Vous fuyez la question raciale

Non, vous allez voir. Je vais commencer par une blague pour semer le doute sur les lieux communs. Ces prétendus "prolos blancs incultes", de la Rust Belt, entre Grands Lacs et Pennsylvanie, ont voté démocrate lorsque le candidat était noir, ils ont cessé de voter démocrate lorsque la candidate est devenue blanche.

Mais soyons sérieux. Si l'on veut comprendre la question raciale, il faut remonter au fondement même de la démocratie américaine.

Le problème racial est en Amérique d'une épaisseur, d'une résistance extraordinaire. Il n'a aucun équivalent en France. Il n'y a pas chez nous de groupes où le taux de mariage mixte soit aussi faible que celui des femmes noires aux États Unis. Loïc Wacquant a bien montré dans Urban Outcast (parias urbains) que les banlieues françaises les plus pourries n'avaient rien à voir avec l'hyperghetto américain. Il y a pire : les États-Unis sont depuis l’origine une démocratie raciale. Les Anglais qui ont fondé l’Amérique ne croyaient pas en l’égalité des hommes. La seule façon d'expliquer leur conversion à un idéal égalitaire démocratique, c'est d’admettre que les Blancs sont devenus égaux en Amérique parce que la notion d’infériorité y a été collée sur des groupes raciaux ; sur les Indiens, puis sur les Noirs.

Comment cette question raciale structure-t-elle aujourd’hui l'espace politique américain ?

Dès Nixon, les Républicains ont utilisé le ressentiment blanc contre la déségrégation et contre l’émancipation politique des Noirs comme un instrument de lutte et de conquête électorale. Subtilement, en utilisant un langage codé, ils ont établi l'idée que l'État Providence (le welfare) était un truc pour les Noirs. Le parti Républicain, le parti de Lincoln et de l’abolition de l’esclavage, est rapidement devenu un parti blanc. La question raciale a été à partir de Reagan un levier fondamental de la révolution néolibérale. C’est largement par racisme que les électorats de Reagan, de Bush père et fils, ont applaudi aux suppressions d'impôts, à la destruction de l’Etat social de Roosevelt. C'est en tapant sur les Noirs que les classes moyennes et les classes populaires blanches se sont autodétruites... Une bonne partie de l’électorat blanc a voté, des décennies durant, contre ses propres intérêts économiques, silencieusement contre les Noirs, bruyamment pour des valeurs religieuses ou contre l’avortement. En 1984, spécifiquement, contre le protectionnisme de Walter Mondale, candidat démocrate écrasé par Reagan. On pourrait dire qu’il s’est agi d’un électorat fou, ou peut-être seulement masochiste. C'est cet électorat raciste et masochiste que les éditorialistes du Washington Post, du New York Times aux Etats-Unis, du Guardian et de l’Independent au Royaume-Uni, et de la presse française, semblent regretter. Ils ont la nostalgie de ces gens qui votaient contre leur intérêt et qui élisaient des Présidents qui réduisaient les impôts et faisaient la guerre en Irak.

Mais aujourd’hui, sur tous les plans, l’opinion, la sensibilité américaine bouge. L’irrationnel recule. La vague religieuse fondamentaliste est en régression comme l’a montré Putnam. L’idée d’intervention de l’Etat redevient populaire. C’est ça la véritable toile de fond de l’élection de Trump. C’est aussi pour cela qu’il a pu mettre l'intérêt économique réel des gens – le protectionnisme, le retour à la nation - au cœur de l'élection, plutôt que la passion religieuse ou raciale. La question du racisme doit être posée sans illusion mais le discours qui vise à dire que le vote Trump est le vote des petits blancs racistes, n'est pas seulement absurde, c'est juste le contraire.

Mais les Noirs n’ont pas voté Trump…

Exact mais à ce stade, il faut se demander qui est responsable de la racialisation persistante du vote. Je suis convaincu que cette fois-ci, elle est venue des démocrates, par un discours raciste inversé. Les démocrates proposaient une alliance électorale perverse, ou vicieuse, je ne sais que dire, associant aux vrais privilégiés économiques et éducatifs du système, toujours blancs majoritairement, une sorte de mercenariat électoral des minorités, hispanique et noire, pour casser le cœur blanc de la démocratie américaine. Ce qui m'a le plus écoeuré dans ce processus, c'est la façon dont Hillary Clinton a évincé Bernie Sanders, dont je me sentais évidemment très proche. J’ai suivi les primaires démocrates Etat par Etat. Et c’est bien l'électorat noir qui a empêché la victoire de Sanders. En 2016 l’aliénation politique a changé de couleur. On est passé d'un système où le cœur de l'électorat blanc votait contre ses intérêts à un système où l'électorat noir a voté contre ses intérêts. En effet, les Noirs, surreprésentés dans le monde ouvrier, moins éduqués malgré des progrès importants, sont le groupe qui a le plus souffert du libre-échange, et qui continue d'en souffrir le plus. Le paradoxe ultime de l’élection qui vient d’avoir lieu est que si Trump applique son programme protectionniste, les Noirs seront les premiers à en bénéficier.

Après le Brexit, après Donald Trump, quelles sont les leçons à tirer, pour la France et l'Europe, de ce qui s'apparente de plus en plus à un mouvement de fond ? Comment jugez-vous la réaction officielle de François Hollande ?

Quand on me parle de François Hollande, je hausse les épaules. Ma seule demande, en ce qui le concerne, c'est qu'il rembourse ses frais de coiffeur à la République. Il est nul, au bord d’une rupture psychique avec le réel, mais il est injustement devenu le bouc émissaire de la médiocrité de la classe politico médiatique française. Aucun des candidats du système ne fera autre chose que la politique de Hollande : rester dans l'euro et dans le libre-échange. Avec les mêmes conséquences désintégratrices pour la société française, et la même montée de violence qui en résulte.

Mais ce serait pourtant pour les "élites" françaises le moment d’être lucides et de ne pas refaire en 2017 l’erreur de 1981 : agir à contre temps des pays dominants et leaders, anglo-saxons.

Regardez. La révolution néolibérale démarre avec Thatcher en 1979 et Reagan en 1980 ; en 1981 la France de Mitterrand opère un contretemps exceptionnel. Alors que le virage néolibéral commence, la France amorce un virage soviétique. Elle nationalise. Tout cela pour aboutir, dès 1983, à un retournement mal maitrisé, qui se croit néolibéral mais qui n’est en fait qu’austéritaire. Nos hauts-fonctionnaires naïfs vont finir par concevoir l'euro en le pensant libéral alors qu'il s'agit en fait d'une construction typiquement étatique, presque soviétique dans son désir de domination par en haut de la société.

2017 sera peut-être l'occasion, pour la France, de faire la même erreur, mais à l'envers. Après le Brexit, et Donald Trump, les Anglo-saxons bougent dans le sens de la reconstruction nationale et s’éloignent de l’idéal de la globalisation. Nos candidats de droite, dont l’un sera président, font assaut de néolibéralisme. Tous sont des libre-échangistes bêtas. L’un d’entre eux sera peut-être un nouveau Mitterrand, agissant à contretemps sur la scène mondiale.

Vous faites l’impasse sur le Front national

En France, on peut avoir le sentiment que le Front national est le parti trumpien. Mais il y une différence de fond : aux Etats Unis, au Royaume Uni, la dissidence est venue de l'intérieur même du système : Boris Johnson, Donald Trump sont des gens du système. De son côté, la France n'a trouvé, pour défendre ces idées, que des parias d'extrême droite structurellement marginalisés. Leurs chances de succès restent faibles parce qu’il y a dans chaque peuple une forme de légitimisme, le besoin, pour changer démocratiquement les règles, qu’une fraction au moins des classes dirigeantes accepte de le représenter. En France, ce chemin semble pour le moment bien bouché. Nos classes dirigeantes ne cultivent ni l’originalité ni la souplesse. C’est inquiétant. Le modèle français, ce n'est pas le modèle d'une élite qui lâche lorsqu'il est encore temps, c'est celui d’une élite qui se fait couper la tête. Sur cette base, quand même, je lance par civisme un appel à la droite française : il n’y aurait pas chez vous quelques types audacieux et créatifs disposés à nous éviter des affrontements brutaux ?

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