jeudi 2 juin 2011

Abhinavagupta

Abhinavagupta vivait au Cachemire à la fin du Xe siècle et au début du XIe. Sur sa vie nous savons peu de choses à l'exception de brefs renseignements qu'il nous fournit lui-même en épilogue au Tantraloka et au Paratrisikavivarana où il mentionne le nom du plus célèbre de ses ancêtres, Atrigupta qui, invité au Cachemire par le roi Lalityaditya au milieu du VIIIe siècle, s'y établit définitivement. Abhinavagupta eut de nombreux maîtres et instructeurs parmi les meilleurs de son temps d'où l'extraordinaire culture dans tous les domaines : grammaire, poétique, rhétorique du dhvani, Tantra et Amaga dualistes et non dualistes, la brahmavidya (avec pour maitre Bhutiraja), les doctrines des écoles Krama, Trika et Pratyabhijna qu'il étudia principalement avec Laksmanagupta, disciple de Utpaladeva. Il dut sortir du Cachemire et aller à Jalandhara pour y approfondir le système Kaulika auquel il accorde, semble-t-il, ses préférences. Il y fut initié par Sambhunatha, le plus vénéré de ses guru, dont il obtient, outre la connaissance et la pratique des initiations supérieurs, la paix et la "réalisation" ultime. Notons encore qu'il étudia auprès de maîtres Jaina et surtout Bouddhistes Vijnanavadin qui eurent sur lui une influence réelle dont il ne se défend pas. Il reprend à sa manière les problèmes posées par eux et baigne donc dans la même atmosphère philosophique. Il partage avec eux plus de points communs qu'avec Sankara, en dépit de la similitude du vocabulaire employé (atman, brahman, maya).  
De tous les métaphysiciens et mystiques de l'Inde il est sans contredit l'un des plus puissants génies; par son audace et l'originalité de sa personnalité il rappelle un Yajnavalkya; par la profondeur et la subtilité de son esprit, il s'apparente à Maitre Eckhart, Ruysbroekc, saint Jean de la Croix. Simple et direct comme eux, il jouit en plus d'une totale liberté (...).

Liliane Silburn, Introduction aux Hymnes de Abhinavagupta (voir ci-dessous).
Commande : Ed. De Boccard


Bibliographie (en français) : 

Institut de Civilisation Indienne, Ed. De Boccard :

Traductions de Lilian Silburn :
- Le Paramarthasara de Abhinavagupta, (fascicule 5) 1957-1979

- Hymne de Abhivanagupta (fascicule 31), 1970-1986
- Kramastotra dans : Hymnes aux Kali (fascicule 40), 1975-1995. 
- Tantraloka, chap. 1 à 5, trad. dans : Abhinavagupta, La lumière sur les tantras, (fascicule 66), 1998-2000.
Autres éditions :
- Tantrasara, chap. 1 à 5, trad. dans : Les Voies de la Mystique, ou l'accès au sans accès, Ed. Les Deux Océans, Série Hermès 3, 1981.

- Tantraloka, chap. 29, dans : La Kundalini, l'énergie des profondeurs, Ed. Les Deux Océans, 1983.
Traduction de André Padoux :
- La Paratrisikalaghuvrtti de Abhinavagupta, Institut de Civilisations Indienne, 1975.
Traduction de Bernard Pallier :
- La Ghatakarparvivrti, Institut de Civilisation Indienne, 1975. 
Traductions de David Dubois : 
- Cinquante stances pour expliquer la réalité ultime dans : Abhivanagupta, La liberté de la conscience, Ed. Almora, 2010.
En ligne sur Le Sivaisme du Cachemire :
- Tantraloka, (Lumière des tantras), chap. 6 : PDF
- Tantrasara (L'essence des tantras), chap. 6 et 7 : PDF
- Vimarshini, commentaire à l'Ishvarapratyabhijnakarika d'Utpaladeva (Méditation sur la reconnaissance du Seigneur en soi), chap. 2 : PDF
Etudes :
David Dubois, Abhinavagupta, La liberté de la conscience. Ed. Almora, 2010.
Colette Pogi, Les Oeuvres de vie selon Maître Eckhart et Abhinavagupta. Ed. Les Deux Océans.
Extraits en ligne : Google Books

Linga de glace dans la grotte d'Amarnath.
Grotte d'Amarnath, Cachemire

"D'après une légende encore vivante au Cachemire, c'est en récitant ce poème (Hymne à la gloire de l'absolu)  que Abhinavagupta suivi d'un grand nombre de disciples pénétra dans la grotte Bhairava pour y mourir."

BHAIRAVASTAVA / HYMNE A LA GLOIRE DE L'ABSOLU
1. D'une pensée identique à Toi, en mon coeur je rends hommage au Seigneur Bhairava, refuge de qui n'a pas de Seigneur. Fait de Conscience, unique, infini, sans origine, il imprègne la diversité des êtres mobiles et immobiles.

2. O grand Souverain ! Par l'énergie de Ta grâce, cet univers entier m'apparaît désormais comme identique à Toi. Tu es éternellement mon propre Soi; ainsi la totalité des choses est pour moi identique au Soi.

3. En Toi, Seigneur, mon propre Soi, qui pénètre tout, la peur de la transmigration n'a plus de raison d'être quand même subsiste réellement une multitude d'activités forgeant terreurs, égarements et intolérables douleurs !

4. O Exterminateur, ne pose pas sur moi ce regard chargé d'un épouvantable courroux, sur moi auquel adoration et contemplation du Seigneur confèrent une immuable fermeté, sur moi qui suis identique à l'énergie de Bhairava-l'effroyable !

5. Ainsi les épaisses ténèbres sont dispersées par les rayons de Ta Conscience quand Tu t'approches, Seigneur ! Plus jamais je ne craindrai les agissements démoniaques de l'exterminateur, de Yama, ni de la mort, hommage à Toi !

6. (Moi) Réalité même de l'ensemble des objets contemplés en tant que rayons de la vraie Conscience apparue, c'est en Toi que j'accède à l'apaisement, en Toi, le Soi comblé à profusion par le suprême nectar de (toutes) les choses.

7. O Seigneur, quand l'état d'impureté dispensateur d'excessifs tourments entre dans le champs de (ma) pensée, à l'instant même surgit en moi la pluie du suprême nectar qui célèbre la louange de Ton unicité.

8. Si, O Shiva, ascèse, bains, voeux, dons, brisent le tourment de l'existence, l'heureux souci de Ta révélation répand dans le coeur un flot de félicité.

9. O Seigneur Bhairava, cette Conscience mienne danse, chante, se réjouit grandement, car dès qu'elle a pris possession de Toi, le Bien-aimé, l'accomplissement du sacrifice unique, celui de l'égalité, si ardu pour d'autres, lui est aisé.

Durant la quinzaine lunaire sombre, le dixième jour du mois pausa, en l'année 68, Abhinavagupta composa cette louange selon laquelle l'omniprésent par compassion apaise instantanément chez l'être humain la douloureuse brûlure (inhérente) au désert du devenir. 
Extrait de : Hymnes de Abhinavagupta (trad. et commentaire de Lilian Silburn).
Commande : Ed. De Boccard



Interprétation contemporaine de l'Hymne à Bhairava.
"Tu imprègnes le vivant comme l'inerte (et pourtant) tu es différent de tous ces phénomènes,
(Car) tu es conscience, tu es un, sans commencement ni fin,
Toi le terrible protecteur, refuge de ceux qui n'ont pas de protecteur.
Je te loue en mon cœur d'un esprit identique à toi."
Vu sur : La Vache Cosmique (blog de David Dubois)


ANUTTARASTIKA / HUIT STANCES SUR L'INCOMPARABLE
1. Ici, nul besoin de progrès spirituel ni de contemplation, ni d'habileté de discours, ni d'enquêtes, nul besoin de méditer, ni de se concentrer, ni de s'exercer aux prières marmonnées. Quelle est, dis-moi, la Réalité ultime absolument certaine ? Écoute ceci : ne prends ni ne laisse et, tel que tu es, jouis heureusement de tout.

2. Du point de vue de la Réalité absolue, il n'y a pas de transmigration. Comment alors est-il question d'entrave pour les êtres vivants ? Puisque l'être libre n'a jamais eu d'entraves, entreprendre de le libérer est vain. Il n'y a là que l'illusion de l'ombre imaginaire d'un démon, corde prise pour un serpent qui produit une confusion sans fondement. Ne laisse rien, ne prends rien, bien établi en toi-même, tel que tu es, passe le temps agréablement.

3. Dans l'Inexprimable, quel discours peut-il y avoir et quelle voie différencierait adoré, adorant et adoration ? En vérité, pour qui et comment un progrès spirituel se produirait-il, ou encore qui pénétrerait par étapes dans le Soi ? Oh Merveille ! cette illusion, bien que différenciée, n'est autre que la Conscience-sans-second. Ah ! tout est essence très pure éprouvée par soi-même. Ainsi, ne te fais pas de soucis inutiles.

4. Cette félicité n'est pas comme l'ivresse du vin ou celles des richesses, ni même semblable à l'union avec la bien-aimée. L'apparition de la Lumière consciente n'est pas comme un faisceau de lumière que répand une lampe, le soleil ou la lune. Quand on se libère des différentiations accumulées, l'état de bonheur est une allégresse comparable à la mise à terre d'un fardeau, l'apparition de la Lumière est l'acquisition d'un trésor oublié : le domaine de l'universelle non-dualité.

5. Attirance et répulsion, plaisir et douleur, lever et coucher, infatuation et abattement, etc., tous ces états participant aux formes de l'univers se manifestent comme diversifiés, mais en leur nature ils ne sont pas distincts. Chaque fois que tu saisis la particularité d'un de ces états, attentif aussitôt à la nature de la Conscience comme identique à lui, pourquoi, plein de cette contemplation, ne te réjouis-tu pas ?

6. L'efficacité de ce qui existe actuellement n'existait pas auparavant ; de façon soudaine, en effet, surgissent toujours les choses en ce monde. À quelle réalité peuvent-elles prétendre, ainsi troublées par la confusion déformante de l'état intermédiaire ? Quelle réalité y a-t-il dans l'irréel, l'instable, le falsifié, dans un amoncellement d'apparences, dans l'erreur d'un rêve ? Reste par-delà l'imperfection propre aux angoisses du doute et éveille-toi.

7. L'inné ne peut être sujet au flot des existences objectives ; celles-ci ne se manifestent qu'éprouvées par toi. Bien que privées par nature de réalité, en un instant, par la faute d'une erreur de perception, elles prennent part au réel. Ainsi jaillit de ton imagination la grandeur de cet univers puisqu'il n'existe pas d'autre cause à son apparition. C'est pourquoi, par ta propre gloire, tu resplendis dans tous les mondes et, bien qu'unique, tu es l'essence du multiple.

8. Lorsque surgit la Conscience en tant que contact immédiat avec soi-même alors le réel et l'irréel, le peu et l'abondant, l'éternel et le transitoire, ce qui est pollué par l'illusion et ce qui est la pureté du Soi apparaissent radieux dans le miroir de la Conscience. Ayant reconnu tout cela à la lumière de l'essence, toi dont la grandeur est fondée sur ton expérience intime, jouis de ton pouvoir universel
Extrait de : Hymnes de Abhinavagupta (trad. et commentaire de Lilian Silburn).

Commande : Ed. De Boccard
Source du texte : Omalpha


TANTRASARA (Chapitre 1, extrait).
Ce qu'il faut essentiellement découvrir en tout ce qui existe, c'est la nature propre elle-même sous forme de lumière consciente, principe de toutes les choses, car on ne peut admettre que la nature propre des choses ne soit pas lumière. Cette lumière n'est pas multiple. Ni le temps ni l'espace ne peuvent briser son unicité, eux qui ne possèdent d'autre nature que cette lumière même. Celle-ci est donc unique, c'est la Conscience universelle.

De l'accord unanime, la conscience est la lumière des choses. Il n'existe aucune autre lumière qu'elle. Libre et unique lumière, exempte de par sa libéralité même des limites que sont l'espace, le temps et l'aspect, elle est omnipénétrante et éternelle; elle-même dénuée d'aspects, elle assume tous les aspects.

L'essence de sa lumière est l'énergie de conscience. Sa liberté est l'énergie de félicité, son ravissement énergie de volonté, sa prise de conscience globale énergie de connaissance, enfin sa faculté de revêtir tous les aspects, énergie d'activité.
Même unie à ces principales énergies et associée aux énergies de volonté, de connaissance et d'activité, la lumière demeure ininterrompue, reposant en sa propre félicité avec, pour essence, Siva. C'est elle aussi qui en vertu de sa liberté se montre restreinte et que l'on nomme alors exiguë ou individu.
Mais voici que par cette liberté elle s'illumine à nouveau elle-même, se révélant comme Siva, lumière ininterrompue. Et, toujours, par la puissance de sa liberté, voici qu'elle se révèle alors sans l'aide d'une voie d'accès (anupaya) ou bien à l'aide de voies, et dans ce dernier cas les moyens employés sont la volonté, la connaissance ou l’activité; d'où une triple absorption propre respectivement à Siva, à l'énergie et à l'individu.
Nous enseignerons ici successivement ces quatre modalités.

Stance finale

Le Soi, merveilleuse beauté de lumière, Siva, autonome, par l'impétuosité des jeux de sa liberté, cache sa propre essence.
Puis à nouveau il la manifeste en sa plénitude ou de facon soudaine ou graduellement, et dans ce cas, selon une triple différenciation.
Extrait de Le Tantrasara, trad. Liliane Silburn dans : Les Voies de la Mystique ou l'accès au sans-accès, Hermès, Ed. Les Deux Océans. 
Commande :  Les Deux Océans.













Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...