jeudi 10 mai 2012

Mutus Liber ou Le Livre muet




Commentant la première planche du Mutus Liber (deux anges sur une échelle sonnent de la trompette pour réveiller un homme endormi, la tête appuyée sur un rocher), E. Canseliet y voit le symbole de l'éveil spirituel rendu d'autant plus fracassant que "l'homme sommeille d'ordinaire si profondément, que les strideurs répétées de toutes les trompettes des anges du ciel ne suffiraient pas pour l'éveiller à la vision exacte des choses de la Terre", que cet éveil est aussi celui du minéral "plongé dans l’assouplissement très voisin de la mort, et qui doit subir un violent choc d'ondes, duquel fournissent parfaitement l'expression symbolique le cri, la clameur, le son perçant des cuivres" (Eugène Canseliet, Commentaires au Mutus Liber, p. 71).
Extrait de : Françoise Bonardel, Philosophie de l'Alchimie - Grand œuvre et modernité, Ed. PUF, 1993.


Bibliographie :
Magophon, Hypotypose au Mutus Liber (1914), paru dans : Limonjon de Saint Didier, Le triomphe hermétique, Ed. Denoel, 1971.
Magophon, Les Nobles Ecrits de Pierre Dujols et de son frère Antoine Dujols de Valois, Ed. Le Mercure dauphinois,
Eugène Canseliet, Mutus Liber (17e), L'Alchimie et son Livre muet,  Ed. Jean-Jacques Pauvert, 1967.
En ligne :
Mutus liber en couleur : bnam (PDF) et en encarté en bas de page.
Magophon, Hypotypose : bnam  (PDF) et en encarté en bas de page.
Source : Bibliothèque numérique Alchimique du Merveilleux : bnam


Le Mutus Liber  se compose de quinze planches d’emblèmes, les unes véridiques, les autres sophistiques, et disposés dans un de ces beaux désordres qui, suivant le précepte de Boileau, est un effet de l’art.



LA PREMIERE, qui sert de frontispice, est vraiment capitale. De sa compréhension dépend tout le succès de l’Œuvre. On y voit, dans un cartouche formé de deux rosiers entrelacés, un homme endormi sur un roc où végètent des kermès rabougris. Une eau limpide s’en épanche avec des reflets métalliques. A côte du dormeur, sur une échelle - l’Escalier des Sages - deux anges sonnent de la trompette pour le réveiller. Au-dessus, un ciel nocturne propice au repos : les étoiles brillent et la lune découpe sa corne d’abondance. (...)
L’Homme endormi est le sujet de l’Œuvre. Quel est ce sujet ? (...)





LA SECONDE PLANCHE n’est pas dans l’ordre des opérations. Elle représente l’œuf des philosophes, et pourtant rien, jusqu’ici, n’a pu faire connaître les éléments qui doivent le composer. Pour en donner une idée, nous devons enjamber délibérément un certain nombre de symboles. 
Tout œuf comprend un germe - la vésicule de Purkinje qui est notre sel; le jaune, qui est notre soufre, et l’albumine, qui est notre mercure. Le tout est enfermé dans un matras qui correspond à la coquille. Les trois produits sont personnifiés ici par Apollon, Diane et Neptune, le Dieu des eaux pontiques. 
La tradition veut que ce matras soit - contenu dans un second, et celui-ci renfermé dans un troisième fait du bois d’un vieux chêne. (...)


LA PLANCHE TROIS n’est pas davantage à sa place. Elle nous conduit dans l’empire de Neptune. On voit s’ébattre dans ses ondes le dauphin cher à Apollon, et des pêcheurs sur une barque qui tendent leurs engins. Dans une autre nef, un homme est allongé dans une pose nonchalante. Dans le seconde cercle, un paysage, avec, d’un côté, un bélier; de l’autre, un taureau, que nous retrouverons plus loin et étudierons en un moment plus opportun. Dans le bas, à gauche, une femme tenant un panier qui est le symbole de la lanterne grillagée des philosophes; à droite, un homme jetant sa ligne dans la mer qui se trouve dans le troisième cercle (celui qui renferme les deux autres). Le troisième cercle est animé par un vol d’oiseaux à gauche; une sirène au bas, et Amphitrite dans le haut. En marge, le soleil et la lune, et planant sur cette scène nautique, Jupiter porté par son aigle. Toute cette figuration a pour but de démontrer que l’opérateur doit déployer toutes ses facultés et mettre en œuvre toutes les ressources de l’art pour capturer le poisson mystique, dont parle d’Espagnet. (...)


LA QUATRIEME PLANCHE montre comment s’opère la collection du flos coeli . Des draps sont tendus sur des piquets pour recevoir la rosée céleste. Au-dessous, un homme et une femme en opèrent la torsion pour en exprimer la divine liqueur, qui tombe dans un grand vase disposé à cette fin. A gauche, on voit le Bélier; à droite, le Taureau. 
Le flos coeli a mis à la torture l’esprit des mauvais souffleurs. Les uns y ont vu une sorte d’influx magique, car pour ceux-là, la magie est une puissance surnaturelle acquise par le concours des esprits, bons ou mauvais. Les autres, plus réalistes et plus rapprochés du vrai, y ont reconnu la rosée matinale. Le flos coeli est appelé, en effet, l’eau des deux équinoxes, d’où l’on a déduit qu’il s’obtient au printemps et a l’automne et est un mélange des deux fluides. Certains, se croyant plus avisés, allaient recueillir ce mystérieux produit dans une sorte d’algue ou de lichénoïde dont le nom vulgaire est le nostoc. Dans les Sept Nuances de L’Œuvre philosophique, Etteilla, qui valait peut-être mieux que sa réputation, semble avoir obtenu quelque résultat satisfaisant d’une mousse analogue; mais il faut lire son opuscule avec de bonnes lunettes. 
Les Rose-Croix s’appelaient les Frères de la Rosée cuite, au témoignage de Thomas Corneille, bon hermétiste ainsi que son frère, le grand tragique. Néanmoins, Philalèthe raille dédaigneusement les collecteurs de rosée et d’eaux de pluie, dans  lesquelles, nonobstant, l’abbé de Valmont reconnaît quelque vertu. 
Au disciple de se faire une opinion d’après son propre jugement. Mais il est hors de doute qu’un agent tenu secret, dit « Manne Céleste », joue un rôle important dans le travail. (...)


LA CINQUIEME PLANCHE initie le disciple aux opérations de laboratoire. On y assiste à une suite de manipulations variées. Il est visible qu’il s’agit de la coction de la liqueur récoltée dans la planche précédente. Un homme et une femme la versent ostensiblement dans un pot mis sur le feu. Dans la figure au dessous. L‘homme y ajoute un produit visqueux et tient, de l’autre main, une substance qu’il n’est pas difficile de découvrir, si l’on songe que l’œuf d’Hermogène est analogue aux autres. Sur le même plan à côté, un personnage nu, décoré d’une demi-lune et accolé à un enfant, reçoit un flacon où se remarquent quatre petits triangles. Ils représentent les proportions des éléments mis en œuvre, à savoir un de soufre pour trois de mercure. Le corps lunaire intervient dans cette opération; il est indiqué par un écu portant une lune d’argent sur champ de gueules. 
La Lune des philosophes n’est pas toujours l’argent, encore que ce métal convienne au travail à un certain moment. Pour dérouter le profane, les Adeptes donnent ce nom au mercure et à son sel, dont la préparation présente les plus grandes difficultés. Pour que le mercure soit propre aux opérations, il est indispensable de l’animer. Cette animation se fait au moyen du soufre préparé à cet effet. On trouvera dans Philalèthe des indications pratiques qui, néanmoins, ne doivent pas être toujours suivies mot à mot. II est exact, cependant, qu’il faille purger le mercure de ses éléments hétérogènes en séparant le pur de l’impur, le subtil de l’épais. On voit, dans cette planche, la femme qui se dispose à écumer le compost. C’est une présentation changée du travail, mais exacte au fond. Dans l’Œuvre, c’est l’élément féminin, en effet, qui opère la sélection par ses vertus constitutives; mais l’artiste doit y prêter la main et seconder la nature avec prudence. (...)


LA PLANCHE SIX  est la continuation de la cinquième. On remarquera que les opérations y sont toujours effectuées par un homme et par une femme symbolisant les deux natures. L’action extérieure de ces agents indique le travail intérieur des corps réagissant l’un sur l’autre. Dans la première figure, l’agent féminin joue un rôle passif, et l’agent masculin un rôle actif. Celui-ci est le soufre; celle-là, la lune. 
On désirera savoir, sans doute, quel est ce soufre mystérieux dont parlent toujours les philosophes, sans autrement le désigner. C’est le soufre des métaux. Le secret de l’art consiste à l’extraire des corps mâles pour l’unir aux corps femelles, ce qui suppose leur décomposition préalable. La science actuelle semble considérer ce fait comme une impossibilité absolue. De grands chimistes du XVIIIe siècle ont démontré, dans des communications adressées aux corps académiques, que l’opération est réalisable et qu’ils l’avaient réalisée. Nous avons en mains un magnifique soufre d’argent obtenu par un moyen analogue et qui se rapproche beaucoup de la teinture des Sages. Mais, pour arriver à ce résultat, il faut une certaine pratique et une connaissance approfondie du règne minéral. 


LA SEPTIEME PLANCHE est très importante, mais elle est difficile à comprendre. Nous retrouvons ici 
les quatre petits triangles qui indiquent les rapports déjà expliqués; mais nous arrivons à une opération délicate, car c’est ici que Saturne dévore son enfant. On connaît la fable de Saturne et de Jupiter. Qu’est-ce que Saturne et qu’est-ce que Jupiter? La nomenclature chimique, qu’on trouve chez les  auteurs, vous fera connaître à quels métaux conviennent ces deux noms. Mais nous ferons remarquer, en toute conscience, que le Saturne et le Jupiter des Sages ne sont pas les mêmes que ceux des chimistes profanes. Qu’on y prenne garde, et que l’on n’aille pas faire de la soudure de plombier ou de ferblantier. Nous ne travaillons pas sur des produits bruts, et encore qu’ils soient tous empruntés à la famille des métaux, ils ne sont propres à 
l’œuvre qu’après avoir subi une préparation qui les rend « philosophiques ». 
Si l’on adopte la voie humide, on procédera selon l’art en mettant en contact nos deux éléments, de telle sorte que l’un absorbe l’autre, ce qui donnera un produit nouveau qui tiendra des deux, sans qu’il soit possible désormais d’en faire l’analyse de manière chimique. La voie sèche suppose, évidemment, une combinaison obtenue par un procédé adapté à la nature des corps. Mais qu’on ne mélange pas les deux voies: les liquides s’unissent aux liquides, et les solides, aux solides. (...)


LA HUITIEME PLANCHE nous fait voir le mercure des philosophes réalisé, tandis que la planche deux n’en présentait que les éléments constitutifs. Il est le produit du Soleil et de la Lune qui sont à ses pieds. Les aigles volent autour de lui parce qu’on lui fait subir dans le matras les sublimations nécessaires, ce qui est indiqué au bas de la planche par l’athanor ou l’on a mis l’œuf à incuber. 
Le mercure des philosophes, animé et sublimé selon les règles, doit circuler longtemps dans le vase avant de produire les heureux effets qu’on attend de lui. Mais il y a plusieurs mercures dans l’œuvre, et Philalèthe en signale un second, tout particulièrement, sous le nom de lait de vierge. Celui-ci diffère du premier en quelque chose, bien qu’ils soient tous les deux de même essence. Philalèthe, Ripley et d’autres vont jusqu’à dire qu’il s’agit du mercure commun. Basile Valentin, au contraire, le bannit avec malédiction. Certains ont cru que le lait de vierge pouvait être obtenu par une combinaison des deux. Nous connaissons un artiste qui a réalisé ce tour de force pour le plaisir de vaincre la difficulté, sans prétendre en tirer d’autre conséquence. Nous sommes donc en mesure de certifier l’opération comme réalisable, ce qui n’implique pas que nous adhérions à son emploi dans la pratique. II faut accueillir avec la plus grande réserve tous les noms bizarres imposés par les philosophes à certains ingrédients. Ces différentes épithètes ne servent qu’à déguiser la suite des opérations. De telle sorte que le même produit, suivant qu’il est ou n’est pas exalté, porte tel nom ou tel autre. Et il est vrai, après tout, que l’alcool, bien qu’extrait du vin, en diffère et par le nom, et par l’aspect, et par la puissance, et par les effets, de même que le vin diffère du raisin, d’ou il est tiré...  


LA NEUVIEME PLANCHE  nous ramène au flos coeli. Pourquoi ce retour, et à quoi bon y recourir de nouveau, puisque nous nous en étions approvisionnés? Ce n’est pas que l’auteur du Mutus Liber veuille nous renvoyer à la campagne pour en avoir d’autre; mais il était bien obligé d’en répéter le symbole, du moment que et agent céleste doit entrer dans une nouvelle combinaison. 
Nous voyons, dans une des figures de cette planche, Mercure en train d’acheter un pot de cette eau divine à une paysanne. C’est donc qu’il en a besoin pour quelque usage. Philalèthe prescrit, effectivement, de laver le mercure à plusieurs reprises, de façon à lui faire perdre une partie de sa nature huileuse. Il décrit soigneusement cette opération, qui s’accomplit avec l’eau céleste portée à une certaine température, modérée néanmoins, car il faut un rien de trop de chaleur pour que la partie ignée du flos coeli reprenne le chemin des Astres. Philalèthe est un grand maître, sa parole fait autorité et il présente le travail avec une ingénuité si convaincante qu’aucun soupçon de fraude ne saurait vous effleurer. Mais nous devons éventer ici une ruse: cet auteur a confondu à dessein, dans son ouvrage, la voie sèche et la voie humide. Ce serait donc un tort d’appliquer à une technique ce qui convient à l’autre. Mais, cette remarque faite, nous reconnaissons que l’esprit astral joue un rôle permanent dans les opérations. (...)


LA DIXIEME PLANCHE  représente la conjonction. La première figure expose, dans les plateaux d’une 
balance, d’un côté, le sel indiqué par l’étoile, de l’autre le soufre désigné par une fleur qui, avec le cœur, forme sept pétales. Ce sont les proportions du rapport. Un homme verse sur cette fleur un liquide enfermé dan un flacon. C’est le mercure. II tient, de l’autre main, un autre récipient plein d’esprit astral pour l’utiliser selon le cas. La femme place tous ces produits dans un matras à long col; mais qu’on se rappelle ici ce que nous avons dit du rôle de la femme dans l’Œuvre: les deux agents personnifiés de la sorte sont les matières elles-mêmes, et les divers accessoires qui les accompagnent déclarent leur état d’exaltation. 
A la seconde rangée, l’artiste scelle le matras au sceau d’Hermès. Il en présente le col à la flamme d’une lampe, de manière à ramener le verre à un état pâteux et ductile. Il doit l’étirer ensuite avec précaution de manière à l’amenuiser au point voulu, tout en s’assurant qu’il ne se produit aucune capillarité par ou pourrait s’échapper l’esprit du compost. Les choses en étant là, après avoir sectionné le verre, il en renverse sur elle-même la partie adhérente au matras pour en former un épais bourrelet. Aujourd’hui, cette opération s’exécute très facilement au gaz, à l’aide du chalumeau. 
Quelques praticiens, d’une habileté consommée, emploient un procédé automatique d’une plus grande perfection. Enfin, quel que soit le moyen adopté, l’on place ensuite l’œuf dans l’athanor et la coction commence.


LA PLANCHE ONZE  proclame que l’opérateur est entré dans le régime du Soleil c’est-à-dire qu’il a obtenu l’or des philosophes, qui n’est pas l’or vulgaire. Nous avons déjà parlé de cet or mystérieux. 
Bien que Jupiter joue un rôle nominal dans le processus opératoire, il ne s’agit point du bisulfure d’étain, mais du véritable « or mussif » ou secret. Nous confesserons cependant, en toute vérité, que se n’est pas un produit de la nature, mais de l’art. Des chimistes contemporains qui se sont indûment pris pour compétents, ont cru le rencontrer dans  le vitriol commun, qu’ils se flattaient de rende philosophique. Ils ont mal entendu Basile Valentin. Le stroma de la dissolution de ce sel, considéré par eux comme un « or naissant », n’est qu’un mirage fugace et ne laisse, à l’analyse, que déception. (...)


LA PLANCHE DOUZE nous enseigne comment on peut porter  ce mercure à une échelle supérieure. Il faut, à cette fin, recommencer les imbibitions de flos coeli jusqu’à ce que le mercure, qui en est avide, en soit imprégné à saturation. 


LA TREIZIEME PLANCHE  est une répétition de la dixième, car dans l’œuvre, toutes les opérations se suivent et se ressemblent; mais cette nouvelle conjonction, qui s’opère avec des matières sublimées à l’extrême, n’est autre que le commencement des multiplications. Le travail est le même que celui de la planche dix et, dans la coction, on verra reparaître des couleurs. La durée de celle-ci décroît à mesure que la puissance multiplicative augmente, de telle manière qu’il ne faut, à la fin, qu’un jour pour obtenir le résultat qui, au début, demandait des moins. Les chiffres de cette planche donnent les puissances des transmutations obtenues par les coctions subséquentes


LA QUATORZIEME PLANCHE  est principalement consacrée à l’instrumentation. On y voit le matras scellé hermétiquement avec son bourrelet, tel que nous l’avons décrit; le mortier et le pilon pour les broyages; la cuillère à écrémer; les balances pour déterminer les justes  poids; le fourneau des premières opérations avant l’emploi de l’athanor. 
Nous rappelons qu’il faut entendre les broyages, la décantation, l´écrémage et tout le reste d’une manière philosophique, encore qu’une trituration, un décantage et écrémage soient positivement nécessaires pour rendre les matériaux propres au travail; mais, par suite, ces opérations se font d’elles-mêmes et, pour ainsi dire, automatiquement par la réaction des corps les uns sur les autres. 
Le disciple devra méditer profondément sur la femme à la quenouille, et la suivre avec sagacité dans ses manipulations; elles ne sont pas indifférentes et tout y parle au vrai fils de science. Nous ne pouvons ici transgresser les volontés de l’auteur, qui témoigne de son dessein bien arrêté de laisser le symbole exprimer seul toute sa pensée. Si ces lignes tombent sous les yeux d’un Adepte, il approuvera notre réserve, qui frise pourtant l’indiscrétion. Mais, pour le surplus, qui potest capere capiat. 


LA QUINZIEME ET DERNIERE PLANCHE représente l’apothéose de Saturne, victorieux de son fils Jupiter qui l’avait détrôné, et gît, inerte, sur le sol. C’est la solarisation du plus vil des métaux, sa résurrection et sa glorification dans la lumière. Les deux branches d’églantier du frontispice sont chargées de baies rouges et de  baies blanches remplies de semences actives dont chacune a le pouvoir de muer en or ou en argent tous les métaux impurs. De soi-disant mystiques - qui nient la possibilité de l’œuvre métallique et n’ont trouvé dans les allégories des philosophes qu’un traité d’ascèse dont ils seraient fort embarrassés d’expliquer chaque symbole - ces pseudo-mystiques voient dans cette planche une image de la résurrection de l’homme et de son retour dans la patrie céleste, et ils s’extasient béatement sur cette découverte qu’ils ne sont pas loin de considérer comme géniale. 

Mais si nous redevenons pur esprit, c’est donc que notre corps en renfermait l’essence sous sa forme grossière et, dans ces conditions on ne saurait refuser aux métaux les mêmes propriétés. L’esprit ou le feu est partout si froid en apparence, dans les métaux qu’on transforme en fulminates inflammables et détonants au moindre choc. Or, la transmutation est un phénomène qui fait passer l’espèce, du plan inférieur au plan supérieur, au moyen d’un agent spirituel, véritable semence nommée poudre de projection. Ce produit merveilleux s’obtient par la mort et la putréfaction réelle d’une substance métallique, laquelle, transfiguré, à la propriété de modifier à son tour les êtres de sa nature. Ceux-ci, sous son action, subissent de même une mort et une résurrection promptes, qui les élèvent à leur plus haut degré de dignité. Les Hermétistes comparent cette transformation à celle du blé. Le grain se corrompt dans la terre, assimile les éléments grossiers du sol et, par le travail d’une longue digestion, les mue en pur froment dans le rapport de cent pour un. Cette digestion est plus ou moins activée par l’ambiance. Dans certains climats, la moisson a lieu trois mois après les semailles, et sous le tropique, la végétation a quelque chose de presque instantané. Il est donc tout à fait rationnel qu’un ferment doué d’une grande puissance et projeté dans les corps soumis à une température élevée, puisse les faire évoluer avec une rapidité qui tient du prodige. 

L’évolution est la loi de la vie: le minéral devient végétal et le végétal animal, par voie d’intussusception; mais ce transit est subordonné à la médiation d’un agent extérieur, plante ou bétail.  Si  donc  les  métaux  sont  admis  de  la  sorte  à  passer  d’un  règne  dans  l’autre,  avec  l’aide  d’un élément approprié, il est plus logique encore qu’un certain or parfait et quintessencié, ramené à son état radical et spermatique, ait la vertu d’exalter et de convertir en lui-même ses homogènes. N’est-ce pas ainsi que le germe humain, en gestation, assume et transforme la substance des être d’une origine moins noble? La nutrition est une métamorphose continue. De même que, dans les trois règnes, tout converge vers l’homme, dans les minéraux, tous aboutissent à l’or. Mais il n’en faut point déduire que la nature, à la longue, fasse de l’or avec du plomb. Elle a besoin, pour cet effet, du secours de l’art, c’est-à-dire du ferment magique qui en opère la transmutation. 

L’or est appelé de soleil, car en grec, αυρ est la lumière; il est le ciel des métaux, la spiritualisation de l’espèce. Les métaux deviennent donc or comme, à certains égards, notre corps devient esprit par le travail de la fermentation posthume. La putréfaction, nauséabonde et hideuse, est pourtant la prestigieuse fée qui opère tous les miracles du monde. C’est une grossière erreur de croire que, chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier souffle. Elle est elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité de l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeure et plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Science nie la réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elle déshonore son nom. Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Une vie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexes sensibles, continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus ou moins long combat - qui est le Purgatoire des Religions - que la matière, distillée, sublimée, transmuée et vaporisée par l’action du Soleil, s’élance dans le plan amorphe, qui a ses degrés depuis l’air jusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au feu principe où tout finit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau. 

Nous croyons avoir accompli notre tâche avec toute la probité requise, et fait luire quelques clartés nouvelles dans un domaine obscur. Au disciple, maintenant, de parachever l’Œuvre. Quant à ceux qui prétendent acquérir la Sagesse sans mérite et seulement de quelque obole vile et méprisable, nous leur disons, comme le saint Jérôme de la légende au riche et désœuvré Cratus: « La Philosophie ne vous est pas idoine ». 
Pour vous, fils de science, souvenez-vous du signe éloquent que vous adressent les figures terminales de la quatorzième planche, et de la glose qui clôt le Mutus Liber: Si vous avez compris, travaillez dans le silence et fermez quelque temps encore la bouche sur le Mystère. 
Extraits de : Magophon, Hypotypose







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