mercredi 4 janvier 2017

Etats-Unis : Les vraies raisons de l'expulsion des diplomates russes

MAj de la page : Nouvelle théorie du complot made in CIA



Etats-Unis : Les vraies raisons de l'expulsion des diplomates russes
Par Eric Denécé, le 1 janvier 2017 - CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement)

Le président américain Barack Obama a ordonné vendredi 30 décembre l'expulsion de trente-cinq diplomates russes accusés d'être des « agents de renseignement » de Moscou en poste à l'ambassade de Russie à Washington et au consulat russe de San Francisco. Sans apporter de détails, la Maison-Blanche les accuse d'avoir « agi d'une manière qui ne correspond pas à leur statut diplomatique » et leur a donné 72 heures pour quitter le pays. Par ailleurs, le département d'Etat a décrété la fermeture de deux bâtiments appartenant à la Russie dans les Etats du Maryland, près de Washington, et de New York, au motif qu'ils étaient « utilisés par des responsables russes à des fins de renseignement ». 

Harcèlement ou cyberattaques ? Que reprochent les Etats-Unis à la Russie ?

La Maison-Blanche a précisé que ces représailles constituaient « une réponse au harcèlement croissant, ces deux dernières années, contre le personnel diplomatique [américain] en Russie par les forces de sécurité et de police ». Un harcèlement qui serait allé « bien au-delà des règles de comportement diplomatiques internationales ». Barack Obama a ajouté que ces actions font suite « aux avertissements que nous avons adressés de manière répétée au gouvernement russe, en privé et en public. Elles sont une réponse nécessaire et adaptée aux actions visant à nuire aux intérêts américains en violation des normes de comportement internationales établies ».
Le président américain a également annoncé que des sanctions étaient prises contre « neuf entités et individus », parmi lesquels deux services de renseignement russes, le GRU (renseignement militaire) et le FSB (service de sécurité intérieure) et leurs responsables. Le premier est accusé par la Maison-Blanche d'avoir, grâce à ses agents et ses moyens techniques, « falsifié, altéré (...) des informations avec l'objectif ou l'effet d'interférer dans le processus électoral américain en 2016 ». Quant au FSB, il est accusé d'avoir aidé le GRU. Mais curieusement, il n'est pas fait état du SVR, pourtant principal service de renseignement extérieur russe présent à l'étranger.
De plus, trois entreprises russes soupçonnées d'avoir apporté un « soutien matériel » aux opérations de piratage informatique vont être également juridiquement et financièrement sanctionnées par l'administration américaine. « Les sanctions ne s'arrêteront pas là » a ajouté Barack Obama, prévenant que les Etats-Unis prendront d'autres mesures « au moment que nous choisirons, y compris des opérations qui ne seront pas révélées au public ».

En réalité, cette expulsion d'officiels russes - la plus importante depuis 2001[1] - vient sanctionner la supposée ingérence de Moscou dans la campagne présidentielle américaine, pendant laquelle le Parti démocrate aurait été victime de cyberattaques qui auraient favorisé l'élection de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Selon un rapport publié le 29 décembre par le département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security/DHS) et le FBI[2], deux groupes de hackers qui seraient liés au renseignement russe - dénommés APT 28 ou Cozy Bear et APT 29 ou Fancy Bear - sont présentés comme responsables « de piratages ayant ciblé un parti politique américain » pendant l'été 2016. Selon les autorités américaines, le premier serait réputé proche du FSB, tandis que le second serait une émanation du GRU[3].
Ces attaques contre les serveurs et ordinateurs du Parti démocrate ont mené à la publication de plusieurs milliers d'e-mails et documents internes du mouvement, plus tard mis en ligne sur Wikileaks, jetant une lumière crue sur les manœuvres du clan Clinton afin d'écarter la candidature de Bernie Sanders et révélant nombre de magouilles et d'irrégularités internes. Ces actions auraient largement contribué à affaiblir la campagne d'Hillary Clinton. Mais, pour le moment, le gouvernement américain a donné peu d'éléments liant les diplomates déclarés persona non grata aux cyberattaques supposées de l'été dernier.
Outre ces supposés piratages informatiques destinés « à influencer l'élection présidentielle », Washington accuse Moscou de plusieurs cyberattaques contre des établissements financiers, des universités et d'autres institutions américaines.

Fin décembre, des responsables du DHS, du FBI et du Bureau du directeur du renseignement national (DNI) ont communiqué les codes des logiciels malveillants Grizzly Steppe[4] aux responsables de la sécurité des infrastructures critiques nationales (secteur financier, services publics, transports, énergie, etc.). Les responsables des services publics du Vermont ont alors aussitôt réagi, affirmant avoir identifiéun de ces codes dans les systèmes de contrôle du réseau électrique. Cette découverte à immédiatement été médiatisée, provoquant la peur dans les structures gouvernementales que les « pirates informatiques liés aux services russes tentent activement de pénétrer les infrastructures critiques du pays pour conduire des attaques destructrices ».
Des réactions outragées d'élus politiques locaux proches de l'administration Obama n'ont pas tardé à avoir lieu : le 30 décembre, le gouverneur démocrate du Vermont, Peter Shumlin, déclarait que « tous les Américains devraient être à la fois alarmés et scandalisés que Vladimir Poutine, un des plus grands voyous du monde, ait tenté de briser notre réseau électrique, sur lequel nous comptons pour soutenir notre qualité de vie, notre économie, notre santé et notre sécurité (...). Cet épisode devrait mettre en évidence le besoin urgent que notre gouvernement fédéral poursuive vigoureusement et mette fin à ce genre d'ingérence russe ». Un peu plus tard, le sénateur démocrate du Vermont, Patrick Leahy, renchérissait, jetant encore un peu plus d'huile sur le feu : « cela va au-delà des piratages informatiques classiques : il s'agit maintenant d'essayer d'accéder aux services publics pour manipuler le réseau électrique et l'arrêter au milieu de l'hiver ».

Une étonnante absence de preuves

Que penser de accusations américaines et des mesures qui ont été prises par la Maison-Blanche tant les affirmations de l'administration Obama sont véhémentes mais aussi confuses ?
Concernant le supposé hacking des ordinateurs du Parti démocrate, pour le moment, personne n'a pu avoir accès aux informations réunies par la CIA qui « prouveraient » l'implication russe dans cette affaire. En conséquence, il est probable que des renseignements parcellaires aient été extrapolés pour conclure au hacking russe des ordinateurs du Parti démocrate. Mais ce ne sont pas là des preuves. Pourtant, dès le 7 octobre, un communiqué commun du DHS et du DNI affirmait « avoir la conviction que cette opération venait de Russie et ne pouvait avoir été lancée qu'avec l'accord des plus hautes autorités[5] ».
D'ailleurs, au sein même de la communauté américaine du renseignement, les accusations font débat : une partie de la CIA n'est pas d'accord avec l'interpréation donnée et la majorité du FBI - même si certains de ses dirigeants ont fait une étonnante volte-face le 29 décembre - considère qu'il n'y a que des ragots dans le dossier mais en aucun cas des éléments judiciaires à charge. Sans exclure la « piste russe », les membres du Bureau se montrent beaucoup plus prudents que Langley sur le sujet, affirmant tirer des « conclusions très différentes de celles de la CIA ».
Plusieurs médias, comme The Intercept, indiquent également que les sources anonymes de la CIA s'exprimant dans les colonnes du Washington Post pour accuser Moscou n'apportent pas d'éléments probants afin de soutenir les accusations qu'ils émettent. D'autres observateurs considèrent que les preuves techniques présentées - comme l'utilisation d'un traitement de texte configuré en russe - ou le fait que les piratages ont majoritairement eu lieu pendant les heures diurnes du fuseau horaire de Moscou, sont insuffisantes pour incriminer la Russie. Enfin, Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, a déclaré lors d'une interview que la source des e-mails que son site avait révélés n'était pas la Russie[6].
Concernant les cyberattaques « identifiées » dans le Vermont, les dirigeants de la société Burlington Electric, en charge de la gestion du réseau électrique local, ont déclaré que le code malveillant avait été détecté « dans un ordinateur portable qui n'était pas connecté aux systèmes de contrôle du réseau » et qui a été immédiatement isolé. Les responsables de la sécurité de Burlington ont reconnu qu'ils ne savaient déterminer à quel moment ce code était entré dans l'ordinateur, ni si les « hackers russes » avaient eu pour intention de perturber le fonctionnement du système ou d'observer s'ils pouvaient le pénétrer. A noter que les représentants du département de l'Energie et du DHS ont refusé de commenter ces faits.
Ainsi, concernant ces deux affaires, en l'état actuel des choses, il n'y a ni preuve avérée, ni commission parlementaire, ni enquête judiciaire, ni unanimité au sein de la communauté du renseignement. A tel point que le motif officiel de l'expulsion des diplomates russes n'est pas le supposé hacking des ordinateurs du Parti démocrate, mais un vague prétexte de « harcèlement diplomatique », ce qui en dit long sur les supposés éléments à charge. Le président élu Donald Trump a d'ailleurs mis en cause la véracité des renseignements à l'origine des accusations à l'égard de Moscou.
Autant dire que nous sommes là dans une confusion totale, qui ne peut que susciter des doutes majeurs quant à la réalité des faits présentés. Une grande partie des journalistes américains sentent qu'ils sont au cœur d'une manipulation orchestrée par l'administration sortante et sont plutôt assez prudents dans cette affaire.
Quand bien même certaines de ces accusations seraient-elles fondées, rappelons que ce que la Maison-Blanche reproche à ces hackers c'est d'avoir dévoilé des e-mails authentiques mettant en lumière les turpitudes d'Hillary Clinton et de son entourage, suite à quoi le FBI aurait du réagir et poursuivre la candidate en justice, ce qu'il n'a pas fait. En somme, les « hackers russes » ont joué le rôle de Whistleblowers, lequel est constamment encouragé par Washington partout dans le monde lorsqu'il s'agit de lutte contre la corruption, la fraude ou le terrorisme. Au demeurant, personne ne semble avoir critiqué les Démocrates pour leur amateurisme coupable puisqu'ils ont été incapables de protéger leur système informatique alors même que leur candidate était l'épouse de l'ancien président et ex ministre des Affaires étrangères !
Quant à l'implication de Moscou, elle reste à prouver. Affirmer que Trump a été élu grâce à l'appui de Poutine n'a pas de sens, car si tel était le cas, l'opération aurait été d'un grand amateurisme et aurait eu pour effet de voir son soutien démasqué et son candidat décrédibilisé, ce qui aurait été totalement contre-productif.
La « vertu » américaine offusquée : quand l'hôpital se moque de la charité

Dans le cadre de l'expulsion des trente-cinq diplomates russes, Barack Obama a invité les pays « amis et alliés » des Etats-Unis à « travailler ensemble pour contrer les efforts de la Russie visant à saper les bonnes pratiques internationales et à s'ingérer dans le processus démocratique ». A l'occasion de cette affaire Washington s'érige donc en victime innocente d'une cyberagression contraire au droit international, condamne sans hésitation de telles pratiques et dénonce la volonté de Moscou d'interférer dans le processus démocratique des Etats-Unis. Si nous ignorions qu'il n'y a pas plus éloquente qu'une prostituée faisant un discours sur la chasteté, nous en tomberions à la renverse !
L'espionnage est un grand classique entre les Etats. Indéniablement, les Russes, comme les autres nations, espionnent leurs principaux rivaux, concurrents et alliés. Mais si pendant la Guerre froide, les Soviétiques étaient de loin le plus agressifs, la situation s'est inversée depuis. La croissance exponentielle de la communauté américaine du renseignement et de ses moyens font des Etats-Unis le pays du monde qui espionne le plus les autres, au prétexte de la guerre contre le terrorisme (GWOT). Entendre Washington se plaindre de l'agressivité des services russes - ce qui est au passage une réalité, aux Etats-Unis comme en Europe - laisse songeur. Utiliser un tel argument relève d'une mauvaise fois évidente
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Washington a conduit plus d'interventions politiques clandestines dans le monde - orientant le résultat d'élections ou soutenant des coups d'Etat[7] - que ne le fit l'URSS. Les Américains ont même théorisé le Regime Change, qu'ils ont appliqué en agissant par ONG « démocratiques » interposées à l'occasion des « révolutions oranges » dans les années 1990, du « printemps » arabe à partir de 2011, ou de la pseudo révolution de Maidan en Ukraine (2014), ou bien encore en bafouant ouvertement le droit international lors de l'invasion de l'Irak en 2003.
Il convient également de rappeler que la NSA a mis sur écoute les dirigeants politiques de la planète entière - y compris ses plus fidèles alliés -, qu'elle surveille toutes les communications électroniques mondiales et qu'elle a développé des capacités d'attaques informatiques sans équivalent dans le monde.
Ce sont les États-Unis qui ont lancé les premières cyberattaques en Iran, afin de saboter, avec l'aide des services israéliens, le programme nuclaire iranien. Cette histoire est détaillée dans les documents de Snowden dont l'authenticité n'a jamais été mise en doute. La NSA a également pénétré les réseaux informatiques de plusieurs agences et minstères de Chine. Ce sont là des actes de guerre. Et les frappes de drones comme les éliminations ciblées conduites dans le cadre de la guerre contre le terrorisme relèvent de la même logique. Or, les Etats-Unis ont toujours traité par le mépris et balayé d'un revers de la main les critiques et accusations formulées contre eux en raison de ces actes, déniant aux autres Etats comme à la communauté internationale le droit de les juger de quelque manière que ce soit. Voir donc aujourd'hui la Maison-Blanche dénoncer une violation des règles internationales - qui plus est sans guère de preuves - dont le pays aurait été victime illustre bien l'unilatéralisme qui caractérise Washington depuis la fin de la Guerre froide.
Les enjeux véritables de la crise pour l'administration Obama

Au demeurant, cette affaire survient dans un contexte très particulier, dont il importe de rappeler les nombreux paramètres.
- L'Establishment de Washington a été totalement surpris par la victoire de Donald Trump et a compris qu'un grand ménage allait avoir lieu dans lequel beaucoup de ses membres perdraient leurs positions politiques et les retombées économiques liées à leurs alliances internationales.
- Aussitôt élu, le futur président a clairement manifesté son extrême méfiance à l'égard de la communauté du renseignement et plus particulièrement de la CIA, qu'il soupçonne d'avoir eu une forte et néfaste influence sur la politique de ses deux prédécesseurs.
- Aussitôt désigné comme futur Conseiller à la Sécurité nationale, le général Michael Flynn[8] a annoncé qu'il allait recentrer l'Agence - dont il critique ouvertement les performances - sur la recherche et l'analyse du renseignement et a désigné un nouveau directeur chargé de la remettre au pas[9]. Flynn a déclaré qu'il allait confier à l'avenir l'ensemble des opérations clandestines au Commandement des opérations spéciales (USSOCOM[10]/JSOC[11]) - donc au Pentagone -, ce à quoi la CIA est déterminée à s'opposer à tout prix.
- Donald Trump, Mike Flynn, mais aussi le futur secrétaire d'Etat, Rex Tillerson - actuel président d'Exxon-Mobil - n'ont pas fait mystère de leur volonté de renouer des relations de confiance et de partenariat avec la Russie de Poutine, ce qui va à l'encontre des positions de l'administration actuelle et de ses intérêts.
Nous sommes donc là de manière évidente dans une affaire américano-américaine ou deux clans s'affrontent pour rénover ou conserver le pouvoir... avant le 20 janvier, date de prise de fonction de Donald Trump. Ainsi, Barack Obama et son administration s'emploient clairement à :
- pourrir la situation pour le début de la présidence Trump, à défaut de pouvoir remettre en cause son élection,
- saboter le rapprochement américano-russe.
Rappelons également que l'expulsion des officiels russes intervient quelques jours après la libération d'Alep par la coalition russo-syrienne et l'accord de cessez-le-feu conclu entre Russes, Syriens, Iraniens et Turcs sans la participation de Washington. Ce sont là deux déconvenues majeures de la politique étrangère américaine. Enfin, rappelons qu'Edward Snowden, la bête noire du renseignement américain, est toujours à Moscou. Dès lors, rien d'étonnant à ce que Washington multiplie les provocations vengeresses à l'encontre de la Russie.
La réaction russe

La Russie a « catégoriquement » rejeté les accusations dont elle est l'objet, les jugeant « indécentes ». A titre de réciprocité, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères à immédiatement proposé à Vladimir Poutine de déclarer persona non grata trente et un diplomates de l'ambassade des États-Unis à Moscou et quatre du consulat de Saint-Pétersbourg et de leur interdire l'utilisation d'une maison de campagne dans la banlieue de Moscou et d'un bâtiment leur servant de dépôt dans la capitale. Mais le président russe a déclaré qu'il n'expulserait aucun diplomate américain, souhaitant ne pas répondre à ce « nouveau geste inamical de l'administration américaine sortante » destiné « à déstabiliser plus encore les relations russo-américaines », alors même qu'il attend l'entrée en fonction du nouveau président américain pour rétablir avec lui des relations de confiance entre les deux pays. Donald Trump a salué aussitôt « l'intelligence » du président russe. Force est de constater l'astuce avec laquelle Vladimir Poutine a su éviter le piège tendu par l'administration américaine, désamorçant ainsi une crise aurait pu provoquer une tension majeure.


Le psychodrame sur le prétendu mais non étayé piratage russe n'a pas peut-être pas encore atteint son paroxysme, car il reste trois semaines avant l'investiture de Donald Trump. Mais déjà, cette affaire, dans laquelle le grotesque le dispute à l'absurde, s'affirme comme l'une des histoires les plus surréalistes des relations internationales  contemporaines.
Conséquence de la croissance exponentielle des supports d'information (internet, réseaux sociaux, médias audiovisuels) depuis le milieu des années 1990, puis de l'entrée en scène des Spin Doctors à partir de 2002, le monde est entré dans une nouvelle ère de manipulation de l'information et des opinions. La combinaison d'un Storytelling efficace et de la maîtrise des canaux de communication internationaux permet de faire apparaître le faux encore plus vrai que le vrai[12]. Les justifications fantaisistes de l'invasion de l'Irak en 2003, le « roman » des « révolutions » arabes à partir de 2011, les présentations faussées de la crise ukrainienne et du conflit syrien n'en sont que les illustrations les plus visibles.
En accusant le Kremlin de vouloir pour manipuler et détruire la démocratie américaine, une partie de l'Establishment d'outre-Atlantique s'est lancée dans une tentative aussi pathétique que desespérée ayant pour but de permettre à ses membres de conserver leurs postes et de poursuivre la politique internationale de tension qu'ils ont mis en place depuis le début des années 2000, la seule qui, à leurs yeux, permette d'assurer la pérennité de la domination politique et économique des Etats-Unis sur le monde.


[1] 50 agents avaient dû alors quitter le territoire américain.
[2] https://www.us-cert.gov/sites/default/files/publications/JAR_16-20296A_GRIZZLY%20STEPPE-2016-1229.pdf
[3] De très nombreux piratages ont été attribués à ces deux groupes, dont celui qui a visé TV5 Monde en 2015.
[4] Nom donné par les Américains à la soit-disant opération russe.
[5] https://www.dhs.gov/news/2016/10/07/joint-statement-department-homeland-security-and-office-director-national
[6] http://www.foxnews.com/politics/2016/12/16/wikileaks-founder-assange-on-hacked-podesta-dnc-emails-our-source-is-not-russian-government.html
[7] Guatemala, Iran, Vietnam, Indonésie, Argentine, Philippines, Bosnie... pour ne citer que quelques exemples célèbres, sans parler des interventions dans la vie politique européenne pendant la Guerre froide, notamment en France et en Italie.
[8] Ancien officier des forces spéciales et ex directeur du renseignement militaire (DIA).
[9] Il lui reproche notammment d'avoir envoyé les analystes sur le terrain, ce qui leur a fait perdre tout recul, altérant considérablement les capacités d'analyse de l'Agence. Il est par ailleurs déterminé à restreindre son autonomie, considérant qu'elle est devenue une véritable « armée privée » imposant régulièrement sa vision de la situation internationale à la Maison-Blanche.
[10] United States Special Operations Command.
[11] Joint Special Operations Command.
[12] Le 30 décembre, des responsables américains ont « informé anonymement » certains médias que la Russie avait fermé l'école anglo-américaine de Moscou en représailles à l'expulsion de ses diplomates. CNN a été la première à diffuser cette information, largement reprise par les réseaux sociaux... qui est évidemment dénuée de tout fondement !


Lire aussi sur RT : Quand l'AFP se fait corriger par sa consœur suisse après avoir diffusé des «fake news» sur la Russie, le 1 janvier 2016
L’outil des «hackers russes» présenté par les USA est un logiciel ukrainien tout public, le 4 janvier 2017
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Obama, Poutine et « l’ingérence »
Par Jacques Sapir, le 2 janvier 2016 - RussEurope

Les accusations d’ingérences portées par le Président des Etats-Unis, M. Barack Obama à l’encontre de la Russie, à a suite du piratage des courriels de la direction du Parti Démocrate (le DNC), ont tourné à la crise diplomatique. Le Président Obama a ainsi décidé d’expulser 35 diplomates russes[1]. Dans cette crise, Vladimir Poutine a eu le beau rôle, et son geste de ne pas répondre à la provocation de M. Obama n’a pu que raffermir sa stature de dirigeant international.

Car, les accusations formulées par Barack Obama semblent pour le moins fragiles. Même un ancien responsable de la défense américaine, le général Kevin Ryan, qui fut dans sa carrière attaché de défense à l’ambassade des Etats-Unis en Russie et directeur régional principal pour les États slaves au bureau du secrétaire à la Défense, les relativise beaucoup[2]. Il rappelle d’autre part que les Etats-Unis ont, eux aussi, largement pratiqué l’ingérence en politique étrangère. Un autre auteur, Alexandre Mercouris, sur le site The Duran.com, montre qu’en l’état actuel des informations, les sources d’Obama sont pour le moins fragiles, et ne sont nullement validées par le FBI ni par le Depratment of Homeland Security[3].

Au delà de ces faits, il faut revenir sur les pratiques des Etats-Unis envers la Russie, dans les années 1990, comme le suggère le général Ryan. On y trouvera certainement l’explication de la rage qui semble avoir saisie le président américain sortant. Car, le bilan de l’administration Clinton, de 1992 à 2000, apparaît ici éloquent. Je l’avais dressé dans de nombreux ouvrages, dont Les économistes contre la démocratie[4]. J’en avais été le témoin, tant en Russie, où je faisais à l’époque de nombreux séjours, qu’aux Etats-Unis, où j’étais amené à rencontrer divers responsables. Je republie ici, après les avoir mises à jours, des fragments écrits à cette époque.

Le « système » des libéraux russes

Le désastre économique de la première phase de la transition en Russie (1992-1998) sert de révélateur au comportement des conseillers occidentaux, mais aussi de certains gouvernements, et en particulier de celui des Etats-Unis. L’engagement des économistes venus d’outre-Atlantique en faveur de pouvoirs exécutifs forts et même dictatoriaux, et au détriment de la construction de réelles institutions démocratiques, est à l’époque indéniable. Il a trouvé son apogée dans les semaines qui ont précédé et suivi la dissolution du Parlement russe en 1993[5]. Ces économistes ont appelé à cris stridents à une solution de force qui prit la forme du « coup d’Etat » de Boris Eltsine en octobre 1993. Mais, les économistes, les « experts », ne furent pas seuls en cause. Dans les milieux diplomatiques, que ce soit en France (en particulier au CAP) ou que ce fut aux Etats-Unis, en particulier au State Department, on tenait des propos tous aussi incendiaires. Les économistes libéraux russes ne furent cependant pas en reste. Rappelons comment Yegor Gaïdar lui-même se fit l’avocat des mesures les plus extrêmes et de la dictature la plus brutale, si cela pouvait conduire à une amélioration de la situation économique[6]. Chez les uns comme chez les autres domine l’illusion de connaître l’avenir, de détenir la clé du futur. Ce sentiment tire ses racines de la croyance en des « lois » économiques fonctionnant à l’instar des lois de la nature, de manière indépendante et séparée de l’action humaine. Les économistes en position de conseillers (Jeffrey Sachs, Anders Äslund ou Stanley Fisher[7]) comme ceux en position de gouvernants (Yegor Gaïdar, Boris Fyodorov et plus tardivement Anatoly Tchoubaïs) ont eu une responsabilité, au moins morale, déterminante dans le conflit d’octobre 1993 entre le Président et le Parlement, conflit qui conduisit la Russie à deux doigts de la guerre civile[8].

Cela conduisit à une situation où dominait, de 1993 à 1998, un pouvoir à la légitimité faible et contestée s’appuyant sans cesse sur des puissances financières dont il a facilité l’émergence, et qui usent et abusent de sa situation de faiblesse pour lui extorquer de nouvelles concessions. Dans un système bancaire structurellement vulnérable, certaines banques, celles qui étaient détenues par les « oligarques », étaient en mesure de peser sur les règles du jeu. Fortement imbriqués dans ce système politique eltsinien qu’ils finançaient de concert avec des pays étrangers (on le vit pour les élections de 1996 quand ces oligarques tout comme l’Allemagne s’arrangèrent pour que l’Etat russe puisse payer ses fonctionnaires dans les mois précédant le scrutin) ces oligarques vivaient dans un sentiment d’impunité complète.

Ces banquiers, tellement courtisés par les occidentaux en 1996 et 1997, ont été les grands bénéficiaires de l’opération « loans for share » (une privatisation à bon compte des grandes entreprises exportatrices contre des prêts au gouvernement) en 1995. Ils avaient obtenu, tels des fermiers généraux de l’Ancien Régime, la gestion directe des finances publiques. Ceci était possible en l’absence de l’équivalent russe d’un système analogue au Trésor en France et ce par la grâce d’Anatoli Tchoubaïs et Boris Nemtsov qui s’étaient opposés à l’introduction d’un tel système. Tchoubaïs reçut, d’une maison d’éditions liées à un des bénéficiaires de ces opérations, 100 000 dollars d’avance sur droits d’auteurs. Boris Nemtsov, alors ministre, fréquentait assidûment les fêtes, qui souvent tournaient à l’orgie crapuleuse, données par ce même oligarque. On comprend que ces grandes banques se soient crues durablement protégées contre les effets de leurs imprudences. Elles ne l’étaient pas, et pratiquement toutes en sont mortes…

La collusion des conseillers américains

Le soutien que reçurent les organisateurs d’un tel système de la part du FMI et des gouvernements occidentaux, et en premier lieu du gouvernement américain, pose directement la question des responsabilités[9]. Des accusations précises visant des collusions et des convergences d’intérêt entre conseillers occidentaux et responsables russes, en particulier de Jeanine Wedel, n’ont jamais été démenties[10]. En septembre 2000, devant l’ampleur du scandale révélé par la crise financière de 1998, le gouvernement américain a d’ailleurs assigné en justice André Shleifer, professeur d’économie et subordonné de Jeffrey Sachs au Harvard Institute for International Development et ancien responsable du groupe des conseillers de l’Université de Harvard en Russie. Devant ces faits, au début de 2000, l’Université décida, à la suite d’une enquête interne, de dissoudre le HIID[11]. Les réseaux de connaissance, d’alliance et d’intérêts, unissant « libéraux » russes et experts occidentaux sont d’ailleurs au cœur des dérives désastreuses que l’on a pu observer en Russie.

Le scandale à l’origine l’action en justice et la dissolution du HIID avait une cause simple. Les compagnes des deux dirigeants du HIID directement impliqués dans la mise en place de la privatisation, MM. Shleifer et Hay, étaient elles-mêmes des responsables de fonds d’investissement travaillant sur les titres des sociétés privatisées. Mais le mal est plus profond. On peut le constater en regardant les diverses relations unissant les acteurs russes et américains sur le graphique ci-dessous. Anatoly Tchoubaïs, responsable des privatisations et plusieurs fois ministre, fut salarié, et grassement, par le HIID. Les collusions entre les experts et des fonds d’investissement furent nombreuses. Plus grave encore, le scandale impliquant la Bank of New York, une des plus anciennes institutions financières américaines. Elle fut accusée d’avoir participé dans des opérations financières frauduleuses sur une échelle très importante. Une des responsables de la Bank of New York, licenciée lors du scandale, Lucy Edwards, était la femme de Peter Berlin, un émigré russe ayant créé une société, la Benex. Celle-ci avait blanchi entre 4 et 10 milliards de dollars de début 1998 à l’été 1999. Berlin était bien connu comme l’un des contacts entre la communauté financière américaine et les nouveaux banquiers russes[12]. Konstantin Kagalovsky, un dirigeant de la banque russe MENATEP, fut aussi mis en cause. MENATEP avait été fondée au début de la transition par un des jeunes libéraux russes, Mikhail Khodorkovsky. On sait ce qu’il en advint quand, se croyant toujours protégé par les Etats-Unis, il osa défier le pouvoir légitime du Président Poutine en 2003.

Kagalovsky, quant à lui fut en 1991 l’un des principaux intermédiaires entre Jeffrey Sachs et Gaïdar. Devenu Premier-Ministre, ce dernier le remercia en le nommant le premier représentant de la Russie au FMI. Sa femme, Natacha Kagalovsky, était la responsable des opérations menées depuis Londres par la Bank of New York au profit de détenteurs russes de comptes aux États-Unis[13].

L’intervention des autorités américaines

Voici donc quelles furent les pratiques des jeunes libéraux. Mais, ces pratiques ne furent rendues possibles que par l’appui politique constant des autorités, qu’elles soient russes ou étrangères, et en particulier américaines. Revenons un instant sur ce qu’écrivait à l’été 1993 Stanley Fisher, le second du FMI; la citation est rétrospectivement savoureuse: « Tous les programmes de réformes récents et les stabilisations réussies ont été dirigés et associés à un responsable, en général le Ministre des Finances, travaillant avec une équipe réduite de conseillers de confiance (en général jeunes) qui surveille la mise en oeuvre de ce programme dans les divers ministères« [14]. Ces équipes avaient été en réalité sélectionnées par le gouvernement américain et ce dernier avait été régulièrement tenu au courant des malversations commises par les “ libéraux ” russes. Ses responsables avaient tout aussi régulièrement refusé d’écouter les mises en garde provenant de ses propres services[15]. Les phénomènes de collusion ont donc aussi existé du côté occidental dans cette affaire. Ils ont certainement accru l’influence des milieux bancaires souhaitant la poursuite, le plus longtemps possible, des mécanismes financiers décrits en Russie en raison des profits qu’ils en tiraient. Le Secrétaire d’État au Trésor à Washington était en 1998 Robert Rubin, qui avait travaillé quelques années dans le passé à la mise en place du marché des GKO et qui devait dans les mois qui suivirent abolir définitivement la séparation des banques et des assurances aux Etats-Unis.

Un ancien responsable de la CIA et du Conseil National de Sécurité américain, Fritz Ermath, n’a pas hésité à évoquer ce problème publiquement lors de son audition devant la commission aux affaires bancaires et financières de la Chambre des Représentants[16]. À l’occasion de la nomination de Lawrence Summers, l’ancien second, puis successeur de Rubin au Trésor, l’ancien directeur du journal de langue anglaise, le Moscow Times, que l’on peut penser pourtant favorable aux « libéraux » russes, pouvait écrire[17]:

« Summers ne figure pas dans la plainte du Département de la Justice (contre le HIID), mais il a été pour des décennies le mentor de Shleifer. En tant que professeur au MIT, il a recruté Shleifer, alors un jeune étudiant à Harvard, comme assistant de recherches, débutant ce que le Journal of Economic Perspectives devait décrire comme une « longue période d’amitié et d’éducation réciproques ». Même quand le travail de Schleifer en Russie devint l’objet d’une enquête, Summers continua à le soutenir. (…) Ce qui est aussi intéressant est de voir comment le Harvard project et les réformateurs russes ont coopéré pour gagner le contrôle sur le financement de l’aide américaine. (…) Voici comment les choses marchaient. Le groupe d’Harvard cultivait l’amitié de « réformateurs » comme Tchoubaïs. (L’amitié en action: quand Eltsine renvoya brièvement Tchoubaïs en raison du trucage des appels d’offres concernant les compagnies pétrolières, le groupe d’Harvard utilisa l’argent de l’USAID([18]) pour recruter Tchoubaïs avec un salaire de 10 000 dollars par mois comme consultant). L’USAID nota avec approbation « les profondes relations de confiance » entre Harvard et les réformateurs et cita ce fait comme une des raisons pour donner des aides supplémentaires à Harvard, tout en repoussant les projets présentés par d’autres institutions.

Dans les rares occasions où l’USAID alloua de l’argent à des organisations qui n’avaient l’agrément de Harvard, les réformateurs devaient annuler cela. Par exemple quand une équipe de Stanford remporta un concours de l’USAID pour travailler avec la commission russe des opérations en bourse, une commission qui avait été mise en place par Shleifer et Hay, le réformateur dirigeant cette commission déclina l’offre. Stanford perdit le contrat et plus tard Harvard reçut de l’argent pour le même travail« .

Les affirmations contenues dans l’article de Bivens et concernant l’action de Summers et les pratiques du HIID n’ont pas été démenties et n’ont pas donné lieu, à une plainte en diffamation. Or, les accusations qu’elles contiennent sont importantes. Lawrence Summers fut l’adjoint du Ministre des finances des Etats-Unis de 1995 à 1999 (Secrétaire d’Etat au Trésor). Leur importance dépasse les montants alloués par l’USAID au HIID. Ce que révèle Bivens, ce sont les pratiques les plus éhontées de copinage. Là où l’on prétend nous présenter la transparence de choix scientifiquement fondés, on découvre la collusion et la corruption sans freins ni vergogne. Et, de ces pratiques, émerge la figure d’un officiel de l’administration américaine, Lawrence Summers, que des liens anciens unissaient avec le principal responsable du HIID, André Shleifer. Mais une autre figure émerge, celle du vice-Président de l’époque, Alfred Gore, devenu depuis une icône des écologistes « chics » et un des promoteurs de la COP-21. Gore dirigeait à l’époque la commission Gore-Tchernomyrdine chargé de superviser les relations économiques entre les Etats-Unis et la Russie. Il fut informé en 1995 par la CIA de l’ampleur des pratiques de corruption régnant en Russie et rejeta violemment ce rapport. Des rumeurs insistantes, jamais démenties, ont ainsi courues sur le financement personnel de membres de l’équipe Clinton (dont Gore était le vice-Président), en échange de l’appui politique apporté au gouvernement et aux « libéraux » russes[19]. Le fait qu’à la suite de la crise de 1998, et de l’arrivée au pouvoir de E. Primakov, puis de V. Poutine, l’administration Clinton ait pu être accusé d’avoir « perdu » la Russie (You lost Russia) est bien l’ultime preuve de l’ampleur de l’ingérence américaine, et de ses effets contraires, en Russie;

Où l’on retrouve Goldman Sachs…

Celui qui fut, à l’époque du krach russe d’août 1998, le supérieur de Summers, Robert Rubin n’échappe pas non plus à quelques soupçons. Il fut, avant de prendre la très officielle position de Secrétaire au Trésor, un des responsables de la banque Goldman Sachs, et en particulier celui qui supervisa la mise en place du marché des titres publics russes, les GKO, qui furent le détonateur du Krach. En 1992, il avait été détaché auprès de Boris Eltsine comme conseiller sur les problèmes bancaires. En juin 1998, alors que la crise financière était une évidence, Goldman Sachs, qui avait placé de grandes quantités de titres russes à des investisseurs occidentaux, leva, pour le gouvernement de Moscou 1,25 milliards de dollars en nouveaux titres. Pour asseoir la crédibilité de cette opération, cette banque organisa à grands frais une soirée à Moscou, à la Maison des Syndicats. D’après Joseph Kahn et Timothy O’Brien, des personnalités russes et occidentales furent invitées. La banque paya même 100 000 dollars à M. Georges Bush père pour obtenir sa présence. Quand la crise éclata et que le gouvernement russe fit défaut sur les GKO, placés en partie par Goldman Sachs, cette société annonça que ses pertes étaient minimales. Elle avait en effet revendu les GKO qu’elle détenait quelques semaines avant la crise[20]. Quelle magnifique coïncidence! Elle est bien propre à nous faire croire qu’il est un Dieu pour les banquiers, surtout quand un de leurs anciens employés est devenu l’équivalent du Ministre des Finances américain.

Il reste que l’affirmation selon laquelle la banque avait pu se dégager à temps grâce aux bonnes anticipations de ses experts est quelque peu douteuse. Des ventes massives par Goldman Sachs de GKO détenus dans son portefeuille survenant fin juillet ou début août n’auraient pas manqué d’inquiéter et d’avertir les autres opérateurs. Pour que ces ventes aient pu se dérouler sans provoquer de remous dans le marché, il faut qu’elles aient été progressives et étalées sur plusieurs semaines. Ceci signifie que cette banque, compte tenu de son rôle dans le placement des GKO, s’est forcément trouvée dans la position consistant à vendre les mêmes titres dont elle conseillait l’achat à ses clients. Ceci n’est sans doute pas illégal; on appréciera néanmoins le contenu éthique d’une telle pratique. Signalons enfin que Goldman Sachs avait aussi développé des relations très étroites avec un des oligarques russes, Mikhail Khodorkovsky[21], l’un des protecteurs de Kagalovsky impliqué dans le scandale de la Bank of New York.

Les leçons de la Russie

Il y a un lien qui va de la destruction du parlement de Russie en octobre 1993, aux pratiques de corruption et de collusion que l’on vient de décrire. Ces pratiques ont d’ailleurs été dénoncées par des personnes que nul ne peut suspecter d’être des nostalgiques de l’ordre soviétique. Ce lien est d’abord logique. Un pouvoir privé de légitimité se réduit rapidement à un gang de prédateurs. Il fonctionne en circuit fermé, ce qui encourage des abus. Faute de contrôle parlementaire, ces derniers peuvent se multiplier à loisir. L’indépendance tant vantée des conditions de décision n’est pas une garantie contre la prise d’intérêts, l’abus de bien social, le vol porté au niveau d’un sport quotidien. Cette indépendance est par contre la garantie de l’impunité pour bien des acteurs. Il y a aussi, et c’est le plus important, un lien politique. Cette évolution a été tolérée, couverte, et même encouragée par des pays occidentaux et des organisations occidentales au nom de la défense de l’économie de marché et de la démocratie. Pourtant, comme le disait David Satter dans son témoignage devant le congrès américain[22] : « Les réformateurs ont perdu leur popularité en Russie non pas parce qu’ils ont défendu la démocratie, mais parce qu’ils ont facilité la criminalisation de leurs pays. » On ne peut pas comprendre le fondement de la popularité de Vladimir Poutine, de la légitimité de son action, si l’on oublie cela. Les pratiques d’ingérences de la part des Etats-Unis, mais aussi d’autres pays européens comme l’Allemagne en particulier, ont pesées d’un poids déterminant dans la criminalisation de la vie politique russe. Les pays occidentaux se sont accommodés, voire ont suscité, cette criminalisation parce qu’elle accompagnait une orientation politique qu’ils chérissaient, parce qu’elle allait dans le sens de leurs intérêts. Ils sont bien les derniers à pouvoir, aujourd’hui, protester contre des « ingérences » de la Russie, surtout quand ces soi-disant « ingérences » ne concernent nullement le gouvernement ou l’administration de l’Etat mais uniquement un acteur privé, comme le parti Démocrate.

[1] http://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/les-diplomates-russes-expulses-par-barack-obama-ont-quitte-les-etats-unis_1996159.html

[2] http://news.harvard.edu/gazette/story/2016/12/inside-the-hacked-u-s-election/?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=hu-twitter-general

[3]http://theduran.com/breaking-joint-fbi-homeland-security-report-fails-prove-russians-behind-clinton-leaks/

[4] Sapir J., Les économistes contre la démocratie, Paris, Albin Michel, 2002.

[5] Voir en particulier, Fisher S., “Prospects for Russian stabilization in the Summer of 1993”, in A. Åslund (Ed.), Economic Transformation in Russia, New York : St. Martin’s Press, 1994, pp. 8-25 et Sachs J. , “Prospects for monetary stabilization in Russia”, in A. Åslund (Ed.), Economic Transformation in Russia, New York : St. Martin’s Press, 1994 pp. 34-58. Il faut ici rappeler que Stanley Fisher a été le n°2 du FMI.

[6] V. Mau, Ekonomika i Vlast’ : predvoritel’nye itogi, Natchala Press, Moscou, 1995, p. 42.

[7] A l’époque, n°2 du FMI Fisher est l’ancien directeur de thèse de Lawrence Summers qui travaille alors à la Banque Mondiale (1991-1993) avant de devenir l’adjoint du Secrétaire au Trésor des Etats-Unis.

[8] Sur ces événements, voir J. Sapir, Le Chaos russe, La Découverte, Paris, 1996.

[9] Voir, Sapir J. (2000a), « Le FMI et la Russie: conditionnalité sous influence », Critique Internationale, n°6, hiver 2000, pp. 12-19.

[10] Voir Wedel J.R., (1998), Collision and Collusion – The strange case of Western Aid to eastern Europe, 1989-1998, New York, St Martin’s Press.

[11]Carey Goldberg, « U.S. Seeks Millions in Suit Against Advisers to Russia », New York Times, 27/09/2000.

[12]Voir R. Bonner, “ Bank of New York dismisses second employee in laundering cas ”, New York Times, 3 septembre 1999, édition électronique.

[13] Voir D. Hoffman, “ In Russia, the money doesn’t add up ”, Washington Post, 29 août 1999, p. A1, et “ N.Y. probe unsettles Moscow magnates ”, Washington Post, 31 août 1999, p. A7. Voir aussi le témoignage de T.A. Renyi, Président du directoire de la Bank of New York Co., Inc. devant le comité de la Chambre des représentants sur la banque et les services financiers, Washington, 22 septembre 1999, via Internet.( www.house.gov/banking/testoc2.htm).

[14] Fisher S., “Prospects for Russian stabilization in the Summer of 1993”, in A. Åslund (Ed.), Economic Transformation in Russia, op.cit., p.24.

[15] R.G. Kaiser, “ Pumping up the problems : Has investing in the Yeltsin machine put America’s relationship with Russia at risk ? ”, Washington Post, 15 août 1999, p. B01.

[16] F.W. Ermarth, “ Testimony of Fritz W. Ermarth on Russian organized crime and money laundering before the House committee on Banking and Finance ”, 21 septembre 1999, Washington, USGPO, via Internet. (www.house.gov/banking/testoc2.htm) .

[17] M. Bivens, « Harvard’s « fitting choice » », Édition electronique du Moscow Times, lundi 18 juin 2001.

[18] L’USAID est l’agence gouvernementale américaine finaçant l’assistance technique aux pays en voie de développement. Elle a été une des principales sources de financement, et ce pour des montants de plusieurs dizaines de millions de dollars, du HIID.

[19] Ces faits me furent rapportés en 1999 par un des responsables de la CIA et du Département d’Etat, M. George Kolt, décédé en 2005.

[20] J. Kahn et T. O’Brien, « How Goldman sachs escaped the Russian economic Bloodbath », The New York Times, 17 octobre 1998.

[21] Idem.

[22] David Satter, Senior Fellow, The Hudson Institute and Visiting Scholar, The Johns Hopkins University Nitze School of Advanced International Studies (SAIS), Statement, House Committee on International Relations, October 7, 1999.



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