mardi 29 juin 2010

Eric Baret








Sans études ni culture, Éric Baret ne possède aucune compétence particulière. Ayant été touché par la tradition non duelle à travers l'enseignement de Jean Klein, il propose de se mettre à l'écoute, sans but d'aucun profit. Rien à enseigner, pas d'enseignant. Des rencontres pour la joie de ne rien être.
Source du texte et site officiel : Bhairava 


Bibliographie en français :

- Les Crocodiles ne pensent pas, Éd. Almora, Paris, 2008.
- Le Yoga tantrique du Cachemire, 4e éd., Gordes, 2008.
- Le Sacre du dragon vert, Ed. Almora, Paris, 2007.
- Le Seul désir, Dans la nudité des tantras, Ed. Almora, Paris, 2006.
- Yoga, Ed. Almora, Paris, 2006. - De l'Abandon, Ed. Les Deux Océans, Paris, 2004.
- Corps de Silence. Ed. Almora, Paris 2010.



- Quel est le rôle du yoga ?

- Aucun rôle !


- N'est-il pas utilisé au Cachemire ?


- Certainement pas « utilisé ». Vouloir utiliser les choses fait partie de la démarche progressive. Le yoga, la médecine, la peinture, la sculpture, l'art de la guerre, tous les arts qui construisent maintiennent ou détruisent les facettes de la vie, favorisent une possible expression du pressentiment d'être.

Le yoga parle du corps. Le corps peut se trouver dans un état de très grande débilité, et pourtant le sentiment « d'être » est toujours là. En fait l'inclination à la pratique du yoga doit être considérée tout au plus comme un signe « auspicieux ». Pour la plupart, l'expression de la compréhension se trouve dans la vie quotidienne, dans les occasions les plus ordinaires. L'art du yoga, dans la tradition shivaïte du Cachemire, est en fait l'art d'écouter. Ecouter les différentes modifications psycho-sensorielles dans le corps lors des diverses situations de la vie quotidienne. Cette écoute qui ne juge, ni n'intervevint, permettra petit à petit à la réactivité constante du corps de s'atténuer. Les différents mouvements de la sensibilité quittant leurs caractéristiques d'agitation seront ressentis de plus en plus sous forme rythmique. La corporalité grossière ou subtile n'est que vibration. L'écoute « non impliquée » de ces différents rythmes amène tôt ou tard leur résorption dans leur origine, silence conscient.

«
Des tourbillons de qualités comme des sons et des lumières surnaturelles sont perçus par le coeur. Qu'on n'y mette pas l'accent et qu'on pénètre dans le suprême séjour à l'aide de son propre coeur. C'est ce qui coupe les liens du devenir. » Lakshmikaulanarva Tantra.

L'abdication totale dans le silence permet de quitter les réseaux fractionnels de notre corps, positifs et négatifs, dans lesquels circulent généralement les énergies. Dans ces moments de silence et de « non-utilisation » des réseaux schématiques du corps, fuse, libre de toute intention, l'énergie qui est pure expression du silence sur le plan phénoménal. Cette célébration, cette offrande de la dualité dans le coeur trouve son expression la plus subtile dans le rite du pranayama. Les souffles inspirés et expirés, après avoir rempli leur fonction d'éveilleur et de purificateur, sont offerts en oblation dans le repos qui les suit. Le vide après l'expiration, vécu en unité, est l'espace d'où jaillit l'énergie enfin libre de percuter sans obstacle la cérébralité.


«
Quand le souffle vital abandonne les passages de droite et de gauche et suit la voie ascendante, ce mouvement détermine ainsi la fonte de toute la dualité comme celle du beurre congelé et donne naissance à l'unité. Telle est la fonction du souffle ascendant, udana, qui correspond au quatrième état. » Abhinavagupta, Ishvarapratyabhijnavimarshini

- Le yoga, la pose peuvent-ils jouer le rôle de révélateur ?


- Oui, révélateur de ce qui est antérieur à cette révélation. Retrouver consciemment ce qui était voilé en nous.


«
Rien de nouveau n'est obtenu, pas plus que n'est rendu lumineux ce qui ne l'était pas ; est seulement bannie la conception erronée qui considère ce qui est lumineux comme non lumineux. » Abhinavagupta, Ishvarapratyabhijnavimarshini

Au sens classique, le yoga est l'art de mourir à soi-même. De nos jours, il est plus souvent interprété comme une technique de mieux-vivre. Atténuer un noeud pour favoriser la réceptivité peut être, dans certains cas, justifiable. Chercher à tout prix, au moyen d'une discipline, à effacer tous les antagonismes du corps et du mental n'est que violence. Seule une prise de conscience sans volition aucune peut vraiment libérer une tension et non une intervention arbitraire nourrie d'intention.

En Inde, de nombreuses personnes passent deux ou trois heures au nettoyage quotidien de tous leurs orifices et organes accessibles afin de se purifier avant d'entreprendre leurs exercices rituels. Cela les maintient en excellente santé. Et alors ? Quand le rouleau compresseur arrive, il ne fait aucune différence entre un corps en bonne santé ou un autre complètement débilité. Cela, bien sûr, ne veut pas dire que tous ces nettoyages sont sans aucune valeur, s'ils sont utilisés à bon escient, avec modération.
L'art de célébrer notre véritable nature par une attitude corporelle rituelle, asana, est très peu connu. Souvent, en Occident et même en Inde de nos jours, la pratique des poses se réduit à une gymnastique plus ou moins intelligente. On essaye d'imposer au corps un schéma extérieur, arbitraire, en pensant ainsi le purifier. Cette attitude démocratique, qui consiste à s'imaginer pouvoir aller du moins vers le plus, n'est en fait que violence, sécurisation, et reste toujours dans le domaine de la mémoire, du déjà connu. L'art du Cachemire, au contraire, reconnaît l'antériorité de l'archétype sur le corps. Il ne s'agit donc pas « d'arriver à faire », d'arriver à tenir telle ou telle pose dans un domaine relatif, mais bien de se rendre compte de toutes les limitations et blocages, du manque de sensibilité qui nous habite et masque notre réelle corporalité. Une pose ouvre une porte sur des niveaux de perception plus aiguisés où il devient possible de pressentir clairement certaines expressions subtiles de la conscience.

«
Par la voie des organes le yogi appréhende les jouissances du monde sensible et par cette même voie il déverse son coeur, remplissant ainsi le triple monde d'une pulsation consciente. » Maheshvarananda, Mahartamanjari

Ainsi, avant d'aborder la pose classique, on passera d'abord par de multiples demi-poses et quart de poses. La créativité du moment, se canalisant dans des gestes traditionnels, entraînera un « vidage » approfondi de toutes les articulations, de toutes les défenses, jusqu'à ce que la transparence naturelle du corps soit de nouveau retrouvée.





« Qu'on évoque l'espace vide en son propre corps, dans toutes les directions à la fois. » Vijnana Bhairava Tantra.

Du point de vue de cette transparence, le corps subtil, corps d'énergie libre du schéma corporel, sera pressenti dans sa gloire. Ce corps subtil, vibration réceptive, totalement un avec son environnement, va d'abord, sans la participation du corps physique, prendre la pose demandée. Cette prise de l'asana par le seul corps vibrant est un art d'une grande finesse et demande une totale abdication de toute volonté de faire. Plusieurs allers et retours seront souvent nécessaires pour consumer la mémoire des différentes défenses associées à ce mouvement. Lorsque la pose subtile pourra être maintenue clairement, sans référence à la corporalité, alors seulement le corps physique, enveloppé de cette vibration en éveil, pourra à son tour se glisser dans la posture. La corporalité libre de réaction pourra ainsi s'immerger dans l'archétype, ouverture multidimensionnelle. Le corps dans ses modalités physiques et subtiles deviendra alors offrande à notre véritable nature.


«
Le corps à forme subtile, à forme grossière que tous les êtres consacrent « sujet » est l'oblation que le grand yogi verse dans le feu de la conscience. » Kshermaraja, Shivasutravimarshini

La pose se dessine donc dans un corps complètement vacant. La vacuité se maintiendra, s'étalera dans la pose avec l'aide d'un souffle éveilleur. Le retour vers le point de départ du mouvement, moment crucial, se fait également dans cette détente. Alors seulement les énergies libérées par la vacuité pourront s'intégrer consciemment dans notre ouverture. Leur jaillissement, quand la verticalité de départ a été réintégrée, leur explosion et leur résorption consciente, est en fait le moment le plus important. C'est cette montée d'énergie qui libérera le corps et le psychisme de ses limitations, et non pas la pose elle-même. Quand toute trace de la pose sera totalement effacée et que la transparence naturelle en aura résorbé toute les résonnances, la possibilité d'aborder une autre pose pourra se présenter.





« Contemple cette conscience sise dans le corps et qui fulgure comme le feu de la conflagration finale. C'est là que l'amoncellement des catégories est consommé, là qu'elles vont toutes à leur dissolution. » Viravali

Cette approche qui met autant l'accent sur les moments entre les poses que sur les poses elles-mêmes, ne permet pas de se perdre dans la pratique physiologique de séries qui s'enchaînent presque rythmiquement comme l'enseignent certaines « écoles de yoga ».

Se donner intimement à une pose requiert une grande attention. Quand on a vidé les résistances et que le corps dans sa totalité se trouve dans la posture voulue, les différents modes de l'énergie propres à cette pose vont se mettre à vibrer, un peu comme le va-et-vient des marées. Cet éveil de la vibration qui va passer par de multiples degrés de transformation demande un certain temps pour s'actualiser totalement.
Chaque pose a son temps propre, nécessaire à son accomplissement. Limitons-nous aujourd'hui à souligner l'importance, quand, bien sûr, le corps est prêt pour cela, de rester suffisamment longtemps dans les poses pour que les aspects tamasiques, rajasiques et même sattviques se résorbent dans l'écoute.

Extrait, Le Yoga Tantrique du Cachemire, pages 42 à 49, Chapitre IV.

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Source : Bhairava


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