jeudi 28 octobre 2010

Dans les antres de la sagesse (3)

Suite de la présentation du livre de Peter Kingsley, Dans les antres de la sagesse.
(1) Interprétation des inscriptions.

(2) Interprétation du proème
(3) Critique et conclusion
Proème.




Critique et conclusion : 
En une phrase un livre passionnant, mi étude mi roman dans sa forme, l'auteur ne nous révèle pas tout tout de suite (comme je l'ai fait précédemment). Peu à peu au fil des pages et des chapitre le puzzle se recompose et nous découvrons une nouvelle image de Parménide en refermant le livre. A lire absolument !

Peter Kingsley donne cohérence aux inscriptions en se penchant sur chaque mots (oulios, iatris, phôlarchos, physikos), permettant ainsi de montrer l'importance de ces récentes découvertes, révélant un Parménide guérisseur,
fondateur d'une lignée utilisant le rite de l'incubation ou de mort apparente. Ce à quoi fait écho le proème pour peu que l'on soit attentif aux détails (les termes de jeune fille du Soleil et de jeune homme, le chemin circulaire des filles du Soleil, l'identification des demeures de la Nuit au Tartare et de la Déesse à Perséphone). 

La mise à jour des inscriptions et de leur signification, est comme une sorte d'éruption volcanique. Mais le volcan n'est pas éteint, et il a toujours été en activité. La nouvelle sourde et siffle encore comme de la lave en ébullition, comme une confirmation de ce que l'on a toujours su, car on connaissait de longue date l'existence de Mystère dans la Grèce antique et surtout la fulgurance du poème parle d'elle-même.





L'auteur s'attache avant tout à mettre en évidence l'aspect mystique de Parménide, en oubliant un peu le philosophe, mais c'est vrai que celui-ci est peu présent dans le prologue. Les argumentations viendront par la suite. 
Sauf que Peter Kingsley ne dit rien sur les derniers vers, l'annonce du plan du prochain discours de la déesse. C'est dommage. 

Dommage aussi que sa prétention soit un peu excessive, ce qui 
l’entraîne à énoncer des jugement à l'emporte-pièce sur la pensée platonicienne. Car il ne suffit pas de dire que le propos est ironique, ou emprunter à une tradition antérieur, pour faire l'économie de la lecture des arguments. 
Pour peu qu'on lise le texte avec attention, la portée du parricide est évidente : ce qui est défendu n'est pas la possibilité du non-être parménidien mais seulement l'altérité (voir Sophiste 257b, 258e). 
D'un côté Peter Kingsley force le trait pour se démarquer des interprétations courantes du philosophe d'Elée, ou du physicien de Vélia (terme latin de l'époque des inscriptions), et de l'autre il ramène Platon à une lecture non seulement vulgaire, ou commune, mais caricaturale. C'est dans cette espace artificielle que l'auteur veut faire sa révolution (comme si le miracle grec n'avait pas déjà été battu en brèche). 

Pour reprendre un passage platonicien (Soph. 249d), il faut imiter les enfants, ne pas choisir (ou refuser le choix imposé) et répondre : les deux. 
Car il n'y a pas à opter pour Parménide contre Platon (ou l'inverse), c'est un non sens. Un même souffle inspiré traverse le poème de Parménide et le dialogue platonicien, le plus achevé, qui porte le nom même de l'auteur du poème, ainsi que ses interprétations néoplatoniciennes - jusqu'à Damascius, dernier diadoque de l'Académie. Comment être assez aveugle pour ne pas le voir ?

Derrière une ambition un peu puérile se cache une intention plus légitime, et même attendue, celle de relire un poème de 2 500 ans, étonnant et splendide, qui a été à l'origine de la pensée occidentale. Et de le relire de manière sérieuse, en prenant Parménide aux mots, avec une érudition certaine et dans une perspective non duelle - c'est ce que l'auteur aura fait avec bonheur pour le prologue (*) et qu'il annonce pour l'ensemble des fragments (**). 
C'est tout simplement excellent.  

Nonobstant ces quelques réserves donc (tous les passages sur Platon - mais ce ne sont que quelques pages), et pour ne pas me répéter, ce livre est passionnant on y apprend plein de choses. 
Jetez-vous dessus !





(*) 
Peter Kingsley semble fréquenter le non-dualisme contemporain, au moins Eckart Tolle et Adyashanti dont il met des citations sur son site internet, recommandant ses propres ouvrages. 
(**)
On attend la suite avec curiosité (la tâche sera plus ardue) et impatience. Avec une question en suspend cependant : est-il possible de lire intelligemment la suite du poème (qui n'est pas un récit mais une suite d'arguments) en disant de telles sottises sur Platon ? 
Peut-être que pour vraiment comprendre le poème et vraiment comprendre le dialogue platonicien il faudrait en faire une lecture parallèle. Le dialogue du Parménide est une sorte de commentaire du poème de Parménide. 

N.B.

Quelques notes sur le prologue et la première partie du poème avaient été jeté dans un blog (en 2006), en montrant que l'Etre de Parménide est non duel (et innéfable - comme le suggère une anomalie grammaticale présente dans le texte). Et en voyant dans l'exposé de la Déesse une présentation de type dzogchen. Voir ici : Le faiseur d'arc-en-ciel


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